Vamployer les grands moyens - [Louis & Zdenka]

Évidemment, quand Louis se targue du délice que constitue sa glace, se pavane de commander de l'exotique, puis se retrouve misérablement courbé à rendre quelques fluides à la terre, Zdenka hurle de rire. À en faire se retourner les passants, une larme vient même lui échapper du coin de l'oeil alors qu'elle tente misérablement de retrouver son souffle. Rien n'y fera, elle couvre le pauvre vampire de son hilarité moqueuse.

Et encore, à peine elle retrouve un semblant de raison, le commentaire de l'expert vampire la refait partir de plus belle. Quelques secondes plus tard, elle peut enfin parler, et croyez-bien qu'elle ne se retient pas.

"Vous verrez, mon pauvre ami, le goût de l'aventure passe rapidement."

C'est qu'elle est fière de sa bêtise en plus, vous savez?

Tellement qu'elle rigole à sa propre blague, encore, oui, et se doute bien que Louis lui-même sera un tantinet moins amusé. Tant pis, c'est méchant et c'est pas bien de se moquer, mais c'est si bon. D'énièmes longues secondes plus tard (encore), un rictus amusé lui collant tenacement au visage, elle le pousse un peu à l'action, vraiment curieuse de voir la suite.

"Va réclamer justice, que diable, vil marchand de glaçons sanguins s'est moqué de l'honneur tien. Je te regarde"  

Oh, elle regarde, elle contemple, elle admire, le visage caché derrière une délicieuse glace à la fraise et à la vanille.

Ton rire, bien évidemment moqueur envers sa personne, résonne de ce quelque chose d’agaçant, de blessant. Son égo et son honneur en miette, probablement. La douleur dans la gorge passe bien rapidement, il a déjà connu pire - quand la Camarilla s’amusait encore d’expérimentations sur sa personne afin de deviner son groupe sanguin, il vomissait par demi-litre entier.

Mais tout de même, c’est cruel à ses yeux.
Tu ne sais pas ce que c’est, n’est-ce pas ?

“Va réclamer justice, que diable, vil marchand de glaçons sanguins s'est moqué de l'honneur tien. Je te regarde.”
“Oh, crois bien que je ne vais pas gêner.”

Dit-il en se dirigeant vers le glacier d’un air bien trop déterminé. Tout ça pour une glace, pourrait-on se dire, mais tout de même ce n’est pas rien. C’est comme si tu étais allergique aux arachides et que ce commerçant t’offrait, tout sourire, une glace au beurre de cacahuète - à supposer qu’une telle chose existe réellement.

On n’entend que des bouts de conversation - “mauvais groupe” “aucune déontologie” “une honte” “du commerce sur les vampires” “rien à faire de vos excuses”. Finalement, il revient victorieux, avec un remboursement en bonne et dû forme, et une nouvelle glace gratuite. Au chocolat cette fois-ci, ne tentons pas le diable.

“Oh je t’en prie, aucune réflexion de ta part. Ton rire a été bien suffisant.”

C’est qu’il en serait vexé, ce pauvre Louis.

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Zdenka n'a jamais vu Louis s'énerver. Ou alors, elle a déjà oublié et effacé le souvenir pour de bon, parce qu'elle le redécouvre. Si la bienséance voudrait qu'elle soit du côté du vampire, la véhémence qu'il met dans les mots lui fait compatir pour le pauvre marchand de glaces. L'erreur est humaine à son sens, et celle-ci payée bien cher. Enfin, elle n'est pas vampire après tout, ne sait pas à quel point c'est fréquent.

Elle le voit lui revenir, triomphant, mais avec une glace au chocolat. Elle retient très fort l'envie d'en rajouter, parce que Louis est visiblement contrarié. Assez pour commenter sur sa petit cruauté passagère, lui reprocher une pointe de moquerie. Ça la déçoit un peu, disons-le.

"Ma foi, si j'avais su que le sujet est tant sensible, je me serais retenue de rire."

Des mots prononcés avec la moitié d'une conviction, plus formulés pour apaiser qu'exprimer une vérité. Après des siècles de vie, elle a appris à rire d'elle-même et tout tourner en dérision, n'a plus vraiment de complexe qui l'atteigne. Et elle attend des autres la même tolérance, peut-être par erreur.

"J'aurais cru qu'à ton âge, tu aurais plus de recul sur ta nature."

Lâché un peu froidement, avec une distance soudaine. Comme un reproche, un jugement. Louis venait de baisser d'un léger cran dans son estime, pour sûr. Mais la glace offerte rachetait grandement cet écart, donc tout va bien.

Il grimace en croquant bêtement dans sa glace - la froideur lui monte bien rapidement au cerveau, gelant par la même le peu qu’il était encore capable d’utiliser. Étonnant que de tels phénomènes physiologiques apparaissent encore dans ce monde.

“Ma foi, si j'avais su que le sujet est tant sensible, je me serais retenue de rire.”
“Penses-tu donc.”

Louis a appris, il est vrai, à se foutre de tout. Notamment et surtout de ce que les gens peuvent bien penser de lui, et de ses états d’âme, de ses pensées. Et Louis pense actuellement que ce marchand est en tort, que ce n’était pas qu’une simple erreur humaine. Un peu comme les marques qui mettent en avant leur supposée amitié envers les communautés LGBT, mais uniquement en juin.

Penses-tu donc alors ?
Louis est triplement discriminé.

“J'aurais cru qu'à ton âge, tu aurais plus de recul sur ta nature.”
“Ah, crois-moi que si l’on vit comme j’ai vécu, on apprend non pas à faire la part des choses - plutôt à se battre pour que tout ceci s’arrête.”

Il te sourit, en un sens. Tu lui sembles soudainement très âgée, ou très éloignée de ces considérations. Mais que peux-tu ? Et que peut-il ? Vous n’êtes pas de la même époque, de toute évidence.

“Pour une glace, ça peut sembler idiot. Mais j’ai vécu toute ma vie sans pouvoir boire un simple café dans un bar, tant est si peu qu’il fût interdit aux Noirs. Un café… Ça peut sembler idiot aussi, n’est-ce pas ?”

Il inspire. Les choses ont changé, n’est-ce pas ? On aimerait le penser, mais ce n’est pas tant véridique. C’est tout un tas de petites choses, une à une pas si importantes si elles sont prises séparément, mais énormes ensemble. Alors oui, ce n’est qu’une glace - mais les personnes qui font du commerce foireux sur le dos des vampires pour se faire mousser, ce n’est pas si rare désormais.

“M’enfin qu’importe. Ne laissons pas une simple glace gâcher cette journée.”

Zdenka s'est lancée dans un goufre insoupçonné, le sujet est plus profond qu'elle ne pouvait le percevoir. Il touchait à des mémoires, des vécus, des expériences qu'elle n'avait jamais eus, des abstraits rendus cocnrets dont elle ne pouvait que deviner les contours. C'est si, si loin d'elle, qu'elle y serait presque aveugle sans qu'on le lui rappelle.

Elle écoute, en silence, mais est-ce qu'elle entend vraiment? Son visage ne trahit pas d'émotion, ses pensées sont inaccessibles. Non pas qu'elle soit parfaitement dénuée d'empathie ou de compréhension, mais elle s'accroche. À ses paradigmes, à croire qu'un banal marchand de glace ne mérite pas les furies du ciel, à se répéter que la faute ne venait peut-être pas même de lui.

"Bon, bon, je comprends."

Qu'elle dit, qu'elle souffle, seulement convaincue à moitié de sa propre parole. Elle espère comprendre, croit cerner les enjeux, se trompe sûrement. Zdenka est trop vieille, trop ancrée dans sa propre existence, on ne la changera pas. Le vampire veut lui ouvrir les yeux vers des horizons qui dépassent sa perception, en un mot. Elle a beau regarder dans la même direction, les mers s'étendent à perte de vue, un fossé infranchissable.

Elle tente de reprendre de l'entrain, c'est forcé mais mieux que rien, le grand gaillard a tenté de l'y inviter.

"Crois-moi, ta journée ne sera pas vraiment gâchée avant que tu ne doives affronter les escaliers jusqu'à ma loge."

Un peu d'humour... Ça aide pas, mais c'est une tentative comme une autre.

Un petit air de jazz, il se demande s’il a eu raison de s’embarquer dans cette voie. C’est le sentiment qu’il a pourtant, voyant ta réaction, guettant ta réponse. Oui peut-être, sembles-tu dire sans vraiment y croire. T’en voudra-t-il pour ça ? Non, il en est incapable. Pourtant, il te sourit - espère que tu as compris.

“Crois-moi, ta journée ne sera pas vraiment gâchée avant que tu ne doives affronter les escaliers jusqu'à ma loge.”
“Ah, c’est vrai.”

C’est vrai qu’il a encore tes sacs de vêtements dans les bras, qu’il est le porteur tout désigné de cette journée - les sacs, les glaces, a-t-il encore assez de bras pour le reste ?

Bizarrement il en doute.
Conséquence : il avale sa glace en vitesse.

Déçu tout de même, de ne pas plus sentir le goût métallique de l’hémoglobine sous sa langue - c’est fou comme y prend goût avec le temps. C’en serait presque étonnant, pour lui qui a eu tant de mal à l’accepter : c’est qu’il ne voulait pas y goûter au début, est-il assez fou pour ça, disait-il.

“J’ose espérer qu’elle n’est pas au dernier étage sans ascenseur ?”

Car il n’est pas des plus habiles avec les escaliers non plus, il faut bien y songer.

Oh, Louis commence toute juste à s'inquiéter de son pauvre sort. À affronter marche après marche, des heures durant, à hisser le tribut d'une reine qui n'est même pas la sienne, par politesse et devoir. Évidemment, ça amuse Zdenka, elle ne peut pas se retenir d'être cruelle, en plus.

"Évidemment que je vis au dernier étage d'un gratte-ciel, enfin. Quand on est là ou j'en suis dans la vie, on aime avoir le monde entier sous ses pieds, c'est poétique."

Elle le dit avec un sérieux qui rend le sarcasme difficile à cerner, on pourrait presque la croire sur parole. Surtout qu'il n'est pas si difficile de l'imaginer, un verre de champagne à la main, à toiser les lumières impertinentes de la ville depuis une baie vitrée, la nuit venue. Mais bon, la polonaise n'avait jamais eu ce genre de fantaisie ou d'envie, inexplicablement.

"Non, je plaisante. J'habite à l'une des colocations de l'agence, au -3. Il ne faudra pas compter sur l'ascenceur, évidemment, mais tu survivras."

Un esprit un peu taquin dirait que c'est trop tard pour survivre, mais l'ancienne avait passé l'âge de faire des commentaires narquois sur les jeux de mots à base de vie et de mort. Et puis, il n'était pas non plus exclu que lui vienne soudainement l'envie de porter ses propres courses, si Louis venait à montrer signe de faiblesse. Elle n'est pas tyrannique, non plus. Pas avec ses amis j'entend.

Durant un instant, il faut bien avouer qu’il doute - de tes mots. Il te connaît assez bien pour pouvoir affirmer que tu es une personne des plus taquines, qui aime faire tourner le monde en bourrique. Néanmoins, il n’est pas assez au fait de tes mots pour être certain de reconnaître chez-toi le sérieux de la moquerie. Alors oui, il doute lorsque tu affirmes :

“Évidemment que je vis au dernier étage d'un gratte-ciel, enfin. Quand on est là ou j'en suis dans la vie, on aime avoir le monde entier sous ses pieds, c'est poétique.”
“... Est-ce bien vrai, ce que tu dis là ?”

Car il doute, il est vrai.
Pas sûr, en voyant des traits.

“Non, je plaisante. J'habite à l'une des colocations de l'agence, au -3. Il ne faudra pas compter sur l'ascenseur, évidemment, mais tu survivras.”
“Ah ! quel soulagement, sans mentir… Je ne serai pas non plus très loin de chez-moi, je vis à l’Agence également.”

Et évidemment que l’ascenseur est exclu - se rappelle-t-il de la dernière fois qu’il l’a emprunté ? Probablement s’était-ce fort mal terminé. Il lui faudra descendre quelques étages supplémentaires pour arriver dans son appartement de proportions gigantesque, mais qu’importe.

“Eh bien, qu’attendons-nous dans ce cas ? De quel appartement catastrophique as-tu eu la chance d’hériter ?”

Voir le grand vampire la prendre au sérieux, au final, ça l'amuse autant que ça la heurte. Elle récolte ce qu'elle sème, dans un sens, mais c'est bien la preuve que Louis parvient à l'imaginer dans le rôle de l'hautaine misanthrope. Zdenka pouvait se rendre coupable de présenter un surplus de fierté occasionnel, donc l'inquiétude ne pouvait être inexplicable. Elle retenait tout de même que le gaillard demeurait un sujet très facile à taquiner. Tant que ça reste gentil...

Que Louis habite l'agence la surprend un instant, elle l'aurait plutôt pensé occuper un petit lotissement bien à lui, décoré à la baroque. Ça lui irait si bien, comme décor. Elle se retient de le remarquer, ç'aurait été indélicat, se contente de répondre aux questions qu'on lui pose.

"Lascaux, et je dirai même que l'appartement lui-même est tout sauf catastrophique. Reposant et tranquille, même. Maintenant, mes colocataires..."

La polonaise inspire bruyamment, serre les dents et lève des yeux désillusionnés vers un ciel qui ne semble pas écouter ses prières. Se taire est toujours préférable à être vulgaire, mieux vaut ne pas finir sa phrase.

"Mais rien ne dit que les pires éléments vont rester, alors l'espoir tient."

La lassitude se lit sur son visage, une sorte de fatigue permanente de devoir cohabiter avec l'insupportable. La poltergeist a évidemment des critères assez stricts pour juger la présence de quelqu'un tolérable, mais certaines dans l'appartement brisaient toutes sortes de conventions sociales régulièrement. Mais, en sa qualité de personne -très, très- âgée, Zdenka a vu venir et partir milles âmes, la colocation change et évolue régulièrement.

"J'espère que tu as été plus chanceux, pour ta part."

Si tant est que la chance plutôt que le destin y est intervenue.