Vamployer les grands moyens - [Louis & Zdenka]

Comme un grand gentleman, Louis se propose de lui retoucher sa trouvaille. Elle ne prend alors même pas le temps de l'essayer -c'est trop grand, en l'état- et l'ajoute sans hésitation à son panier.

"Ma foi, je te ferai confiance, alors."

Il ne peut pas vraiment le comprendre à cet instant, mais dans l'esprit de la poltergeist, un rapide calcul venait de s'effectuer. Ce pauvre vêtement deviendrait en temps et en heure un prétexte pour le revoir, sorte de bombe à retardement des rencontres. Oui, elle se fait BEAUCOUP de films, et certains peut-être même interdits aux mineurs, mais n'y a-t-il plus de place pour l'imagination dans ce monde pragmatique et froid?

Une autre gaffe que faisait le vampire à son insu, c'était d'évoquer son célibat. Les mots étaient mal chosis, cependant, Zdenka était incertaine de s'il parlait de son vivant ou de l'entiéreté de son existence. Dans le doute, son inconscient tout à fait interessé y voyait l'issue la plus favorable. À ses yeux, il a tendu une perche, qu'elle se refuse de laisser dériver vers le large.

"Quoi, toi, célibataire? Pour un distingué gentilhomme pareil, c'est impensable."

Certes la boule au ventre, elle marque un temps de silence assez anormal dans une discussion pour enchaîner avec moins de certitude dans la voix:

"Et puis, il ne tient qu'à toi de ne plus l'être dès ce soir..."

C'est pas tout à fait proposé explicitement, mais la pauvre Zdenka n'est pas si brave.

Il a peut-être un peu menti, Louis. Pas vraiment, mais un peu tout de même. Il n’a pas été célibataire de son vivant, pas en permanence du moins. Il l’a été aux yeux de la société -  deux hommes en couple, ça ne se faisait pas, voyons. Et cette société étant ce qu’elle fut et ce qu’elle est encore, elle n’a pas favorisé à ce qu’il ait des relations durables et stables. Elles furent chaotiques et éphémères.

Une fois arrivé ici, il y a eu Camille.
Mais Camille n’est plus, pour une seconde fois.

Désormais, il est bel et bien seul. De nouveau des relations éphémères et chaotiques, mais par sa propre faute. Il a bien du mal à songer à plus, encore trente années après.

“Quoi, toi, célibataire ?”
“Oh oui, il valait mieux.”
“Pour un distingué gentilhomme pareil, c'est impensable.”
“Ah, je te garantis que si pourtant, ahah !”

Il rigole, il sourit.
Il n’a pas compris que tu n’as pas compris.

“Et puis, il ne tient qu'à toi de ne plus l'être dès ce soir…”
“Oh je ne suis pas du genre à me précipiter, et puis j’ai tout de même quelques contacts qui…”

Il se stoppe, comme persuadé soudainement que quelque chose cloche dans le fond de cette conversation. Un quelque chose qu’il ne repère pas, pas assez rapidement. Parce que Louis est quelque peu à l’ouest, lorsqu’il s’agit des hommes un peu, lorsqu’il s’agit des femmes bien plus.

“... Oh ! Ah ! Tu veux dire ? AHAHAH !”

Il lâche un rire incongru au milieu d’un tel magasin. Puis il s’arrête brusquement, ce n’est pas méchant mais ça pourrait être pris comme tel après tout. Rassure-toi donc, ce n’est pas ta personne qui le fait rire, mais la situation et son absurdité.

“Désolé, ce n’était pas très fin de ma part mais… Ahah, comment dire. Je ne suis pas des plus… intéressé par la gent féminine. Pas du tout, à dire vrai.”

Il te lance un sourire toujours, mais conscrit par la situation.

“Je suis navré, Zdenka, je ne pensais pas que tu songeais à ce genre de… relation.”

Le vampire avait certes pris du temps à le réaliser, mais il comprenait enfin que Zdenka ne restait pas exactement insensible à son charme. Louons encore ses qualités, il avait même réussi à faire parvenir délicatement l'idée que les illusions de la polonaise n'avaient aucune manière tangible de se concrétiser. Peut-être sur papier, à la limite, mais oublions, elle se retiendra de les écrire.

Bon, elle avait fait le premier pas vers un mur, et la honte la faisait déjà rougir. Un brin de regret causait un rire nerveux en elle. C'est qu'au fond, elle n'avait pas vraiment prévu ce rejet, ni rien d'autre en fait, mais elle avait pensé savoir improviser.

Seulement voilà, elle ne sait plus où se mettre. Alors, solution: la marche arrière:

"Quoi? Oh, oh mais non! Ce n'est pas du tout ce que je voulais insinuer, je te vois comme un ami, pas plus"

Voilà, un mensonge éhonté et pas crédible un seul instant, c'est sa fuite. Même la plus crédule des âmes serait sceptique à l'entendre, mais c'est toujours mieux que rien. Une sorte de réflexe déplacé et maladroit pour protéger sa fierté, ou quelque chose du genre.

"Bon, je vais essayer ça, je reviens."

Elle attrapait la première robe qui lui passait sous la main, et détalait avec une hâte étrange vers les cabines pour s'isoler. Juste le temps de faire passer la panique et de reprendre ses esprits. Reste qu'elle avait voulu se forger une excuse, et se devait effectivement d'enfiler une sorte de robe de soirée verte à motifs immondes de bananiers, de très -très- mauvais goût, et toujours trop grande pour elle. Elle émerge enfin, et doit soumettre l'examen de sa tenue à Louis.

"J'avoue que je m'attendais à mieux, en fait."

Pour sauver la face.

Il se dit qu’il aurait tout mieux d’être plus clair, il est vrai. Mais c’est qu’il n’y songe pas, tout simplement. Ce n’est pas des plus facile, et Louis n’est pas du genre à hurler sur tous les toits qu’il est homosexuel. Il ne l’a jamais fait de son vivant, par crainte de ce qui pourrait lui arriver, il est vrai. Il ne le fait pas de sa mort non plus, parce qu’il n’en ressent pas le besoin.

Il ne le cache pas - il ne t’aurait rien dit, le cas échéant.
Mais il ne le hurle pas non plus.

“Quoi ? Oh, oh mais non ! Ce n'est pas du tout ce que je voulais insinuer, je te vois comme un ami, pas plus.”
“Ah.”

Louis n’y croit pas, il n’est pas idiot non plus - combien de fois une situation similaire lui est arrivée, un malentendu entre lui et un autre homme. Mais il est tout de même assez discret pour respecter ta volonté.

“Bon, je vais essayer ça, je reviens.”

Tu te précipites sur une robe qui n’est nullement dans ton style, avant de t'enfuir en cabine. Louis soupire légèrement. Il se sent gêné, terriblement il est vrai. Ce n’est pas la première fois qu’une situation de la sorte se présente à lui. Pourtant, c’est bien la première fois que ça lui arrive avec une amie. Il prend un air un poil conscrit, se demandant s’il serait mieux d’oublier cet événement ou non.

Tu sors, il y pensera plus tard.

“J'avoue que je m'attendais à mieux, en fait.”
“C’est dommage que le motif prenne tout le vêtement… En touches plus petites, ça aurait pu être agréable à l’œil.”

Là, c’est juste agressif.
Dommage, en effet.

Il en regarde le prix, avant de grimacer succinctement.

“Je dois t’avouer que l’on est loin - très loin - de mon budget.”

En plus de la honte de s'être confessée à demi-mot, et d'avoir récolté un rateau certes courtois et gentil, Zdenka doit maintenant affronter l'humiliation d'apparaître couverte de la robe la plus moche du monde. Décidément, la journée avait viré à la catastrophe en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, elle retournait fuir cette dure réalité dans la cabine d'essayage. D'autres attendaient derrière, alors elle devait sortir assez rapidement.

Reste que Louis venait d'évoquer que manifestement, il n'était pas en mesure de se payer toutes ses lubies et envies du moment. Un train de vie impensable pour notre polonaise bien entendu, mais qu'elle se rappelait avoir du mener il y a quelques siècles. Naturellement, elle comptait se proposer de tout régler pour lui. Seulement, il était plus qu'évident que le vampire allait refuser la politesse, ou pour tout autre raison tout aussi compréhensible.

Plutôt que simplement offrir son aide financière pour la voir repoussée, l'opportuniste pouvait faire d'une pierre deux coups.

"Tu sais quoi, Louis? Faisons un marché."

Souvent, elle prononçait ce genre de mots avec un sourire très interessé au visage, mais pas aujourd'hui.

"J'assume le coût matériel de toutes tes fantaisies aujourd'hui, en échange tu promets de faire au mieux pour oublier les cinq dernières minutes que nous avons partagées. Marché conclu?"

Présenter sa générosité comme un échange, c'était en somme l'enrober de sucre pour mieux la faire passer. Ça pouvait s'apparenter à de la manipulation, mais bon. La fin justifie les moyens pour la poltergeist. Avec un peu de chance, le vampire aurait d'ailleurs vraiment oublié d'ici quelques années.

“Tu sais quoi, Louis ? Faisons un marché.”
“Quel genre de marché ?”

Il cligne des yeux - il faut dire qu’il était sur le point de tout reposer sur ses portoirs, et de te suivre tranquillement pour le reste de la journée shopping. Ce qui s’apparente également à une bonne journée, selon ses critères.

Mais un marché ?
Étrange. Il craint le pire, brusquement.

“J'assume le coût matériel de toutes tes fantaisies aujourd'hui, en échange tu promets de faire au mieux pour oublier les cinq dernières minutes que nous avons partagées. Marché conclu ?”

Nouveau clignement d’yeux.
Il sourit, à demi-amusé, mais sans vouloir réitérer l’impolitesse d’il y a cinq minutes. Il souffle par le nez également, soulagé : il s’était imaginé pire, bien pire, durant une seconde et quelques. Franchement, si ce n’est que ça.

“Oublier quoi dont ?”

Louis n’est pas très fin, sur ce coup. En vérité, il n’a pas déjà oublié - difficile - mais il fait tout comme. Comprends donc par là que tu n’as pas besoin de passer un tel marché avec sa personne pour qu’il efforce de ne pas trop y penser, et de faire comme si rien ne s’était passé.

Il est peut-être trop poli.

“Zdenka, je fais déjà mon possible pour oublier ces cinq dernières minutes, ce serait tellement dommage de… tout gâcher pour cette simple maladresse. Quant à ta proposition, elle est certes intéressante, mais je ne peux pas me permettre. Ce n’est pas dans mes habitudes.”

Il repose la chemise à fines fleurs qu’il avait essayé plus tôt, comme pour marquer la fin de cette conversation. Il souffle tout de même du nez - dommage, il est bien vrai.

“En revanche… Je suis né le 13 novembre. Ou mort le 28 août, selon ce que tu préfères.”

Une porte de sortie ? Peut-être.

Étonnamment, le vampire semble se prendre à son jeu, elle ne s'y était certes pas préparée. Ça semblait tellement loin de son caractère posé, mais paraissait si naturel à la fois. L'horloger était peut-être un peu plus joueur qu'elle n'aurait pensé, ça ajoutait à son charme...

Mais la polonaise secouait la tête pour éviter de dériver plus loin encore, la barrière avait été posée. Du genre qu'on ne franchit pas, aussi, alors c'était pour le mieux de passer à autre chose. De toute manière, un autre sujet brûlant avait été posé sur la table, la diversion parfaite pour ce tirer enfin de ce faux-pas.

Naturellement, il refusait son contrat. Comme beaucoup, d'ailleurs, sans qu'elle ne parvienne jamais vraiment à comprendre pourquoi. Un sursaut d'orgueuil qui leur faisait refuser une dette morale? Une gêne devant le don? Des mécanismes de pensée trop lointains pour la poltergeist, des rouages qui tournaient dans des directions paradoxales dans une organisation impossible. Elle ne pouvait simplement pas comprendre, avait abandonné l'idée d'essayer? Il lui donne une piste, tout de même, ne se rend pas compte de ce qu'il vient de faire.

"Ma foi, je tâcherai d'y penser. Il te faudra des manteaux chauds pour survivre aux durs hivers d'ici."

Une obsession à elle, il ne pouvait peut-être pas comprendre. Reste qu'il recevrait sans faute -elle n'allait pas seulement tenter de s'en rappeler, c'était gravé dans le marbre- des cadeaux en novembre. Il lui restait une dernière chance, cependant.

"Mais enfin, tu ne vas pas simplement me suivre toute la journée à regarder, si? Ça me gènerait. Au moins une trouvaille, j'insiste."

D'ordinaire, quand elle insiste, on obéit. Bon, dans ce cas précis, c'était affirmé avec bien moins d'autorité que d'habitude, alors Louis avait toutes ses chances de résister, mais elle y tenait.

“Ma foi, je tâcherai d'y penser. Il te faudra des manteaux chauds pour survivre aux durs hivers d'ici.”
“Oh ce n’est pas quelques degrés en moins qui vont me faire peur, crois bien. J’ai connu bien pire.”

Louis ne fait qu’évoquer en surface la Grande Guerre, jamais il n’en parle de front. Ce sont des souvenirs qui restent gravés dans son esprit, sans qu’il ne puisse s’en détacher, mais qu’ils n’évoquent que rarement. Alors non, après ces quelques mois bien suffisant, ce n’est pas quelques degrés d’hiver qui risquent de lui faire peur.

Il en est même plutôt habitué dans le fond.

“Mais enfin, tu ne vas pas simplement me suivre toute la journée à regarder, si? Ça me gènerait. Au moins une trouvaille, j'insiste.”
“Ah…”

Il souffle, en se frottant le crâne.

“Tu ne lâcheras pas, n’est-ce pas ? Hm non, tu es bien trop têtue.”

Ce n’était pas un reproche, loin de là - ce serait un comble venant de sa personne, il est vrai. Une remarque, plutôt. Un constat, surtout. Un peu rude pour quiconque, mais pas pour Louis. Il ne fait que dire la vérité à ses yeux, et ce n’est pas un défaut en l’état.

“Bien, si tu insistes… Mais ! Quelque chose que j’aurai choisi.”

Et ce ne sera pas la chemise à fleurs.

Allez savoir si c'est une résurgence d'instinct maternel un peu déplacé qui parle, ou sa propre terreur insurmontable du froid, mais Zdenka ne compte pas Louis s'en tirer si facilement. À moins de le voir en triple doudoune, elle s'assurerait de lui tirer les oreilles si elle le surprenait trop légèrement vêtu cet hiver. Et tous les autres aussi, tiens.

"Il faut bien se couvrir quand même, c'est important pour la santé, Louis."

Il devait être au courant en sa qualité d'adulte responsable, mais qu'importe. Elle ne sait presque rien de son passé, de ses histoires enfouies, ne peut pas savoir. Lui, par contre, semble la connaître mieux, et sait déjà qu'elle ne le laissera pas échapper à son cadeau. En vérité, elle l'aurait laissé décliner l'offre s'il avait insisté, mais se retenait de le dire maintenant qu'elle avait gagné. Elle se permet un trait d'humour, quand même, galvansiée par sa victoire.

"Bon, tu choisira ta récompense si tu veux, mais franchement, tu aurais pu me faire confiance. Tu aurais été sublime avec un pull de Noël en plein été."

S'il se réservait pour une tentation seulement, ça n'était certes pas le cas de la polonaise. Déjà elle empilait les vêtements, ne se demandait pas encore combien de sacs elle devrait traîner à la fin de la journée. Son aide devra être réquisitionnée tôt ou tard. Pour l'heure, elle vagabonde entre les tissus.

“Il faut bien se couvrir quand même, c'est important pour la santé, Louis.”
“Ahaha, quelle santé ? Je suis déjà mort !”

C’est vrai, n’est-ce pas ? Alors pourquoi s’en préoccuper plus que nécessaire ? Louis ignore bien ce qu’il y a après cette seconde mort, parfois il se pose la question il est vrai, mais sans chercher à fouiller. Un peu comme de son vivant, somme toute.

Rien n’a vraiment changé.

“Bon, tu choisiras ta récompense si tu veux, mais franchement, tu aurais pu me faire confiance. Tu aurais été sublime avec un pull de Noël en plein été.”
“Oh je trouverai bien quelque chose, n’aies crainte.”

Il te voit empiler vêtement sur vêtements pour ta part, non sans se questionner intérieurement sur les quelques aspects pratiques que vous alliez devoir affronter dans le futur de cette journée. L’argent ne semble pas te faire défaut, il faut bien l’avouer - lui-même serait bien incapable d’acheter ses propres montres - en revanche, c’est les bras et le nombre de mains qui risquent de manquer.

“Dis-moi, comment comptes-tu porter tout ça  ? Au bout d’un moment, tu vas… Oh.”

Il finit par comprendre, et te lance un regard entendu. Rappelons tout de même que Louis n’en a qu’une seule de disponible - de main - l’autre étant occupée à le maintenir debout à l’aide de sa canne.

“Tu aurais mieux fait d’engager un meilleur porteur, je ne risque pas de beaucoup servir. Sauf si tu réquisitionnes ma canne, mais…”

Il s’en veut soudainement.
De t’avoir potentiellement donné une idée.