Errare chimera est - [Céleste & Olympe]

Ça m'arrive vraiment pas souvent, alors autant faire un mea culpa. Je m'étais emportée, j'avais dit jamais vouloir la revoir, je crois que je l'ai insultée aussi... Mais j'ai eu envie de la revoir, et ça j'y peux rien. Je suis esclave de mon cœur, quoi qu'en pense la raison et tous les gens autour de moi. C'est pas facile à vivre, d'être un pantin de ses propres pulsions incompréhensibles. Vous comprendriez pas.

Donc je suis là. Assise. Très en avance parce qu'on a rendez-vous, et que je voulais absolument pas le rater. Au moins, je m'en étais tenue à mon épaule froide jusqu'à ce qu'elle me recontacte. Et j'ai à peu près réussi à cacher que ça m'avait fait énormément plaisir, même en répondant dans la minute. Bref.

Je me force à tirer la gueule. Je sais plus vraiment ce que je ressens pour elle. De l'amour, c'est certain, beaucoup de rancœur quand même. Elle rentre enfin dans le salon de thé, je la croise du regard, je fais semblant de regarder ailleurs, puis je croise à nouveau ses yeux. Céleste. Elle est toujours aussi belle.

"Bonjour..."

D'accord, même si je boude, j'en oublie pas mes bonne manières. C'est quand même pas si grave? Désolée d'être polie, hein;

"Tu voulais me voir?"

J'essaie de faire sonner ça sous le ton du reproche, ou de l'hostilité, mais c'est pas convainquant. Y'a une pointe d'aigu qui sonne faux, qui trahit un peu ma pensée profonde. J'espérais qu'elle voudrait me voir, j'y tenais tellement.

"Ça va"

Un peu mieux, depuis la dernière fois. Quoique son absence me pèse, mais faut surtout pas le dire. Et la voir s'excuser, aussi, ça me fait du bien. Je sais plus trop de quoi, mais c'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est qu'elle vient vers moi en toute humilité pour demander pardon, et ça c'est gratifiant.

J'imagine que c'est à mon tour. Bon, d'un côté j'ai un peu envie de m'excuser parce que j'ai dit des trucs pas gentils, mais d'un autre je peux pas m'empêcher de penser que c'était mérité sur le coup. Sauf que plus maintenant, donc...

"Bon, si on en est là... Je suis désolée de m'être emportée la dernière fois. Je m'excuse de t'avoir insultée.

J'espère quand même qu'elle a réfléchi, entre temps. Qu'elle sache enfin si elle m'aime, tiens. J'espère vraiment qu'elle est fixée, le silence devient un peu pesant. J'ai peur d'en espérer trop, d'encore me faire des histoires, j'y tiens plus.

"C'est... C'est tout ce que tu voulais me dire?"

Pitié non. Dis-moi à quel point je t'ai manquée, à quel point tu m'aimes, combient tu veux qu'on se remette ensemble. Pitié.

Perturbée, le mot est vachement faible. Je m'étais enragée comme ça m'arrive une fois tous les vingt ans, oui. Et c'est douloureux que ça soit elle qui en aie payé les pots cassés, je commence à regretter mes propres mots. Elle est venue s'excuser sincèrement, quand même...

"Ben, ça va mieux. Je suis plus en colère."

Si, si un peu quand même. Y'a un fond de rancoeur, même dans la tristesse et l'attente. J'ai besoin d'elle, mais je sais toujours ce que je lui reproche. Mais c'est ça, vivre en couple, c'est savoir faire de concessions, pardonner ce qui est pas important. Pas vrai?

"Mais importante comment?" J'ai envie qu'elle le dise. Je veux que ça, rien que ça, de tout ce que le monde pouvait m'offrir. Qu'elle dise enfin qu'elle m'aime, juste ça. "Ça veut dire quoi, que je suis importante?"

J'aime pas ces définitions vagues, ces mots trop larges pour être compris. On peut pas s'entendre, on utilise pas "important" de la même manière, c'est trop facile de jouer dans le flou.

"Moi je t'aime encore, tu sais?"

Même si j'avais prétendu l'inverse, même si j'avais souhaité l'inverse. Je contrôle rien de mon existence, de toute façon. Et je subis tout.

Sa question me fait rire. Pourquoi? C'est sûr que si on savait toujours nommer les choses avec précision, et tout le temps établir des diagnostics exacts, les choses seraient plus faciles. Sauf qu'on est des petits êtres imparfaits, des trucs qui subissent leurs émotions. Pourquoi, hein? Et pourquoi pas?

"Si je savais pourquoi je t'aime, ça te terrifierait de l'entendre."

Je ris un peu, de dépit mais sincèrement quand même. Qu'est-ce que j'en sais, moi, de pourquoi j'aime des gens? Depuis quand on est censé savoir? Faut qu'elle se rentre dans sa machine à calcul que les passions répondent pas à la logique.

Et malgré mes meilleurs espoirs, elle lâchera jamais qu'elle m'aime. Mais bon, je peux même pas lui en vouloir, je savais à quoi m'attendre. Elle préférerait jeter toutes ses peluches aux flammes plutôt que de prononcer trois mots. Je soupire, j'hésite un instant. Mais je dois me lancer, faut bien que j'aie la réponse tôt ou tard.

"Bon, on... on fait quoi alors?" Je déglutis. Elle va pas comprendre avec juste. J'imagine déjà qu'elle va me fixer avec des gros yeux et me sortir un truc du genre "je sais pas, faudrait préciser". Puis après elle va dire que je suis jamais claire. Bref. "On fait comme si rien ne s'était passé et... On retente?"

Si là elle capte pas, je lui tape le genou sous la table, puis je la fixe jusqu'à ce qu'elle comprenne d'elle-même.

Elle a au moins le mérite de pas répéter ce qui m'a fait m'embraser la dernière fois. Et elle fait mieux, parce que j'ai encore un récipient avec du liquide à lui balancer à la figure. Je vais finir par prendre le réflexe, au moins elle comprendra ce que ça veut dire, éventuellement.

Elle ose demander ce que j'entend par retenter. Je suis vraiment pas violente de nature, et je le fais presque à contrecoeur, mais je lui file une petite tape du pied sous la table, indignée. J'espère pas lui avoir fait trop mal, quand même. Quoique ça risque pas, elle doit même pas pouvoir ressentir la douleur. Et le pire, c'est que ça marche, elle se concentre et se reprend. J'espère que ça va pas devenir une habitude, par contre, ça...

"Ben, d'être en couple, comme on était..." À la bonne époque, quoi. Ça lui manque vraiment tant que ça, nos sorties et nos aventures ensemble? Elle en donne pas l'air. Mais bon, elle donne jamais l'air de rien. "Ça marchait très bien, entre nous, avant que je fasse... n'importe quoi."

Oui, c'est toujours ma faute, je sais que Constantine me taperait sur les doigts. Mais il est pas là, et s'il l'était, je lui tirerais la langue. Mon coeur a choisi, de toute façon. Mais ça suffit jamais à son esprit rationnel, au robot de l'autre côté de la table. Au point où j'en suis, je peux faire toutes les concessions du monde, je veux juste qu'elle me reprenne.

"Bon, bah, du coup... Qu'est-ce que tu attends, toi?"

Voilà, qu'on se mette enfin d'accord, je vais dire oui à tout et on pourra refaire comme avant. Je demande pas grand chose, si?