There will be no miracles here - ft. Basil

La normalité prend tout son charme dans l'ennui. Un état déprécié, certainement. Terri trouve de la joie dans sa routine. Se lever tôt le matin, se brosser les dents, nouer ses cheveux et marcher jusqu'à la boutique de Basil, son patron. Il faudra alors compter la caisse, s'assurer que toute la marchandise est encore bien à sa place, et attendre que les premiers clients se présentent.

Rien d'exceptionnel. Tout ce qu'elle peut demander. L'ennui lui laisse l'opportunité de rêvasser, de réfléchir à ses prochains projets photos. Quand il n'y a rien d'autre à replacer au millimètre près, elle se prend à griffonner et conceptualiser les meilleurs arrangements possibles. Et alors l'ennui se change en créativité.

Peut-être que ce n'est pas de l'ennui, en fait, peut-être que c'est seulement le calme et la sécurité – l'impression que tout est sous contrôle et que plus rien ne peut lui arriver. Cela fera, après tout, bientôt un an qu'elle habite le Tokyo des morts. Le monde semble moins effrayant.

Sauf qu'en tournant au coin de la ruelle, un mauvais sentiment l'agrippe soudainement. Est-ce qu'elle a vraiment vu quelqu'un sortir de la boutique ? Non. Si. Et puis quoi alors ? C'est pas le cas d'en faire tout un plat, c'est rien sûrement – parce que ce n'est jamais grand-chose, quand elle s'inquiète, elle reconnait ce sentiment désagréable et familier. Une grande respiration. Ça va aller. Elle laisse tout expirer. Voilà. Du calme. Une journée normale. Elle essaie de s'en convaincre.

À la porte, un bref regard par la fenêtre avant de pousser – bizarre, elle ne voit pas Basil, mais si une cliente vient de sortir, il ne devrait pas être trop loin, non ? Le grincement familier des gonds lui semble sinistre. Mais ce n'est rien, ça n'annonce rien, c'est son imagination qui joue des tours, cette journée est pareille à toutes les autres.

« Bon mati- OH MON DIEU »

Basil au sol. Basil en flaque au sol.
Il est beaucoup trop tôt pour gérer une urgence.

Terri s'accroupit, se penche pour saisir un bras, une tête, une jambe, n'importe quoi pour relever son patron, mais le souvenir confus d'un cours de secourisme passé à l'école secondaire lui rappelle de ne pas bouger une personne au sol dans certaines circonstances. Et si c'était cette circonstance ?

« Est-ce que ça va ?? Tu m'entends ? Tu peux bouger ? Ne bouge pas !! »

Comment a-t-elle pu croire un instant que tout était normal ?

Vision d'horreur. Ses pires cauchemars n'auraient jamais conceptualisé une telle scène. Les films d'épouvante, ça n'a jamais été son genre. Et ce n'est pas aujourd'hui que Terri s'imagine devenir la final girl de ce scénario invraisemblable.

C'est Basil. Ce n'est que Basil. Basil-à-peine-lui-même-Basil. Une longue expiration. Contrôler le souffle pour éviter la panique. Ça va aller. Ok. Tout est sous contrôle (absolument pas). Droite comme un piquet, Terri cherche du regard quelque chose qui pourrait l'aider. Elle est dans une boutique de potion bon sang il doit bien y avoir quelque chose ! Il suffit de trouver… trouver…

Elle sent une chose gluante enserrer son mollet. Le cri est strident, à compétitionner avec les chimères. Elle botte, tente de se libérer, et réalise que ce n'était que la main de Basil. Oh non. Le pauvre. Qu'a-t-elle fait ? Que peut-elle faire ?

« Oh mon Dieu je suis désolée je voulais pas ! »

Elle se mord les lèvres d'angoisse et de honte. C'est pas le moment de se confondre en mille excuses. Il faut agir. Mais comment ? Elle n'est que caissière, pas nécromancienne ! Elle n'y connait rien là-dedans. Enfin non pas tout à fait : elle sait exactement quoi est rangé où. Oui, ok, ça réduit le risque d'erreur.

Enfin, elle espère.

Terri se dirige vers les potions de soin et de santé. Et là elle fige. Quel mal afflige Basil ? Et est-ce que ça pourrait vraiment changer quelque chose ? Devant l'incertitude et l'urgence de la situation, elle attrape trois potions au hasard dans la section avant de revenir vers la flaque.

« Ok, ok, j'ai pris quelques trucs, je… »

Respiration. Elle ne sait pas quoi faire. Bon Dieu pourquoi est-ce que c'est elle qui doit gérer cette situation ? Dans un effort d'éviter plus d'erreurs qu'il n'en faut, elle dépose les flasques devant Basil pour lui laisser prendre une décision.

« Elles sont juste là. »

Et un pas de recul, comme s'il s'apprêtait à exploser.