ft. Moi-même
Les pétales se rétractent devant les iris écarquillés. Couleurs changeantes, pigments visibles, il fixe le tout, ébahi. Les yeux restent figés, et les pétales tombent, avec une rapidité déconcertante. Les muscles semblent légers soudain, on lâche le bouquet sans même s’en rendre compte. Puis, au son du fracas, l’on s'accroupit pour le fixer au sol. C’est aléatoire, c’est maladroit…c’est incompréhensible.
Tout dépérit soudain. Une mort rapide, un corps de végétaux sur le tapis de son salon. La dépouille reste là, dans le silence du coupable. Les paupières se ferment plusieurs fois, avant de ressentir une douleur aux mains…
Quelques griffures dues aux épines.
Il se redresse, marchant quelques mètres pour atteindre une source. Un lavabo où Luka se lave les mains pendant une minute ou deux. Après le crime, on reprend ses habitudes, l’on cherche à se réveiller dans une réalité qui semble rêvée.
L’hébêtement face à l’inconnu prend le pas sur la panique potentielle. Il se demande ce qui s’est passé. Mais la vérité semble bien évidente. Dans un doute humain, il recherche sur le smartphone “Combien de temps pour qu’une fleur fane ?”. Mais il le tape sur DeathTube au lieu du moteur de recherche. Il râle, marmonne en cherchant l’application désirée, puis abandonne.
Aucune fleur ne fane si vite.
La réponse est déjà toute trouvée.
Mais il a du mal à y croire. Comment réaliser en seulement quelques instants cela ? Après un centenaire à attendre un miracle, on n’y croit plus vraiment. On a fait le deuil, on s’est adapté, on a cherché à s’approprier le miracle des autres. Ça n'a jamais été suffisant, on a toujours voulu être plus puissant.
Plus fort.
Mais, comme une gourmandise sans terminus, une faim sans fin, cela n’a jamais été assez. Car il y a toujours eu les autres. Ceux ayant un miracle.
Ceux ayant un pouvoir.
Détenant une puissance magique au-delà des règles naturelles.
Ce monde de la seconde chance lui a toujours refusé d’être comme eux. Il s’est vengé, il se venge, il tente de prendre le dessus sur sa vie antérieure. Prouver, se prouver qu’il est fort. Luka se débat avec lui-même, avec la frustration d’une vie courte et pathétique. Mais elle reste, comme une maladie incurable, mot interdit. Elle reste, mais semble disparaître, un instant, alors qu’il se tourne vers les fleurs fanées sur son tapis.
Un miracle, tardif, mais un miracle.
Il sent son corps engourdi par l’adrénaline. Éuphorique, il retourne près de la scène de crime. Le rouquin prend quelques pétales entre ses doigts, pour les ressentir de ses mains fraichements nettoyées. Les questions fusent, un millier au moins. Finalement, on aura bien voulu accéder à son vœu. Il est persuadé que c’est un signe. Le signe qu’il n’a pas fait tout cela pour rien. Un message de la mort, qui lui prouve qu’il est digne. Digne d’un pouvoir, digne d’une puissance.
Qu’il est assez.
Qu’il n’est plus un moins que rien.
Qu’il n’est plus ce qu’il a été.
Il va enfin pouvoir prouver au monde. Prouver à tous sa valeur. Mais surtout à lui-même, au fond.
Une preuve, un miracle, un don…
…
…
…Ou pas.