Un long bâillement. Tu t’étires, face à la porte-fenêtre de ton bureau. Il fait bon : ni trop chaud, ni trop froid, juste doux comme il faut. C’est peut-être pour ça que tu as pas si mal dormi pour une fois. Comme trop souvent, tu es resté jusque tard hier pour finir d’écrire des comptes-rendus ; ces comptes-rendus ne servent à personne d’autre qu’à toi. L’avantage -si on le voit comme ça, du Monde des Morts c’est que tu n’as plus vraiment de compte à rendre à qui que ce soit. Tu travailles plus du tout avec d’autres collègues hormis cas exceptionnels qui se comptent sur les doigts d’une main. Mais tu aimes garder cette habitude de ton vivant, alors tu écris. Tu réunis tes notes de rendez-vous pour chaque patient.e.s, tu mets des annotations, tu tires tes conclusions pour proposer différents axes de discussion au prochain rendez-vous … Malgré ta désorganisation, matérialisée physiquement par l’état de ton bureau, tu es très ordonné dans ta manière de travailler.
Et justement, tu sais qu’aujourd’hui tu vas recevoir quelqu’un que tu n’as pas vu depuis un moment. Tu finis de te frotter le visage, ta barbe de quelques jours râpant sur le bout de tes doigts, avant de fouiller ton bureau. Tu en ressors un dossier d’une taille moyenne quoi qu’un peu imposante. Tu ouvres la première page tout en te reposant contre le bureau. L’air très concentré, tu parcours les pages. Célestin, un nom que tu commences à connaître depuis … Un assez long moment. Les années 2000 te semblent bien lointaines maintenant. Un homme gentil, avec un passé complexe ; comme une grande partie de tes patient.e.s. Anciennement alcoolique, dépressif … Tu te souviens de votre premier échange. Il semblait assez perdu, à une époque où toi-même tu avais toutes les peines du monde à ne pas montrer que tu en étais au même point.
Encore à moitié endormi -tu n’as jamais été un lève-tôt par choix mais à cause de tes insomnies, les cheveux en vrac et avec ta moue habituelle de quand tu es absorbé par quelque chose, tu n’entends pas les coups à la porte. C’est rare, toi qui es pourtant si alerte d’habitude. Tu ne réagis pas non plus lorsque la porte s’entrouvre doucement, non, ce qui te fait réagir c’est d’entendre ton nom de famille.
« Bonjour M. Carter. Je vous ai appelé avant-hier… »Tu sursautes. Légèrement, mais suffisamment pour donner un coup de hanche dans ton vieux bureau qui, heureusement, en a vu d’autre. Tu marmonnes un léger
Aïe en français tout en te massant le côté de la hanche. Incroyable que la vieillesse soit toujours aussi pénible même dans la mort. Tu te passes rapidement la main dans les cheveux et tu tires sur ta chemise pour te donner un air vaguement présentable, sans succès. Tu reposes le dossier sur une pile de feuilles empilées dangereusement les unes sur les autres pour te retourner vers la porte et faire face à Célestin, le sourire aux lèvres.
« Bonjour Célestin. Je me souviens de votre appel, vous pouvez rentrer et vous installer où vous le souhaitez »Pendant ce temps, tu essayes de pousser discrètement du pieds ton sac sous le canapé et tu ouvres la fenêtre ; même si tu dors régulièrement dans cette pièce, tu aimes lui donner un aspect un minimum professionnel. Et clairement, un sac rempli d’affaires perso’ ça n’aide pas du tout
« Désolé pour le bordel, j’ai été pris un peu de court par mon réveil haha. Est-ce que vous voulez boire ou manger un morceau ? »Tes habitudes de psy reviennent vite, heureusement.
Résumé
608 mots
La tête de son bureauConstantine ne sait pas se lever suffisamment tôt pour accueillir Célestin autrement qu'à l'arrache