The yellow hand [Yashiro & Céleste]

Les commandes sont parfois nombreuses, parfois inexistantes. Les prix peu abordables de ses créations sont à la hauteur de leur qualité, sans compter que Lucy se plie toujours à la demande de son commanditaire. Le plus souvent, enclin à créer pour lui-même dans l’espoir de les montrer au monde des Morts, Yashiro se surprend quand il voit arriver une commande dans sa boîte mail. Ses iris noisettes parcourent l’intégrité du mail et ses sourcils se froncent légèrement face à la complexité de la demande. Son passé de guerrier le rattrape pendant un court instant, il songe à l’armure qu’il a porté pendant des années et sa complexité. A la vue de cette demande, le Japonais voyait déjà les nuits blanches s’enchaîner et les croquis s'écroulaient sous son incapacité à se décider. Mais, un défi ne se refuse jamais. Immédiatement après avoir accepté la demande, Yashiro se pose sur le problème, réfléchissant aux différentes matières qui existent et qui permettent de créer un vêtement. Et comme prévu, cela lui prendra quelques nuits avant de réussir à obtenir un résultat concluant.
Aujourd’hui, c’est le grand jour. Shiro a envoyé un mail à sa commanditaire pour l’inviter à passer à l’appartement dans le but d’essayer son nouveau manteau. Il y aura peut-être quelques ajustements à faire au niveau des épaules, ou peut-être pas. Pour préparer son arrivée, le designer a effectué quelques tâches préventives : déposer le manteau sur un mannequin pour éviter de l’abîmer, celui-ci même exposé au milieu de l’appartement et sur un carnet, dans sa plus belle calligraphie, il y a écrit “bienvenue”. Personne n’a osé lui dire que celle-ci était illisible. Soudain, quelqu’un sonne à la porte. L’appartement est vide en ce jour et ses colocataires savent parfaitement y rentrer sans avoir besoin de sonner, cela ne fait aucun de doute, sa cliente vient d’arriver. Heureux, Yashiro s’empresse d’aller ouvrir la porte et soulève son carnet face à lui pour l'accueillir. Un silence règne.

Loin de l’effet escompté, Yashiro reste sceptique face à sa cliente. Pendant un court instant, ses iris regardent son carnet puis de nouveau sa commanditaire, elle ne semble pas réceptive à son accueil. Persuadé d’avoir écrit de sa meilleure plume, il est loin de se douter que celle-ci n’est pas compris les caractères inscrits. A la place, la jeune femme se contente d’une présentation courte qui amène directement au sujet de sa présence en ses lieux. Cela attriste un peu le designer qui se faisait une joie de la rencontrer, ce n’est pas souvent que des morts lui demandent de produire un vêtement personnel. Ravalant ses émotions, Yashiro se contente de sourire à nouveau pour la guider à l’intérieur de cet appartement quelque peu spécial. Certains diront qu’il est tout trouvé pour des artistes comme Crips, Esperanza ou encore lui-même, mais d’autres diront que c’est de mauvais goût.
Sans un mot, il amène sa cliente jusqu’à la pièce proposée. A première vue, le manteau n’a rien de spécial. Son design se rapproche d’un imperméable, simple et assez épuré. Pour autant, ce n’est pas dans ses habitudes d’en faire aussi peu. De longueur arrivant jusqu’au genou, cette pièce présente de grande poche et une ceinture qui permet de le maintenir près du corps en cas de besoin. Ajouté à cette composition une capuche surmonté d’une sangle en cas de plus, et en accessoire, un nœud papillon qui servira d’écharpe en cas de température basse. Un mélange qui reste très sobre, voire commun, le plus étonnant sur ce manteau reste sa composition. A la demande de la cliente, Yashiro a réfléchi pour trouver le meilleur composant : la fibre de carbone. Ce matériau est très léger mais tout aussi résistant, tout comme il retient bien la chaleur. En temps normal, un designer éviterait ce genre de matériaux pour la raison suivante : il accroît les risques d’un cancer des poumons. Mais, nous sommes dans le monde des morts.

“Si vous voulez bien prendre le manteau et l’essayer.”

Rapidement, le Japonais s’était saisi de son carnet pour y tracer ses quelques mots.

Pendant un long moment, le Japonais se met à regarder la page noircie de son carnet. Chaque tracés, chaque caractère, tout lui semble limpide et pourtant, son interlocutrice ne semble pas du même avis. D’un léger froncement de sourcil, Yashiro fait comprendre que cette histoire le froisse et surtout, qu’elle le gêne. Il a souvent communiqué au travers du papier, beaucoup de personnes ne savent pas signer et il ne savait pas non plus au début, mais on lui a jamais dit qu’il était incompréhensible. Avait-il été bercé d'illusion pendant plus d’un siècle ? La réponse ne se trouvait pas en ce lieu, encore moins à ce moment précis, il sait qu’il devra la demander au plus vieux. Cette idée le froisse un peu plus. Sa plus vieille colocataire ressemble plus à un casse-tête qu’à une vieille connaissance, difficile de dire quelle est la nature de leur relation. Soudain, la voix de sa cliente le ramène les pieds dans l’appartement, lui rappelant qu’en ce moment, ce n’est pas son écriture le plus important mais sa création.
Loin de ses mots précédents, cette fois-ci sa commanditaire se perd dans quelques compliments qui permettent au nécromancien de se détendre un peu. En peu de temps, elle l’assaille de quelques questions et lui offre quelques compliments supplémentaires. Loin de s’imaginer que sa dernière phrase n’était pas ironique, Shiro semble en rire toujours sans un bruit; peut-être que les vivants aimeraient ses créations, mais son père ne lui aurait pas permis. Dans un geste assez commun, il semble lui signifier d’attendre avant de s’éloigner pour se perdre dans une autre pièce. Au fond de l’appartement, un peu caché, sa chambre, son atelier. Son absence fut courte et il en revint avec quelques outils : un mètre, un autre calepin, un crayon de bois et d’autres. Parmi les affaires récupérées, il y avait aussi son téléphone où il s’empressa de taper sur l’écran ses quelques mots.

“Ne vous inquiétez pas, j’ai choisi la matière qui correspond le mieux à votre demande. Cette composition devrait faire votre bonheur pendant un long moment.”

Il ne lui laisse que quelques minutes pour lire le message puis le téléphone disparaît dans une de ses poches déjà bien pleine. Sans un bruit, il s’approche un peu plus d’elle et sort son mètre pour vérifier les mesures. D’un geste satisfait de la tête, sa main replonge dans sa poche pour remplacer l’outil mesureur par l’appareil électronique.

“Je dois réajuster quelques endroits, mais en général, les mesures sont bonnes. Cela me prendra quelques minutes, peut-être une petite heure. Vous voulez bien attendre ? Je vous sers quelque chose à boire ?”

Yashiro était confiant en ses capacités et les quelques modifications n’étaient pas non plus si importantes, c’est surtout une question de perfection.

Le questionnement de ta cliente sur la matière est légitime, mais au fond, une petite appréhension subsiste si cette personne en connaît les propriétés. Dans le monde des vivants, ils l’utilisent surtout dans le sport pour la composition de certains véhicules, ainsi que dans la confection de certains instruments et dans le domaine de la mode, on n'en parle pas. Ou plutôt, les quelques vêtements qui sont produits avec servent surtout dans des domaines spécifiques. Délicatement, le Japonais sert son téléphone entre ses mains et commence à tapoter l’écran pour composer un message rapide.

“De la fibre de carbone.”

C’était bête de s’en soucier maintenant, si la jeune femme ne connaît pas sur le temps 0, elle apprendra plus tard en cherchant sur internet ou dans des livres. Si Lucy prend des risques en choix de matière, c’est pour étendre les possibilités de ses tenues en jouant sur le fait qu’ils sont déjà morts. Dans ce monde où tout le monde est presque immortel, il faut savoir profiter de cette occasion pour essayer des choses inhabituelles. Evidemment, Yashiro n’a jamais craint la mort, on le lui a inculqué.
Dans un léger sourire à ses propos, il l’invite à s’installer sur le canapé puis il s’en va dans la cuisine pour préparer son thé. Il a comme une impression de déjà-vu. Silencieusement, il sort sa théière, un de ses bols, son matcha, son chashaku et son chasen. Il dépose la théière remplie d’eau sur la gazinière et profite d’avoir son téléphone sous la main pour y mettre un chronomètre de huit minutes. Habituellement, Shiro ne s’en sert pas comme il connaît les temps par cœur à force de se faire son thé mais il compte s’occuper de sa commande en attendant et il ne veut pas arriver en retard. D’un mouvement de tête satisfait, il quitte la cuisine pour revenir auprès de sa cliente et tend les mains pour récupérer le vêtement.

Délicatement, le nécromancien récupère le vêtement et s’empresse d’aller le déposer sur le mannequin. Prêt à se plonger dans son travail, il s’étonne des propos de sa cliente sur les différents outils sortis pour faire le thé. Il n’est pas étonné par sa connaissance mais plutôt, il s’étonne qu’on puisse utiliser d’autres choses pour faire un thé. A ses yeux, le thé matcha est sacré et sa préparation tout autant, était-il tout bonnement possible qu’on le fasse autrement ? Peut-on réellement boire un autre thé que celui-ci ? Beaucoup d’interrogations qui n’ont pas lieu d’être. Yashiro reporte son attention sur le mannequin vêtu, il ressort son carnet pour vérifier quelques informations puis il pose sa main au niveau des épaules. Il était sur le point d’attaquer les modifications quand une voix s’éleva dans son dos. Poussé par la curiosité, sa commanditaire lui demanda la raison de son pseudonyme. Sa main quitte le mannequin et sa tête se tourne légèrement dans sa direction, un sourire sur ses lèvres mais il reste muet comme depuis le début. Si le choix de ce pseudonyme est un secret pour tout le monde, c’est bien pour une raison et c’est cette même raison qui l’a poussé à en choisir un. On ne peut pas effacer son passé comme on ne peut pas savoir qui se trouve dans le monde des morts. Certains savent peut-être ce qu’il cache, après tout, ses colocataires ne sont pas aveugles mais ils ne disent rien.
Soudain, la sonnerie de son téléphone se fait entendre depuis sa poche. Il s’empresse de l’éteindre puis il quitte son poste pour rejoindre son deuxième poste, la cuisine. Il éteint le gaz, verse un peu d’eau de la théière dans le bol et s’ensuit la préparation d’un thé matcha traditionnel. Une cuillère de matcha, on fouette le tout de manière dynamique et une fois la préparation finie, on peut boire. Yashiro prend le bol à deux mains et revient auprès de sa cliente, il le lui tend toujours en souriant. Il ne veut pas l’offusquer, mais il ne répondra pas à sa curiosité. Une fois débarrassé du bol, ses mains empoignent le téléphone pour y taper sa réponse.

“C’est un secret.”

D’un léger mouvement de main, il lui fait signe comme s’il lui disait au revoir et retourne au côté du mannequin pour entamer les quelques modifications. Il n’y avait pas grand chose à faire, il avait juste besoin de réajuster au niveau des épaules et le travail sera fini.