don't lose ur head. & tantine

Un bureau plutôt bien rangé hormis les quelques piles de papiers qui restent encore dessus. L’état général de ce dernier qui semble sur le bout de rendre son dernier souffle. Une déco datée mais chaleureuse. Une salle que tu connais par cœur, maintenant. Et toi, accoudé au balcon la clope à la main, observant la vie en bas qui s’agite. Les gens qui courent pour choper le bus ou le métro, celleux qui discutent un peu plus loin. T’aimes bien ce quartier malgré le fait que ce soit paumé au milieu de Tokyo et que beaucoup de gens l’évitent pour des raisons que tu trouves un peu bidon. Tu tires sur ta clope, l’air ailleurs. D’habitude tu évites de fumer même sur ton balcon, tu descends les étages et ça te fait ta pause entre quelques rendez-vous mais là, la journée te semble longue. T’as la flemme quoi. Ça arrive, même aux meilleurs et vu que t’es loin, très loin d’être concerné par ce dicton t’as bien le droit, non ?

Tu termines ta clope et tu laisses ouvert, refroidissant drastiquement la pièce pour un court instant. Déjà, ça évitera que l’odeur reste, ça aère et ça te fait du bien. Tu te diriges vers le fameux bureau et tu ouvres un agenda qui semble dater d’un autre millénaire et tu vérifies tes prochains rendez-vous. Heureusement c’est le dernier de la journée ; t’aimes réserver les créneaux de fin de journée aux nouveaux et nouvelles. Tu peux prendre le temps et ça éviter de les stresser -et toi avec. Pis bon, c’est toujours le 1er rendez-vous qui est le plus compliqué. D’ailleurs tu y penses et tu sais pas pourquoi mais t’as un drôle de feelings par rapport à ce rendez-vous ; probablement parce que la personne t’as appelé direct sur ton numéro professionnel. En règle générale, seul tes patient·e·s l’ont, ou alors des gens qui te le demandent par mail. Ou par messagerie. Pas que ça te dérange mais c’est plus pratique comme ça.

T’en avais conclu que c’était peut-être un·e autre patient·e qui l’avait filé sans savoir. C’est déjà arrivé et généralement tu te contentes d’hausser les épaules et rouler avec. Tes réflexions se font brusquement coupés par la sonnerie qui te fait sursauter. T’as pas l’habitude, la plupart des gens frappent à la porte. Faut dire que la sonnette marchait pas aussi, avant. Encore un énième truc que t’as essayé de fixer dans ta vie. Tu refermes la porte fenêtre, tu inspectes l’état de la cafetière et de la théière quelques secondes avant d’ouvrir la porte d’une main, le sourire aux lèvres. Face à toi, une tête qui t’es inconnue, comme prévu.

« Bonjour. Zelda, je suppose ? Entrez. Désolé je viens d’aérer alors il fait un peu frais. »

Il referme la porte derrière elle.

« Vous pouvez vous installer sur le canapé. J’ai de quoi manger, du thé, du café aussi. Ah, et de l’eau bien sûr ! J’apporte tout ça. »

Comme à son habitude il est souriant, rassurant et doux. Le plateau déjà presque prêt, le voilà qui le dépose sur la petite table située entre le canapé et le fauteuil dans lequel il s’installe habituellement.

« J’ai été étonné de vous voir m’appeler directement sur mon numéro de portable. Généralement seul·e·s les patient·e·s l’ont donc j’imagine qu’une connaissance a dû vous le donner. »

Tu restes curieux, après tout.

Elle te remercie et tu hoches la tête avec un sourire. Elle semble … crispée. Ce qui t’étonnes pas trop ça arrive. Souvent, même. Des patient·e·s qui viennent les bras et jambes croisés, qui fuit ton regard ou qui même parfois repartent sans un mot tu as connu -et tu connaîtras surement encore. Et tu leur en veux pas plus que ça, c’est difficile comme situation. Toi-même tu fuis poliment le fait de voir le moindre psy alors tu serais mal voire très mal placé pour te sentir vexé. Une fois le plateau posé, tu l’invites à se servir comme elle l’entend et toi-même tu saisis une tasse que tu rempli de café avant de prendre un gâteau. Tu aimes montrer qu’il n’y a pas à être gêné et que tu es pas là pour juger ce que la personne choisie … Ou non. Et puis t’as un creux aussi, ça doit jouer.

« Oh oui, en réalité, c'est une amie qui m'l'a donné.

Ah oui je comprends mieux. Enfin c’est pas un soucis hein, il est fait pour ça. »

Petit sourire. T’étais juste curieux. Sauf qu’elle tape des mains sur les genoux l’air … Tu sais pas trop. Agacée ? Énervée même. Tu lèves un sourcil de surprise, ne comprenant pas trop pourquoi elle semble passer de la nervosité à l’énervement.

« J'vais être honnête avec vous, qu'on perde pas d'temps. Vous connaissez une Mino Masaki ? non, j'sais que vous la connaissez en fait. »

Tu vas pour répondre mais t’as à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’elle continue, t’interrompant dans la foulée. Oui, tu connais une Mino, effectivement. T’es pas sûr que ça soit forcément une bonne chose vu les situations dans lesquelles tu t’es retrouvé en partie par sa faute. Le coup de la serre, celui du fast-food, depuis tu dois l’avouer tu sais même pas si c’est possible de réellement l’aider. Que ça soit comme patiente ou comme simple connaissance. Surtout que toi aussi, tu dois gérer beaucoup de choses dans ta vie perso, alors ça commence à faire beaucoup pour une seule et même personne. Mais vu la réaction et l’énervement de la personne en face de toi, tu sens que quelque chose est bizarre.

Elle enchaîne et toi t’es là, assis sur ton siège, une tasse dans la main. Tu clignes des yeux alors que tu l’entends t’accuser de trucs que tu comprends même pas : oui Mino a la vingtaine. T’as réussi à lui soutirer l’info mais même sans ça t’as eu aucun mal à comprendre qu’elle est jeune, très jeune. L’attaque sur ton âge te passe un peu au-dessus même si quand même aïe. Mais t’as beau retourné la situation dans tous les sens tu vois pas pourquoi elle t’accuse de manière aussi virulente d’un truc que t’as pas fait. Et dont l’idée même te répugne, d’ailleurs. Elle t’engueule et le ton monte alors que tu sais même pas quoi dire tellement tu t’attendais à tout sauf à ça. Finalement c’est peut-être la menace déguisée qui te fait enfin réagir.

« Donc bas les pattes, m'sieur.

Okay donc on va calmer un peu le jeu là. J’uis désolé mais j’arrive pas à vous suivre. »

Tu soupires et te frottes le visage. T’es trop fatigué et au bout du rouleau pour continuer à tenir ton rôle de psy maintenant que tu comprends que c’est pas une patiente. Pas vraiment. Tu la regardes avec un air entre épuisé, agacé et perdu

« Ouai, je connais une Mino. Genre gamine, gothique, qui essaye toujours de se mettre dans des situations pas possibles ? J’imagine que vous êtes une amie. D’accord. Sauf que j’uis désolé mais … »

Petit silence.

« … Je suis pas, mais vraiment pas, intéressé par elle. Elle m’a juste engagé sous un faux prétexte pour finalement faire un truc dangereux et déso’ mais abandonner des gamines à leur sort ça le fait pas. »

Il a envie d’une clope mais il se contente de soupirer longuement en se levant pour se dégourdir les jambes.

« Vraiment j’insiste mais je vous suis pas. Pourquoi débarquer comme ça dans mon bureau et m’accuser de trucs franchement dégueulasses ? Genre, d’où ça sort exactement ? »