Une bouteille à l'amer - [Solo Astard - TW: grande tristesse/colère, thèmes sensibles]

Astard se tenait assis, les pieds se balançant lentement dans le vide, recroquevillé sur la plus haute barre de la plus haute grue qu'il ait pu trouver, fixant l'horizon. Pour seuls comapagnons de son malheur, Betty son canon le plus fidèle, et une quantité déplorable de bouteilles d'alcools de tout types, vides ou non.

Il avait pleuré, avait arrêté peut-être, mais pourrait très bien le refaire. C'était trop injuste. Il jetait une flasque dans le vide, plus rien n'avait d'importance, plus rien ne comptait vraiment.

"J'te dis, Betty, c'est arrivé comme un coup de foudre. Un couteau dans l'dos, ouais. Ils nous l'ont pris. Ils nous l'ont pris..." Ses lèvres se mettaient à trembler, ses yeux s'humidifiaient encore, il murmurait "Bozo..."

L'ancien reniflait bruyemment, puis crachait le peu de rage qui lui restait en travers de la gorge.

"Et crois-moi bien, depuis la création et p't'être avant, y'en a pas eu deux, des nuits aussi dures et froides. Bozo c'était pas qu'un appartement, putain, c'était notre pote. Mais ils ont tout pris." Les larmes lui venaient, il n'avait pas la force de les contenir, il n'avait plus la force de rien, sinon de hurler désespérement."ILS NOUS L'ONT VOLÉ, COMME ILS M'ONT TOUJOURS TOUT VOLÉ, PUTAIN. MON BONHEUR, MA VIE, MA MORT, TOUT L'AMOUR QUE J'MÉRITAIS, ET MAINTENANT MON FOYER. Mais quand est-ce qu'ils vont me prendre moi, bordel, quand est-ce que ça s'arrête? J'peux pas juste partir, comme eux? Moi aussi, j'veux disparaître, fait chier, tiens..."

Le cap'n vidait une énième bouteille, et se relevait pour la jeter le plus loin possible, le plus fort possible, comme un appel au secours. Son équilibre était dangereusement précaire, il menaçait de tomber à chaque geste, mais qu'importe? Y'avait-il seulement moins de malheur, en bas?

"Même Bozo, y l'auront pas épargné, putain. J'te dit Betty, pour t'arracher tout c'que t'as de plus précieux, ils se démènent à le faire bien. Bozo c'était plus que des clowns et des coussins péteurs, Betty, c'était dans notre chair, dans mes conneries de veines, c'était nous. Et ils nous ont NIÉ CE QU'ON EST, ILS VEULENT NOTRE MORT, BETTY"

Il grimpait plus haut encore sur la rembarde, le vent pouvant à tout instant mettre fin à ses élans de désespoir et de rage, mais il n'avait plus peur de rien.

"ET QU'ILS AILLENT TOUS AU DIABLE, J'VAIS PAS ME LAISSER CREVER PARCE QUE C'EST C'QU'ILS VEULENT! ILS L'ONT ASSASSINÉ, ILS ONT TENTÉ DE LE FAIRE TAIRE, ILS ONT VOULU NOUS LE NÉANTISER, BETTY, MAIS TANT QUE MOI JE SERAIS DEBOUT, ON L'OUBLIERA PAS, ET ON L'OUBLIERA JAMAIS, BOZO. TOUS LES SOUVENIRS ILS M'LES VOLERONT PAS, TOUT CE QUE J'EN RETIENS C'EST À MOI ET POUR L'ÉTERNITÉ. ON. NE. ME. SOUMET. PAS."

Il se rasseyait sagement, plus aucune tristesse mais sur visage, mais des larmes et une haine puissante, un magma brûlant lui courant dans le sang, un regard foudroyant le monde comme pour le tordre.

"Bozo, on l'avait dans les tripes, chacun de ses pets, c'était nous, chaque poster de clown, c'était nous, et ils l'auront éventré pour en faire un immondice sans goût en sans saveur. Ah ça! Détruire et remplacer par moins, QUELLE OEUVRE! QUELLE BEAUTÉ, HEIN? MAIS RIEN À FOUTRE, J'SUIS LÀ, ET ILS NOUS L'ONT FLINGUÉ, MAIS TANT QUE MOI J'SUIS LÀ, JE FERAI REVIVRE BOZO"

Il jetait une bouteille en contrebas, et flanquait un immense coup de pied dans un bidon de moscatel à moitié vide. Il l'éclatait même au vol en un tir de pistolet à silex, le liquide inondant les petits du monde qui ont osé s'en prendre aux siens.

"Parce qu'il y a pas plus fort que l'âme humaine, Betty, et pas plus puissant que sa liberté. On peut la taire, le restreindre, l'éteindre. Il inspirait une dernirèe fois pour fendre la terre d'un ultime hurlement à en faire trembler les cieux et les mers: MAIS ELLE BRISERA SES CHAÎNES AVEC LA FORCE DE MILLES DIEUX. JE SUIS LIBRE, ET BOZO EST LIBRE AVEC MOI, ET ON SERA LIBRES TANT QU'ON SE RAPPELERA DE NOS NOMS"

Il rechargeait le pistolet, et tirait trois coups vers le ciel. Personne n'avait pu ignorer son cri, le monde entier tremblait de peur et d'effroi, il l'avait marqué de son sceau vengeur.

Essouflé, il se rasseyait, vidant la dernière flasque de whiskey à sa portée, la laissant lui échapper des mains enfin. Plus aucun carburant à sa rage autour de lui, plus aucun mot à sortir, plus de substance à exprimer. Il embrasait mécaniquement la mèche du canon, et dans les interminables secondes qu'elle mettait à se consumer, il soufflait, au vent et un torrent de larmes lui sciant le visage.

"Salut mon pote."