Un instant, Amb avait hésité sur la réponse qu’il devait donner.
Il rougit, et commença à se balancer doucement avec un sourire crispé en tenant son t-shirt.
Les escargots, pourquoi aime-t-il les escargots ?
Rien d’autre que sa vérité ne pouvait justifier ça, aucun doute là-dessus.
Il inspira donc et leva la tête, voulant regarder Kazuki dans les yeux pour lui annoncer la grande nouvelle :
-« Kazu, désolé de ne pas te l’avoir dit, je sais que j’aurais dû… »
L’enfant marqua une pause. Allait-il vraiment devoir aller jusqu’au bout de son propos ? Bien sûr. Ce n’était plus le moment de reculer.
-« En fait… Escargot…Tu sais… »
Non, actuellement, sa manière de se justifier était juste étrange, on aurait dit qu’il délirait sous l’action de fortes fièvres. Il se jeta soudainement à l’eau :
-« Mon nom de famille ! Ghongha ! Ça veut dire escargot ! »
Il soutint ensuite le regard de celui qu’il considérait comme un grand frère, et se mit doucement à pouffer, plaçant sa main sur sa petite bouche rose.
Cette manière de le dire était si bizarre et crispée, et même si c’était une information plutôt cocasse, Amb se rendait bien compte qu’il n’était pas nécessaire d’en faire tout un plat.
-« Sinon, les escargots, c’est mignon… Avec leurs petites antennes… Et quand ils rampent… Pis leur coquille aussi est mignonne… Et en plus, ils sont hermaphrodites, c’est fantastique, non ? »Le petit avait commencé à jouer à l’escargot, en plaçant ses doigts en antennes au-dessus de ses mèches roses, et il tournait en rond à pas lourds dans le salon, dans une tentative absolument impossible d’imiter la démarche d’un escargot.
Il fut ensuite surpris d’apprendre que Kazuki n’allait plus à l’école.
Toutefois il se rappela bien vite que lui non plus n’y avait pas mis les pieds depuis bien longtemps, puisque, même avant sa mort, faisant des angoisses scolaires, il ne se rendait là-bas que très rarement, lorsqu’il se sentait fabuleusement bien.
-« Eh bien, je n’y vais pas. Enfin, je n’y suis pas encore allé. Mais je devrais, il faut que j’approfondisse mon langage en japonais… Et j’ai encore tant de choses à apprendre ! Mais je ne sais pas si j’oserai, tu sais… »
Il fit glisser son regard sur le côté, légèrement découragé d’avance.
Enfin, de toute façon, il savait que ce ne serait pas comme avant, en Inde, où il comprenait la moitié de ce qui se disait en classe, et où les autres élèves le regardaient bizarrement, parce qu’il avait la peau pâle, parce qu’il avait de belles affaires « de riche » et surtout, parce que ses yeux étaient verts.
Secouant la tête (comme toujours lorsque des souvenirs sombres l’assaillaient), il interrogea ensuite son ami quant au métier qu’il souhaiterait exercer :
-« Je te vois bien être barman, Kazu… » Il hésita.
« Tu aimes l’alcool ? »Question innocente, encore une fois, il ne voyait en effet aucun souci à parler boisson, puisqu’il n’avait aucune idée des problèmes d’alcoolisme que pouvait rencontrer son interlocuteur.
Quant à ce qu’il appréciait manger…
Amb n’était pas très difficile en temps normal, il ne supportait simplement pas le sucre.
-« Eh bien, j’aime un peu de tout… Surtout les tartes aux pommes, avec une pâte nature et les pommes juste posées dessus. Oui, je crois que j’aime beaucoup les pommes en ce moment ! Mais tu sais, ce que j’aime manger, ça dépend des jours…»
Il ne s’était jamais posé la question, car en tant qu’enfant il ne pouvait choisir ce avec quoi il allait se nourrir, on lui préparait toujours ses repas. Donc il n’avait pas vraiment besoin de s’interroger à ce sujet.
Quelques minutes plus tard, Amb se retrouvait dans le couloir, trempé d’urine, extrêmement gêné, et surtout, en pleurs.
Il retenait pourtant ses larmes du mieux qu’il pouvait pour ne pas embêter plus Kazuki, rien à faire, ces fichues gouttes d’eau salées voulaient s’échapper de ses yeux, à tout prix.
Il opina lentement lorsque son ami alla lui chercher une serviette, et se laissa amener jusqu’à la salle de bain où il ôta sagement ses habits et entra dans le bain.
Malgré la situation, qui était certainement la plus gênante qu’Amb aie vécue (en tout cas, elle rentrait forcément dans le top 3 de ses gaffes les plus embarrassantes), il trouva que l’eau était à une excellente température, et attendit là, sans bouger, jusqu’à ce que son presque frère revienne.
-« Oui, tout est déjà réglé. Pardon… Je suis désolé… »
Le petiot renifla.
-« Je ne voulais pas t’embêter… Je m’excuse… Kazu…. ? Tu peux me donner une chemise ou un truc, pour que je m’habille s’il te plaît ? J’ai envie de sortir du bain. .. »
La mine déconfite, après s’être rhabillé, il alla s’asseoir sur le canapé, et attendit le regard dans le vague.
Que faisait-il déjà, avant de… ?
Ah oui, les jeux !
Il n’avait pas été les chercher finalement.
Amb se releva, tira ses joues pour essayer de se donner de l’énergie, ce qui était certes perturbant à voir, mais qui fonctionnait bel et bien pour ce gamin.
Se dirigeant ensuite dans le couloir en courant, il faillit déraper sur un chiffon posé par terre pour une raison inconnue, mais se rattrapa, et poursuivit sa course.
Devant la porte de la chambre de Kazuki, il hésita.
Avait-il vraiment le droit d’entrer ?
Etait-ce bien l’endroit où se trouvaient les jeux ?
Il avança sa main vers la poignée et faillit l’y poser mais se reprit.
Non, définitivement, c’était trop impoli.
Puis il avait suffisamment fait de bêtises pour l’année, au moins !
Il fit demi-tour et se remit à trottiner, le nez en l’air, à la recherche de Kazuki.
Quel inconscient, il avait oublié le chiffon, qui furtivement patientait le bon moment pour déclencher son embuscade !
Il glissa dessus et fit au moins trois mètres sur son pied droit, agitant les bras en tous sens pour retrouver son équilibre perdu.
Heureusement (ou pas), un mur se dressait au-delà de ces trois mètres, et il ne semblait pas prêt à céder sa place à un gamin de dix ans qui s’amuse à faire des acrobaties sur un chiffon, en plein après-midi.
En s’écrasant sur le mur, Amb espéra au moins que Kazuki n’aie pas entendu.
Ou vu.
C’était incroyable la poisse qu’il avait, ces derniers temps !