Panic but no disco - [Tantine & Olympe]

Je sais pas si c'est une bonne idée, en fait. On m'a dit que si, j'ai fini par croire que si, mais devant la porte, je me rends compte que non. Vraiment, je suis uniquement là parce que mes amies ont insisté que c'est important, et que les idées sombres partent pas toutes seules. Et j'ai dit oui, évidemment que j'ai dit oui.

Il a une belle porte en bois, son cabinet. Ça fait cinq minutes que je suis devant, je suis presque experte sur le sujet, hein. Je me trouve pathéthique, mais ça fait bien deux mois que c'est le cas, donc dans un sens ça change pas. Avec une résignation sans espoir, je toque timidement, entrouvre et passe mon visage par l'entrebaillement.

"Salut, Constantine."

J'avais eu envie de gueuler "surprise", mais... Ça devait même pas en être une, hein. J'imagine que lui parmi tous aurait du sentir que ça allait pas trop bien dernièrement. Ça va qu'il a rien dit, ça m'aurait encore plus fatiguée de savoir que les gens s'inquiètent. On s'en sort jamais...

"T'as personne, aujourd'hui? La salle d'attente est vide."

J'aurais pu être aux portes la mort -vous me comprenez- que j'aurais pas voulu déranger. Par chance, on est deux, deux à devoir se fixer dans le blanc des yeux, deux et sans rien autour. Je regrette, mais si fort.

Toc toc.
Des petits coups à la porte. Assis devant ton bureau avec une liasse de feuilles dans les mains, tu tournes ton siège vers la porte, le sourcil légèrement levé. Tu n’attends personne pour le moment, alors ça t’étonne. Tu reposes tes feuilles alors que la porte s’entrouvre légèrement, laissant passer une tête qui ne t’est pas inconnu -pour une fois. Tu fais un léger sourire en coin en reconnaissant les yeux fortement brillants de ta collège temporaire Olympe. Tu lui fais signe de rentrer, remettant un peu d’ordre sur ton bureau particulièrement en bordel avant de te lever pour l’accueillir.

« Salut, Constantine.

Salut Olympe. Comment tu vas ? »

On peut se dire que c’est une drôle de question à poser, surtout à quelqu’un qui vient littéralement de passer la porte d’un cabinet de psy. Mais tu poses quasiment toujours cette question ; et tu es toujours particulièrement attentif à la réponse que tu reçois. Toujours tout sourire, tu observes son visage.

« T'as personne, aujourd’hui ? La salle d'attente est vide.

Nope, personne. Je suis libre comme l’air, enfin façon de parler. Tu veux t’installer ? J’peux te proposer du thé ou du café, qu’est-ce qui te tente ? »

Tu la fixes un moment avant de te diriger vers le petit coin préparation de boisson que tu n’as jamais réellement fini d’aménager. Tu lui tournes le dos, le temps qu’elle se mette à l’aise sans pression. Encore une de tes étranges techniques -mais elle porte souvent ses fruits. Après quelques minutes, te revoilà avec un plateau sur lequel tu as déposé une verseuse pleine de café, une théière encore fumant et deux tasses. Une fois installé sur la table basse, tu la regardes les mains dans les poches avant de t’installer en face d’elle. Tu n’as pas besoin de lui demander ; tu sais qu’elle ne vient pas te rendre visite en tant qu’ancien collègue. Une question d’intuition.

« Ça fait quelques temps que j’t’avais pas vu. Alors, je t’écoute. Qu’est-ce qui me vaut une visite surprise de ta part ? »

Comment je vais? La question me fait sourire malgré moi, c'est pas sa faute. C'est le premier à me la poser depuis des jours, ou plutôt le seul qui veut vraiment la réponse. Mais même ça, je suis trop timide pour lui donner. Ça prendrait des plombes, en plus, autant bien le faire. Comment je vais, moi?

"Je sais pas, c'est compliqué?"

Voilà, c'est même pas un "pas bien", mais ça laisse déjà présager de tout ce qu'il y a derrière. Il m'invite, j'approche presque à reculons. C'est nouveau pour moi, tout ça. J'ai pas les codes, je sais pas être à l'aise dans un environnement nouveau. Et qu'est-ce qu'on devient, du coup? Psy et patiente, ou on reste collègues? J'aime pas, c'est stressant comme situation. Mais c'est pour mon bien, hein?

"Du café, ce sera très bien."

Ouais, t'en bois pas assez, grosse maline. Quand ton foie va mettre la clé sous la porte, faudra pas demander pourquoi. Je chasse la voix interne malveillante en fermant les yeux, je m'asseois où je peux. C'est déjà un confort de plus, ça tend moins que d'être debout. Il revient, maître des lieux. Je déglutis.

"J'avoue, je sais pas trop par où commencer." Et ça, ça veut dire que ça part mal, ma grande. Suffirait de se lancer, de tout déballer, de conclure, mais nooon. Faudrait pas trop m'en demander, hein. "C'est fou, qu'à 140 balais j'ai jamais mis les pieds chez un psy, hein?"

Voilà, les pieds dans le plat, c'est une manière comme une autre d'avancer. J'espère qu'il est aussi patient que moi, parce que je crois que je risque de l'user, le pauvre.

"Au fait, toi ça va?"

Voilà, la fuite. C'est bien, ça, parler d'autre chose.

« Je sais pas, c'est compliqué ? »

Tu hoches la tête ; tu n’es pas étonné. Après tout pourquoi est-ce qu’elle serait là si ça allait ? Tu laisses ton carnet de côté -pour cette fois. Tu as l’impression que si tu t’installes avec sur ton siège elle va s’enfuir. Ça t’est déjà arrivé donc ça ne serait pas la première fois. Mais t’aimerais autant éviter de donner un coup de stress à une collègue, surtout que tu l’apprécies. Elle semble mal à l’aise, mais tu attends qu’elle continue la conversation, un sourire calme sur tes lèvres.

« Du café, ce sera très bien.

Ça marche, va pour une tasse de café. »

Tu prends une des deux tasses que tu remplis avant de la poser devant elle sur une soucoupe. De ton côté tu pars sur du thé, vu que ton estomac ne tiendra pas longtemps si tu continues à l’inonder sous la caféine. Quand tu reviens, tu la vois plus tendu qu’un bâton de bois alors tu prends quelques libertés sur tes méthodes habituelles en lui tapotant doucement l’épaule pour la rassurer avant de t’asseoir, la tasse à la main.

« J'avoue, je sais pas trop par où commencer. C'est fou, qu'à 140 balais j'ai jamais mis les pieds chez un psy, hein?

Pas tant que ça. Je connais des gens qui ont plus de 500 ans et qui n’y ont jamais mis les pieds. »

Tu bois une gorgée en lui souriant.

« Au fait, toi ça va? »

Tu retiens un rire, à la fois pour ne pas t’étouffer avec ton thé mais aussi pour ne pas totalement casser ton rôle de psy. Elle a beau être une collègue -ou collège par intermittence, elle est venue te voir en tant que patiente. Et c’est important pour toi de respecter certaines règles et limites ; t’en as pas beaucoup alors tu y tiens.

« Ça va, la journée a été plutôt tranquille. Et la tienne alors ? Si tu ne sais pas comment commencer, tu peux toujours me raconter ta journée et laisser les mots sortirent comme ils veulent. Y’a pas de règle dans ce genre de situation, c’est toi qui diriges. »

Un nouveau sourire, un peu plus doux.

Je prend ma tasse, sirote prestement pour cacher mon visage. Ou quelque chose du genre. Au moins, le café a un goût de café, la sensation est devenue tellement familière que c'en est rassurant. Le café apaise, chez moi. Comme quoi j'ai rien de câblé droit, hein.

"Merci."

Faudrait pas que j'en oublie mes manières, non plus. Je le regarde se servir, vagabonder, me toucher. D'une main froide, d'intention amicale, qui me fait rien ressentir. Comme si j'étais anesthesiée à toute forme de bonheur, de réconfort. Que tout était gris, et ne pouvait que s'assombrir. Il tente d'écarter mes inquiétudes, je me retiens de lui dire qu'il y a 500 ans, les psys couraient pas les rues. Ç'aurait pas été méchant, mais déjà trop sarcastique pour ma nature.

"Pff, ma journée. Je me suis levée, j'ai pris mon café, je suis partie travailler. Comme tous les jours, depuis toujours. Mais j'ai jamais eu ça, quoi. De sentir que ça servait à rien, que rien sert à rien." J'ai l'impression que ça doit être très commun, comme problème, vu nos longévités dans l'au delà. Ou alors les autres s'en sortent en changeant de style de vie régulièrement. J'oserais juste pas. "Puis je suis rentrée fatiguée, j'ai pleuré je sais pas pourquoi, et je me suis dit que c'était peut-être temps de marcher jusqu'à ici. Fin de l'histoire."

Je me suis pas rendue compte, je triture un tournevis que j'avais oublié dans ma poche depuis une minute, à le retourner et tapoter entre mes deux mains sans logique. À le fixer du regard aussi. Ça m'évitait de croiser celui de Constantine.

"Voilà, voilà..."

Je peux dire quoi, après ça? Il est drôle lui, j'ai rien à diriger. Je sais même pas ce qui va pas, je sais à peine que ça va pas. Ou alors je l'ai refusé pendant longtemps. J'en sais rien, je veux juste que ça s'arrête.

Elle te remercie, tu lui réponds avec le sourire que c’est normal. Tu réserves le même traitement à chaque patient·e qui passe la porte de ton cabinet ; enfin. Il t’arrive de faire des exceptions -et de t’adapter. Comme avec Olympe finalement. Tu n’étais pas sûr de comment réussir à établir des limites claires et nettes entre vous, puisque tu la connais déjà un peu. Et elle, elle te connaît aussi. Peu, mais c’est suffisant pour apporter un déséquilibre. Mais il faut croire que t’es capable de vite rentrer dans ton rôle.

« Pff, ma journée. Je me suis levée, j'ai pris mon café, je suis partie travailler. Comme tous les jours, depuis toujours. Mais j'ai jamais eu ça, quoi. De sentir que ça servait à rien, que rien sert à rien. »

Les vannes s’ouvrent doucement. Elle parle déjà plus que lors de son arrivée et bien qu’elle évite soigneusement de te regarder, elle ne s’arrête pas au milieu de ses phrases. C’est un bon début. Tu regretterais presque d’avoir laissé ton carnet de côté mais heureusement pour toi, t’as une bonne mémoire. Tu continues de boire lentement ton thé, l’observant par-dessus la fumée qui s’échappe de ta tasse. Tu notes quelques points que tu trouves déjà … Intéressants. Tu te demandes ce qu’elle entend par "ça". Tu te demandes aussi si ses journées tournent toujours autour de cette routine : se lever, café, travailler.

« Puis je suis rentrée fatiguée, j'ai pleuré je sais pas pourquoi, et je me suis dit que c'était peut-être temps de marcher jusqu'à ici. Fin de l'histoire. »

Ton sourcil se lève très légèrement. Tu sens le détachement qu’elle essaye de mettre dans ses mots ; est-ce que c’est volontaire ? T’es pas vraiment si sûr. Elle continue de jouer avec un outil, d’une telle concentration que t’oses pas lui dire que tu as remarqué -et qu’elle peut continuer si ça l’aide à se détendre. Ses yeux semblent éclairer le tournevis ainsi que le sol d’une lumière pâlotte alors qu’elle conclut d’un faible "Voilà voilà". Tu termines ta tasse, puis tu te penches en avant pour la reposer avant de caler ton dos au fond du fauteuil. Jambes croisés, mains sur ton genou.

« Rude journée hein ? »

Tu as toujours ton sourire rassurant sur le visage.

« J’imagine que lorsque tu parles de ça, tu parles de cette sensation que tu ressens ? Depuis combien de temps t’as l’impression que ça ne sert à rien ? Globalement hein, pas besoin de te torturer l’esprit à me donner une réponse précise. C’est plus une … question de ressenti on va dire »

Le mouvement de ses mains avec son tournevis continue d’attirer ton regard.

« Parfois on pleure sans raison. Parfois y’en a une mais c’est dur de mettre le doigt dessus quoi. Tu m’as dit que tu savais pas pourquoi, mais est-ce que ça pourrait être lié à un ou des événements récents ? Même un truc qui peut te paraître tout bête »

Je vois qu'il m'écoute, doit comprendre des trucs dans son esprit brillant. Ou quleque chose du genre. Je sais pas comment ça marche, son métier, c'est tellement inconcret que j'arriverais jamais à me le figurer.

Il me pose des questions, précises mais vagues à la fois. J'arrive pas à m'imaginer des réponses claires, tirer des certitudes. Tout est flou dans mon esprit, tous les concepts sont brumeux. J'essaie de tirer quelques trucs pertinents de mon esprit, formuler des phrases qui ont un minimum de sens.

"Ça doit faire un mois, quelque chose comme ça. Que juste je me sens tout le temps mal, sans savoir pourquoi."

Et encore, faudrait que je définisse en quoi je me sens mal, mais c'est déjà trop m'en demander. Je me fouille la mémoire, je cherche des éléments qui pourraient expliquer un brin de malheur, je trouve pas grand chose.

"Y'a eu un moment à l'appart, où on s'était pris la tête. Y'avait un piranha dans l'aquarium, et un des idiots... enfin, un des colocs voulait aller le chercher tout seul. Je lui avais dit de faire attention à pas briser la vitre, et la première chose qu'il a faite, c'est se faire mordre et se débattre à moitié immergé. Enfin bref, c'est tendu entre nous depuis. Bon, je lui ai un peu mal parlé, aussi."

N'importe qui dirait que c'était plus que justifié, mais je suis juste différente. Je m'en veux, d'avoir cédé à la colère dans l'instant, surtout que depuis s'opère une sorte de guerre froide. En même temps, à trois chimères dans un appartement, ça allait forcément mal finir.

"Puis non, sinon, tout devrait aller bien. Je suis en couple, je gagne de quoi survivre convenablement, j'ai des amies. Je comprends juste pas."

Je comprends rarement grand chose, une voix me susurre dans la tête. M'enfin. J'ai toujours un tournevis en main, donc tout va bien.

« Ça doit faire un mois, quelque chose comme ça. Que juste je me sens tout le temps mal, sans savoir pourquoi. »

Tu hoches la tête. Un mois ? Ça commence à faire un moment déjà. Tu commences à réfléchir aux racines de son mal-être : un passage à vide ? Une dépression qui pointe son nez, peut-être. Ou simplement que le verre déjà bien plein d’Olympe est en train de déborder et qu’elle a fini par le remarquer. Tu te rappelles de vos conversations entre deux séances de nettoyage ou de rangement et tu n’es étrangement pas si étonné de la voir devant toi maintenant comme patiente. Parfois tu la trouvais un peu fatiguée, un peu détachée entre deux phrases. Mais t’as pas envie d’assumer ce que tu sais pas encore, alors tu l’écoutes en silence.

Elle te parle de sa colocation qui a l’air … Spéciale. Compliquée, surtout. Une histoire assez surprenante de piranha, d’aquarium et de colocataires avec des choix discutables. Tu peux pas t’empêcher un haussement de sourcil quand elle t’explique que le coloc’ a fini par se faire mordre -pas très surprenant vu la situation. Clairement tu te dis qu’avec ta coloc’ tu as de la chance, beaucoup de chance. Et aussi, vous avez pas de piranha, ça aide. La situation a mené à de la tension et probablement de la colère de la part d’Olympe et tu hoches la tête lorsqu’elle conclut son histoire.

« C’est bien de reconnaître que t’as peut-être pas été super agréable mais c’est important aussi que tu remettes ça dans le contexte. T’as eu peur pour lui alors que tu l’avais prévenu, c’est une réaction normale que de s’énerver. Parce que t’as pas eu l’impression qu’on t’écoutait … Ou qu’on prenait tes avertissements au sérieux. »

Tu hausses légèrement les épaules en lui adressant un sourire.

« Si la tension devient insupportable, on pourra toujours travailler sur un plan d’attaque pour ouvrir le dialogue. Peut-être que ça relancera le conflit sur le moment mais les choses bougeront pas si le dialogue reste au point mort. »

La communication, c’est un peu le truc magique par défaut à essayer avant de tester des mesures plus radicales. Et tu es très fort pour aider les gens à communiquer entre eux ; beaucoup moi lorsque tu dois toi communiquer avec les autres. Bizarrement. Tu te racles la gorge alors qu’Olympe reprend la parole

« Puis non, sinon, tout devrait aller bien. Je suis en couple, je gagne de quoi survivre convenablement, j'ai des amies. Je comprends juste pas.

Oui, "devrait". Malheureusement cocher des cases parfois, ça suffit pas. Ou alors ça peut suffire mais si quelque chose d’autre te tracasse … Ça aidera que sur le court terme. »

Évidemment, tu vas devoir gratter un peu plus. Et ça te fait presque de la peine pour Olympe ; mais en même temps c’est ton métier. Et tu t’inquiètes aussi sincèrement pour elle, au fond.

« Je note que t'as évoqué être en couple, déjà félicitation c’est cool. Tu mentionnes aussi des amies, comment ça se passe tout ça pour toi ? Que ça soit entre toi et tes amies ou … toi et ta copine, par exemple. Ça vous arrive d’avoir des moments de tension comme avec ton coloc’ ? »

Sa voix a quelque chose d'apaisant, de calmant. Je fais toujours confiance à tout le monde, mais j'ai l'impression que lui mérite plus que les autres que je crois en sa sincérité. Peut-être aprce qu'on a travaillé ensemble, qu'on connaît les mêmes problèmes.

Il va dans mon sens, veut légitimer ma colère. Et il m'en faut peu, je sais, mais ça m'impressionne qu'il mette le doigt sur ce qui m'a dérangé avec exactitude. Par contre, pour la solution, je soupire.

"Je sais pas, c'est difficile de lui parler. C'est un gamin mort à... 12 ans, peut-être, et qui a pas changé alors qu'il en a 60, ou plus. Enfin bref."

Parfaitement déraisonnable, mais faudrait qu'il le voie de ses propres yeux pour le croire. J'arrive à poser l'objet qui me prend les mains depuis cinq minutes, je commence à siroter mon café à la place. J'ai pris un peu mes aises, ça va.

"Et non, du reste tout est normal, je crois. Enfin, c'est bizarre." Je cherche un peu dans ma mémoire, fouille pour trouver des détails. Ressortent des idées que j'avais pas conceptualisées avant, une clarté sur ma situation dérangeante. "Enfin, mes amies s'inquiètaient beaucoup pour moi depuis longtemps, déjà. Mais là, depuis que ça va pas trop, j'ai plus de contact, ouais. Ça doit pas aider. 'Me disaient que j'en faisais trop, ou d'autres trucs, toujours des reproches."

Plutôt des alarmes qu'elles voulaient me faire entendre, mais le prisme de la négativité me fait tout revoir avec froideur. Chaque mot attentionné prend des airs de leçon mal venue, chaque conseil est dédaigneux. J'ai jamais été très touchée par les discours qui prétendent que je "mérite mieux" que ce que j'ai. Et maintenant, je récolte le fait de toujours avoir eu pire.

"Et moi et Céleste, c'est... On se dispute jamais vraiment, on lève pas la voix. Jamais. Ça nous arrive de pas être d'accord, mais c'est pas des conflits?" M'enfin, il est pas là pour entendre ça. Faut que je raconte ce qui va mal, je le sais très bien. Peu importe combien ça me crève le coeur de l'admettre, tout n'est pas tellement rose, malgré l'énergie que je déploie à m'aveugler. "Après, y'a deux trois trucs chez elle qui me fatiguent des fois, mais c'est normal dans un couple. Enfin... c'est normal, quoi. On s'aime, c'est le plus important."

Finalement, j'ai pas osé. Enfin verbaliser mes anxiétés, donner en mots ce que j'ose pas reprendre chez Céleste. C'est dur. J'en retourne à ma tasse, avec un peu de chance, il relevera pas.

« Je sais pas, c'est difficile de lui parler. C'est un gamin mort à... 12 ans, peut-être, et qui a pas changé alors qu'il en a 60, ou plus. Enfin bref. »

Tu hausses les épaules avant de lui répondre toujours avec douceur.

« Certain·e·s ont beau avoir passé·e beaucoup de temps dans le Monde des morts, iels ne changent pas beaucoup. On en est un exemple aussi, malgré les décennies on reste plus proche de notre âge de mort que de notre véritable âge actuel. Mais tu connais ton coloc' sûrement mieux que je le connais. »

Tu souris et tu la regardes poser son tournevis avant de se mettre à boire son café. Elle semble un poil plus détendue mais tu restes doux, calme et tu prends ton temps. Après tout la pousser ou essayer de lui tirer les vers du nez ne la fera que fuir. Probablement. Et puis c'est pas trop ton genre ; même s'il fallait des dizaines de séances avant qu'elle s'ouvre réellement à toi c'est pas un problème. Tu sais t'adapter. Tu l'écoutes reprendre et tu commences à distinguer une certaine dynamique par rapport à ses amies. Et sa propre image. Peut-être que finalement tu n'étais pas si loin du compte lors de tes premières impressions.

« Et moi et Céleste, c'est... On se dispute jamais vraiment, on lève pas la voix. Jamais. Ça nous arrive de pas être d'accord, mais c'est pas des conflits?

Plutôt comme des désaccords ? Ou simplement des opinions et points de vue différents ? »

C'est important que tu puisses définir clairement ce qu'elle essaye d'exprimer. Avoir un point de départ pour mieux comprendre leur relation et voir le rapport qu'Olympe entretient avec la fameuse Céleste. Tu notes d'ailleurs son nom dans un coin de ta tête, à défaut de l'écrire dans ton carnet. Elle semble revenir sur ses propos, s'aviser, puis repartir d'autant sur leur relation de couple. Tu la laisses naviguer quitte à ce que ça soit un peu bordélique. Ça sera ni la première ni la dernière, clairement.

« Après, y'a deux trois trucs chez elle qui me fatiguent des fois, mais c'est normal dans un couple. Enfin... c'est normal, quoi. On s'aime, c'est le plus important.

Mmh, je vois je vois. »

Tu profites du léger moment de silence pour réfléchir à comment tourner tes paroles de la meilleure des manières, sans la brusquer.

« Des différences dans un couple c'est normal et quasiment inévitable, y'a pas deux personnes exactement similaires. Partons du principe que ces "deux trois trucs" sont normaux, est-ce que tu pourrais me donner des exemples ? Ou des moments où tu t'es sentie un peu fatiguée vis à vis d'elle ? »

Tu souris avant de lui resservir un peu de café et te refaire une tasse de thé que tu prends entre tes mains.

« L'amour, en amitié comme dans des relations plus intimes, n'est pas forcément une excuse pour certains comportements. Ça peut aussi s'appliquer à tes amies qui te laissent sans nouvelles. »