carrousel stumble // ft. Huia

Est-ce que ça te traverse l'esprit ? Que ton comportement pourrait être vu comme immature, même par quelqu'un de plus jeune que toi, simplement parce que tu ne supportes pas la critique ? Non. Bien sûr que non. Quelle idée.

En plus, ses mots sont peut-être blessants, mais ses intentions étaient nobles, à la base. Et toi, tu préfères t'aveugler, agir en victime - jamais on ne respecte les créateurs de contenu, c'est toujours comme ça ! Plutôt que d'admettre que tu es hautement sensible à ce genre de remarques. Elles ne sont pas rares, tu deviens juste plus doué.e pour le cacher. Sauf dans certaines circonstances.

- C'est ça le problème ! On peut pas comprendre rien qu'avec les coulisses. Il faut voir le produit final pour comprendre pourquoi j'en ai fait mon métier. C'est toujours ça, c'est la passion des artistes...

Un soupir. On va essayer de se calmer, hein ? Pour pas rentrer chez toi avec de la fumée qui sort de par les oreilles - au mieux, le visage tout rouge d'énervement. C'est là que te vient enfin l'idée que cette hater - le mot est fort, mais tu t'en fiches - est peut-être tout simplement un peu trop vieille pour tout ça. Après tout, tu en as connu, des fantômes qui n'avaient jamais connu aucune forme de technologie de leur vivant, et qui trouvaient ton travail tout simplement révoltant - en général, tu préférais les éviter, ceux-là... ils ne venaient pas directement à toi. Et le plus pénible, c'est qu'on ne peut pas déterminer un âge post-mortem sur l'apparence. Sur l'attitude, en revanche... cette demoiselle-là a bien l'air un peu vieux jeu, maintenant que tu y réfléchis.

- J'ai pas de question à me poser, tu te braques complètement sans même avoir pris le temps de bien écouter ou comprendre son conseil. On dirait un enfant prétendant qu'il n'a besoin de personne. Et surtout, j'ai pas de leçon à recevoir de quelqu'un qui se permet de juger les gens sans connaître leur situation !

Ben tiens, c'est sûrement comme ça que tu amélioreras son regard sur ton contenu... Ca devient presque personnel, alors que tu ne la connaissais pas il y a encore dix minutes. C'est fou à quelle vitesse quelqu'un peut vous ruiner la journée.

- J'ai l'impression qu'à ton époque, c'était courant de jeter des tomates sur les gens innocents qui ne font que s'amuser. Je me trompe ?

Avec cette question, tu en profites pour te redresser, fièrement, pour lui tenir tête. Oui, c'est sûrement ça, tu te dis. Tu es persuadé.e d'avoir déduit quelque chose d'impressionnant, comme dans ces séries d'enquêtes criminelles qui te retournent le cerveau à chaque fois. Toi aussi, tu sais dire des trucs sensés, parfois.

Celle-là, tu as hâte de la raconter à tes colocataires une fois rentré.e ! Comment on a osé se moquer de l'artiste, celui qui fait vivre la toile et vibrer les cœurs, comment on a essayé de lae descendre-

"J'ai vingt-neuf ans. Totaux, réels."

Non. Absolument pas. Personne ne doit jamais être mis au courant de cette humiliation. Comme si le coup était à deux doigts d'être fatal, tu fais un brusque mouvement de recul, tes chaussures crissant sur le sol. L'ennemi, il est coriace. L'ennemi, il refuse de te voir gagner. Tu ne bats pas en retraite si facilement, mais il faudrait commencer à admettre que tu fatigues. Tu ne peux pas lutter contre quelqu'un d'aussi bien enraciné dans ses convictions. Et puis, vingt-neuf ans post-mortem quoi.

Tu lèves les bras devant toi en signe de défaite.

- C'est bon, t'as gagné... J'ai plus rien pour me défendre. Ou te convaincre. C'est pas moi la personne bornée ici.

Tu retiens un soupir, le même que pousserait un enfant dont la mère vient de dire non pour la vingtième fois à un jeu vidéo dans un supermarché. C'est trop injuste, comme situation. Tu n'avais pas toutes les chances de ton côté, et tu as quand même lamentablement perdu. C'est un échec du début à la fin.

- J'avoue que j'ai du mal à y croire, tu parles comme les fantômes super vieux qui me chassent des musées et des temples parce que je parle trop fort, soi-disant... Vie difficile, hein ? Un décès récent, peut-être ?

On dirait que t'as pas appris ta leçon.

Mais il faut admettre, dans le chaos complet de cette conversation, que tu aimes bien faire ton parasite - même si tu ressembles plus à cette mouche incapable de trouver la sortie, qui continue encore et encore de se cogner contre le carreau de la fenêtre. Tu ne sais pas calmer le jeu. Tu n'as jamais essayé.

- On peut dire que c'est une égalité ? Ca fait du mal à l'ego, de se faire battre par quelqu'un tout fraichement arrivé.

Voilà, enfin un peu d'honnêteté.

Est-ce le moment idéal pour t'enfuir ? Là, tout de suite, est-ce que tu pourrais juste te retourner et courir le plus vite possible ? Techniquement, tu pourrais - tu n'es pas à bout de tes forces, et ce n'est pas l'adrénaline qui manque chez toi. Mais imagine si elle se met à te poursuivre ? Une vision digne de tes pires cauchemars. Il faut tout de même tenter. A chaque nouvelle pique qu'elle te lance, tu recules d'un pas, comme si tu te retrouvais face à un prédateur - un loup, ça lui irait bien.

Donc, tu es face à ce loup, et comment font les gens, pour éviter de se faire manger ? Est-ce plus sage de fuir ou d'essayer de l'amadouer ? Car il est absolument hors de question d'abandonner. Le mot ne fait même pas partie de ton vocabulaire.

Tu te souviens alors de ces vidéos que tu vois parfois sur le net. Celles où un panda roux essaie de paraître plus grand quand il se sent en danger, pour faire fuir l'ennemi. C'est un peu bizarre de penser aux pandas roux dans ce genre de moment, mais on peut pas dire que c'est surprenant de ta part. Si cette mystérieuse jeune fille est un loup, le panda roux te correspond bien. Le combat est peut-être inéquitable, mais tu te feras aussi grand que possible pour montrer que tu n'as pas peur. Et tout le monde trouvera ça mignon, comme dans les vidéos.

- Peut-être ! Mais moi, au moins, je projette pas mes propres insécurités sur les autres !

En n'y accordant que quelques secondes, tu peux citer au moins cinq moments vécus depuis ton arrivée à Tokyo qui prouvent le contraire. Le mensonge, c'est mal. Mais c'est toujours mieux que cette injustice qu'on te fait subir en cet instant. On se défend comme on peut, et il se trouve que ta seule défense, c'est que tu es terriblement borné.e.

- Par exemple, avec ma fidèle amie, tu hausses le ton en brandissant ton téléphone, ton seul allié, j'aurais pu filmer notre conversation depuis le tout début ! Montrer aux gens ton véritable visage, ha ! Mais je ne suis pas comme ces influenceurs qui filment la moindre interaction qu'ils ont pour créer du drama et rallier toute la toile à leur cause. Je suis un adulte. Estime t'en heureuse !

Une arme redoutable qu'est la technologie. C'est sûr que ta cinquantaine d'abonnés te serait d'une grande aide. Mais tu n'es là que pour partager de la positivité; alors pourquoi, excusez le langage, est-ce qu'on vient te faire chier ?

Tu n'as jamais regretté tes mots aussi rapidement.

Et c'est compliqué, parce qu'avec ta petite tête, tu parles d'abord et tu réfléchis après, persuadée de faire l'inverse. Combien de fois dans ta vie est-ce que tu as sorti une défense à toute vitesse, comme si ça allait te sauver, avant de te rendre compte que tu venais de dire quelque chose d'extrêmement blessant ? Avant de voir dans les yeux de l'autre ton reflet, celui d'une personne aux mots assassins; cette personne que tu as peur de devenir, qui est en fait bien plus mauvaise qu'elle n'est bienveillante. Ca t'a gardé éveillé.e certaines nuits. Ce soir, pour sûr, tu seras repartie pour un tour.

Ses mots à elles ne ramènent pas de très bons souvenirs non plus, mais tu l'as cherché. Il faut l'admettre maintenant. Toi qui te vantait d'être un.e adulte. C'est le moment de ravaler ta fierté (et surtout les quelques larmes qui viennent saler le coin de tes yeux) et de le prouver. La petite voix dans ta tête et celle avec laquelle tu te retrouves à te disputer se ressemblent de plus en plus; aucune ne t'apporte du soutien. Et ta caméra, elle est muette. Tu es seul, sur ce coup-là. Bien, bien seul.

- Ouah, t'emporte pas, je le pensais pas comme ça...., c'est ta tentative désespérée de te rattraper. Ses chances de réussite sont d'environ 0.1%, parce que la jeune louve t'assomme de reproches et autres critiques. Malgré son air féroce, elle n'a pas l'air d'être une chimère - tu connais les chimères, elle aurait déjà utilisé son cri pour se débarrasser de toi. Dieu merci, tu es épargné de ça, au moins. En attendant, tu dois rester là, à subir.

C'est trop, vraiment. Tu pourrais t'énerver comme elle le fait, tu ne serais pas totalement en tort, mais malgré l'intensité de tes émotions, tu n'y arrives pas. Tu n'y arrives pas parce que vous auriez pu avoir une discussion normale, parce qu'il s'agissait d'une jeune fille curieuse, et ton cœur se serre à l'idée que tu aies osé l'attaquer sur le sujet des insécurités. Vraiment, tu es une ordure.

- Je... je suis désolé, d'accord ? tu vois, ça ne t'arrache pas la bouche de le dire. Tu tiens quand même tes mains devant toi comme moyen de défense, parce qu'à ce stade, tu ne sais pas de quoi elle est capable. Je m'emporte quand on s'attaque à mes passions, je voulais pas te faire du mal...

C'est bien beau, mais tu doutes que ça soit suffisant. C'est une première étape, mais quelle est la deuxième ? Tu le saurais si tu avais l'habitude de reconnaître tes torts. Ce qui se passe, là, c'est une première depuis... vraiment très longtemps. Ca ferait des vues, ça. "Foulques reconnaît qu'iel dit n'importe quoi et s'excuse", du jamais vu.

- Est-ce que... je peux me faire pardonner, d'une quelconque façon ? Je suis pas doué pour rendre service, mais je veux réparer mon erreur. Je peux te payer un café ? Si tu aimes ça ?

Tu pries pour que ça passe.

Ca t'arrive de faire des rencontres bizarres - tu es Foulques, après tout - mais celle-là, tu y repenseras pendant quelques temps, de sûr. Tu te rejoueras la scène dans ta tête, oscillant entre le "Mais qu'est-ce qui m'a pris ?" et le "Mais pourquoi elle était comme ça ?" parce que la situation est juste... si étrange. Clairement, vous aviez besoin de repos, tous les deux. Pas de ce que vous avez fait à la place. Grosse erreur de jugement. Et, venant de toi, preuve d'une certaine immaturité. Toi qui pensait avoir vécu tellement de choses déjà, être immunisé.e de par ton expérience... Parfois, une jeune fille aux mots tranchants peut briser toute une illusion.

N'empêche que tu es enfin satisfait quand elle s'excuse à son tour. C'est une fin concluante. T'aurais pas dormi de la nuit si elle n'avait pas prononcé ces simples mots. Tu supportes pas que les gens se permettent de cracher leur venin simplement parce que ça leur prend. T'as l'impression, un peu vaniteuse peut-être, de lui avoir appris une leçon à elle aussi.

- Ah, euh... Oui, c'est sûrement plus sage, tu acquiesces, un peu dérouté.e par son refus catégorique. Mais c'est logique, en fait. A quoi ressemblerait une fin d'après-midi dans un café après une telle interaction ? Tout ce qu'il te faut, maintenant, c'est des chips devant la télé, vraiment. T'as assez couru après les gens et leur approbation pour la journée. T'auras plus de chance demain.

- Restons en là... Reste plus qu'à se dire au revoir, tu choisis tes mots délicatement, comme tu ne le fais jamais. En vrai, tu t'en voudrais d'avoir suffisamment blessé cette petite louve - car c'est comme ça que tu la vois, à présent - pour que ça aie des répercussions sur elle, sur sa confiance en elle. Est donc enfin venue la journée où tu partages plus d'ondes négatives que l'inverse - et que tu t'en rendes compte, surtout. C'est pas agréable, du tout même, mais une mince partie de toi t'assure que c'est nécessaire, dans la vie, d'avoir ces moments-là. Un soupir. Tu ajustes ta bandoulière, un peu hésitant sur ta façon de finir la conversation.

- Bon... j'espère que tu passeras une bonne soirée malgré tout. Et à une prochaine fois, dans une autre vie, peut-être.

C'est plus fort que toi, tu tiens à rester optimiste jusqu'au bout. D'accord, cette fois ci, ça n'a pas marché. Mais peut-être que la prochaine fois que vos chemins se croiseront, tout sera différent. Peut-être même que tu auras tout oublié de ce jour.

C'est en te disant ça que tu fais demi-tour. Direction maison.