L'abeille et la bête - [LEMON] [Céleste & Olympe]

Haha, elle s'inquiétait. C'était admis, j'aurais pu la titiller sur ça pendant des heures dans d'autres circonstances, lui voler des petits mots d'amour, mais j'ai pas l'énergie. C'est vrai qu'on a pas passé le même temps dans le monde des morts, elle a peut-être des réflexes qui restent de son vivant.

"Quoi, t'as peur que je meure de fatigue?"

Je ricane doucement, ferme les yeux, accepte qu'elle m'enserre. Elle dit que je vais bien, j'ai envie de m'en convaincre, je me le dis tous les jours, mais est-ce seulement vrai? Je parle pas beaucoup de mon travail, j'ai pas du le lui dire, mais je sens que ça tire. Je suis surchargée, engagée auprès trop de gens, usée par trop de responsabilités. Ouais, je vais bien, t'en fais pas. Tant qu'elle est là, j'essaie d'y croire, faudrait pas qu'elle s'inquiète. Je l'embrasse sur le front. Tout va bien.

Pour le reste, je sais pas trop comment amener le sujet, mais quitte à mettre les pieds dans le plat, j'aime autant sauter.

"Bah, je me demandais si t'étais pas déçue, qu'on fasse que dormir..." Ouais, voilà, donner que le résumé ça va me mener loin. J'ouvre les yeux, élabore. "Je me disais ça dans l'ascenseur, que refuser d'aller à ta coloc, m'amener jusqu'ici après des jours d'absences, tout ça tout ça. 'Fin je me demandais si t'espérais pas quelque chose de plus, et que t'es pas déçue de la soirée à cause de moi."

C'est pas franchement mieux, et j'ai toujours peur de nommer les choses, mais c'est profondément ancré dans ma nature. Je pourrais jamais en changer, c'est gravé dans la pierre. J'ai peur de pas lui fournir une complicité dont elle a besoin, de pas répondre à ses désirs quand ils viennent, de ne pas être assez. Je m'inquiète trop, hein? Elle va me le dire, je suis sûre, je peux pas m'en empêcher...

Je pouffe un peu en me rappelant qu'une fois, j'ai vraiment été ensevelie par des parchemins jaunis. Bon, le papier a ça de bien que c'est pas lourd, j'ai pu m'extirper toute seule sans accroc, mais c'était au moins arrivé.

Et c'est à peine si elle me dit que je suis ridicule, mais au fond, j'accepte. Oui, voilà, je suis horriblement maladroite avec mes mots et l'expression de mes sentiments, c'était difficilement un secret, pour les autres comme pour moi.

Elle se fait patiente pour moi, tente de me comprendre. J'apprécie le geste. Je commence à bailler, j'espère que ce sera contagieux, tiens. Mais bon, j'ai pas fini de me justifier, hein.

"Écoute, je voulais juste pas que tu croies que j'ai pas envie de le faire avec toi, voilà. Je t'aime."

Parce qu'en vérité, je ne suis qu'une petite chose. Un animal bien en chair, avec ses instincts et ses faims indiscibles. Ce besoin de sentir sa peau, le désir brûlant de la chérir, de briser ses frontières. M'offrir et lui offrir. Tout un tango que je fantasme depuis un bail, que j'attends avec impatience mais dont je n'ai jamais le temps de lancer la musique. Surtout pas dans une colocation bruyante où la vie privée est une blague macabre.

Je la serre contre moi, cale ma joue contre la sienne pour ne jamais l'abandonner à nouveau. J'essaie d'entendre son coeur battre, ses veines suivre, sa respiration rejoindre la mienne.

"J'ai juste peur de te décevoir, tout le temps, je tiens trop à toi pour te perdre."

Mais bon, elle est pas la seule dans ce cas, je me met à penser cyniquement. Alors ferme les yeux, pense à elle et rien d'autre, jusqu'à ce que les songes sombres fuient sa radiance dorée.

Je sais pas trop si ça me réveille, ou me tient éveillée, mais dans tous les cas je compte pas pour tout l'or du monde sortir de la couette. Le bâtiment pourrait prendre feu, j'attendrais qu'on vienne me sauver directement dans le lit.

J'avoue que je ris quand elle me reproche de donner des signaux et leurs contraires. Ma pauvre, si j'en envoie autant, c'est que je suis tout aussi perdue. J'imagine bien que de son côté de la barrière, c'est pas agréable de se tenir entre des flots informations contradictoires, mais j'en mène pas plus large.

"Tu sais, c'est pas plus simple à gérer pour moi, hein. J'ai envie de tout à la fois. Dormir, te câjoler, te déshabiller tendrement... Sauf que dormir, c'est plus poignant."

Mais voilà, on a des besoins et des envies, et le repos est un besoin, aussi capricieux à venir soit-il. J'imagine que me sentir collée contre elle va pas aider non plus, tant pis, je raffole de son contact. De savoir qu'elle est juste là, avec moi, à me ressentir aussi.

En fait, plus j'y songe, plus je réalise qu'il est temps de prendre une décision. Plutôt, d'enfin faire un pas pour avancer. Elle a peur de me brusquer, d'aller trop vite, je crois. Allez, j'inspire, j'ose:

"Si tu veux, on peut réserver la même chambre pour demain soir."

Je commence à faire courir mes doigts dans son dos, parcours les reliefs de sa peau, cherche de la tendresse. À moi de lui filer de beaux rêves, tiens. Elle voulait des messages clairs et précis, en voilà un. Je peux quand même difficilement être plus directe et franche.

Mais c'est qu'elle se moque, en plus! Non, franchement, elle a le droit et bien raison, je suis toujours un peu "coincée", j'imagine. Ou quelque mot qu'elle trouvera à la place de plus pertinent. Mais de là à ce qu'elle propose de m'aider, et on sait toutes les deux pour quoi, je grimace de malice.

"Je sais me débrouiller toute seule, merci bien."

Je me détache enfin, roule un peu dans le matelas, tire un fier pan de la couette vers moi, elle le mérite pas. C'est vraiment juste pour l'embêter, ça lui apprendra à se moquer des grandes personnes, la jeune. J'aggrippe le drap avec une force telle qu'il lui faudra du courage pour le récupérer. Ou demander poliment, mais on a déjà établi que c'est pas dans ses cordes.

Au moins elle a raison sur un point, c'est que la chambre est calme. Très certainement insonorisée aussi, ça change de celles de l'agence. Et y'a pas l'impression permanente que quelqu'un est dans les parages, aux aguets, à surveiller.

"Et pas de commentaire, ou je risquerai d'avoir à le prouver."

Oh, j'ai le désir brûlant de le prouver, même, de la faire baisser d'un ton. Quoi qu'en retrospective, elle sera sûrement pas gênée une seconde ni impressionnée par mon audace factice. Mais bon, tout n'est qu'un jeu, bien qu'elle n'ait pas l'air de tellement en comprendre les règles. Au moins je m'amuse.