L'abeille et la bête - [LEMON] [Céleste & Olympe]

J'avance, un pas après l'autre, plus je marche plus je sors de mon brouillard mental. Chaque geste permet le suivant, je pourrais sûrement tenir sur mes propres non-jambes, au moins le temps qu'il faudra. Mais dès qu'on ferme la porte, elle va me traîner jusqu'à la douche que ça lui plaise ou non, je refuse de faire des efforts. J'ai assez donné, là.

Je la sens revenir avec sa petite pointe de reproche, son besoin d'attention, de compliments. Je sais ce qu'elle veut, le sens, je lui susurre comme un secret:

"Je t'oublierai plus, mon amour, voilà, c'est promis."

Elle devra quand même s'y faire que si je perds mon téléphone, ma capacité à lui communiquer ne dépend plus tant de moi. Mais bon, c'est pas le moment de chipoter, je crois. Ça casserait quelque chose dans le moment, j'ai pas envie. Un autre truc que je pense à évoquer en passant, c'est qu'elle devra probablement régler les frais de l'hôtel parce que je suis à sec. C'est pas le bon moment non plus? Allez, je me tais.

Je me laisse mener, prie pour que l'établissement ait un ascenseur, m'écrase contre le mur de ce dernier en y montant. Je suis juste là, à bout de souffle, délirant entre éveil et promesses de rêves enchantés aux bras de Morphée.

"J'avoue que j'avais pensé à un truc beaucoup plus romantique, pour notre première nuit ensemble. 'Fin romantique c'est peut-être pas le mot."

Peut-être qu'avec cinq cafés, à la limite, ça peut passer. Quoique j'aurais pas la force de les avaler, je crois que c'est une impasse.

Je crois qu'elle me titille, je ne sais plus si elle m'en veut vraiment ou si j'ai calmé la colère du dragon. Du petit dragon à antennes qui sait pas voler, plus j'y pense plus elle est choupie. Je lui caresse la joue rapidement, en pouffant. C'est la fatigue, c'est la fatigue...

Puis bon, forcée d'admettre que le chemin retour m'enchante encore moins qu'aller jusqu'au bout, c'est juste une question de distance. Je commence à y mettre un peu de mauvaise volonté, quand même, parce qu'elle m'a traité de blob. Je sais pas, c'est insultant, non?

"Le blob peut toujours s'effondrer dans le couloir volontairement, par flemme, et ce sera ta responsabilité de le traîner jusqu'à un lit."

Enfin, la menace se perd quand on rentre dans la chambre, mais l'insulte me reste sur la conscience. Bon, c'est pas si grave. Et quand je m'affale à moitié sur le lit le temps de retrouver la motivation de prendre une douche, je laisse glisser, pensivement.

"Je peux pas promettre que ça aille plus loin, mais..." Ah, j'ai la gorge qui coince. Non mais j'aurais du le voir venir, à trop faire des petites blagounettes jusqu'au moment fatidique, je dois avoir l'air vachement bête, là. J'avale ma salive, je la cherche du regard, je roucoule enfin: "Si tu veux m'aider à me déshabiller, qui suis-je pour refuser."

Je commence à me demander si elle ne savait ce qu'elle faisait, en fait, en me traînant jusqu'ici. Mais au fond, ça me va, ça me va parfaitement, je suis le mouvement. Je vais pas me plaindre.

Pendant un instant, j'ai pu croire qu'elle serait tendre et douce, et celui d'après, je suis seule dans une salle de bain trop éclairée pour mon propre bien. Je met quelques secondes à réaliser ce qu'il a pu se passer, à voir entre le brouillard de fatigue et d'appréhension.

Super.

Comme quoi, j'aurais tenté de faire avancer d'un cran notre relation, voilà où ça me mène. Décidément, je dois pas être monstrueusement douée, faudra que je commence à suivre des tutoriels. Je croyais que c'était une étape, tout ça tout ça, de se voir nues pour la première fois. Au moins, j'arrive à me débrouiller pour m'enfuir de mes vêtements, me laver enfin. J'en viens quand même à hésiter de juste m'asseoir et dormir dans la douche, juste pour la contrarier. Mais c'est pas dans ma nature, je sors des sanitaires pas plus habillée qu'auparavant, affronte son regard un instant pour me glisser sous les draps. À l'abri, dans un sens.

Et quel bonheur. Quel pur bonheur, que de sentir le matelas, la couette si soyeuse, un oreiller si accueuillant. J'en avais presque oublié la grandeur, l'exquis confort d'un lit véritable. Je sais pas tellement si j'aime le plus la petite abeille à mes côtés ou le lit en lui-même dans l'instant, le dernier m'a quand même été beaucoup plus serviable. Mais bon, c'est pas lui que j'aime, je me retourne vers Céleste, un peu muette. C'est embarassant, malgré tout, comme situation.

"Bonne nuit, chaton."

Bon, je commence avec les surnoms, elle devra s'y faire. Et je commence à bien, bien m'endormir aussi, il lui faudra du courage pour me réveiller demain, je m'en vais pour végéter de longues heures.

Je la sens venir à mes côtés, se blottir contre moi, sa chaleur se mêler à la mienne, je l'enlance en fermant les yeux. Et j'aurais cru que le sommeil viendrait, comme ça, pouf et à demain. Mais non. Je reste décidément éveillée, incapable d'enfin sombrer et me reposer, mais toujours pliée d'épuisement. Une situation très pesante, mais si commune aussi.

C'est pas bizarre? Que moi je sois nue sous les draps, mais pas elle? Le pire, c'est que je sais que je me pose des questions inutiles, je le fais toujours avant de dormir, mais je peux juste pas m'en empêcher. Je me demande si c'est comme ça pour les autres couples, comment font même de manière générale les autres. Est-ce que c'est important de les copier, en vérité? Je me dis qu'on peut écrire notre propre histoire, nos propres règles, tant que c'est nous deux...

Et elle attend pas que je fasse un premier pas, si? Pas ce soir, j'espère. Mais elle m'a quand même invitée dans un love hotel, alors que j'avais proposé de dormir chez elle. Merde, je dois tellement la décevoir, je crois que je vais tout faire foirer à une vitesse monumentale. Je veux pas qu'elle m'en veuille, je veux pas qu'elle soit frustrée, je veux juste être avec elle...

Puis, j'ai pas fini d'archiver les bouquins que j'avais sortis.

À trop ruminer et réfléchir, je me détache sans vraiment m'en rendre compte d'elle, je fixe le plafond les yeux grands ouverts, les mains croisées sur le coeur. Et puis, j'ai laissé totues mes fringues dans la salle de bain sur le sol je crois, c'est pas forcément grave mais ça me travaille aussi.

Je l'entend respirer, exister à mes côtés, me rappelle de sa présence. Je dois dire quelque chose, n'importe quoi.

"Dis, t'as pas pris de douche. 'Fin je veux pas dire que tu sens ou quoi, hein. Autant en profiter, tant qu'on paie pour, c'est pas les mêmes que l'agence."

J'ai paniqué, d'accord?

Ok, ça a pas marché. Elle se retourne, s'inquiète légèrement, je prends quand même pas le temps de noter qu'elle est adorable quand elle se fait du souci. Elle me demande ce qui me perturbe, m'agite, me retient de dormir. Mais je ne sais même quoi répondre, si je dois commencer depuis le début, par le plus important, donner une importance ou non à tout ce qui me passe par l'esprit. Et trop de choses circulent.

Je laisse le silence peser quelques instants, longs instants, je me tourne à mon tour vers elle, redécouvre son visage et ses traits. Toujours si beaux, et désirables. Je me sens en sécurité avec elle, chez moi.

"Je sais pas, je pense à plein de choses."

Elle a demandé, maintenant elle sait. Je crois pas que ça l'aide beaucoup, je vais quand même tenter d'aiguiller. Déjà, ce qui me dérange le plus, ce que j'ai besoin de savoir.

"Tu m'en veux beaucoup? D'être restée dans les archives sans te donner de nouvelles?"

Je reviendrai même pas sur le fait que j'ai voulu, ou tenté: c'est pas important. J'ai besoin qu'elle me rassure, ou alors me dise la vérité telle qu'elle est. Je veux être choyée ou maudite, mais surtout je veux savoir ce qu'elle pense vraiment. Ça me ronge, de savoir qu'elle pourrait garder du ressentiment en secret, taire des reproches qu'elle aurait à me faire. Ce n'est juste pas ce que je veux pour nous deux, pour notra stabilité.