Here comes trouble | Anathema & Hisa

Ses yeux s’ouvraient paresseusement sur l’écran de son salon encore allumé, projetant brutalement une dizaine de couleurs dans sa rétine endormie.
Milieu de l’après-midi, le soleil brillait à travers la fenêtre, et Hisa était avachi sur son canapé, ce qu’il ne faisait habituellement jamais encore moins en journée.

Ces derniers temps il ne se reconnaissait plus, la fatigue avait pris le dessus de la tristesse et de la colère, comme une solution apaisante qui lui laissait malgré tout une déception lancinante. Il n’avait jamais compté les heures de travail, s’était toujours appliqué à rester irréprochable, c’était une première que de se laisser aller.
Il n'avait pas encore digéré cette dispute, tout se mélangeait encore dans sa tête, hanté par la voix de Joshua et ces morceaux de vérité.

Ses pieds atteignèrent le sol pour enfiler ses chaussons qu’il n’avait jamais autant porté, sa sonnette venait de retentir dans tout l’appartement pourtant il n’attendait personne.
Peut-être avait-il commandé à manger puis oublié aussitôt ?
Peut-être ses voisin.e.s avaient-iels une requête pour déranger son envie de ne rien faire ?

A petit pas, le blond traversa la pièce, enjamba ses vêtements sales de la veille, pour atteindre la porte et regarder à travers son judas.
Sans préciser qu’il dû se tenir sur la pointe des pieds pour y voir quelque chose, Hisa reconnut immédiatement la tignasse blanche qui l’attendait dans le couloir.

Il fronça les sourcils d’incompréhension puis se décida à tourner la poignée pour accueillir nul autre qu’Anathema, sans trop en dévoiler sur l’état de son appartement, bloquant le battant de son pied.
Il avait peur de sa réaction face à autant de désordre et surtout de son inquiétude en réalisant que le nécromancien avait abandonné pour la première fois ses penchants maniaques.

Se forçant à ouvrir les yeux grands et correctement, Hisa tenta un ton naturel et presque pas fatigué pour saluer son ex-mari.

“ Qu’est-ce que tu fais là ? “

Amours désabusées¹, les sentiments déformés par le temps et la négligence. "Un couple, faut l'entretenir tous les jours", comme l'a dit un con. Mensonge éhonté. Un couple n'est pas une corvée² ; mais même lorsque l'attention est donnée, les choses peuvent déraper. Un accident, une chose hors de contrôle. Peut-être la goutte de trop, car après, d'un cri de colère, un C'est fini !, que l'on regrette amèrement plus tard. Mais la vie est truffée de regrets et il faut avancer. Ce qu'ils ont fait.³

Une matinée à courir dans tous les sens, une boule au ventre. Rancœurs amères ? Pas vraiment. Nécessité oblige, Anathema est à la recherche d'un ancien bien-aimé. Relation cordiale, c'est ce qui était le plus utile pour ces deux-là.⁴
Recherche futile ; M. Aikawa n'était tout simplement pas là. Cette information, à bien des égards, était étrange. Hisa ne ratait jamais un jour de travail ! Bien trop consciencieux, le vieil amour se voulait parfait. Toujours présent, bien soigné, dossiers rangés et classés. Son bureau était en bazar. Un sourcil relevé, d'étonnement. Mais bon, Anathema n'était pas un expert ; certainement pas fin limier et probablement pas psychologue. Pourtant, il savait certaines choses. Ça ? Ce n'était pas normal.
Alors, il n'y avait qu'un lieu où se rendre. Seul endroit encore acceptable, car ailleurs, c'était peu probable.

-- "Qu'est-ce que tu fais là ?"

Question peu innocente.

Certain.e.s diraient qu'il n'y avait plus d'amour entre eux, peut-être personne extérieure qui refuse de voir la vérité. Plus d'amour. Mensonge cruel. Il y avait de l'amour. Anathema avait de l'amour. Il était capable d'en éprouver, d'en donner. Peut-être qu'il y a quelques années, il aurait dû le montrer plus clairement ? Mais aujourd'hui, c'était inutile, car il n'y avait plus de romance.⁵ Et c'était différent. Mais il y avait toujours de l'amour.

Parce qu'Anathema en avait tant à donner, mais qu’il ne savait pas comment.

— "Tu n'étais pas à ton bureau, alors je suis venu ici."

À ignorer le vrai sens de la question. Il faisait semblant de ne pas comprendre réellement. Peut-être avait-il été aveuglé par les mensonges, par les "Tout va bien" et les "Je suis juste un peu fatigué". Il s'en veut, tu sais ? Il fait de son mieux, et c'est pas toujours suffisant. Mais pour le moment, c'est tout ce qu'il peut donner.

— "Laisse-moi entrer, j'ai besoin que tu m'aides à remplir ces fichus papiers."

Et pour appuyer ses dires, le poltergeist sort un tas de feuilles administratives. Si au départ, véritable raison, maintenant n’est que vulgaires prétexte pour rentrer, pour le voir, lui. Pour se rassurer soi-même. Parce qu'Anathema a peur. Peur de perdre quelqu'un qui a compté dans sa vie. Malgré les désaccords, malgré les disputes, malgré les larmes. Malgré une conversation à trois heures du matin, parce qu'aucun ne parvenait à dormir, et parce qu'il fallait en finir, pour de bon, dans le calme, après les cris³. Parce que c'était mieux ainsi.
Mais Anathema n'a jamais su renoncer ; peut-être qu'Hisa non plus, au fond. Qu'est-ce qu'il en sait ? Enfin, toi. Toi tu le sais très bien.

-- "Tu vas pas laisser ton ex-mari dehors ?", morsure de lèvre, incertitude, "N'est-ce pas ?"

Le doute est raisonnable.⁷

Ce visage qu’il ne connaissait que trop bien, ce sourire gravé dans la rétine. Hisa pourrait en soustraire des heures d’anecdotes mais ses pensées étaient trop brouillées pour réfléchir à autre chose qu'au désordre qu’il devait cacher.
Son état qu’il voulait garder secret, car être vulnérable n’était pas dans ses habitudes, même avec ses ami.e.s les plus proches.

Était-il proche d'Anathema ?
Fut un temps ils partageaient un lit, connaissaient les préférences alimentaires de l’un et de l’autre par coeur, pouvaient passer des heures dans le silence confortable des pages que tournait Hisa de ses livres préférés alors qu’Ana jouait à la console, prenant soin de ne pas en activer le son pour faire plaisir au blond.
A présent toutes ces habitudes avaient été effacées pour faire place à de nouvelles, des coups de main par ci, des cafés par là, perdant de leur intimité d’antan mais avec toujours cette aise dans leurs gestes et cette fluidité dans leurs paroles.

Alors oui, le poltergeist comptait beaucoup pour lui, il avait rythmé une longue partie de sa mort du mieux qu’il l’avait pu, et le temps le lui avait fait réaliser. Aucune rancune n’avait été gardée, peut-être de légères reproches qui devaient être partagées car Hisa n’avait jamais été facile à vivre.

Son perfectionnisme ne le rendait pas plus agréable, bien au contraire. Couvert par la porte en grand bouclier, il réfléchissait à toute vitesse à un moyen de gagner du temps.
Il pourrait peut-être expliquer le grand désordre dans son appartement par un cambriolage ?
Mais comment justifier qu’aucune de ses chères toiles n’aient été volées ?

Ou alors était-ce le chat qui avait retourné le salon ?
Non, il n’aurait pas laissé des restes de dîner sur la table basse, ça ne faisait aucun sens.

D’une oreille il entendit qu’Anathema était déjà passé par son bureau et se mordit l’intérieur de la joue. Les dossiers avaient dû s'accumuler et il n’osait imaginer l’état des lieux.

Son regard se fixa sur son interlocuteur, sur sa mine incertaine, sur la paperasse hantant probablement ses nuits (Hisa la connaissait bien, son métier en était malheureusement rempli).
Comment pouvait-il refuser alors qu’il avait toujours accepté de l’aider ? Ce serait louche, ce serait le laisser se débrouiller seul face à la confusion administrative, et Hisa possédait malgré tout un cœur.

“ Attends 2 minutes, il faut juste que… Je viens de sortir de la douche donc je dois juste m’habiller. “

Son sweatshirt pourtant visible, il fit mine de ne pas être présentable ne pouvant s’expliquer plus longuement.
Anathema comprendrait, il ne poserait pas de questions, de toute manière Hisa ne lui en laissa pas le temps et claqua la porte en s’exclamant.

“Je reviens dans 5 minutes !”, étendant furtivement son temps d’absence.

Il fallait faire vite, il fallait courir tout en shootant son linge sale sous le canapé, attraper les restes de repas pour les jeter dans l’évier, enrouler les plaids sans prendre le temps de les plier. Il n’aurait pas le temps de nettoyer toute la pièce mais il pouvait au moins la rendre vivable.
Le conseiller s’aspergea de parfum tout en enfilant un pantalon droit, et ses cheveux ne voulant pas coopérer, fixa sa tignasse blonde d’une pince.

Les 5 minutes étaient largement passées quand il fila jusqu’à la porte, ouvrant grand ses rideaux au passage, et aperçu une nouvelle fois Anathema à travers son cadran.

Essoufflé, définitivement pas à son aise, Hisa essaya d’articuler le plus sereinement possible : “Entre, fais comme chez toi”.

Alors Anathema fut finalement accueilli, étant en prime rejoint par le chat de son hôte heureux de le revoir et miaulant à ses pieds.

Les voix sont toujours cruelles dans le crâne d'Hisa. Son doute, sa peur, sa honte, toute son ombre se bat alors qu'il essaie de placer un pas après l'autre. Il n'aurait même pas remarqué le chat s'il ne l'avait pas frôlé de son long.

Son désordre lui faisait honte, malgré qu'Anathema n'en ferait pas la remarque, par politesse peut-être, il n'aimait tout de même pas ça. Se montrer vulnérable, sortir de ses habitudes bien rangées, paraître feignant. Peurs idiotes qui devraient être le dernier de ses problèmes.

La tête ailleurs, le blond tire une chaise de la table du salon pour laisser son invité s'assoir. Il attend de le voir s'installer en silence pour se pencher au dessus de son épaule et inspecter la première page du dossier.
Son sweat assez large pour laisser la place à une deuxième personne se pose mollement contre le dos de Anathema. Doux comme la présence fugace de Hisa, en aucun cas imposant. Sa main vient triturer le papier et ses yeux parcours les lignes rapidement avant qu'il ne finisse par attraper sa paire de lunettes gisant sur un coin de la console.

" Pourquoi est-ce qu'on t'a demandé de remplir ça ? "

La question était posée mais le nécromancien était toujours penché sur le sujet, sourcils froncés et moue sérieuse, passant d'un regard vide à son état de bureaucrate confiant et aguerri.
Les habitudes reviennent au galop, ça faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas eu affaire à ce genre de paperasse mais il reconnaissait immédiatement toutes les annotations, tous les termes trompeurs.

Sa joue frôla l'oreille en pointe de son ex-mari alors qu'il essayait de se redresser. Il en soupira d'agacement, il n'avait jamais été fan de ce genre de modifications corporelles. Il les trouvait enfantine, sans grand intérêt, mais elles avaient fini par grandir en lui, celles-ci en particulier.
Parce que sur Ana c'était différent, c'était mignon, c'était spécial.
Ça représentait terriblement bien son excentrisme.
C'était la seule paire d'oreilles pointues qu'Hisa pouvait voir.
Les seules qu'il devait se retenir de triturer en cet instant,
par habitude, par envie,
par pure folie, oui.

" Avant qu'on s'y mette, tu veux boire quelque chose ? ", demanda-t-il, se dirigeant vers le comptoir.

Satanées oreilles, elles l'obligèrent à se réfugier derrière la porte du frigo, mais que l'air frais était bon contre son visage échauffé.

Le voir assit en bout de table comme s'il n'était jamais parti lui semblait si étrange.
Son calme n'est pas souvent perturbé, peu de personnes n'entre dans ses appartements mais Anathema avait tout de suite su s'intégrer d'un naturel désarmant.
La nostalgie devait jouer et embellir le tableau, mais Hisa en profita tout de même quelques secondes en remplissant ses deux verres d'eau.

" Régularisation de commerce...", répéta-t-il machinalement.

Son ton était quelque peu accusateur sans l'avoir voulu, son inconscient prenant plus de pouvoir sur sa parole. Le poltergeist n'était pas vraiment… et il ne savait pas comment le dire gentiment donc il lui en parlait factuellement : il n'était pas dans la légalité.
Ça ne l'intéressait pas, sûrement trop ennuyant et pas assez créatif à son goût, il préférait passer du temps à trouver des moyens rocambolesques de contourner la loi plutôt que de remplir des papiers administratifs pour rester sur le droit chemin.
C'était à ça que ses quelques entrevues avec son ex-mari lui servait, confus par cette douce amertume que lui posait cette pensée, il décida de la ranger sans y réfléchir d'avantage.

Le blond se rassit, posant les boissons sur la table et empoignant les documents par la suite.
Sa trousse personnelle était déjà disposée devant lui alors il en tira un stylo à encre mais s'arrêta pour relire les premières phrases du papier avant d'écrire quoi que ce soit.

Il fut vite ramené à la réalité, hors des longues phrases qu'il tentait de décoder et au delà de ses lunettes posées au bout de son nez, il dû relever la tête vers son invité pour finalement capter les mots qu'il venait de prononcer.

Panique, honte, et encore panique.
Il était passé au bureau, il l'avait cherché, son siège était vide.
Il avait du croiser ses collègues, ne pas avoir de réponses peut-être même avoir vu Joshua.
Est-ce qu'ils avaient parlé ? Ils étaient proche tous les deux, non ? Est-ce qu'il lui avait expliqué leur dernière conversation, leur dispute, l'attitude d'Hisa ?
Son insécurité était elle visible sur son visage à ce moment même ? Boire ne suffira pas à cacher ses doutes et lui faire gagner beaucoup de temps.

" Parce que je me sentais pas bien "

Mauvaise réponse. Aucun signe de fièvre, pas de nez qui coule, pas de teint pâle, il avait l'air en pleine forme.
Il fallait renchérir.

" J'ai bu une potion par accident… "

Il venait d'empirer la situation et il le savait. Jamais il ne se serait trompé, jamais un nécromancien qui fabrique ses propres potions n'en aurait bu sans le savoir.

" Je l'avais pas correctement fini, c'était sensé être une anti-stress mais bon ça m'a surtout donné mal au ventre "

Puis grand silence, car Hisa est un mauvais menteur et que s'il continu de s'enfoncer il finira bientôt par se rendre bien plus ridicule.

Ses yeux esquivent le fantôme, admirent le grain du papier entre ses doigts, rencontrent ceux du félin paraissant soudain rieurs presque moqueurs.
Il ne sut plus du tout où se mettre alors il tenta de changer de sujet sans croiser le regard perçant d'Anathema.
Car si c'était le cas, il savait que ce serait la fin.

" C'est.. C'est pour quelle entreprise ?.. Enfin lequel de tes commerces… Ce que tu fais en ce moment, c'est quoi ? "

Le manque d'honnêteté avait rendue la pièce très silencieuse, parfois rythmée des ronronnements du chat. Le chat sans nom qu'Anathema adorait affubler de titres; matelot, capitaine, amiral, chef, prince.
C'était charmant, ça faisait sourire le blond qui n'avait jamais été assez imaginatif pour le nommer.
En secret lorsque le poltergeist n'était pas là il aimait réutiliser ces surnoms idiots, et il était persuadé que le félin aussi s'en réjouissait sans pouvoir le montrer.

Dans le calme de cette scène banale, Hisa laisse son regard s'abandonner aux câlineries du bout de table. Entre deux cases à cocher, entre deux lignes, il observe Ana passer sa main sur la tête de l'animal tout en fulminant de devoir s'occuper de ces papiers.
Il sourit.

" Ta prochaine paye dépend de moi, alors. Je ferais en sorte de ne rien oublier. "

Ou alors il pourrait laisser un champ vide et le revoir le lendemain. Ils pourraient rediscuter, se rassoir ensemble à table, laisser le soleil descendre petit à petit et réchauffer leur peau. Hisa pourrait lui proposer de rester regarder un film, il pourrait même se forcer à sortir s'il lui demandait.

Mais c'était une mauvaise idée.

Il se sentirait mieux, sera heureux quelque temps, s'extasiera de la chaleur de son cœur, des papillons dans son ventre, et après ?

Après il retournera seul dans ses draps, hanté par le silence de son appartement. Toujours sans le courage de remettre de l'ordre autour de lui. Au fin fond du désordre dans sa tête, sombre, sans fin.

Ce moment était déjà bien assez, éphémère mais qu'est-ce qui ne l'était pas ?

" Tu peux aller regarder la télé en attendant si tu veux, j'ai la dernière saison de Toshi No Kimeras en dvd. ", propose-t-il pour détendre le fantôme.

Quelque peu collectionneur, Hisa aimait chérir ce qu'il aimait et cette série faisait partie de son top 5 personnel.
Il en avait donc naturellement acheté les exemplaires en physique et les laissait accompagner ses livres dans sa bibliothèque, entre quelques albums photos et un artbook de l'œuvre.

" J'aurais fini dans 10 minutes. "

C'était une invitation à le laisser faire un petit peu ce qu'il voulait chez lui, il en avait maintenant l'habitude.
Qu'il joue avec le chat, farfouille parmi les décorations sur les étagères, détaille ses chères œuvres d'art, feuillète l'un de ses romans, allume sa télévision comme offert, il le laisserait même trouver ses propres peintures qu'il n'aimait jamais montrer, toutes ces actions étaient établis dans son quotidien, même après tout ce temps.
Ou alors Anathema pouvait aussi rester et l'épier alors qu'il remplissait ses papiers, mais Hisa finirait probablement mal à l'aise, voir assez gêné. Ce serait pire que d'arborer ses tableaux.