La tragédie des petits pois - [Célestin & Esperanza Thallia]

Elle le regarde avec une moue lasse mais un peu amusée, pour lui faire comprendre que même alcoolique, il n'était pas le pire qu'elle aie vu. C'est qu'à circuler librement dans le monde du théâtre et de l'opéra, on rencontre des personnalités pour le moins particulières. Esperanza Thallia avait vu plus cruel qu'elle, plus intrusif, et même plus vain. C'était un monde qu'elle ne pouvait fuir tant elle y trouvait sa place, mais savait se tenir au dessus des plus horribles êtres.

Son rictus disparaît quand il annonce comme une évidence que tout un chacun trouve sa voie, éventuellement. Lui qui était plus jeune d'un bon siècle, il osait.

"Mh."

C'est la seule réponse qu'il aurait, peut-être inconscient de ce qu'il venait de dire. Comment pouvait-il savoir, aussi, qu'elle n'avait toujours pas trouvé sa raison d'être?

Mais l'on change de sujet, tant mieux, ce sera plus joyeux. Elle est intriguée pour sûr, son attention est captée par une information nouvelle. Il falalit reconnaître qu'elle l'imaginait bien père de famille, jovial et paisible qu'il était maintenant, mais ça restait une surprise tout de même. Un rebondissement dans le récit, si l'on veut, du genre qu'elle apprécie tout partculièrement.

"Tu sais que tu en as trop dit, amico mio, je veux tout savoir maintenant. Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là, Célestin?"

Et si elle veut entendre, la chanteuse n'est pas généralement faite pour raconter. Et puis, elle doit cultiver son mystère après tout, cette aura d'intrigue qui entoure ses apparitions. Elle répond de manière joueuse, de la défiance dans les yeux.

"Je t'ai retrouvé en usant de l'arme la plus puissante des dames, celle que les monsieurs ignorent. Écoute bien, c'est un secret durement gardé." Elle décroisait les jambes, faisait mine de s'approcher, portait la main à sa bouche pour n'être entendue que de lui. "L'intuition féminine."

Et sa silhouette de serpent revient s'adosser au siège, droite et satisfaite Elle est contente, la petite farceuse.

“Tu sais que tu en as trop dit, amico mio, je veux tout savoir maintenant. Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là, Célestin ?”
“Oh le gamin ?”

Il sourit largement, te montrant une photo qui trône sur le buffet. C’est un enfant blondinet, un peu enrobé mais visiblement content, avec un sourire timide qui se tient devant l’appareil photo. Il y en a bien une autre, il fait du sport, du baseball pour être précis.

“Il s’appelle Ernest. Il a sept ans. Je l’ai adopté y a cinq ans.”

Sa petite famille.

Il en avait une autre, mais il n’en parle que très peu, en vérité. Il a l’impression de les avoir abandonné en mourant comme un idiot de sa peste. Pire, il a peur de leur avoir refilé, et qu’une partie soit morte également par sa faute. Mais qu’est-ce qu’il en sait, il ne les a jamais revu. Ça le bouffe encore, dans le fond de sa poitrine.

“Dis-moi, comment tu as réussi à me retrouver ? Simple curiosité, je n’ai pas vraiment laissé d’adresse en partant.”
“Je t'ai retrouvé en usant de l'arme la plus puissante des dames, celle que les messieurs ignorent. Écoute bien, c'est un secret durement gardé.”

Il hausse les sourcils, franchement intrigué.

“L’intuition féminine.”
“AHAH !”

Un rire franc.
La répartie qu’il apprécie.

Il lève les deux mains en l’air, l’air de dire qu’il est vaincu et qu’il n’ira pas chercher plus loin. Ce qui est vrai, ceci dit. Il ne va pas insister, parce que qu’est-ce que ça changerait après tout ? D’une manière ou d’une autre, tu es là, à discuter autour de cette table.

“Je m’avoue vaincu.”

Il continue de siroter sa tasse de thé - sa gorge s’est décoincée soudainement, et la boisson passe bien mieux que quelques minutes auparavant.

“Tu m’as manqué, quand même… Et toi, tes projets ? Pas d’enfant à adopter sur le feu, j’imagine ?”

Elle le sent exprimer une joix sincère à parler de l'enfant, regarde les images qu'on lui présente avec un interêt feint, mais ne s'étonne pas de son entrain. Ça lui correspondait tout à fait, tout lui paraissait cohérent et logique, il faisait sûrement un père adoptif fantastique, cet adorable chanteur. Elle ne pouvait pas tant en juger de par ce qu'elle avait vu de Célestin auparavant, mais surtout de son implication nouvelle, sa vie avait prit une direction nouvelle.

"Il est à croquer, Célestin. Vous devez être adorables, ensemble."

Esperanza n'aimait que très peu les enfants. C'est un fait, ils sont un ensemble de contraintes qu'elle ne veut pas s'infliger, de responsabilités qui ne correspondent pas à sa bohême. Elle en venait à se demander si en adopter un ne serait pas la clé pour combler le vide en son coeur, mais ce serait si égoïste... Et puis, elle n'aimait pas les enfants.

Le faire rigoler l'avait surprise aussi, c'était peut-être la première fois qu'elle entendait son rire. De plus, les efforts qu'elle avait déployé pour le traquer et dénicher seraient tus. Parfait, elle n'aurait pas à avouer qu'elle avait remué ciel et terre juste par curiosité, pour voir ce qu'il devenait.

Si la lémure ne rit pas, elle s'amuse quand même de la question en retour du nécromancien. Il parvient même à lui arracher un début de rictus, malgré son inexpressivité naturelle. Les yeux ne mentent pas, de toute manière, une étincelle les hante.

"Un peu de sérieux, mon grand, tu me vois vraiment mère?" Elle avait bien sûr posé le bout des doigts sur sa poitrine et penché sensiblement la tête pour ajouter à la scène, comme par réflexe. Elle reprenait sa posture naturelle assez rapidement, sa tasse entre les mains. "Du reste, je vis toujours au jour le jour... C'est ainsi ça que viennent les grandes aventures, tu sais? J'ai failli devenir reine des morts, dormi dans un camion-poubelle, me suis faite mordre par une jeune vampire, le tout en moins d'une semaine. J'aime grandement vagabonder sans but, on s'extasie plus de la route sans regarder l'horizon. Si, je dois impérativement m'acheter une nouvelle flûte traversière, je suppose que c'est un projet."

Bien qu'elle ne semblait pas l'avoir relevé, elle retenait par dessus tout qu'elle lui avait manqué. Ça lui faisait quelque chose, quelque part dans l'abime de son âme. Comme un feu dans une nuit sombre, elle ne regrettait pas d'être venue. Beaucoup la fuyaient, mais très peu lui disaient qu'elle leur avait manqué un jour.

“Un peu de sérieux, mon grand, tu me vois vraiment mère ?”
“Une petite blague.”

Car il sait bien, Célestin, que certains et certaines n’ont pas cette envie. Louise ne l’avait pas vraiment, au début de leur vie commune, lorsqu’il était encore en vie. C’est venu sur le tard, et quand bien même ce ne serait jamais venu que rien n’aurait changé pour autant. Elle aurait néanmoins été la fautive, au yeux de la société - à son époque, et encore maintenant, les femmes sont toujours coupables lorsqu’elles ne souhaitent pas d’enfant.

“Du reste, je vis toujours au jour le jour... C'est ainsi ça que viennent les grandes aventures, tu sais? J'ai failli devenir reine des morts, dormi dans un camion-poubelle, me suis faite mordre par une jeune vampire, le tout en moins d'une semaine.”
“Une sacrée vie que voilà.”
“J'aime grandement vagabonder sans but, on s'extasie plus de la route sans regarder l'horizon.”
“Une jolie philosophie.”

En un sens, il t’envie d’en être capable - lui ne le pourra jamais. Il regarde bien trop derrière lui, et encore devant également. Il a peur des autres, de ce qu’ils pensent de lui. Il rigole, néanmoins : lui aussi a été mordu par un jeune vampire, mauvaise expérience s’il en est, surtout le désastre que sa tentative d’aide a été par la suite. Il n’en parle pas, pourtant. Il a été bien trop ridicule.

“Si, je dois impérativement m'acheter une nouvelle flûte traversière, je suppose que c'est un projet.”
“Ahah, probablement. Je dois connaître quelques adresses de bons artisans-vendeurs, si tu veux, mais depuis le temps, je ne sais pas s’ils seront toujours en activité.”

Et tu dois bien avoir tes propres adresses.

Célestin finit sa tasse. Il entend Roquette ronfler à ses pieds - il a une vie tranquille, il l’apprécie grandement dans le fond.

“Dis-moi, tu reveux quelque chose à boire ? Et je dois bien avoir un paquet de gâteaux quelque part… Oh, et il faudra que tu repasses manger, un soir - le petit serait content de te rencontrer.”

Il n’en sait rien, il le dit pour la forme : Ernest est curieux mais timide.

Que Célestin aie le réflexe spontané de vouloir lui communiquer des addresses l'amusait un peu. Peu importe le nom qu'il pourrait fournir, elle serait presque certaine de déjà le connaître. Elle l'écouterait quand même, ne serait-ce que pour avoir une deuxième avis, pour l'entendre parler aussi.

"Je reviendrai te demander conseil en temps et en heure, pour le moment, je dois encore mettre de côté des fonds. Les artistes talentueux sont toujours aussi durement rémunérés qu'à ma naissance, il faut croire. Que le monde est cruel avec les miens, Ô malheur financier."

Derrière le sarcasme se cachait plus d'amertume que d'humour. Il fallait certes admettre qu'elle n'achetait que le meilleur en terme d'instruments, et que le prix suivait inévitablement la qualité voulue. Reste que de son point de vue, de longues années de travail et des représentations quotidiennes ne trouvaient pas une juste rémunération. Chacun pouvait être juge, la nature de son caractère même la rendait très peu objective.

Du reste, elle repousse en levant les deux mains la proposition d'un deuxième thé. Elle s'était demandée un instant si le cantateur ne lui avait pas proposé quelque boisson alcoolisée, mais manifestement il avait tourné la page. Elle aurait refusé aussi, remarquez.

"Non, merci, je n'ai besoin de rien. Et puis, avaler me fait mal, je dois reprendre une potion."

Elle soupirait, n'en disait pas plus. La lémure pensait lui avoir partagé le secret de ses maux de gorge à l'époque, sans vraiment s'en rappeler pour autant. Au pire des cas, il pourrait croire que c'est un problème nouveau.

"Je retiens l'invitation, cependant. Tu me connais, c'est quand tu veux. Et puis, tu dois toujours avoir mon numéro, je suppose?" Elle cherche ses yeux, tente de le fixer pour ajouter avec un ton rieur: "Mais tu sais, à inviter de but en blanc des belles dames à dîner, de vieilles connaissances en plus... ton petit ange se fera des idées, Célestin. Enfin, à moins que tu lui aie déjà trouvé un autre parent."

Ça l'intéressait pour sûr, mais n'allez pas croire qu'elle convoitait telle place. C'était simplement sa manière naturelle d'échanger, de toujours jouer sur le malentendu, de feindre l'interêt pour tout un chacun de manière détournée. Comme une habitude qui colle à la peau, à l'âme, dont elle ne voulait même pas se débarasser.

“Non, merci, je n'ai besoin de rien. Et puis, avaler me fait mal, je dois reprendre une potion.”
“Pas de soucis.”

Si tu lui avais déjà parlé de ce problème, Célestin n’en a qu’un souvenir flou. Généralement, on évite de discuter de la vie, d’autant que si l’on est ici, c’est souvent pour une bonne raison. Alors peut-être avait-il gardé cette information dans un coin de son esprit, sans pour autant y trouver quelconque importance. Ça l’est, certes, mais pas au point qu’il ose la remettre sur la table à la moindre occasion.

Ce serait malvenu.

“Je retiens l'invitation, cependant. Tu me connais, c'est quand tu veux. Et puis, tu dois toujours avoir mon numéro, je suppose ?”
“Oh, probablement quelque part sur un bout de papier. Ou dans la commode, j’ai encore mon annuaire personnel.”
“Mais tu sais, à inviter de but en blanc des belles dames à dîner, de vieilles connaissances en plus... ton petit ange se fera des idées, Célestin. Enfin, à moins que tu lui aies déjà trouvé un autre parent.”
“Ahah ! Ernest est bien trop jeune pour ce genre de choses. … Enfin, j’espère.”

C’est vrai ça, à quel âge les enfants commençaient à percevoir ces détails ? A son époque, on n’en parlait pas, voyons quelle drôle d’idée - et puis les mariages étaient arrangés, même dans sa caste. Et il fallait des enfants, mais on ne parlait pas de la manière, c’était indécent. Et il fallait que ce soit des garçons, les filles c'était des dots à prévoir, tout un programme. Quelle époque, mes aïeux.

“Mais non, pas d’autres parents en vue. Je pourrais dire que je suis bien trop vieux pour ces choses-là, en vérité je n’en vois pas l’intérêt pour le moment.”

Il tente bien de retrouver une partie de sa famille, celle qu’il avait lorsqu’il était en vie, sa compagne et ses enfants notamment - le reste de la descendance ne l’intéresse que trop peu. Mais pas de nouvelle, à se demander s’ils ont fini par atterrir ici.

“M’enfin, ça ne m’empêche pas de… M’enfin voilà.”

Qu'il aie gardé son numéro l'arrange, elle ne savait plus comment le retrouver sur son téléphone, ni ne le connaissait par cœur. Il n'était pas même certain qu'elle réponde si Célestin venait à lui envoyer un message, peut-être avait-elle aussi oublié son code pin. Quatre zéros, c'est simple à retenir généralement, mais bon.

Elle retiendra cependant l'information que lui lâchait le nécromancien. Et ne peut contenir une remarque, certes.

"Toi, vieux? Et moi alors, je suis une antiquité?"

Quelque part, son accoutrement donnait presque l'envie de lui répondre que oui, que c'était même une évidence. Bon, il paraissait assez évident qu'il s'agissait d'une simple boutade, la lémure ne s'inventait pas une jeunesse éternelle. L'immaturité restait, cependant, ou était-elle exagérée? D'ailleurs, parlant d'immaturité, elle n'allait pas laisser passer une occasion de l'être...

"Et regarde-toi, tout peureux de nommer les choses. Tu es bien certain de ne pas être un jeune adulte en pleine découverte de son corps? Ça y ressemble, d'ici..."

Bon, le but n'était quand même pas d'épiloguer des siècles sur les "M'enfin" de Célestin, alors elle se permettait d'ajouter à demi-souffle, faisant mine de siroter un fond de thé:

"Même la décoration a été pensée par un enfant, et je doute que ce soit Ernest..."

Et elle regardait au loin, on devinait très aisément son rictus espiègle derrière la tasse vide. Le français n'avait pas à se sentir bien blessé, elle critiquait la décoration d'absolument toutes les bâtisses qu'elle visitait.

“Toi, vieux? Et moi alors, je suis une antiquité ?”
“Voyons ! À notre âge, tout devient relatif, n’est-ce pas ?”

Il fait mine de s’offusquer d’une telle ineptie.
Mais il le pense réellement pourtant. A force, on ne s’en préoccupe plus tellement - et heureusement, sinon la vie ou la mort seraient toutes deux bien plus compliquées.

“Et regarde-toi, tout peureux de nommer les choses. Tu es bien certain de ne pas être un jeune adulte en pleine découverte de son corps? Ça y ressemble, d'ici…”
“Ahah peut-être, en un sens… Il en faut du temps, pour se détacher des non-dits de la religion.”
“Même la décoration a été pensée par un enfant, et je doute que ce soit Ernest…”

Il tire une moue désolée en regardant autour de lui. Elle est très bien, sa décoration, n’est-ce pas ? Lui le pense dans tous les cas, mais il est vrai qu’elle peut sembler peu dans l’air du temps. Elle est remplie à ras-bord de bibelots dont Célestin lui-même doute de l’utilité désormais. Mais ce sont des souvenirs, probablement des achats compulsifs de cette période de sevrage, où il cherchait à compenser le manque par tout autre chose de matériel.

Et puis, il y a les cadeaux d’Ernest.
Très importants, les cadeaux.

“Tu as un chez-toi depuis le temps ? Un pied à terre lorsque tu rentres ? Ou tu es toujours dans l’un de ces appartements de l’Agence ?”

C’était le cas lorsque vous vous êtes connus.
Tu dormais partout, comme il le faisait également. Désormais, il n’envie plus tellement cette vie mais respecte celles et ceux qui la choisissent. Ce n’est pas la sienne, de vie, après tout. Alors il n’a pas à s’y immiscer.

Elle consent par le silence, doit reconnaître qu'elle changeait de moins en moins, et c'était peu dire après des siècles. Non, Esperanza Thallia restait une image figée d'elle-même. D'une entité presque intemporelle, aux milles visages portés par des masques de céramique, de quelque chose qui tient du mythe et du fantasque, presque.

Et si le sadisme est un ses péchés mignons, blesser Célestin de par sa boutade sur la décoration ne lui procure étrangement pas de plaisir. C'est qu'elle avait pensé ses paroles comme une farce, mais forcé de constater que son humour portait naturellement des relents de venin. La lémure ne veut pas le heurter lui, il ne le mérite peut-être pas. Trop gentil.

Elle s'amuse un instant de la question de Célestin, une réponse lui vient très rapidement, mais elle prend plusieurs instants à reformuler son idée. Il est curieux, il faut le nourrir tout de même, pas simplement lui retourner ses propres propos.

"Hélas non, la vie de vagabond s'accorde mal à la sédentarité. Je dors où l'on m'héberge, et parfois même là où on ne m'invite pas." Et puisque l'occasion reste trop belle, elle pique gentiment. "Disons que majoritairement, j'alterne entre mes quartiers fournis par l'agence, et les chambres où je "M'enfin", quoi que ça veuille dire."

Oh, la chipie sait pertinemment ce que ça veut dire, mais cette nouvelle expression -qu'elle compte fermement garder en sa présence- lui permet au moins de n'être ni grivoise, ni vulgaire. Et puis, elle doit déjà s'entraîner à ne pas user de mots crus dans cette maison, un enfant y rôde. Et puis, se rappelant tout de même qu'elle parle à un artiste, elle lui partage un petit secret, présenté comme une information banale.

"J'ai aussi une retraite, dans les montagnes. Un cabanon en bois couvert de lierre et de mousse, presque caché par la végétation, isolé de la vue de tous. Mais très cozy à l'intérieur, tout à fait rustique, avec une simple table et un lit en foin, quelques livres aussi. J'y vais de temps en temps quelques jours pour m'éloigner du vacarme et des bruits, me recentrer sur moi-même. Si ça peut te servir, je pourrais te montrer le lieu, un jour. On ne risque pas de se gêner, et puis personne n'entendra ta voix d'or pour te demander des autographes, là-haut."

Elle le propose, mais croit déjà deviner sa réponse. Il semble ancré à ses occupations ici, s'est trouvé des responsabilités et un foyer. L'espagnole voit là un homme posé, qui n'a plus besoin de ces cachettes dans les fourrés pour fuir ses démons, qui s'est trouvé lui-même.

Ça pourrait au moins être une randonnée en montagne, quelque part.

“Hélas non, la vie de vagabond s'accorde mal à la sédentarité. Je dors où l'on m'héberge, et parfois même là où on ne m'invite pas.”
“Venant de toi, ça ne m’étonne qu’à demi.”
“Disons que majoritairement, j'alterne entre mes quartiers fournis par l'agence, et les chambres où je "M'enfin", quoi que ça veuille dire.”

Ça l’amuse, dans le fond - et ça se voit dans son sourire. Il sait bien qu’il est enfantin, presque gamin, mais paradoxallement beaucoup trop prude malgré les siècles qui passent. Il n’est plus enfant, et pourtant il se comporte comme tel. Amusant, il est vrai et il lui faut bien le reconnaître.

“J'ai aussi une retraite, dans les montagnes.”
“Ah ?”
“Un cabanon en bois couvert de lierre et de mousse, presque caché par la végétation, isolé de la vue de tous. Mais très cozy à l'intérieur, tout à fait rustique, avec une simple table et un lit en foin, quelques livres aussi.”

Étonnement, il se demande bien ce que tu peux y faire.
Mais il ne va pas poser la question - trop intimiste probablement.

“J'y vais de temps en temps quelques jours pour m'éloigner du vacarme et des bruits, me recentrer sur moi-même. Si ça peut te servir, je pourrais te montrer le lieu, un jour. On ne risque pas de se gêner, et puis personne n'entendra ta voix d'or pour te demander des autographes, là-haut.”
“Oh tu sais… Ici personne ne me connaît, et force est de constater que même lorsque je n’avais pas pris ma retraite, je pouvais me balader dans la rue sans que l’on ne m’arrête tous les trois pas.”

Il est vrai que votre domaine est tellement niche que vous êtes particulièrement commun aux yeux de la population. Seuls les plus chevronnés pourraient vous reconnaître dans la rue, ça lui arrive tout de même mais c’est bien rare.

Célestin n’est pas une star de cinéma.

“En tout cas, j’en serais ravi, un jour où… - il regarde sa maison et sa production, qui demande tout de même présence - un jour où j’aurais le temps.”

Il ne refuse pas pour ne pas blesser, mais laisse planer le doute. Peut-être qu’un jour, il t’appellera pour l’organiser, cette randonnée.