L'ascenseur avait tangué comme son cœur avait chaviré et s'était mis à battre trop fort dès qu'il avait ouvert la bouche, dès qu'il lui avait retourné la politesse de salut. Elle ne pouvait plus rien y faire, n'avait jamais pu y faire quoi que ce soit, lentement mais sûrement depuis qu'ils s'étaient rencontrés, depuis qu'ils avaient travaillé ensemble, vécu ensemble, tout fait ensemble, depuis toujours, depuis maintenant, depuis elle ne savait pas quand. La voix de Toulouze emplissait la pièce, emplissait tout l'espace, même ses murmures, même ses soupirs, c'est comme si Teodora s'était immédiatement branchée sur la fréquence Toulouze à partir du moment même où elle avait remarqué sa présence, ça non plus elle n'y pouvait rien, elle aurait pu le reconnaître entre mille, elle aurait pu le voir dans une foule en délire, elle n'y pouvait rien, pourtant elle avait essayé, essayé d'ignorer cet intérêt, ce sentiment grondant dans sa poitrine, elle avait tenté d'ignorer, tenté d'oublier, mais rien n'y avait fait, le pire étant que depuis qu'il était parti c'était encore pire que lorsqu'il était là. Elle ne savait pas quoi faire non plus, ça la désemparait, quelque part elle enviait ce temps où elle ne s'en formalisait pas, ce temps où elle savait se moquer trop de lui, ce temps où elle ne se languissait pas de sa présence, mais ce temps là n'existait plus. Ce temps là avait laissé la place à ce moment, ce moment où elle se tournait automatiquement vers lui quand il était dans la même pièce, où elle décortiquait chacune de ses expressions et devinait plutôt juste son humeur.
Il était énervé, comme toujours, et elle n'était pas sûre de vouloir savoir précisément si c'était de se retrouver avec elle qui l'énervait à ce point. Mais la réponse arriva bien vite quand il lui dit simplement de ne pas se risquer à grimper avant d'ouvrir les portes de force. S'il voulait tant la fuir, s'il voulait tant s'en aller et la laisser derrière une nouvelle fois alors elle se demandait bien ce que risquer une chute parce qu'elle avait grimpé pouvait bien lui faire, elle haussait les épaules, laissant un court rire amer passer le barrage de ses lèvres alors qu'elle regardait de nouveau le sol. Ils en étaient là, elle qui voulait tant rester, lui qui voulait tant partir. Tant pis si elle se brisait quelque chose, de toute façon son cœur était déjà en train de se briser, elle sentait cette douleur si particulière envahir sa cage thoracique, elle ne le regardait déjà plus, les yeux ancrés au sol, se mordant les lèvres de frustration. Elle avait pensé le comprendre, elle avait pensé une fois pouvoir appréhender ce qu'il se passait dans sa tête mais il était clair qu'au jeu entre lui et elle, elle avait perdu. C'était elle qui ne voulait plus se passer de sa présence, c'était elle qui n'en pouvait plus de ne pas le voir, c'était elle qui en crevait de le deviner partout mais de ne plus le voir, c'était elle qui inconsciemment avait souhaité que ce soit lui qui soit monté dans cet ascenseur, c'était lui qui voulait partir, encore, la laisser là. Il défonçait presque les portes métalliques, s'énervait sur les boutons, tournait comme un lion en cage auquel on aurait imposé un colocataire qu'il ne supportait pas, il ne supportait déjà plus même sa seule présence dans l'habitacle et ça la blessait tellement qu'elle avait volontairement tourné la tête à l'opposé de sa direction pour ne pas le regarder lutter pour sortir.
Elle aurait voulu pouvoir dire dans un semblant de fierté retrouvée que ça la blessait trop pour le dire, trop pour avoir l'air de s'en formaliser mais pour une fois elle n'arrivait pas à afficher un sourire faux sur son visage, elle n'arrivait plus à faire semblant, c'était trop, trop lourd, trop difficile, ça faisait trop mal. Elle n'arrivait plus à avoir l'air détaché, elle n'arrivait plus à masquer tout ce que ça l'atteignait et elle savait, elle savait au fond que lui montrer ça, elle se doutait que lorsqu'il comprendrait, il fuirait aussi vite qu'il le pourrait, définitivement. Mais encore une fois, elle ne pouvait pas faire autrement, ils en étaient là. Elle aurait aimé pouvoir ne rien dire, ne rien faire, il lui disait qu'ils étaient coincés là pour un moment, pas de bol hein ? Coincé avec elle pour un moment. Les lumières clignotaient il s'asseyait alors qu'elle n'osait pas faire un geste, un fantôme de sourire effacé sur ses lèvres pleines.
« C'est si terrible d'avoir à supporter ma présence ? »
Elle regardait les portes n'attendait pas de réponse, n'en voulait sûrement pas, il lui demandait des cigarettes maintenant. Elle en avait plusieurs paquets dans son sac, justement. Non elle ne lui dirait pas que fumer ici était interdit, elle ne lui dirait pas qu'elle en avait acheté plus parce qu'elle savait qu'il lui en piquait. Elle se contentait de s'accroupir pour ouvrir son sac et lui tendre un paquet neuf.
« Garde le, ça sera toujours un voyage en moins pour toi à faire jusque l'appart non ? »
Elle était mauvaise, peut être un peu piquante mais elle n'en pouvait plus, elle savait qu'il venait, prendre des affaires, prendre ses potions laissées là par ses fournisseurs qui n'avaient pas eu le mot qu'il n'habitait plus vraiment à l'agence. Elle savait qu'il passait quand elle n'était pas là, elle savait qu'il l'évitait, elle savait tout ça. Mais elle continuait d'acheter plus de cigarettes, elle continuait de le chercher, elle continuait de le laisser, de ne pas le brusquer, de tenter d'ignorer.
« Garde le. »
Elle en avait saisi une dans son propre paquet entamé, l'allumant lentement, regardant le mur derrière les portes ouvertes, se déplaçant lentement vers la pierre, la touchant du bout, de la pointe des doigts en soufflant sa fumée. Tout pour ne pas le regarder encore, passer sa main sur son visage alors qu'elle rejetait ses mèches dissidentes en arrière, revenant s'asseoir près de son sac, contre la paroi de la cabine face à Toulouze et ses grandes jambes repliées en tailleur, les jambes de Teo allongées de tout leur long, atteignant presque le bout de l'autre paroi. Elle voulait juste lui demander encore, encore une fois, c'était si difficile de se trouver dans la même pièce qu'elle, il en était là ? A la détester si fort qu'il ne pouvait même plus la regarder ou supporter sa présence ?