La vie, c’est comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais sur quoi on va tomber
identité
Prénom : Jingmin
Date de naissance : 07/09/1566
Date de mort : 06/05/1598
Nationalité : Espagnole en théorie, Aranaise en pratique
Langues parlées :
[X] Japonais : Elle a commencé à l’apprendre en 1987 et le pratique quotidiennement depuis et a donc un niveau assez élevé.
[X] Chinois : Appris depuis 1598, elle ne sait écrire qu’en graphie traditionnelle et a maintenu assidument son niveau depuis.
[~] Russe : Appris en 1700, elle l’a progressivement abandonné et ne l’utilise quasiment plus depuis qu’elle a quitté le val d’Aran mais est toujours capable de se débrouiller vaguement si on lui laisse le temps de trouver ses mots.
[~] Occitan Aranais : Sa langue maternelle, elle a beaucoup perdu et aura du mal à la parler correctement sans la teinter de syntaxe Chinoise. Elle n’a pas prononcé un mot dans cette langue depuis 100 ans.
[-} Français : Elle maîtrise les éléments de base du Français mais on ne la surprendra pas à parler cette langue parce qu’elle la déteste profondément.
Race : Poltergeist
Personnage de l'avatar : Nao - Skip to Loafer
Date de naissance : 07/09/1566
Date de mort : 06/05/1598
Nationalité : Espagnole en théorie, Aranaise en pratique
Langues parlées :
[X] Japonais : Elle a commencé à l’apprendre en 1987 et le pratique quotidiennement depuis et a donc un niveau assez élevé.
[X] Chinois : Appris depuis 1598, elle ne sait écrire qu’en graphie traditionnelle et a maintenu assidument son niveau depuis.
[~] Russe : Appris en 1700, elle l’a progressivement abandonné et ne l’utilise quasiment plus depuis qu’elle a quitté le val d’Aran mais est toujours capable de se débrouiller vaguement si on lui laisse le temps de trouver ses mots.
[~] Occitan Aranais : Sa langue maternelle, elle a beaucoup perdu et aura du mal à la parler correctement sans la teinter de syntaxe Chinoise. Elle n’a pas prononcé un mot dans cette langue depuis 100 ans.
[-} Français : Elle maîtrise les éléments de base du Français mais on ne la surprendra pas à parler cette langue parce qu’elle la déteste profondément.
Race : Poltergeist
Personnage de l'avatar : Nao - Skip to Loafer
description physique
Couleur de peau : Blanche, très. Sa peau est rarement touchée par la lumière du soleil.
Couleur des cheveux : Noirs. Il lui arrive de les teindre selon ce qui lui plait, mais elle retombe souvent sur du noir “par défaut”
Longueur des cheveux : Elle s’amuse à en faire tout et n’importe quoi, mais sa coupe par défaut reste un carré plongeant assez court.
Couleur des yeux : Noisette
Corpulence : fine avec le corps musclé par le travail, mais quand même un ventre un peu prononcé, preuve de sa gourmandise
Taille : 1m55
Style vestimentaire : Tissus bariolés, éclatants, paillettes, kitsch, tout ça. Elle n’en a pas vraiment conscience, elle aime s’habiller avec ce qui attire son oeil. Quitte à porter des tenues dépareillées et fantasques.
Habitudes : Elle ne s’encombre plus à épousseter la farine qui tombe inévitablement sur ses habits. Si vous la croisez à la boutique vous risquez de la voir enfarinée par-ci par-là. Elle a aussi la mauvaise habitude de commencer ses phrases par un que épenthétique, réflexe hérité de sa langue natale. Même 400 ans après elle a l’impression qu’une phrase n’est pas correcte sans ça.
Couleur des cheveux : Noirs. Il lui arrive de les teindre selon ce qui lui plait, mais elle retombe souvent sur du noir “par défaut”
Longueur des cheveux : Elle s’amuse à en faire tout et n’importe quoi, mais sa coupe par défaut reste un carré plongeant assez court.
Couleur des yeux : Noisette
Corpulence : fine avec le corps musclé par le travail, mais quand même un ventre un peu prononcé, preuve de sa gourmandise
Taille : 1m55
Style vestimentaire : Tissus bariolés, éclatants, paillettes, kitsch, tout ça. Elle n’en a pas vraiment conscience, elle aime s’habiller avec ce qui attire son oeil. Quitte à porter des tenues dépareillées et fantasques.
Habitudes : Elle ne s’encombre plus à épousseter la farine qui tombe inévitablement sur ses habits. Si vous la croisez à la boutique vous risquez de la voir enfarinée par-ci par-là. Elle a aussi la mauvaise habitude de commencer ses phrases par un que épenthétique, réflexe hérité de sa langue natale. Même 400 ans après elle a l’impression qu’une phrase n’est pas correcte sans ça.
précisions
A tendance à lire les kanjis avec leur prononciation chinoise, ça rend drôle à l’oral - Allez savoir pourquoi, sa boisson fétiche c’est le mélange vodka redbull, c’est pas bon et pourtant elle y retourne tout le temps - elle a déjà cousu un pantalon à partir d’une nappe provençale et elle l’a porté jusqu’à ce qu’il ne soit plus portable tellement elle l’a aimé - Elle utilisait régulièrement un rituel pour se donner de l’inspiration lorsqu’elle peignait encore. Elle l’a majoritairement abandonné sauf lorsqu’elle sèche vraiment sur de nouvelles recettes pour sa boutique - En un peu plus d’un siècle de pratique de la pâtisserie boulangerie elle a fini par faire le tour et s’essaie à de nouvelles choses - souvent ratées - mais elle offre ces “créations” à ses clients pour peu qu’ils essaient sur place et lui fassent un retour - Le ruqun qu’elle a eu en cadeau trône toujours fièrement sur un mannequin dans son salon, elle ne laissera jamais personne le toucher tellement il lui est important
Caractère
Déjantée
Bordélique
Energique
Tendre
Confiante
Même si Jingmin est partisane du voyage léger, abandonnant presque toutes ses affaires à chaque déménagement - à un ruqun vieux de 400 ans près, dans sa tête, par contre, c’est n’importe quoi, 400 ans de vie et une vie différente tous les 100 ans ont fait d’elle la mamie radoteuse ultime, si on la laisse commencer elle finira probablement par raconter un épisode de sa vie quelques centenaires en arrière. Pourtant il y a des éléments qu’elle évite de mentionner comme la peste, ses deux anciennes femmes. Non pas qu’elle les déteste mais le temps ayant fait son office, sa perception d’elles s’en est retrouvée modifiée et grossie sur les aspects négatifs, alors qu’en faisant la part des choses elle se rendrait bien compte que ce n’était pas un moment si horrible de sa vie, au contraire. D’ailleurs, elle a hérité d’une peur de la zombification et par extension d’une peur des zombies avec le temps. Elle ne ressent pas de haine pour eux, mais elle aurait du mal à s’en approcher une fois leur vraie nature apprise. Elle est incapable de comprendre que ceux-ci puissent vivre sans prendre des potions d’apparence pour cacher leurs difformités.
Et la conséquence de ce joyeux bordel dans sa tête, c’est qu’elle sait pas s’arrêter, elle a toujours besoin de faire quelque chose. Elle dort maximum 6h par jour parce qu’elle a besoin d’être active. Si elle teste pas des nouvelles recettes, elle est dehors à se ballader dans les rues de Tokyo. Si elle se ballade pas dans les rues de Tokyo, elle coud un nouveau vêtement. Si elle coud pas un nouveau vêtement, elle étudie un nouveau sujet aux catacombes. Si elle étudie pas un nouveau sujet au catacombes, elle trouvera quand même quelque chose pour s’occuper. Quand bien même elle n’aurait que deux bâtons et un bout de ficelle en face d’elle, elle trouverait quand même un moyen d’en faire quelque chose pour occuper ses mains. Finalement, la seule chose qui peut l’arrêter un temps, c’est une tisane et un bon livre à une table de Lalaland.
Au fond d’elle et dans toute cette agitation qui peut surprendre une personne qui ne la connaîtrait pas, elle a le coeur le plus tendre du monde. Même s’il s’est barricadé au fil des années et des expériences qui se sont mal terminées, elle a envie, profondément, de faire confiance aux gens et a tendance à accorder sa confiance très facilement, sous des faux airs de distance. Jingmin aimerait un jour rendre ce qu’on lui a donné lorsqu’elle est morte, elle est particulièrement attentive aux gens qui semblent perdus et leur offrira volontiers une sucrerie pour les motiver ou leur proposera de prendre un instant pour parler.
Parfois, souvent même, confiante à l’excès, en témoigne un voyage de 2 ans entre la Chine et la Russie en 1698 notamment, qu’elle a rejoint de manière hasardeuse et précipitée puis chaque autre voyage qui n’a été que très sommairement préparé à chaque fois. Comme une impression que rien ne peut lui arriver de mal - ou une impression que quoiqu’il lui arriverait de mal alors c’était inévitable et ça aurait dû arriver peu importe ses actions. Une sortie de chappe du destin qui l’enferme dans une route déjà tracée et qui libère donc ses actions de toute conséquence réelle puisque tout est déjà joué d’avance.
histoire
Tout ce dont tu te souviens en te retrouvant dans le bureau du roi, c’est une épée qui s’abat sur toi. Tu ne comprends rien à ce qu’il raconte. Tu lui répètes que tu ne comprends pas, sans qu’il n’arrête de dérouler son discours. Pourtant il a essayé plusieurs fois de répéter dans diverses langues - parmi elles aucune que tu comprends, sauf une, qui a des sonorités qui te semblent familière, mais impossible de te souvenir où tu l’as déjà entendue. Le spectacle d’ombres est, lui, un petit peu plus parlant. Tu revois la scène avec l’épée, sans en comprendre le contexte exact. On te dirige vers la sortie aussitôt fini. Et on ne t’a toujours rien expliqué.
Passée la semaine obligatoire à l’agence, prostrée dans une chambre étrange, tu t’en vas, avec quelques sous dans ta poche. Tu as besoin de partir. Tu as besoin d’être n’importe où, mais pas ici. Alors tu t’en vas dans le port de la baie de Tokyo et tu montes dans le premier bâteau que tu vois au port après avoir monnayé le passage avec la capitaine. C’est à dire : tu lui as tendu la main avec un peu d’argent dedans, en bégayant un “ieu pas parlar lenga. Sòus per passatje” qu’elle n’a probablement pas compris, mais l’intention était, elle, plutôt évidente. Quelque part entre une posture affirmée et apeurée, tu as commencé la première étape de ton périple. C’était la première fois que tu voyais une si grande étendue d’eau. C’est là que t’est revenue la première image d’avant : la garonne qui passe près de ton village, cours d’eau tranquille. Rien à voir avec l’océan pacifique.
Après un périple d’un peu plus d’une semaine, tu débarques à Tianjin en Chine. Bien contente de ne plus avoir à subir la houle et le mal de mer qui avait fini par te prendre au troisième jour, après une petite tempête à l’entrée en mer de chine orientale. T’es épuisée, malgré tout tes pas te portent jusqu’à une auberge où tu loues une chambre pour la nuit. Tu t’endors sans même prendre le temps de te laver. Le lendemain, tu décides de suivre le chemin que prennent la plupart des marchandises débarquées dans le port de Tianjin. Tu marches toute une journée durant, les pieds fatigués dans tes chaussures, pourtant adaptées à la marche. Tu fais halte à Langfang pour la nuit. Tes réserves d’argent s’amenuisent et la peur d’arriver à court au milieu d’un endroit que tu ne connais pas te prend au ventre et t’empêche de dormir pendant la majorité de la nuit. Pourtant, le lendemain, à l’aurore, tu repars sur le chemin de terre que tu suivais depuis hier pour finalement arriver à Beijing.
Ton arrivée dans Beijing a été marquée par une grande surprise, une vraie effervescence. Quelque chose que tu n’avais jamais vu, d’un calibre encore supérieur à Tianjin. Second flash, des rues en terre battue et des bâtiments en pierre, toi avec un long bâton de berger, un chien qui te suit à la trace. D’un pas mal assuré, les pieds meurtris, tu avances dans les rues marchandes, tu regardes les boutiques à droite, à gauche, comme si tu pouvais te permettre quoi que ce soit dans ces boutiques. Puis tes yeux se posent sur une tenue d’un orange étincelant, qui contraste avec tes habits ternes et surtout salis par le voyage.
Tu t’attardes sans doute un peu trop longtemps, un peu trop près, les yeux un peu trop fixés sur le magnifique ruqun - nom que tu apprendras plus tard, si bien qu’une femme, sans doute de ton âge, en tout cas pas beaucoup plus vieille que toi - à première vue, sors de la boutique et te saute pratiquement dessus en te parlant rapidement dans une langue que tu ne maîtrises pas. Elle le retire du cintre et te fait signe de rentrer. Tu essaies de refuser dans un premier temps : “Non ai sòus. Ieu pas parlar lenga” et pourtant elle ne veut rien entendre, dans son flot de parole, tu es persuadée qu’elle t’invite à rentrer, à essayer. Néanmoins le malaise ne faiblit pas et ce n’est qu’à force d’insistance - énormément, puisqu’elle a dû physiquement te tirer dans l’arrière boutique pour t’inviter à l’essayer. Tu finis par t’exécuter, voyant que tu n’as pas vraiment ton mot à dire dans l’histoire. Tu l’enfiles, tu te regardes dans le miroir en bronze. La réflection que tu observes est si belle. Peut-être un peu étrange, cependant, l’habit dans un beau tissu contrastant avec ta peau frappée par le soleil.
Sans que tu saches comment, tu te retrouves à revenir le lendemain, sans doute ton esprit avait fini par être attiré de nouveau jusqu’à cette boutique ou alors était-ce le fruit d’un hasard complet ou d’un destin amusé et puis, une nouvelle fois, tu as été entraînée dans l’arrière boutique, le ruqun dans une belle boite qui t’est donnée. Et elle continue à parler à toute vitesse, et tu es incapable de saisir un traitre mot de ce qu’elle te dit. “Ieu ajudar” et tu pointes les ateliers. A défaut de payer, tu allais au moins aider, puis il te fallait travailler, faire quelque chose de tes mains. Pour réponse, elle s’est légèrement courbée, un grand sourire aux lèvres et un remerciement, articulé doucement. Et de là a commencé un apprentissage, à la fois du Chinois, comme si tu étais un nourrisson, que tu venais de naître - ce qui est un peu le cas finalement, face à ton esprit vide de souvenirs, tu ne retiens que ta propre langue, bien inutile ici parce que personne ne semble la comprendre. Mais tu t’attaches à progresser, même apprendre à lire et à écrire, ce que tu n’as jamais su faire dans ta propre langue maternelle, puisque tu semblais en être complètement incapable actuellement. Et au fil des mois, tu commences à pouvoir parler, articuler quelques mots, des choses simples. Pendant ce temps, tu apprends aussi à tisser et à broder ce que tu tisses. Chaque année tu progresses un peu plus, surtout dans l’art complexe de la broderie, d’autant plus complexe qu’il est un secret familial bien gardé, dans lequel on n’initie pas en général les nouveaux venus, encore moins les étrangères. Le contact avec les quelques ouvrières de l’atelier a été, donc, compliqué, la barrière de la langue n’étant pas non plus une aide à votre bonne entente. Quand elles ont fini par s’ouvrir, elles t’ont enfin nommée, toi qui n’étais appelée jusque là que par des “toi, là”, elles t’ont appelée 婧敏, Jingmin, pour rendre hommage à ton adresse dans le travail. Parfois, le premier caractère était remplacé par 靚 en référence au ruqun que tu as reçu à ton arrivée, mais l’écriture qui est restée des années est bien la première.
Et les années sont passées, et tu as gagné en aisance, pour sûr. Tu avais tout ton quotidien, toute ta vie à Beijing, toute ton existence. Et avec ça, la prise de conscience progressive de ta mort, tu as eu le temps de tourner et de retourner ce qu’on t’a montré, de poser des questions à la femme qui t’a recueillie. Puis, surtout, dès que tu as su l’exprimer, tu l’as remerciée, autant que tu as pu, de t’avoir offert un travail et des habits. Mais c’était une femme profondément bonne et qui a toujours su avoir le mot juste. Elle avait construit cet atelier il y a si longtemps que personne ne s’en rappelait, puis avait construit la boutique autour et avait accueilli des ouvrières, comme toi, celles qui s’approchaient curieuses et elle leur disait “vas-y, entre ! Essaie ce vêtement, tu veux travailler ? Je t’apprendrai, essaie donc” puis les générations avaient passé jusqu’à arriver aux travailleuses actuelles, qui avaient été charmées par la réputation du lieu et qui avaient, elles, fait la demande de rentrer. Tu étais la seule à y avoir été invitée, même si tu avais de ton propre chef fait la proposition de travailler, pour aider.
Un matin en apparence tout à fait banal dans les années 1660, tu t’étais réveillée dans la petite chambre que tu avais louée avec ton salaire de tisserande-brodeuse. Plus de 60 ans après ton arrivée, tes marques étaient prises, en témoignait l’état de ton logement, où s’entassaient divers rouleaux de tissu que tu avais acheté pour te confectionner des habits, des broches et autres accessoires. Et surtout une table avec l’encrier que tu avais oublié de fermer hier soir et à côté, sur le papier, des caractères chinois tracés avec adresse, un poème dans ta langue maternelle. Des bras te retenaient dans ton lit, ceux de la femme qui tissait sur le métier à côté du tien, un bisou déposé sur ta joue, quelques mots murmurés à l’oreille, un “reste là, repose toi, travailler viendra après”. Mais toi, tu avais besoin d’aller agiter tes bras, de faire quelque chose de tes mains. Tu n’étais pas du genre à passer la matinée à te prélasser au lit. Aussi, vous évitiez d’arriver ensemble au travail le matin, pour ne pas éveiller les soupçons. S’il n’y avait pas de vrai risque à proprement parler pour vous, tu avais conscience de l’impact que peut avoir une relation sur une si petite entreprise. Alors mieux vaut la garder pour l’intimité. “Shuixing, je dois y aller, et tu ne devrais pas tarder non plus”. Et tu t’étais levée, t’étais habillée avec le plus beau ruqun de ta garde-robe, un rose pâle, que tu avais fait toi-même, du début jusqu’à la fin et que tu t’étais modestement offert. Tu jettes un dernier sourire à ton amante avant de sortir au pas de course pour rejoindre la rue marchande mouvementée.
Et là, tu te retrouves face à une apparition fantomatique, ironique vu ta condition, c’est un éventail, qui flotte là dans les airs, puis comme des fleurs, d’autres ont éclos dans les secondes qui ont suivi, alors que tu te frottais les yeux. Au milieu des passants, tu voyais cet ensemble d’éventails flottants, se secouant comme s’ils étaient tenus par des personnes qui voulaient se faire un peu d’air en ce matin où le soleil frappait déjà fort. Tu t’en es approchée, tu les as touchés, prête à reculer au moindre problème. Ta main passe à travers, ton corps est rempli d’une sensation de froid, mais un froid exaltant. Quelque chose que tu aurais du mal à décrire précisément. Puis tu as fini par réussir à t’en détacher, au fur et à mesure qu’ils avançaient et que le regard des gens pesait sur toi. Bien évidemment que la vision d’une jeune femme, concentrée sur quelque chose qui n’existe pas et qui avance allait finir par interpeller. Tu as marché jusqu’au bout de la rue, où le monde commence à se disperser quand tu reprends tes esprits et tu entreprends de faire le chemin à l’envers sous le regard accusateur de ceux qui t’ont vue à l’aller. Tu rentres dans la boutique, tu t’empresses de tout expliquer à celle qui t’a recueillie. Et ses yeux s’illuminent, se voilent et une larme commence à couler. Ah, qu’elle a l’air heureuse. “Bravo, Jingmin, bienvenue chez les poltergeist” car elle aussi était un poltergeist. Toi, tu ne l’avais jamais su, tu n’avais jamais pris le temps de poser la question et surtout tu n’avais jamais eu de personne à la poser, pas avant des années, que tu aies su comprendre et parler le Chinois. Tu connaissais si peu le monde des morts, tu comprenais que tu étais toi-même morte et que ce monde était bel et bien différent du monde des vivants, pas beaucoup plus, alors toutes ces races, tu en avais entendu parler au détour d’une conversation et pourtant tu n’avais jamais compris le fond du sujet.
Mais ce jour-là, aussi exaltée que tu étais, avec une si grande envie de te mettre au travail, de broder jusqu’à ce que la nuit tombe, l’âme remplie d’énergie, d’espoir, de joie, probablement même un peu trop, ta bénéfactrice t’a faite t’asseoir à la table dans le fond de la boutique, t’avait servi un thé et t’avait tout expliqué : ce qu’étaient les poltergeists, la nécessité de posséder des périsprits, l’énergie ectoplasmique qui en découlait puis les rituels que vous pouviez faire grâce à cette énergie. Ç’a été une journée particulièrement longue, et ton énergie nouvellement trouvée s’en est vue significativement baissée, d’autant plus que son débit de parole, toujours particulièrement rapide, restait jusqu’aujourd’hui compliqué à suivre. Ce soir là, tu es retournée te coucher dans les bras de ton amante, sans avoir pris le temps de lui expliquer vraiment, mais elle l’a probablement deviné, bien plus habituée que toi à la mort, et comprenant bien mieux que toi ta situation. Mais elle t’avait accueillie, avait caressé tes cheveux jusqu’à ce que tu t’endormes, en soufflant des mots doux, tout doucement à ton oreille, un sourire dans la voix.
En 1680, elle et toi vous aviez pris congé pour vous en aller, loin de la ville, pour que Shuixing te fasse voir sa campagne natale, tu en étais si contente et vous aviez passé une semaine à batifoler dans la campagne du Guangdong. Mais l’idylle s’est arrêtée nette à votre retour à Beijing. Lors de votre retour au travail, le lendemain, la plus vieille des ouvrières avait dit “Elle est tombée en poussière, il convient maintenant de désigner sa juste héritière parmis nous toutes. Je pense que ça devrait être moi, je suis là depuis le plus longtemps et j’ai eu le temps de voir le travail qu’elle faisait, pour le faire perdurer”. La prodige, celle que tu aimais, qui était là depuis peu de temps mais avait tant innové avait dit “Je suis l’avenir, alors la boutique me revient de droit, c’est moi qui confectionne les plus belles broderies, celles qui se vendent à prix d’or !”. La plus expérimentée, qui maîtrisait chaque technique avec une perfection chirurgicale “C’est moi qui guide vos mains lorsqu’elles travaillent, alors c’est moi qui devrait reprendre la boutique, au moins jusqu’à ce que l’une d’entre vous sache en faire autant”. Une des ouvrières, de celles qui travaillaient dur, sans être là depuis assez longtemps et qui n’avaient pas assez de talent pour produire des merveilles s’était levée et avait dit “Jingmin devrait hériter de la boutique, c’est elle qui possède l’esprit de cet atelier en ce que madame l’a invitée comme il était de coutume avant que nous arrivions, et c’était elle qui la connaissait le mieux”. Et c’est là que tu as été jetée en pâture à une horde déchaînée qui se battait dans une guerre de succession. Tu as vite refusé de concourir avec elles, tu te fichais bien de qui possédait la boutique, si celle qui t’avait aimée comme sa propre fille avait disparu tandis que personne ne semblait la pleurer, à part toi. Puis tu es aspirée dans un souvenir du passé qui remonte, une maison sans décoration, une table en bois au centre de la pièce. Une femme, que tu connais, dont tu es proche, tu ne te rappelles pas son nom ou votre lien. Elle dit à l’homme qui se tient face à elle, visiblement plus vieux “Elle ne veut pas se marier, laisse-la mener son troupeau, elle ne fait de mal à personne, j’aurai des enfants à sa place pour perpétuer notre famille, ne t’en fais pas. Laisse la, elle”. Tu es prostrée dans un coin, seule et triste.
A partir de là, Shuixing s’est fait de plus en plus distante, jusqu’à ne plus jamais te visiter, jusqu’à faire semblant de ne plus te voir, tandis que tu portais encore dans ton coeur le deuil, c’était un second coup de poignard dans le dos. La guerre intestine s’est poursuivie si longtemps que tu as oublié d’en garder trace. Tout ce que tu te souviens, c’est qu’en 1698, 100 ans après ton arrivée, comme si ton horloge biologique sonnait minuit, l’heure de s’en aller. Tu as eu un besoin irrépréssible, celui de partir, renforcé par la mésentente installée dans l’atelier depuis que la guerre s’était achevée dans la victoire de l’aînée, encore pourtant contestée par la prodige, peut être un peu trop vaniteuse. Au marché, tu avais fait la rencontre d’une voyageuse d’origine Russe, vous avez longuement parlé, plusieurs soirées, un verre à la main, à discuter de pourquoi tu voulais partir, de ta vie et de plus encore. Et elle a fini par te proposer de t’embarquer pour sa prochaine expédition, celle qui rentrait à Moscou. Un voyage de 2 ans en contournant le Tibet, tout droit à travers le Kazakhstan jusqu’à Moscou. Tu aurais la lourde charge de t’occuper des bêtes qui tiraient les chargements.
Tu as entrepris, dans les jours qui suivent, de troquer tes belles tenues pour des habits de voyage, bien plus pratiques, pourtant qui te rendait triste au fond de toi. Tu n’as gardé que le ruqun pêche offert par ta mère de coeur à ton arrivée, maintes fois recousu mais toujours aussi beau, et surtout tu ne pouvais pas t’en séparer, puisqu’il était une des rares traces de son existence qui restaient encore là. Puis tu étais partie sans dire aurevoir aux ouvrières de l’atelier - plus rien ne te retenait vraiment là bas et tu ne tenais pas vraiment à confronter Shuixing et les autres sur le sujet de ton voyage. Tu avais bien conscience de la difficulté du voyage et du risque de ne pas arriver à bon port, mais si le destin en décidait ainsi, tu te disais, alors tu l’accepterais le sourire au lèvre avec dans la tête les souvenirs d’une vie bien vécue.
Le jour de partir, tu étais remplie à bloc, tu as salué chaque personne qui composait l’expédition, tu les as remercié de te laisser y participer, et tu es montée dans une des nombreuses carrioles avec tes collègues. Et chaque soir tu brossais les animaux, t’assurais qu’ils soient bien nourris, qu’ils étaient en bonne santé puis après ça tu aidais tes collègues à dresser le camp. Tu as écouté longuement les histoires de tous ces gens, des histoires aussi différentes les unes des autres, des horizons différents que tu te plaisais à découvrir. A la moitié du voyage, quand vous entrez dans les montagnes d’Afghanistan, tu as encore ces flashs qui ont émaillé tes 100 dernières années. Moutons, montagne, estives.
Quand tu as mis les pieds à Moscou après 2 ans de voyage, tu as eu la sensation d’être revenue cent ans en arrière, au port de Tianjin. Chose que tu n’avais pas prévu avant de partir, tu te retrouvais encore une fois dans un pays où tu ne connais rien de la langue, à ceci près que tu maîtrisais maintenant le Chinois. Une fois une chambre louée dans une des auberges du centre de Moscou, tu es ressortie le lendemain, après avoir pris une bonne douche, à la main le papier que tu gardais dans ta valise pour écrire sur ton voyage, sur celui-ci écrit en chinois “Cherche instructeur de russe, parle uniquement chinois” en jolis caractères bien tracés suivi d’une indication sur comment te trouver : c’est à dire demander Jingmin avec l’adresse de ton auberge. Tu l’as placardé dans les rues autour, un peu partout où tu le pouvais, dans l’espoir d’avoir une réponse rapide.
Il n’a fallu que quelques jours pour qu’une jeune femme se présente. Originaire de Khabarovsk, elle avait appris dans sa jeunesse à la fois le Chinois et le Russe et dans sa mort avait eu une éducation formelle à la linguistique. Elle était donc l’enseignante parfaite, et tandis que la neige s’amoncelait à l’extérieur, que tu avais une terrible envie de la voir, toi qui l’aimais tant, c’était finalement devenu un peu ta récompense, chaque soir, après les leçons. Et quand la neige a fini par fondre, la sévérité de ta tutrice a fondu avec elle. Vous avez fini par vous voir un peu plus souvent, même en dehors de vos cours. A parler, beaucoup, d’abord sous couvert d’avoir une pratique réelle de la langue dans un environnement contrôlé pour vérifier que tout allait bien, puis ensuite les excuses ont fait place à un réel intérêt de l’une pour l’autre. Puis vous avez aussi eu, l’une pour l’autre, cet intérêt parce que vous pouviez continuer à pratiquer le Chinois entre vous, comme une langue secrète que les autres ne comprenaient pas. Tu ne voulais surtout pas oublier ces mots-là, ceux qui avaient donné un sens à ta vie, ta bénéfactrice encore dans un coin de ta tête en te disant que tant qu’elle existerait en toi, elle serait toujours là quelque part à t’observer.
Vous vous étiez dit votre affection mutuelle en 1708. A ce moment là, tu avais déjà commencé à peindre depuis plusieurs années, à défaut de continuer à broder, le geste étant trop chargé de souvenirs doux-amers et tu commençais à maîtriser le Russe sur le bout des doigts. Tu avais finalement troqué les habits de voyages pour de jolis tissus nobles colorés, des grandes et belles robes à la mode européenne. Tout a commencé à une réunion de son cercle de linguistes, dans une belle maison richement décorée. Un des invités avait mis les pieds dans le plat, il vous avait demandé la nature de votre relation, c’était sans doute un peu déplacé, mais en réalité, c’était loin d’habituel d’inviter des gens extérieurs à ce genre de réunions, exception faite des conjoints, hors vous n’aviez jamais pris la peine d’expliquer la relation qui vous liait - c’était une relation pour le moins complexe, en tout cas vous le pensiez, où de chaque côté s’entremêlait l’enseignement du russe, une amitié complice non dissimulée et quelque chose d’autre, de très fort, qui vous accrochait l’une à l’autre.
Et ça avait pris au moins deux mois de plus pour qu’elle prenne son courage à deux mains et que vous ayez la grande discussion. A l’issue de quoi vous vous êtes mises en couple et tu as emménagé chez elle, dans une petite maison à l’extérieur de Moscou où tu as même pu aménager ton propre bureau. Ici, tu avais plus d’espace que tu n’en avais jamais eu, un lit dans lequel tu nageais sous les coussins. C’était vraiment beau, et agréable.
Tu as longuement pratiqué la peinture, essayé des nouvelles choses, pas souvent concluantes, tu t’es beaucoup amusé dans tes expériences. La tradition baroque de ton époque ne te passionnait pas outre mesure. Tu as intégré un cercle de peintre, qui est resté très confidentiel, peut être à cause de votre esprit trop à l’avant-garde. Votre pratique, à force de tentatives et d’explorations, a aboutit à des tableaux qui se rapprocheront du fauvisme. Tes tableaux ne rapportaient pas tant d’argent que ça, mais heureusement les travaux de ta femme étaient bien suffisants. Vous avez continué à fréquenter les soirées mondaines, à échanger avec des scientifiques et des artistes de Moscou, à vous aimer. Tes meilleures peintures, celles qui étaient les plus appréciées, étaient celles qui représentaient les flashs que tu avais de ton pays natal, les montagnes, l’eau, les animaux.
Puis en 1768, alors que tu achevais ton troisième roman, que tu écrivais à la fois dans ta langue maternelle, en alphabet latin puisque tu l’avais finalement appris, à la fois en russe, pour que chacun puisse le lire, tu as entendu un bruit de verre qui se brise, de corps qui tombe au sol. Tu te précipites en bas et tu observe le corps de ta femme se dégrader à vue d’oeil et la panique s’empare de toi. Tu ne sais pas quoi faire. Tu la met au lit et tu demandes à un voisine d’aller chercher un médecin en ville pour qu’il l’ausculte. Quelques heures plus tard, le verdict tombe à peine le médecin la voit-il : zombification. C’est irrémédiable. Si ce n’était que ça, ce ne serait pas un soucis, le problème de fond étant qu’elle en ressort complètement amnésique. Incapable de se rappeler jusqu’à son propre prénom. Comme un espèce de tour macabre te rappelant ta propre existence.
Après ça tu as aménagé un espace pour dormir dans ton atelier et tu es restée près d’elle, pour essayer de l’aider à se souvenir. Ton troisième livre est sorti, il a eu un certain public, sans pour autant sortir des cercles restreints de gens intéressés par ce genre de littérature. Et les mois sont passés, sans voir d’améliorations, sans que les souvenirs lui reviennent. Ca t’a pesé, tellement fort sur le coeur. Tu as fini par lui dire aurevoir, tu ne pouvais plus lui imposer ta présence et ça te faisait trop mal à toi. Elle était redevenue assez autonome pour que tu la laisses seule.
Tu as espéré, souvent, pendant les 30 années suivantes, voir des améliorations, qu’elle aussi ait ce genre de flashs pour lui rappeler ce qu’elle était avant, ce qu’elle faisait, ce que vous étiez. Tu t’es souvent dit que tu pourrais essayer de la charmer, encore une fois, avant de te rappeler que non : ce ne sera plus jamais comme avant, et tu ne veux pas d’une nouvelle personne, tu veux retrouver ta femme. Alors tu as à chaque fois redouté l’espoir d’autant plus que tu avais déjà posé ces pensées là. Tu as fini par arrêter totalement de la voir, à la fin. Plus rien n’avait de sens à Moscou, chaque soirée te semblait insipide et inutile.
Quand minuit a sonné une nouvelle fois et que tu as eu le besoin de partir d’ici, tu as décidé de mettre cap sur la France, pour te rapprocher un peu plus encore de ta région natale que tu cherchais à rejoindre depuis deux siècles. Ou en tout cas que ton corps te poussait à retrouver. Tu as déchiré les toiles que tu n’avais pas vendues. Tu ne lui en avais laissée qu’une, une peinture de vous deux, main dans la main. Elle représentait le dernier morceau d’espoir, si mince qu’il était pratiquement devenu invisible, un tout petit fil qui liait encore ton âme à la sienne. Tu avais griffoné au dos, au crayon : si tu te souviens, trouve moi, je serai à Paris. Puis tu avais entrepris de te débarrasser de ce qui était en trop, d’acheter une monture et de troquer encore une fois tes belles robes pour des vêtements de voyage puis tu étais partie à dos de cheval pour un long voyage. Ca t’a pris 9 mois et tu es arrivée à Paris quand pointait le Printemps, signe du renouveau.
Ton passage à Paris a été des plus oubliables. Le renouveau tant attendu n’a pas eu lieu. Hormis la haine profonde que tu ressentais, inexplicable, pour les gens d’ici - tu n’as d’ailleurs jamais poussé l’étude du Français au delà du strict nécessaire, tu as passé un siècle seule, à souffler ton verre dans le jardin de ta maison au Sud de Paris. Il y a bien eu quelques moments positifs, mais passagers. 200 ans t’ont appris à te méfier des gens, que les amours et les amitiés n’étaient pas durables et tu en as encore eu la preuve. Tu t’es battue pour faire importer des romans depuis la chine que tu as gardé comme ta plus précieuse possession et que tu as utilisé pour maintenir ton niveau de Chinois. La langue te tenait tellement à coeur que tu as trouvé un groupe, au Nord de Paris, d’expatriés Chinois avec lesquelles tu te plaisais à converser autour de banalités. Encore une fois, cette expérience n’a rien eu de notable.
Tu as complètement abandonné la peinture depuis ta fuite de la Russie, cependant, à la place des romans, tu t’es attelée à écrire une description de la vie dans le val d’Aran à partir des bribes de souvenirs que tu as retrouvés au fil des siècles. Jusqu’à ce que tu te décides, au tournal du 20è siècle à entreprendre un long voyage d’étude dans le val d’Aran pour préciser ce document et espérer retrouver le pays qui t’a vue grandir.
Tu y as habité une vingtaine d’année, en abandonnant ton métier de souffleuse de verre qui ne te passionnait pas outre mesure. Tu es devenue une sorte de femme à tout faire, qui courrait à droite à gauche entre deux moments d’écriture de ton rapport. Tu l’as fini et c’est à ce moment que tu t’es rendue compte que ta longue quête multicentenaire pour retrouver tes origines était particulièrement inutile. Tu as tout de même fait envoyer le rapport - rédigé en russe et traduit en chinois, à une presse de Moscou, où il doit être imprimé et diffusé par une maison d’édition qui s’était dite intéressée par ces recherches. Tu y as décrit le quotidien des habitants de ton petit val et tu y as intégré les maigres souvenirs que tu avais de la vie de bergère que tu as menée. C’est la seule chose que tu as créée que tu as signée de ton ancien nom - Anhès, sans nom de famille car celui-ci ne t’étais jamais revenu, parce qu’il te semblait bizarre d’en faire autrement. Comme si ton prénom en lui-même témoignait d’un certain sérieux de ton travail. Peut être aussi pour ne pas remuer ton passé moscovite.
Après une longue réflexion, au vu de ta détestation de la France, que tu as fini par savoir expliquer par la tentative d’invasions répétées de ton territoire par la France pendant ta vie et ta mort dûe directement à une de celles-ci, tu décides de finalement continuer ton voyage et de te diriger un peu plus au sud, dans la région de Valence en Espagne, sur la côte. Tu y travailles comme boulangère-pâtissière pendant un siècle. Heureuse de trouver une activité qui apporte un peu de bonheur aux gens et qui ne te mette pas trop en avant - finalement tu préfères ça.
Finalement, un matin quelconque en 1987, tandis que tu tenais la caisse de la boulangerie-pâtisserie dans la quelle tu travaillais - ce qui n’arrivait vraiment pas souvent, un zombie a poussé la porte et, dans les 5 minutes pendant laquelle il est resté, a prédit ta tombée en poussière en 2080. Ta première réflexion a été de te dire qu’il racontait des bêtises et que tout ça était faux, puis a germé l’idée que tu vivais peut être tes derniers instants. Le destin en avait peut être décidé ainsi en voyant que tu avais achevé ce que tu devais faire sur cette terre et qu’il était peut être temps de passer à autre chose. Tu as fini par l’accepter et décidé qu’en 2020, tu retournerais là où tout a commencé à ta mort, c’est à dire Tokyo et que tu y vivrais finalement une sorte de retraite. Tu as travaillé pendant les 40 ans qui te restaient à apprendre le Japonais. Juste avant de partir, tu as acheté une boutique et l’appartement attenant avec tes économies, alors tu avais bien assez pour arrêter de travailler et vivre confortablement jusqu’à la fin, mais tu ne te voyais pas cesser d’être active. Tu as embarqué un matin de Janvier 2020 pour Tokyo, 100 ans après ton arrivée, après un nouveau tour d’horloge.
Ton emménagement à Tokyo a été celui qui a été le plus simple, le plus évident depuis que tu es morte. Le premier qui était réellement prévu et le premier où tu parles la langue du pays. La première chose que tu as faite, c’est d’aller découvrir la ville et tu as poussé la porte d’un salon de thé, tout à fait innocemment, qui au fil des années est devenu un de ses lieux favoris de la ville, à la fois pour leurs infusions, les soirées non-mixtes auxquelles tu prends un grand plaisir à participer et à apporter de tes propres gâteaux pour régaler tout le monde. Et surtout, plus que tout autre chose, tu apprécies Lalaland parce que tu as fini par te lier d’amitié avec lea gérant⋅e, Polar, et tu as pu accéder au reste de livres qu’iel possédait et tu y as trouvé quelques titres en chinois. Cette langue ayant toujours une importance capitale dans ta vie, tu aimes pouvoir prendre le temps de lire. Avec les années, tu as lu la collection en chinois de Polar, mais c’est toujours ton lieu de prédilection pour lire, malgré tout.
A côté de ça, tu vis essentiellement la nuit, un rythme qui t’a semblé évident maintenant que tu es là, avec ta boutique qui ferme dès midi pour te permettre de dormir. Tu y produis un petit nombre de pains et de gâteaux, qui changent régulièrement pour ne pas lasser la clientèle. La seule constante étant un pain tressé au pesto avec du fromage gratiné, ta spécialité et ton best-seller.
Passée la semaine obligatoire à l’agence, prostrée dans une chambre étrange, tu t’en vas, avec quelques sous dans ta poche. Tu as besoin de partir. Tu as besoin d’être n’importe où, mais pas ici. Alors tu t’en vas dans le port de la baie de Tokyo et tu montes dans le premier bâteau que tu vois au port après avoir monnayé le passage avec la capitaine. C’est à dire : tu lui as tendu la main avec un peu d’argent dedans, en bégayant un “ieu pas parlar lenga. Sòus per passatje” qu’elle n’a probablement pas compris, mais l’intention était, elle, plutôt évidente. Quelque part entre une posture affirmée et apeurée, tu as commencé la première étape de ton périple. C’était la première fois que tu voyais une si grande étendue d’eau. C’est là que t’est revenue la première image d’avant : la garonne qui passe près de ton village, cours d’eau tranquille. Rien à voir avec l’océan pacifique.
Après un périple d’un peu plus d’une semaine, tu débarques à Tianjin en Chine. Bien contente de ne plus avoir à subir la houle et le mal de mer qui avait fini par te prendre au troisième jour, après une petite tempête à l’entrée en mer de chine orientale. T’es épuisée, malgré tout tes pas te portent jusqu’à une auberge où tu loues une chambre pour la nuit. Tu t’endors sans même prendre le temps de te laver. Le lendemain, tu décides de suivre le chemin que prennent la plupart des marchandises débarquées dans le port de Tianjin. Tu marches toute une journée durant, les pieds fatigués dans tes chaussures, pourtant adaptées à la marche. Tu fais halte à Langfang pour la nuit. Tes réserves d’argent s’amenuisent et la peur d’arriver à court au milieu d’un endroit que tu ne connais pas te prend au ventre et t’empêche de dormir pendant la majorité de la nuit. Pourtant, le lendemain, à l’aurore, tu repars sur le chemin de terre que tu suivais depuis hier pour finalement arriver à Beijing.
RECOMMENCEMENT
Ton arrivée dans Beijing a été marquée par une grande surprise, une vraie effervescence. Quelque chose que tu n’avais jamais vu, d’un calibre encore supérieur à Tianjin. Second flash, des rues en terre battue et des bâtiments en pierre, toi avec un long bâton de berger, un chien qui te suit à la trace. D’un pas mal assuré, les pieds meurtris, tu avances dans les rues marchandes, tu regardes les boutiques à droite, à gauche, comme si tu pouvais te permettre quoi que ce soit dans ces boutiques. Puis tes yeux se posent sur une tenue d’un orange étincelant, qui contraste avec tes habits ternes et surtout salis par le voyage.
Tu t’attardes sans doute un peu trop longtemps, un peu trop près, les yeux un peu trop fixés sur le magnifique ruqun - nom que tu apprendras plus tard, si bien qu’une femme, sans doute de ton âge, en tout cas pas beaucoup plus vieille que toi - à première vue, sors de la boutique et te saute pratiquement dessus en te parlant rapidement dans une langue que tu ne maîtrises pas. Elle le retire du cintre et te fait signe de rentrer. Tu essaies de refuser dans un premier temps : “Non ai sòus. Ieu pas parlar lenga” et pourtant elle ne veut rien entendre, dans son flot de parole, tu es persuadée qu’elle t’invite à rentrer, à essayer. Néanmoins le malaise ne faiblit pas et ce n’est qu’à force d’insistance - énormément, puisqu’elle a dû physiquement te tirer dans l’arrière boutique pour t’inviter à l’essayer. Tu finis par t’exécuter, voyant que tu n’as pas vraiment ton mot à dire dans l’histoire. Tu l’enfiles, tu te regardes dans le miroir en bronze. La réflection que tu observes est si belle. Peut-être un peu étrange, cependant, l’habit dans un beau tissu contrastant avec ta peau frappée par le soleil.
Sans que tu saches comment, tu te retrouves à revenir le lendemain, sans doute ton esprit avait fini par être attiré de nouveau jusqu’à cette boutique ou alors était-ce le fruit d’un hasard complet ou d’un destin amusé et puis, une nouvelle fois, tu as été entraînée dans l’arrière boutique, le ruqun dans une belle boite qui t’est donnée. Et elle continue à parler à toute vitesse, et tu es incapable de saisir un traitre mot de ce qu’elle te dit. “Ieu ajudar” et tu pointes les ateliers. A défaut de payer, tu allais au moins aider, puis il te fallait travailler, faire quelque chose de tes mains. Pour réponse, elle s’est légèrement courbée, un grand sourire aux lèvres et un remerciement, articulé doucement. Et de là a commencé un apprentissage, à la fois du Chinois, comme si tu étais un nourrisson, que tu venais de naître - ce qui est un peu le cas finalement, face à ton esprit vide de souvenirs, tu ne retiens que ta propre langue, bien inutile ici parce que personne ne semble la comprendre. Mais tu t’attaches à progresser, même apprendre à lire et à écrire, ce que tu n’as jamais su faire dans ta propre langue maternelle, puisque tu semblais en être complètement incapable actuellement. Et au fil des mois, tu commences à pouvoir parler, articuler quelques mots, des choses simples. Pendant ce temps, tu apprends aussi à tisser et à broder ce que tu tisses. Chaque année tu progresses un peu plus, surtout dans l’art complexe de la broderie, d’autant plus complexe qu’il est un secret familial bien gardé, dans lequel on n’initie pas en général les nouveaux venus, encore moins les étrangères. Le contact avec les quelques ouvrières de l’atelier a été, donc, compliqué, la barrière de la langue n’étant pas non plus une aide à votre bonne entente. Quand elles ont fini par s’ouvrir, elles t’ont enfin nommée, toi qui n’étais appelée jusque là que par des “toi, là”, elles t’ont appelée 婧敏, Jingmin, pour rendre hommage à ton adresse dans le travail. Parfois, le premier caractère était remplacé par 靚 en référence au ruqun que tu as reçu à ton arrivée, mais l’écriture qui est restée des années est bien la première.
Et les années sont passées, et tu as gagné en aisance, pour sûr. Tu avais tout ton quotidien, toute ta vie à Beijing, toute ton existence. Et avec ça, la prise de conscience progressive de ta mort, tu as eu le temps de tourner et de retourner ce qu’on t’a montré, de poser des questions à la femme qui t’a recueillie. Puis, surtout, dès que tu as su l’exprimer, tu l’as remerciée, autant que tu as pu, de t’avoir offert un travail et des habits. Mais c’était une femme profondément bonne et qui a toujours su avoir le mot juste. Elle avait construit cet atelier il y a si longtemps que personne ne s’en rappelait, puis avait construit la boutique autour et avait accueilli des ouvrières, comme toi, celles qui s’approchaient curieuses et elle leur disait “vas-y, entre ! Essaie ce vêtement, tu veux travailler ? Je t’apprendrai, essaie donc” puis les générations avaient passé jusqu’à arriver aux travailleuses actuelles, qui avaient été charmées par la réputation du lieu et qui avaient, elles, fait la demande de rentrer. Tu étais la seule à y avoir été invitée, même si tu avais de ton propre chef fait la proposition de travailler, pour aider.
Un matin en apparence tout à fait banal dans les années 1660, tu t’étais réveillée dans la petite chambre que tu avais louée avec ton salaire de tisserande-brodeuse. Plus de 60 ans après ton arrivée, tes marques étaient prises, en témoignait l’état de ton logement, où s’entassaient divers rouleaux de tissu que tu avais acheté pour te confectionner des habits, des broches et autres accessoires. Et surtout une table avec l’encrier que tu avais oublié de fermer hier soir et à côté, sur le papier, des caractères chinois tracés avec adresse, un poème dans ta langue maternelle. Des bras te retenaient dans ton lit, ceux de la femme qui tissait sur le métier à côté du tien, un bisou déposé sur ta joue, quelques mots murmurés à l’oreille, un “reste là, repose toi, travailler viendra après”. Mais toi, tu avais besoin d’aller agiter tes bras, de faire quelque chose de tes mains. Tu n’étais pas du genre à passer la matinée à te prélasser au lit. Aussi, vous évitiez d’arriver ensemble au travail le matin, pour ne pas éveiller les soupçons. S’il n’y avait pas de vrai risque à proprement parler pour vous, tu avais conscience de l’impact que peut avoir une relation sur une si petite entreprise. Alors mieux vaut la garder pour l’intimité. “Shuixing, je dois y aller, et tu ne devrais pas tarder non plus”. Et tu t’étais levée, t’étais habillée avec le plus beau ruqun de ta garde-robe, un rose pâle, que tu avais fait toi-même, du début jusqu’à la fin et que tu t’étais modestement offert. Tu jettes un dernier sourire à ton amante avant de sortir au pas de course pour rejoindre la rue marchande mouvementée.
Et là, tu te retrouves face à une apparition fantomatique, ironique vu ta condition, c’est un éventail, qui flotte là dans les airs, puis comme des fleurs, d’autres ont éclos dans les secondes qui ont suivi, alors que tu te frottais les yeux. Au milieu des passants, tu voyais cet ensemble d’éventails flottants, se secouant comme s’ils étaient tenus par des personnes qui voulaient se faire un peu d’air en ce matin où le soleil frappait déjà fort. Tu t’en es approchée, tu les as touchés, prête à reculer au moindre problème. Ta main passe à travers, ton corps est rempli d’une sensation de froid, mais un froid exaltant. Quelque chose que tu aurais du mal à décrire précisément. Puis tu as fini par réussir à t’en détacher, au fur et à mesure qu’ils avançaient et que le regard des gens pesait sur toi. Bien évidemment que la vision d’une jeune femme, concentrée sur quelque chose qui n’existe pas et qui avance allait finir par interpeller. Tu as marché jusqu’au bout de la rue, où le monde commence à se disperser quand tu reprends tes esprits et tu entreprends de faire le chemin à l’envers sous le regard accusateur de ceux qui t’ont vue à l’aller. Tu rentres dans la boutique, tu t’empresses de tout expliquer à celle qui t’a recueillie. Et ses yeux s’illuminent, se voilent et une larme commence à couler. Ah, qu’elle a l’air heureuse. “Bravo, Jingmin, bienvenue chez les poltergeist” car elle aussi était un poltergeist. Toi, tu ne l’avais jamais su, tu n’avais jamais pris le temps de poser la question et surtout tu n’avais jamais eu de personne à la poser, pas avant des années, que tu aies su comprendre et parler le Chinois. Tu connaissais si peu le monde des morts, tu comprenais que tu étais toi-même morte et que ce monde était bel et bien différent du monde des vivants, pas beaucoup plus, alors toutes ces races, tu en avais entendu parler au détour d’une conversation et pourtant tu n’avais jamais compris le fond du sujet.
Mais ce jour-là, aussi exaltée que tu étais, avec une si grande envie de te mettre au travail, de broder jusqu’à ce que la nuit tombe, l’âme remplie d’énergie, d’espoir, de joie, probablement même un peu trop, ta bénéfactrice t’a faite t’asseoir à la table dans le fond de la boutique, t’avait servi un thé et t’avait tout expliqué : ce qu’étaient les poltergeists, la nécessité de posséder des périsprits, l’énergie ectoplasmique qui en découlait puis les rituels que vous pouviez faire grâce à cette énergie. Ç’a été une journée particulièrement longue, et ton énergie nouvellement trouvée s’en est vue significativement baissée, d’autant plus que son débit de parole, toujours particulièrement rapide, restait jusqu’aujourd’hui compliqué à suivre. Ce soir là, tu es retournée te coucher dans les bras de ton amante, sans avoir pris le temps de lui expliquer vraiment, mais elle l’a probablement deviné, bien plus habituée que toi à la mort, et comprenant bien mieux que toi ta situation. Mais elle t’avait accueillie, avait caressé tes cheveux jusqu’à ce que tu t’endormes, en soufflant des mots doux, tout doucement à ton oreille, un sourire dans la voix.
En 1680, elle et toi vous aviez pris congé pour vous en aller, loin de la ville, pour que Shuixing te fasse voir sa campagne natale, tu en étais si contente et vous aviez passé une semaine à batifoler dans la campagne du Guangdong. Mais l’idylle s’est arrêtée nette à votre retour à Beijing. Lors de votre retour au travail, le lendemain, la plus vieille des ouvrières avait dit “Elle est tombée en poussière, il convient maintenant de désigner sa juste héritière parmis nous toutes. Je pense que ça devrait être moi, je suis là depuis le plus longtemps et j’ai eu le temps de voir le travail qu’elle faisait, pour le faire perdurer”. La prodige, celle que tu aimais, qui était là depuis peu de temps mais avait tant innové avait dit “Je suis l’avenir, alors la boutique me revient de droit, c’est moi qui confectionne les plus belles broderies, celles qui se vendent à prix d’or !”. La plus expérimentée, qui maîtrisait chaque technique avec une perfection chirurgicale “C’est moi qui guide vos mains lorsqu’elles travaillent, alors c’est moi qui devrait reprendre la boutique, au moins jusqu’à ce que l’une d’entre vous sache en faire autant”. Une des ouvrières, de celles qui travaillaient dur, sans être là depuis assez longtemps et qui n’avaient pas assez de talent pour produire des merveilles s’était levée et avait dit “Jingmin devrait hériter de la boutique, c’est elle qui possède l’esprit de cet atelier en ce que madame l’a invitée comme il était de coutume avant que nous arrivions, et c’était elle qui la connaissait le mieux”. Et c’est là que tu as été jetée en pâture à une horde déchaînée qui se battait dans une guerre de succession. Tu as vite refusé de concourir avec elles, tu te fichais bien de qui possédait la boutique, si celle qui t’avait aimée comme sa propre fille avait disparu tandis que personne ne semblait la pleurer, à part toi. Puis tu es aspirée dans un souvenir du passé qui remonte, une maison sans décoration, une table en bois au centre de la pièce. Une femme, que tu connais, dont tu es proche, tu ne te rappelles pas son nom ou votre lien. Elle dit à l’homme qui se tient face à elle, visiblement plus vieux “Elle ne veut pas se marier, laisse-la mener son troupeau, elle ne fait de mal à personne, j’aurai des enfants à sa place pour perpétuer notre famille, ne t’en fais pas. Laisse la, elle”. Tu es prostrée dans un coin, seule et triste.
A partir de là, Shuixing s’est fait de plus en plus distante, jusqu’à ne plus jamais te visiter, jusqu’à faire semblant de ne plus te voir, tandis que tu portais encore dans ton coeur le deuil, c’était un second coup de poignard dans le dos. La guerre intestine s’est poursuivie si longtemps que tu as oublié d’en garder trace. Tout ce que tu te souviens, c’est qu’en 1698, 100 ans après ton arrivée, comme si ton horloge biologique sonnait minuit, l’heure de s’en aller. Tu as eu un besoin irrépréssible, celui de partir, renforcé par la mésentente installée dans l’atelier depuis que la guerre s’était achevée dans la victoire de l’aînée, encore pourtant contestée par la prodige, peut être un peu trop vaniteuse. Au marché, tu avais fait la rencontre d’une voyageuse d’origine Russe, vous avez longuement parlé, plusieurs soirées, un verre à la main, à discuter de pourquoi tu voulais partir, de ta vie et de plus encore. Et elle a fini par te proposer de t’embarquer pour sa prochaine expédition, celle qui rentrait à Moscou. Un voyage de 2 ans en contournant le Tibet, tout droit à travers le Kazakhstan jusqu’à Moscou. Tu aurais la lourde charge de t’occuper des bêtes qui tiraient les chargements.
Tu as entrepris, dans les jours qui suivent, de troquer tes belles tenues pour des habits de voyage, bien plus pratiques, pourtant qui te rendait triste au fond de toi. Tu n’as gardé que le ruqun pêche offert par ta mère de coeur à ton arrivée, maintes fois recousu mais toujours aussi beau, et surtout tu ne pouvais pas t’en séparer, puisqu’il était une des rares traces de son existence qui restaient encore là. Puis tu étais partie sans dire aurevoir aux ouvrières de l’atelier - plus rien ne te retenait vraiment là bas et tu ne tenais pas vraiment à confronter Shuixing et les autres sur le sujet de ton voyage. Tu avais bien conscience de la difficulté du voyage et du risque de ne pas arriver à bon port, mais si le destin en décidait ainsi, tu te disais, alors tu l’accepterais le sourire au lèvre avec dans la tête les souvenirs d’une vie bien vécue.
Le jour de partir, tu étais remplie à bloc, tu as salué chaque personne qui composait l’expédition, tu les as remercié de te laisser y participer, et tu es montée dans une des nombreuses carrioles avec tes collègues. Et chaque soir tu brossais les animaux, t’assurais qu’ils soient bien nourris, qu’ils étaient en bonne santé puis après ça tu aidais tes collègues à dresser le camp. Tu as écouté longuement les histoires de tous ces gens, des histoires aussi différentes les unes des autres, des horizons différents que tu te plaisais à découvrir. A la moitié du voyage, quand vous entrez dans les montagnes d’Afghanistan, tu as encore ces flashs qui ont émaillé tes 100 dernières années. Moutons, montagne, estives.
FUITE EN AVANT
Quand tu as mis les pieds à Moscou après 2 ans de voyage, tu as eu la sensation d’être revenue cent ans en arrière, au port de Tianjin. Chose que tu n’avais pas prévu avant de partir, tu te retrouvais encore une fois dans un pays où tu ne connais rien de la langue, à ceci près que tu maîtrisais maintenant le Chinois. Une fois une chambre louée dans une des auberges du centre de Moscou, tu es ressortie le lendemain, après avoir pris une bonne douche, à la main le papier que tu gardais dans ta valise pour écrire sur ton voyage, sur celui-ci écrit en chinois “Cherche instructeur de russe, parle uniquement chinois” en jolis caractères bien tracés suivi d’une indication sur comment te trouver : c’est à dire demander Jingmin avec l’adresse de ton auberge. Tu l’as placardé dans les rues autour, un peu partout où tu le pouvais, dans l’espoir d’avoir une réponse rapide.
Il n’a fallu que quelques jours pour qu’une jeune femme se présente. Originaire de Khabarovsk, elle avait appris dans sa jeunesse à la fois le Chinois et le Russe et dans sa mort avait eu une éducation formelle à la linguistique. Elle était donc l’enseignante parfaite, et tandis que la neige s’amoncelait à l’extérieur, que tu avais une terrible envie de la voir, toi qui l’aimais tant, c’était finalement devenu un peu ta récompense, chaque soir, après les leçons. Et quand la neige a fini par fondre, la sévérité de ta tutrice a fondu avec elle. Vous avez fini par vous voir un peu plus souvent, même en dehors de vos cours. A parler, beaucoup, d’abord sous couvert d’avoir une pratique réelle de la langue dans un environnement contrôlé pour vérifier que tout allait bien, puis ensuite les excuses ont fait place à un réel intérêt de l’une pour l’autre. Puis vous avez aussi eu, l’une pour l’autre, cet intérêt parce que vous pouviez continuer à pratiquer le Chinois entre vous, comme une langue secrète que les autres ne comprenaient pas. Tu ne voulais surtout pas oublier ces mots-là, ceux qui avaient donné un sens à ta vie, ta bénéfactrice encore dans un coin de ta tête en te disant que tant qu’elle existerait en toi, elle serait toujours là quelque part à t’observer.
Vous vous étiez dit votre affection mutuelle en 1708. A ce moment là, tu avais déjà commencé à peindre depuis plusieurs années, à défaut de continuer à broder, le geste étant trop chargé de souvenirs doux-amers et tu commençais à maîtriser le Russe sur le bout des doigts. Tu avais finalement troqué les habits de voyages pour de jolis tissus nobles colorés, des grandes et belles robes à la mode européenne. Tout a commencé à une réunion de son cercle de linguistes, dans une belle maison richement décorée. Un des invités avait mis les pieds dans le plat, il vous avait demandé la nature de votre relation, c’était sans doute un peu déplacé, mais en réalité, c’était loin d’habituel d’inviter des gens extérieurs à ce genre de réunions, exception faite des conjoints, hors vous n’aviez jamais pris la peine d’expliquer la relation qui vous liait - c’était une relation pour le moins complexe, en tout cas vous le pensiez, où de chaque côté s’entremêlait l’enseignement du russe, une amitié complice non dissimulée et quelque chose d’autre, de très fort, qui vous accrochait l’une à l’autre.
Et ça avait pris au moins deux mois de plus pour qu’elle prenne son courage à deux mains et que vous ayez la grande discussion. A l’issue de quoi vous vous êtes mises en couple et tu as emménagé chez elle, dans une petite maison à l’extérieur de Moscou où tu as même pu aménager ton propre bureau. Ici, tu avais plus d’espace que tu n’en avais jamais eu, un lit dans lequel tu nageais sous les coussins. C’était vraiment beau, et agréable.
Tu as longuement pratiqué la peinture, essayé des nouvelles choses, pas souvent concluantes, tu t’es beaucoup amusé dans tes expériences. La tradition baroque de ton époque ne te passionnait pas outre mesure. Tu as intégré un cercle de peintre, qui est resté très confidentiel, peut être à cause de votre esprit trop à l’avant-garde. Votre pratique, à force de tentatives et d’explorations, a aboutit à des tableaux qui se rapprocheront du fauvisme. Tes tableaux ne rapportaient pas tant d’argent que ça, mais heureusement les travaux de ta femme étaient bien suffisants. Vous avez continué à fréquenter les soirées mondaines, à échanger avec des scientifiques et des artistes de Moscou, à vous aimer. Tes meilleures peintures, celles qui étaient les plus appréciées, étaient celles qui représentaient les flashs que tu avais de ton pays natal, les montagnes, l’eau, les animaux.
Puis en 1768, alors que tu achevais ton troisième roman, que tu écrivais à la fois dans ta langue maternelle, en alphabet latin puisque tu l’avais finalement appris, à la fois en russe, pour que chacun puisse le lire, tu as entendu un bruit de verre qui se brise, de corps qui tombe au sol. Tu te précipites en bas et tu observe le corps de ta femme se dégrader à vue d’oeil et la panique s’empare de toi. Tu ne sais pas quoi faire. Tu la met au lit et tu demandes à un voisine d’aller chercher un médecin en ville pour qu’il l’ausculte. Quelques heures plus tard, le verdict tombe à peine le médecin la voit-il : zombification. C’est irrémédiable. Si ce n’était que ça, ce ne serait pas un soucis, le problème de fond étant qu’elle en ressort complètement amnésique. Incapable de se rappeler jusqu’à son propre prénom. Comme un espèce de tour macabre te rappelant ta propre existence.
Après ça tu as aménagé un espace pour dormir dans ton atelier et tu es restée près d’elle, pour essayer de l’aider à se souvenir. Ton troisième livre est sorti, il a eu un certain public, sans pour autant sortir des cercles restreints de gens intéressés par ce genre de littérature. Et les mois sont passés, sans voir d’améliorations, sans que les souvenirs lui reviennent. Ca t’a pesé, tellement fort sur le coeur. Tu as fini par lui dire aurevoir, tu ne pouvais plus lui imposer ta présence et ça te faisait trop mal à toi. Elle était redevenue assez autonome pour que tu la laisses seule.
Tu as espéré, souvent, pendant les 30 années suivantes, voir des améliorations, qu’elle aussi ait ce genre de flashs pour lui rappeler ce qu’elle était avant, ce qu’elle faisait, ce que vous étiez. Tu t’es souvent dit que tu pourrais essayer de la charmer, encore une fois, avant de te rappeler que non : ce ne sera plus jamais comme avant, et tu ne veux pas d’une nouvelle personne, tu veux retrouver ta femme. Alors tu as à chaque fois redouté l’espoir d’autant plus que tu avais déjà posé ces pensées là. Tu as fini par arrêter totalement de la voir, à la fin. Plus rien n’avait de sens à Moscou, chaque soirée te semblait insipide et inutile.
Quand minuit a sonné une nouvelle fois et que tu as eu le besoin de partir d’ici, tu as décidé de mettre cap sur la France, pour te rapprocher un peu plus encore de ta région natale que tu cherchais à rejoindre depuis deux siècles. Ou en tout cas que ton corps te poussait à retrouver. Tu as déchiré les toiles que tu n’avais pas vendues. Tu ne lui en avais laissée qu’une, une peinture de vous deux, main dans la main. Elle représentait le dernier morceau d’espoir, si mince qu’il était pratiquement devenu invisible, un tout petit fil qui liait encore ton âme à la sienne. Tu avais griffoné au dos, au crayon : si tu te souviens, trouve moi, je serai à Paris. Puis tu avais entrepris de te débarrasser de ce qui était en trop, d’acheter une monture et de troquer encore une fois tes belles robes pour des vêtements de voyage puis tu étais partie à dos de cheval pour un long voyage. Ca t’a pris 9 mois et tu es arrivée à Paris quand pointait le Printemps, signe du renouveau.
LASSITUDE
Ton passage à Paris a été des plus oubliables. Le renouveau tant attendu n’a pas eu lieu. Hormis la haine profonde que tu ressentais, inexplicable, pour les gens d’ici - tu n’as d’ailleurs jamais poussé l’étude du Français au delà du strict nécessaire, tu as passé un siècle seule, à souffler ton verre dans le jardin de ta maison au Sud de Paris. Il y a bien eu quelques moments positifs, mais passagers. 200 ans t’ont appris à te méfier des gens, que les amours et les amitiés n’étaient pas durables et tu en as encore eu la preuve. Tu t’es battue pour faire importer des romans depuis la chine que tu as gardé comme ta plus précieuse possession et que tu as utilisé pour maintenir ton niveau de Chinois. La langue te tenait tellement à coeur que tu as trouvé un groupe, au Nord de Paris, d’expatriés Chinois avec lesquelles tu te plaisais à converser autour de banalités. Encore une fois, cette expérience n’a rien eu de notable.
Tu as complètement abandonné la peinture depuis ta fuite de la Russie, cependant, à la place des romans, tu t’es attelée à écrire une description de la vie dans le val d’Aran à partir des bribes de souvenirs que tu as retrouvés au fil des siècles. Jusqu’à ce que tu te décides, au tournal du 20è siècle à entreprendre un long voyage d’étude dans le val d’Aran pour préciser ce document et espérer retrouver le pays qui t’a vue grandir.
Tu y as habité une vingtaine d’année, en abandonnant ton métier de souffleuse de verre qui ne te passionnait pas outre mesure. Tu es devenue une sorte de femme à tout faire, qui courrait à droite à gauche entre deux moments d’écriture de ton rapport. Tu l’as fini et c’est à ce moment que tu t’es rendue compte que ta longue quête multicentenaire pour retrouver tes origines était particulièrement inutile. Tu as tout de même fait envoyer le rapport - rédigé en russe et traduit en chinois, à une presse de Moscou, où il doit être imprimé et diffusé par une maison d’édition qui s’était dite intéressée par ces recherches. Tu y as décrit le quotidien des habitants de ton petit val et tu y as intégré les maigres souvenirs que tu avais de la vie de bergère que tu as menée. C’est la seule chose que tu as créée que tu as signée de ton ancien nom - Anhès, sans nom de famille car celui-ci ne t’étais jamais revenu, parce qu’il te semblait bizarre d’en faire autrement. Comme si ton prénom en lui-même témoignait d’un certain sérieux de ton travail. Peut être aussi pour ne pas remuer ton passé moscovite.
Après une longue réflexion, au vu de ta détestation de la France, que tu as fini par savoir expliquer par la tentative d’invasions répétées de ton territoire par la France pendant ta vie et ta mort dûe directement à une de celles-ci, tu décides de finalement continuer ton voyage et de te diriger un peu plus au sud, dans la région de Valence en Espagne, sur la côte. Tu y travailles comme boulangère-pâtissière pendant un siècle. Heureuse de trouver une activité qui apporte un peu de bonheur aux gens et qui ne te mette pas trop en avant - finalement tu préfères ça.
Finalement, un matin quelconque en 1987, tandis que tu tenais la caisse de la boulangerie-pâtisserie dans la quelle tu travaillais - ce qui n’arrivait vraiment pas souvent, un zombie a poussé la porte et, dans les 5 minutes pendant laquelle il est resté, a prédit ta tombée en poussière en 2080. Ta première réflexion a été de te dire qu’il racontait des bêtises et que tout ça était faux, puis a germé l’idée que tu vivais peut être tes derniers instants. Le destin en avait peut être décidé ainsi en voyant que tu avais achevé ce que tu devais faire sur cette terre et qu’il était peut être temps de passer à autre chose. Tu as fini par l’accepter et décidé qu’en 2020, tu retournerais là où tout a commencé à ta mort, c’est à dire Tokyo et que tu y vivrais finalement une sorte de retraite. Tu as travaillé pendant les 40 ans qui te restaient à apprendre le Japonais. Juste avant de partir, tu as acheté une boutique et l’appartement attenant avec tes économies, alors tu avais bien assez pour arrêter de travailler et vivre confortablement jusqu’à la fin, mais tu ne te voyais pas cesser d’être active. Tu as embarqué un matin de Janvier 2020 pour Tokyo, 100 ans après ton arrivée, après un nouveau tour d’horloge.
RENOUVEAU
Ton emménagement à Tokyo a été celui qui a été le plus simple, le plus évident depuis que tu es morte. Le premier qui était réellement prévu et le premier où tu parles la langue du pays. La première chose que tu as faite, c’est d’aller découvrir la ville et tu as poussé la porte d’un salon de thé, tout à fait innocemment, qui au fil des années est devenu un de ses lieux favoris de la ville, à la fois pour leurs infusions, les soirées non-mixtes auxquelles tu prends un grand plaisir à participer et à apporter de tes propres gâteaux pour régaler tout le monde. Et surtout, plus que tout autre chose, tu apprécies Lalaland parce que tu as fini par te lier d’amitié avec lea gérant⋅e, Polar, et tu as pu accéder au reste de livres qu’iel possédait et tu y as trouvé quelques titres en chinois. Cette langue ayant toujours une importance capitale dans ta vie, tu aimes pouvoir prendre le temps de lire. Avec les années, tu as lu la collection en chinois de Polar, mais c’est toujours ton lieu de prédilection pour lire, malgré tout.
A côté de ça, tu vis essentiellement la nuit, un rythme qui t’a semblé évident maintenant que tu es là, avec ta boutique qui ferme dès midi pour te permettre de dormir. Tu y produis un petit nombre de pains et de gâteaux, qui changent régulièrement pour ne pas lasser la clientèle. La seule constante étant un pain tressé au pesto avec du fromage gratiné, ta spécialité et ton best-seller.
derrière l'écran
Prénom/surnom : Solelh
Age : 22 ans
Tu voudrais être rajouté à une coloc ? [ ] Oui [X] Non
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