What weirdos in the shadows [Wynn & Huia]

J'ai vraiment mis les pieds dans le plat, hein? Non mais autant ne pas le cacher, histoire qu'on avance, allez faut l'admettre et puis c'est bon. Je lui ai retourné la question, j'ai pas réalisé que c'était peut-être personnel ou tabou. Bravo Huia, les conventions sociales tu les apprendras demain, aujourd'hui tu peux regretter, et y repenser encore pendant quelques années.

Wynn est assez poli et attentionné pour répondre, mais je sais que le coeur n'y est pas. Enfin, je crois, je sens. Ce qui est certain, c'est qu'il n'est pas à l'aise, trébuche sur ses propres mots, cherche de l'air pour remplir et sortir de ses poumons. Je veux le rassurer, le garder avec moi, l'arracher à ses propres démons.

"Ouais, t'inquiète. On va parler d'autre chose. Si t'as envie de revenir là dessus plus tard, j'écouterai"

Je le prends par la main et sors de la discussion, mais laisse la porte ouverte. S'il veut m'y tirer à nouveau, je suivrai, jusque là j'avance vers l'inconnu. Ailleurs. Tout pour ne pas le forcer à y repenser.

J'inspire, laisse courir mes yeux sur les livres, la décoration, le dos de mes mains. De mes si belles, fines et douces mains. Roses et blanches, pour tout le monde, mais pour moi et personne d'autre, rouge, rouge écarlate, rouge délicieux. Le rouge d'une passion jouissive, d'une indulgence assassine.

"J'arrive toujours pas à me faire à l'idée d'être une meurtrière. Surtout, que ça me dérange si peu, en fait. J'en dors pas mal la nuit, je culpabilise pas, j'en ai rien à faire."

Et pourtant, quand je le met en mots crus, j'ai l'impression que ça devrait déranger. C'est une phrase si grave pour les vivants, pourtant, si lourde.

"Je tue des gens, quoi."

Et le pire? Parfois, j'aime le faire. J'aime le goût du sang, j'aime le sursaut d'adrénaline qui court le long de ma colonne, j'aime sentir que l'interdit est brisé, que je me permets ce qui m'a été impossible. Je sais pas si ça fait de moi une sadique, je me demande encore vraiment où sont les limites de mes concepts.

« Ouais, t'inquiète. On va parler d'autre chose. Si t'as envie de revenir là-dessus plus tard, j'écouterai »

Il hoche la tête. Ce qu'il ressent ? Beaucoup de soulagement de ne pas avoir à continuer d'en parler. Un soulagement de ne pas avoir à y repenser trop longtemps. Ses mains serrent le verre, comme s'il s'accrochait à tout ce qui est possible pour ne pas totalement perdre pied. Il a encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir en parler librement et même si ça ne l'étonne, il se surprend à être déçu de lui-même. Surtout qu'il sait qu'il va devoir parler de cette... Situation a son psy, mais qu'il n'y arrivera pas. C'est plus simple de mettre ça de côté. Alors il soupire, fixant son verre pour éviter de regarder Huia. Il sent que sa phrase et son intervention ressemble à une forme de gentillesse, mais il n'est pas encore habitué à... Ça. Et peut-être que ça devrait le rendre triste, mais la réalité c'est qu'il est juste parfaitement confus. Et il l'est encore plus quand la voix de Huia le sort de ses pensées sans prévenir

« J'arrive toujours pas à me faire à l'idée d'être une meurtrière. Surtout, que ça me dérange si peu, en fait. J'en dors pas mal la nuit, je culpabilise pas, j'en ai rien à faire. »

Il cligne des yeux. Pourquoi il attire des gens qui se confie à lui, lui qui ne sait jamais quoi dire ? Quoi faire ? Est-ce qu'il doit la consoler ? Est-ce qu'elle se contente de dire ce qu'elle a sur le cœur sans attendre quoi que ce soit en retour ? Et surtout pourquoi c'est aussi difficile de l’entendre dire ça ? Peut-être parce qu’il se retrouve dans ces paroles. Cela fait maintenant si longtemps et pourtant, par moment, il se sent si déconnecté avec le fait d’être un meurtrier. De devoir survivre en prenant la vie de d’autre personne, contribuant à peuple le Monde des morts bien trop vite. Mais à l’inverse d’Huia, il le sait, la culpabilité le ronge. Et son passé n’est probablement pas étranger à ce sentiment.

« Je tue des gens, quoi. »

Il prend une grande inspiration, reposant le verre vide sur l’ilot derrière lequel il se cache toujours, créant une barrière physique entre lui et la vampire.

« Des fois, j’oublie aussi. »

Petite pause, un peu trop longue à son propre goût

« J’oublie qu’on survit en tuant des gens. En faisant d’eux des vampires, qui ne feront que reproduire les mêmes actions que nous, et ainsi de suite. Mais je pense que quelque chose nous différencie. »

Il relève la tête, fixant le vide face à lui avant de poser ses yeux sur Huia.

« Je crois que je ne peux m’empêcher de culpabiliser. Et de détester chacun de ses instants … Tout en les attendant impatiemment parce que la faim reprend irrémédiablement le dessus. A chaque fois. »

Il se passe les mains sur le visage, prenant de nouveau une longue inspiration avant de soupirer tout aussi fort. Est-ce qu’il a vraiment envie de continuer sur ce terrain glissant, sur ce sujet qui peut facilement le sortir de ses gonds ? Peut-être. Peut-être que, au fond, ça le démange d’en parler à quelqu’un.

« Et je ne sais pas si je préfère ressentir ça, ou ne rien ressentir du tout. Mais … »

Il revient lentement vers le canapé, à pas lent, comme incertain de vouloir se rapprocher ou non

« … Je pense que c’est peut-être l’âge post-mortem qui joue. J’ai dépassé les 100 ans de mort, après tout. Ah, pourquoi je parle de ça. »

Je savais pas vraiment où irait la discussion, si j'avais mis les pieds dans le plat. Je ne sais pas vraiment ce qu'il est convenu de discuter, entre vampires, ce qui relève du tabou, quels aspects de nos non-vies sont privés. Wynn s'ouvre, je crois que c'est simplement sa nature. Ça me rassure, je n'ai pas fauté, je n'ai pas créé une discorde.

Et ça me fait rire cyniquement, ce que j'entends. Nos conditions parfaitmeent contraires, nos démons inverses, on s'est pas trouvés par accident, faut croire. J'imagine sans gêne que la plupart des vampires doivent se ficher de prendre des vies, ou ont déjà trouvé des alternatives donnant l'illusion de ne pas le faire. Mais on est là, deux pauvres âmes, à se poser trop de questions pour notre propre bien. Enfin bon, c'est un sport olympique chez moi, ça. Je fixe son verre, vide, je vois périphériquement son regard revenir sur mon visage. Et mes yeux plus vides encore.

"Avoir peur d'être un monstre, et avoir peur de pas réaliser en être un. On a l'air fins."

Je reformule le problème, la manière dont je le comprends. Et ça me fait pouffer à nouveau, vraiment, c'est si drôle, en fait. J'ai pas compris ce qu'il a dit, tout à la fin, j'imagine qu'il a dû jurer dans sa langue natale ou quelque chose. Je peux pas l'aider, pas le rassurer, j'ai rien à lui fournir pour l'apaiser. Et c'est réciproque. On est deux, chacun au fond de notre puits, sans corde à se lancer. Super.

"Je vais peut-être arrêter de te... t'embêter avec mes affaires de vampire en bourgeonnement, ça met pas une super ambiance."

Un des dons que j'ai, au moins, c'est une certaine aisance à exprimer des choses claires, sans gène. J'aurais d'autres de mes inquiétudes à lui présenter, mais ça n'a l'air d'aider personne. Ni lui ni moi ne gagnons à en parler, rien sur rien. Pour tenter quelque chose, je me permets une blague, le contexte est pas forcément des plus propices, mais c'est une tentative honnête.

"Et t'inquiète pour ton âge, tu fais plus jeune."

Alea jacta est.

« Avoir peur d'être un monstre, et avoir peur de pas réaliser en être un. On a l'air fins. »

Il ne s’attendait pas à cette réponse. Il hausse les épaules, continuant de regarder dans le vide, les mains qui s’accroche au dossier de son siège. Petit à petit, il accepte de revenir près de Huia, même inconsciemment. Il n’arrive pas à savoir si c’est juste par politesse, cette fichue politesse qui le pousse parfois à se mettre dans des situations très inconfortables, ou parce qu’il en a envie. Ses doigts jouent avec le dossier, dansant comme incapables de rester calme. Il est agité, pas à l’aise alors qu’il est pourtant chez lui. Mais il sait aussi que cette sensation, c’est parce qu’Huia a raison. Iels font un drôle de duo, à la fois opposé et pourtant si proche. Il la regarde pouffer de rire, sans trop comprendre pourquoi mais il sent que ça n’a pas d’importance. Dans un soupir, il fini par se rassoir face au canapé, jouant toujours avec ses doigts étranglements blanchâtres. Il faut croire que l’anxiété influence sur son afflux sanguin.

« Je vais peut-être arrêter de te... t'embêter avec mes affaires de vampire en bourgeonnement, ça met pas une super ambiance.

… Non, c’est moi. J’ai juste du mal avec ce genre de … discussion. »

Il inspire, expire lentement. Il peut s’arrêter là, s’il veut. Mais étrangement c’est justement tout ce qu’il ne veut pas, alors il reprend avec sa voix grave, presque tremblotante.

« J’essaye d’aider les jeunes vampires, parce que je ne veux pas voir quelqu’un terminer comme moi. J’apporte le peu que j’ai, pour ne pas voir d’autres personnes devenir monstrueuses. En réalité je n’ai pas peur d’être un monstre, c’est ce que je suis. J’ai peur de refaire des choses monstrueuses. »

Il entend l’écho de sa voix comme au loin. Pourquoi il lui dit tout ça ? Et surtout, pourquoi il se sent assez à l’aise pour parler de ça ? Les relations humaines restent un vrai mystère pour lui, lui qui se cache derrière des murs toujours trop hauts et trop épais. Il se gratte la tête, maugréant des petits « Bref, voilà » sans trop de convictions. Il hésite à continuer, mais il s’arrête dans son élan sans rien rajouter de plus.

« Et t'inquiète pour ton âge, tu fais plus jeune. »

Silence. Il lève les yeux vers Huia, entre étonnement et incompréhension

« En même temps … je suis mort à 28 ans. »

Il faut croire que la tentative de blague lui passe au-dessus. Pauvre Huia. Il se râcle la gorge, presque en toussotant avant de reprendre

« … Est-ce que ça t’intéresse de voir ma bibliothèque du coup ? »

J'ai quand même l'impression que je fais peur à Wynn. Remarquez, ce serait pas le premier, j'ai réussi à faire croire par accident à une jeune morte que j'allais la re-tuer en choisissant mal mes mots. Le pire, c'est que je sais pourquoi. Je suis trop directe oralement, trop perçante. Pas bien, Huia, pas bien du tout...

Je l'entend se confier, j'ai même le sentiment gênant d'en entendre plus que je n'aurais dû. Comme si je lui avait arrahcé un secret malgré lui, que je le lui tirais des poumons par le tourment. C'est un grand signe de confiance néanmoins, je l'accepte avec la révérance que ça mérite. J'essaie. Mais ça me met mal à l'aise.

"Ça risque d'être trop tard, pour me sauver moi."

Je mens. Haha, vous l'avez entendu? Non mais je m'aide pas, faut que j'arrête, hein. J'aurais voulu appeler à l'aide, mon esprit tordu tourne à sa manière mes mots, je voulais saisir sa main et la claque plutôt. C'est comme si mes yeux pleuraient et que les braises de mes poumons crachaient des flammes pour l'empêcher de profiter de ma vulnérabilité. Comme s'il était une menace, lui, lui parmi tous. Je serai mon propre ennemi du début à la toute fin, je reste figée dans mon conflit interne insolvable, incapable de me rectifier ou dire la simple vérité.

Il me tire de mes propres abysses en me rappelant l'objet de ma visite. Ah, petite cachottière, à enchaîner mensonge sur mensonge, le premier te rattrape toujours. Quoique c'en était pas vraiment un à la base, mais devant le fait accompli c'est tout comme.

"Ouais, ouais bien sûr. J'ai toujours besoin de bouquins en japonais pour apprendre la langue."

Voilà, je reprends le fil de mes tromperies pour les synchroniser à la vérité, je me sens déjà mieux. C'est con, c'est des trucs qui se passent dans ma caboche, mais ça me fait quelque chose dans les tripes de rejoindre le sol stable. Le vrai. Ce qui ne peut pas changer. Je me rappelle avec un temps de retard qu'il a mal réagi à mon humour, pas par cruauté: il lui manquait simplement la grille de lecture sur le moment.

"Et, euh... C'était une blague, pour ton âge."

Je jette une pièce en l'air, peut-être que j'aurais mieux fait de pas revenir là-dessus, peut-être que c'était mieux de mettre fin à la séquence. Je me doutais doucement que ça serait gênant à entendre pour lui, mais je déteste garder des discussions inachevées.

« Ça risque d'être trop tard, pour me sauver moi.

Je ne sais pas. Mais peut-être que oui. Après tout, j’ai bien réussi à sortir du trou où j’étais. »

Il n’en dit pas plus, c’est suffisant pour lui. Mais est-ce suffisant pour elle ? Il n’y pense pas vraiment. Wynn n’a jamais été doué pour les mots, pour s’exprimer et surtout exprimer ce qu’il y a dans sa tête. Il y a toujours une part d’égoïsme dans ses paroles ; est-ce qu’il s’adresse vraiment à Huia ou l’utilise-t-il comme un miroir pour parler à son propre reflet ? Il se pense sincère, en tout cas. Il a cru longtemps ne jamais pouvoir être sauvé, ne jamais réussir à s’améliorer et pourtant le voilà dans un appartement bien trop propre et rangé, loin de la rue. Loin du sang, de la rouille et des fonds de ruelles. Il se fait raisonnable, presque calme. La colère gronde parfois -trop souvent encore à son goût. Mais il se fait petit à petit à l’idée que peut-être que c’est juste ce qu’il est lui et non le monstre vampirique qui le ronge.

« Ouais, ouais bien sûr. J'ai toujours besoin de bouquins en japonais pour apprendre la langue.

J’ai beaucoup de livres en anglais, et quelques uns en gallois. Mais je peux aussi te montrer ma collection de livres en japonais. »

Il se lève, fixant Huia comme s’il l’attendait. Puis il s’approche de l’énorme bibliothèque présente dans un coin de son appartement. Comme le reste, elle est parfaitement ordonnée si on omet une petite pile de livres dans un coin -son coin pile à lire. Parfois il se laisse aller et il ne la range pas tout de suite, mais à la voir à cet instant il a très envie d’y mettre un peu d’ordre. Peut-être parce qu’il n’est pas à l’aise, qui sait.

« Et, euh... C'était une blague, pour ton âge. »

Oh. Oh.

« … Je vois. Cela explique certaines choses. »

Silence.

« Désolé de ne pas avoir compris. Alors … »

Il se tourne de nouveau vers sa bibliothèque, accompagnant chaque mot par des gestes, ou des livres qu’il lui présente. Etrangement, c’est le moment où il semble le plus vivant ; un comble pour un vampire mort. Il prend soin de chaque livre, touchant les couvertures comme si elles étaient faites de la plus fragile des matières. Il prend, il présente puis il range. Ce n’est pas le genre à parler plus que ça, toujours sur la réserve et calme et pourtant. Pourtant il montre un visage presque plus doux, ou en tout cas aussi doux que cela semble possible pour lui. Cela dure plusieurs dizaines de minutes et de temps à autre, il met un livre entre les mains d’Huia avec toujours autant de délicatesse … Mais sans vraiment lui demander son avis pour autant. Est-ce qu’il sera capable de s’arrêter par lui-même ?

« Ici, c’est le coin que je réserve pour mes livres en gallois. C’est assez difficile d’en trouver ici au Japon alors il m’arrive d’en commander. Je … me doute que tu ne parles pas gallois, mais je trouve les reliures particulièrement belles. Ici c’est plus anglophone, je dois même avoir un livre en français mais je n’ai jamais réussi à le lire. C’était peut-être un cadeau … Non, c’est vrai. Ah, et voilà mes livres en japonais. Je lis surtout du roman policier, mais j’essaye aussi d’expérimenter un peu … Ça ne marche pas toujours cependant. Récemment j’ai même voulu essayer … Ah, non, rien. Tiens, tu devrais prendre ceux-là, mais j’aimerais que tu y fasses très attention. »

Et c'est foutu. J'ai dit que c'était trop tard, avec l'espoir inconscient qu'il vienne m'arracher quand même aux ombres, il me répond que la porte est encore ouverte. Et c'est tout. Rien ne va changer, rien ne changera jamais entre moi et mon démon, parce que je sais pas demander de l'aide. C'est insupportable, je peux tout dire à tout le monde sans la moindre gêne, mais demander un service à une personne de confiance, Ô seigneur vous n'y pensez pas. Tu gères Huia, espèce de clown, va.

Allez je suis punie, je garde le silence alors qu'il me fait le tour de sa collection. Il a l'air passionné, inspiré par les papiers et leurs glyphes, comme dévoué entièrement. Voir quelqu'un avec encore plus de dévotion pour les bouquins que moi, ça me fait bizarre dans un sens, mais j'aime bien. J'aime bien le voir parler, ne pas me regarder, se concentrer sur le savoir condensé entre ses mains. Ou les miennes, j'encaisse chaque livre sans un commentaire, je lui fais confiance. De toute manière, je parviendrais tôt ou tard à tout déchiffrer, aucun ne sera perdu.

"J'y ferai attention, t'inquiète."

Je vois les mangas qu'il a refusé d'évoquer. Les couleurs parfois criardes des couvertures dénotent avec le reste, c'est même difficile de les rater. Mais j'ai pas envie de presser le sujet, s'il ne veut pas en parler, n'en parlons pas. Reste que je tiens la pile avec la même solemnité qu'il n'a parcouru son sanctuaire, le même soin. C'est sacré, les livres.

Les livres acquis, j'ai plus vraiment d'excuse pour lui tenir la jambe, ni hanter ses quartiers inutilement. C'est du parasitisme, en plus. Je sais même pas ce que j'étais venue chercher, mais j'ai l'impression de pas l'avoir obtenu. Pas grave.

"Et merci, Wynn. J'apprécie."

Les livres, et l'accueuil. Même si la discussion devait avoir l'air bizarre pour des spectateurs extérieurs.

Quand il parle de livre, il peut facilement se perdre. Wynn n’a pas énormément de passion mais s’il y a bien quelque chose qui peut le faire parler, c’est les livres. Il aime l’odeur des couvertures et des pages, la douceur de ces dernières, mais aussi toutes les histoires qu’ils peuvent contenir. Il aime se perdre dans les mots, plongé son esprit dans quelque chose qui te sort de ses propres démons. C’est une bouée de sauvetage, une bouffée d’air frais. Et même s’il n’est pas le plus doué pour l’exprimer correctement et de manière explicite, ça se ressent. Il continue de parler avec passion, plus rapidement que d’habitude aussi. Au point que si quelques yeux observateurs se plissent, ils pourront apercevoir un très léger rictus aux bords des lèvres du vampire. Ce qui n’arrive presque jamais, ou en tout cas rarement avec quelqu’un pour voir ça. Il ne fait même pas attention à Huia qui semble le regarder silencieusement, sans faire un commentaire ou sans même oser l’interrompre. Il semble si détendu qu’il y a une vague sensation un peu uncanny.

« J'y ferai attention, t'inquiète.

Je sais. »

Silence. Il est lui-même étonné par sa réponse. Comment peut-il le savoir ? Et pourquoi cela semble lui venir aussi … Naturellement ? Pour la première fois depuis un moment, Wynn regarde Huia dans les yeux. Peut-être que sa réponse ne fait écho qu’au comportement respectueux et doux de la vampire. Peut-être parce qu’il ressent quelque chose qui lui semble totalement inédit : une forme de confiance et de respect. La surprise grimpe d’un cran, à tel point qu’il oublie qu’il est en train de la fixer depuis de longues secondes sans dire un mot, la bouche très légèrement entrouverte. Il ne comprend juste pas cette situation si … Bizarre. Ça ne lui plaît pas. Et pourtant il ne ressent pas de colère, plutôt de la confusion.

« Je sais parce que je crois que … je te fais confiance. D’une certaine manière. »

Il détourne le regard subitement, comme regrettant ses paroles. Léger soupir.

« Et merci, Wynn. J'apprécie. »

Ces mots sonnent comme une porte qui se referme, comme un départ annoncé sans l’être. Wynn le ressent sans le comprendre, sans en être sûr. Il voit Huia les bras qui débordent de livres et pourtant … Pourtant elle les tient avec délicatesse. Avec soin. Ça le gêne, sans explications. Mais une promesse est une promesse et il ne cherchera pas à les reprendre avant qu’elle les lui rende par elle-même. Il hoche la tête.

« De rien. »

Il tourne la tête, observant les rayonnages. Puis il voit quelque chose qui lui attire l’œil. Il lève la main, se ravise, puis réitère son geste lentement. Ce livre, il le tient à deux mains, parce qu’il y tient beaucoup. Il le regarde, pianote sur la couverture avant de le poser sur les autres livres que tient Huia.

« Je … J’aimerais te prêter celui là aussi. C’est The Four Ancient Books of Wales, un classique de … Chez moi. C’est une version anglaise et galloise. »

Le silence qui suit est long, bien trop long.

« Si jamais … Tu as besoin de te changer les idées, lis le. Quand ça ne va pas. Par exemple. »

Il se racle de nouveau la gorge avant de partir chercher un sac cartonné pour l’aider à y mettre les livres. Pourquoi lui prêter celui-là ? Peut-être une manière très étrange -et maladroite de la réconforter. Lui-même ne sait pas, il ne comprend pas réellement ce qui lui prend d’un coup. Les relations humaines sont vraiment un terrain totalement inconnu pour Wynn.

Confiance? Le mot est prononcé, il porte plus de poids qu'il en a l'air. Ça me fait bizarre, presque froid dans le dos, qu'il me l'accorde. On se connaît assez peu, au final, mais on se comprend aussi presque parfaitement. Ça m'a l'air trop soudain, trop hâtif, j'hésite à objecter. Mais je considère les livres, le soin que je comptais leur apporter, qu'il me le demande ou non. Sa confiance n'est pas mal placée.

"Merci, ça... C'est bon à savoir."

C'est pas tout à fait une réponse appropriée, je me suis retenue de dire que ça me faisait plaisir. Reste que mes mots semblent maladroits, et ils le sont j'imagine. Enfin bon, il me pardonnera. Je crois.

Il me tend un livre, probablement plus sacré que les autres, trouvant plus de grâce à ses yeux au moins. Il le pose sur la -très lourde- pile entre mes mains, sous mon regard curieux. Avec des instructions, des explications, mais il reste assez vague. Je sais absolument pas à quoi m'attendre.

"Je vais le lire souvent, alors."

L'humour, c'est vraiment un de mes plus grand talent, hein? Ouais, à la base c'était une blague, j'ai même un sourire niais et incertain sur le visage pourle signifier. Des fois, j'en ai marre de moi-même. Sur ce brillant malaise, j'essaie de retourner aux ombres. J'ai pas vraiment besoin d'un carton ou rien, la nature m'a donné des muscles, il parait.

"Du coup, ouais, salut Wynn. On se revoit au boulot."

Pitié, laisse-moi fuir.

« Merci, ça... C'est bon à savoir. »

Il hoche la tête sans rien rajouter. Il ne sait simplement pas quoi dire, surtout qu’il reste assez surpris par ses propres mots. Peut-être que son psy pourra l’aider à comprendre et dans le même temps, quelque chose en lui le somme de ne pas lui en parler. Que c’est un peu bizarre, peut-être trop pour que ça soit mentionné. Il range ça dans un coin de sa tête alors qu’il observe Huia, ou plus exactement ses bras qui portent ses livres.

« Je vais le lire souvent, alors.

Tu n’es pas obligé s’il ne te plaît pas. »

Silence. Il ne semble pas comprendre réellement ce que Huia implique avec sa phrase et il ne voit là qu’une politesse de sa part, une façon de lui dire qu’elle fera honneur à son « cadeau » en le lisant fréquemment. Mais Wynn ne veut rien imposer et bien que ce livre soit important pour lui, il ne l’oblige à rien. Sauf à lui rendre quand elle n’en aura plus besoin, bien sûr. Mais il sait qu’il n’a pas à lui préciser … Normalement. Il reste immobile un moment après avoir rangé les livres dans le sac et lui avoir tendu, les mains dans les poches. Il ne comprend pas pouvoir Huia semble lui sourire, surtout un sourire aussi … bizarre. Qui lui donne un air un peu idiot, mais il se garde bien de le commenter -pour une fois.

« Du coup, ouai, salut Wynn. On se revoit au boulot.

Ah oui. Bien sûr. »

Il se remet en mouvement, l’accompagnant jusqu’à sa porte. Il la laisse remettre ses chaussures avant d’ouvrir et il la regarde sortir sans un mot. Mais au moment où elle se retrouve face à lui juste avant de tourner les talons, il réussit à marmonner

« Merci, Huia. Rentre bien. »

La porte se referme doucement alors que Wynn soupir. Le silence revient et il regarde son salon, totalement inchangé et qui pourtant lui semble bien différent.
Quelle drôle de vampire, cette Huia.