Un air professionnel collé sur son demi-visage, le Sicilien observe son jeune patient dans l'attente des réponses qui l'aideront à mieux cerner son quotidien et son état actuel. Famille, relations diverses, occupations, tous ces paramètres entrent en compte dans les diagnostiques psychologiques, aident à comprendre comment aider le patient en orientant au mieux les séances, dans l'espoir d'un jour combler les vides de sa vie, panser les plaies de son esprit.
Notant à la suite de ses griffonnages précédents le développement que lui livre Kaori, Leone ne peut s'empêcher d'éprouver un certain soulagement. Combien de Morts sont-ils passé par son cabinet après avoir expérimenté telle ou telle manière de mourir, encore et encore, pour finalement accepter leur éternelle damnation ? Trop, aux yeux du sensible Sicilien. Il ne faudrait pas que le nom de son jeune patient s'ajoute à la longue liste de ces désespérés de la mort.
Alors qu'il écoute patiemment le jeune lémure, l'oreille de Leone saisit au vol un nom trop bien connu. « Rizzen ». Arquant un sourcil interrogateur, une moue surprise sur le visage, le psychologue se montre d'autant plus attentif à la suite des paroles, essayant de chercher dans ses souvenirs la moindre mention de cette rencontre, sans succès. L'absence de plus de détail frustant et rassurant le Sicilien, il n'ose pas rebondir sur ce sujet, se raclant la gorge tout en reprenant un air plus sérieux à la fin des explications de son patient.
— M- ma je vois, c'est bien, très bien... Et... hum - il s'étrangle presque - vous voyez souvent cette... personne ?
Ah, la question lui a échappé des lèvres sans qu'il ne puisse l'en empêcher. C'est qu le sang sicilien n'épargne pas les détails de ce genre.
Au fond de lui, ça ne l'étonne pas que Rizzen se soit montré attentif au mal-être de Kaori, dont les peines, au moins physiques, sont plus que similaires aux siennes. La part raisonnée de sa conscience est presque rassurée que quelqu'un d'aussi chaleureux que son amore prenne soin de ce pauvre Lémure. Mais l'autre partie, elle... comment dire ? Elle a enclenché le mode « preux chevalier »et ça n'est pas forcément toujours de bon augure.
Surtout que la suite n'aide absolument pas. Rizzen, l'aider à faire du sport ?
Ma que.
Il se fend d'un sourire crispé en opinant légèrement du chef, luttant pour rester professionnel et ne pas bombarder son patient de questions un peu trop personnelles et suspectes. N'est-ce pas ce que l'on appelle un conflit d'intérêt ?
Heureusement que Kaori ne lève pas souvent les yeux.
— Bien sûr, après je ne voulais pas parler de combat, l'idée n'est pas de lui tomber dessus dans la rue pour vous abaisser à ce qu'il vous à fait, simplement à pouvoir réagir s'il recommence à s'en prendre physiquement à vous. La plupart des arts-martiaux, par exemple, interdisent l'usage de leurs techniques en dehors des cours et compétitions, à moins d'être dans une situation de légitime défense absolument nécessaire.
Il marque une pause, réfléchit un instant en reprenant le stylo qui lui avait échappé des doigts.
— Cela-dit, ce n'est effectivement pas fait pour tout le monde.
La suite désempare quelque peu Leone. Il a l'habitude qu'on ait peur qu'il se mette à juger ses patients, surtout les plus désœuvrés d'entre eux, mais ça lui fait toujours quelque peu mal au cœur, comme s'ils se retenaient de se livrer simplement à lui par peur qu'il ne leur fasse la morale, alors qu'il est psychologue, pas prêtre.
A la mention de l'alcoolisme, il se contente donc de secouer négativement la tête avec un air désintéressé. Que Kaori soit alcoolique ou non, ça lui est égal, ce qu'il veut, lui, c'est l'aider à se défaire des causes de ce désespoir qu'il tente de noyer dans la boisson.
Et qui serait-il, lui aussi, pour juger quelqu'un comme son patient, alors qu'il est passé par les mêmes solutions contre ses tourments, qu'il y a laissé une femme, une fille, la vie, jusqu'à finalement tout emporter dans son bagage inconscient dans la mort, jusqu'à être incapable de dormir sans s'être enfilé une bouteille de Limoncello ou plusieurs verres de Fernet Branca ? Non, il ne juge pas ses patients, à aucun moment, d'abord parce qu'il veut rester professionnel, ensuite parce qu'il n'est pas un exemple, loin de là.
Le tic nerveux de son patient n'échappe pas au borgne, alors qu'il achève de noter tous les éléments qu'il vient de lui livrer.
A nouveau, le regard, tout comme l'idée de faute, viennent attiser la peine de Kaori. S'il s'agit d'une réaction assez typique chez les victimes de harcèlement ou d'autres méfaits, elle n'en demeure pas moins tragique, tant il semble impensable, aux yeux extérieurs, que quelqu'un subissant le courroux d'un autre puisse se croire coupable et finir par excuser son bourreau.
Noircissant encore sa feuille, Leone ne peut s'empêcher de songer qu'ils ont du travail, mais le fait que Kaori parvienne à identifier ce sentiment, cette espèce d'injustice, l'encourage néanmoins à penser que cela ne devrait pas prendre trop de temps avant que son esprit n'inverse seul les positions et finisse par se fortifier.
Et si l'autre s'en prend à Rizzen.
Aah...
Il apprendra ce que c'est que de se frotter à un ex-soldat au sang chaud.
Après un instant de réflexion, le borgne reprend la parole, rebondissant sur les dernières confessions de son patient.
— Vous n'avez pas à vous sentir coupable de quoi que ce soit, Hirano-san. Vous êtes la victime de l'histoire, pas lui, ni les gens qui détournent le regard face à la misère des autres. Il marque une pause, cherchant le regard de son interlocuteur, avant de reprendre : je ne suis pas ici pour prononcer un jugement ou une sentence sur vos actes ou pensées, comprenez-le bien, mon travail est de tout mettre en œuvre pour que vous alliez mieux.
Sourire.
— Il vous faut à présent vous reconquérir vous même comme si cet individu n'existait pas, lui montrer que ce qu'il vous fait ne vous atteint pas, sortir avec ces proches qui vous soutiennent et surtout, pratiquer des activités qui vous plaisent.
Le but étant de lui faire recouvrer son estime de soi, celle que son bourreau, tout comme les spectateurs, malgré eux, ont piétiné.
— Cela va prendre du temps, bien sûr, mais si vous le voulez nous pouvons y travailler ensemble, à raison d'une séance par semaine.
L'heure a tourné et c'est à présent à son patient de décider s'il se sent ou non capable de continuer à mettre des mots sur ses peurs, face au regard doré du psychologue.
ft. Kaori