Lessons to be learned
Il chouina mentalement en entendant le rire de l’autre -enfin, c’était bien un rire, ça, pas vrai? Malheureusement, l’écho se perdait dans le casque et rendait, à tout coup, sa voix d’autant plus intimidante, si l’on pouvait le résumer à un seul mot. Il y avait quelque chose d’étouffé dans la voix de Viktor -qui ne s’était d’ailleurs pas présenté, mais pourquoi l’aurait-il fait? Ambroise se surpris à se demander ce qui pouvait bien se cacher derrière le casque et, de manière générale, l’armure -sauf que, juste à en juger par l’odeur, il était évident qu’il devait avoir affaire à un zombie (ce qui semblait toujours cacher une histoire triste, alors valait mieux ne pas poser de questions si vous ne vouliez pas vous impliquer émotionnellement); hors, si c’était un zombie, et s’il avait
vraiment quelques siècles sous la ceinture comme il l’avait laissé entendre, Ambroise ne pouvait qu’imaginer -non, en fait, il ne voulait même pas se l’imaginer. Après, il ne s’y connaissait pas tellement en zombie : est-ce que leur état s’aggravait avec le temps? Existait-il une manière d’améliorer leur sort? Tant de questions, questions qu’il se garderait bien de poser à Viktor à leur première rencontre.
Ou, du moins, tant qu’ils n’auraient pas encore échangé leur nom. Il y avait un ordre logique à suivre pour ce genre de chose, non?
Puis, il ouvrit les yeux grands comme des melons quand il remarqua
enfin la marque qui avait été laissée sur la table. Valait mieux ne pas le faire chier, après tout il-
CE TYPE A FUCKING ÉDENTÉ LA TABLE WHAT THE FLYING FUCKEt puis après,
S’il réagit comme ça pour un pauvre livre de merde j’ose même pas imaginer le pauvre type qui va le thuger dans la rue, il finira re-mort c’est sûrBref, on comprendra qu’il se tenait subitement bien droit et alerte le pauvre, chaque pouce carré de ses muscles lui criait «ALERTE – DANGER». Encore heureux que son agresseur en avait juste après ses choix de lecture et pas après son tronche!
Pendant un lourd moment, son regard resta donc posé sur la table, comme s’il essayait de calculer l’effort de force qu’il aurait fallut pour y laisser une marque. Évidemment, il n’avait ne les connaissances, ni les capacités intellectuelles pour faire un tel calcul, mais c’était tout de même l’impression qu’il donnait. En même temps, tout était une bonne excuse pour ne pas regarder Viktor droit dans les yeux.
C’est comme avec les animaux sauvages, quand vous les regardez dans les yeux, ils sont plus portés à vous mordre. Ou est-ce que ce sont les enfants en bas âge?Il cligna des yeux, comme frappé par sa propre idiotie. Puis bon, il s’était promis de ne pas passer le reste de ses jours… morts… comme il les avait vécus vivant, alors il décrocha tant bien que mal son regard de sur la table pour le rediriger vers le casque. Pas tout à fait sur la fente, mais c’était déjà un bel effort. Une étape à la fois comme on dit. Puis, il remarqua que pendant tout ce temps, apparemment, le bonsomme du dark age il avait pas plus réagit. Était-il en train de contempler ses questions en se disant qu’il était complètement idiot? Possible. En tout cas il daigna tout de même lui donner une réponse, ce qui surprit passablement Ambbroise, qui s’était presque attendu à le voir se flexer.
Sauf que voilà, ce qu’il se fit répondre ne fit que soulever plus d’interrogations, interrogations qui n’étaient cette fois plus du tout en lien avec la raison de sa visite à la bibliothèque. Une journée particulièrement éprouvante, aujourd’hui? Ambroise se mordit les joues à l’intérieur de la bouche, résistant très fort à l’envie de sortir un «besoin d’en parler?» bien accoté. C’était bien son genre de ne pas se mêler de ses affaires, puis après il était bien trop curieux pour son propre bien, mais après, l’autre il était pas mal louche quand même et vu son niveau d’irritabilité plutôt élevé, ça réussit nette à lui couper l’envie de jouer à l’empathique. Il se contenta d’hocher lentement de la tête, essayant d’afficher un air de «mais bien sûr» : c’est-à-dire qu’il échoua (encore) et qu’il était comme écrit en gros marqueur «je comprend pas du tout et j’aimerais bien comprendre» sur son visage.
«Uh-uh»En même temps, ça le rassura un peu parce que comme ça, il savait que la rage induite de la canne de conserve ambulante n’était pas
seulement due à ses piètres choix littéraires et, enfin, je sais pas, ça avait quelque chose de rassurant, de savoir qu’il se promenait pas dans les bibliothèques comme ça pour invectiver des inconnus qui demandaient rien d’autre que la paix intérieure. Passons. Il avait promis que l’excès de colère ne recommencerait pas, et Ambroise était prêt à lui donner une chance…
Mais pas trop, parce que je voudrais pas me prendre un gantelet sur la gueule quand mêmeIl plissa des yeux en l’écoutant. Déjà, il parlait comme une putain d’émission de radio sur la canal classique, ça lui rappelait les voyages en campagne avec son père (lire ici : ça le saoulait), et tout de suite il papillonna des yeux en mode : tu me niaise, je vais pas me farcir ton joli langage, déjà que je comprend pas le sens de la vie, y’a des limites à faire rire de soi-
Mais il ne rumina intérieurement que l’espace de quelques secondes; c’est que Viktor avait décidé de choir sur une chaise prêt de lui, et du coup il se mit à papillonner des yeux pour une autre raison. Voilà, nous l’avions déjà dit, mais c’est que Viktor, son odeur, elle pique les yeux. Ambroise cru bien avoir un malaise (mais c’est que c’est une petite nature, en vrai c’était pas si mal, juste, ça l’a surpris, allez savoir pourquoi), et du coup ça ne lui dérangeait plus vraiment les mots utilisés : il se concentra plutôt à essayer de ne
pas penser à l’odeur et ne
pas le faire répéter. Sinon, c’était certain, il allait se faire traiter de raciste,
encore.
«Le savoir est dangereux?» Répéta-t-il, mais cette fois avec une inclinaison de questionnement dans la voix.
«Vous trouvez pas que l’ignorance a causé, cause bien plus de tord? Ou peut-être que vous avez raison, l’ignorance elle cause tord à ceux qui savent?» continua-t-il, marmonnant de moins en moins fort, comme se perdant dans sa phrase, incertain.
Il haussa des épaules. Il ne savait pas trop de quoi il parlait, mais intrinsèquement, il n’était pas d’accord. Fallait juste pas lui demander d’expliquer pourquoi par contre. Il essaya de soutenir le regard de son «professeur» de fortune, intimidé; il finit par fixer un point un peu plus à gauche, mal à l’aise. C’est qu’il avait le regard bien perçant. Il n’avait pas l’habitude des gens qui vous plombent comme ça; ça avait un je-ne-sais-quoi de, comment dire, charismatique? Et voilà, ça l’intimidait. Heureusement, il avait l’écharpe pour cacher le rouge qui dessinait furieusement ses joues.
«Hein?» fit-il, comme sortant de sa rêverie,
«Vous trouvez que les livres, euh, mentent? Plus facilement que les humains? Comment c’est possible? Je veux dire, après tout, les livres, ils sont écrit par… ben des humains?»
À l’aide, je suis con, c’est sûr qu’il se facepalm
«Mais je vais vous donner raison» dit-il en faisait la moue, puis un lourd soupir de découragement.
«Mentir j’aime pas. Puis de toute manière, je suis trop bête pour mentir. V’voyez, quand on ment, faut se souvenir de nos menteries, ce qu’on dit à qui, c’est trop compliqué tout ça.»Il leva les yeux au ciel, esquissant un sourire timide en déposant le livre sur la table, le faisant glisser au bout de ses bras. Il soupira à nouveau, se calant plus confortablement dans son fauteuil, puis croisa les bras. Il tilta légèrement en l’entendant parler du ciel. À quelque part, c’était une jolie manière de voir la chose. Ambroise ne pensait pas être au ciel, mais il ne savait pas vraiment où il était, non plus. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il était bien arrangé, à quelque part, d’être là où il était, et au fond, c’était ce qui comptait le plus, non? Puis il enchaina sur la sainteté des livres, et Ambroise se faisait des notes mentales, quand même, parce qu’il était plutôt particulier ce monsieur, et ça l’intriguait. Milles questions en tête qu’il avait.
Puis : «aucun livre ne peut t'apprendre à vivre ta vie comme tu le voudrait.»
Oui, bon, même s’il avait raison, il n’était pas plus avancé, Ambroise, avec tout ça.
«S’ils ne peuvent pas me dire comment je devrais vivre, peut-être que je peux y trouver comment je ne veux pas vivre» éluda-t-il simplement en hochant des épaules, l’air un peu triste quand même.
«Et ça veut dire quoi, ça, des anciens qui connaissent le temps dans lequel je vis? En quoi le temps dans lequel je vis à de l’importance? Pourquoi quelqu’un de plus vieux? Pourquoi je devrais me fier à ce que les autres-»Puis il écouta la fin de ce que Viktor avait à dire, hochant de la tête lentement. Il resta pensif un instant, la tête basse, puis, relevant la tête;
«… mais si j’arrête de demander aux gens de me conseiller, parce que vous me l’avez consceillé, c’est…»Il se prit la tête dans les mains, grognant de dépits. Cette conversation tournant en rond, tournait au ridicule. Voyant que le géant de fer s’était relevé, Ambroise se redressa d’un coup, mettant les mains ses les bras du fauteuil.
«Ah non! Vous pouvez pas me mettre dans cet état, et puis après partir sans demander de restes.» dit-il d’un regard faignant le dramatisme.
«»Ça doit vous donner sale réputation auprès de vos conquêtes, quand même», marmonna-t-il tout bas dans son foulard.