L'air était saturée d'angoisse, suintant la peur et la détresse. C'était presque si d'un coup la nécromancienne réalisait sa condition, se rendait compte ce qu'elle était devenue. De ce qu'elle était présent. Comme ce soir sous la pluie battante en plein milieu du parc, ou d'un claquement- de doigt tout bascula sans prévenir. Tout était arrivé si vite, tellement vite, sans crier gare et avait tout chamboulé et bouleversé. Le quotidien tranquille et serein avait laissé place à des jours gris et maussades, à de l'aigreur et de la colère, à de la lassitude et de l'amertume. Tout avait changé le soir où le pouvoir destructeur d'Etsu était apparu, la rendant faible et angoissée, vulnérable. Pourtant, après bien des jours, après bien des semaines, des discussions avec d'autres membres de sa race ou des étrangers, la jeune femme avait réussi à s'y faire. À ne plus être triste. À reprendre le contrôle. Mais il fallait croire que cela ne durait jamais très longtemps.
Ses paumes brûlantes restaient inexorablement collées l'une contre l'autre, comme pour que la peau de ses mains se fondent et ne forment plus qu'une. Ses doigts étaient aussi crispés que le reste de son corps, ses muscles presque tétanisés par l'effroi. Elle ne pouvait pas bouger. Elle ne devait pas bouger. Si elle le faisait, dans son état, elle ferait disparaître autre chose. Etsu le savait. L'instabilité qui régnait en son sein ne lui permettait pas d'avoir d'emprise sur la magie qui chatouillait ses doigts. Non. Elle devait rester tranquille. Mais surtout. Elle devait se calmer. Mais comment le pouvait-elle alors que dans cette pièce sombre qui quelques secondes plutôt ressemblait à un cocon doux et chaud, était aussi ce garçon ? Etsu ne pouvait pas bouger. Elle ne le voulait pas. Surtout si elle risquait de le voir se volatiliser.
La panique faisait battre son cœur à une vitesse folle, ébranlant davantage le peu lucidité qui lui restait. La brune savait pourtant au fond d'elle que son pouvoir ne faisait pas disparaître les êtres vivants – si on pouvait dire que les spectres et les défunts étaient des vivants. Elle pouvait aisément caresser ses chats, prendre Ellioth ou Ael dans ses bras, tirer l'oreille de Teodora quand elle en faisait trop. Alors... alors... il ne risquait rien. Rien du tout. Hélas, dans la tête de la japonaise, un véritable capharnaüm régnait en maître, concerto délirant qui ne rendait plus rien cohérent. Les tremblements n'étaient plus très loin de faire tressauter les épaules de la brune qui respirait de plus en plus difficilement, ses perles claires fixant ses doigts chauds et rougis, les larmes perlant presque aux coins de ses yeux.
Puis...
Sa voix résonna dans la pièce toute entière, grimpant aux murs, rejoignant la coupole et le ciel étoilé avant de s'étendre encore plus loin. Il lui sembla qu'elle portait si loin, bien plus loin que le hurlement d'un loup dans la pénombre qu'elle se demanda une seconde si cela n'avait pas été possible que l'on l'entende à l'autre bout de l'univers. Un peu comme un phare puissant dans la nuit noire, les mots prononcés par le garçon sortirent la jeune femme de cette tempête qui s'orchestrait dans son crâne. Le temps s'arrêta une seconde, puis deux avant qu'elle ne prenne une respiration plus lente, ses yeux se tournant doucement vers ce que lui tendait le jeune homme. Un mouchoir. Un simple mouchoir. Puis une nouvelle phrase. Sa voix douce qui résonnait sous la coupole. Et un battement de cœur.
Un certain malaise émanait du châtain qui n'osait pas la regarder. Sûrement parce que la situation était trop inédite, parce que cela sortait trop de nulle. Sûrement parce qu'à nouveau il donnait quelque chose de lui, sans vraiment le vouloir. Pourtant, au de-là de la gêne, Etsu sentait une légère malice dans ses paroles. Un peu de facétie, de douceur aussi. Mais pas la moindre pointe de peur. Peut-être que la japonaise ne le sentait pas tellement sa propre angoisse était forte mais rien chez Susanoo lui donnait l'impression qu'il allait la laisser ou s'enfuir. Non. Rien de tout cela. Il restait là, lui tendant ce mouchoir avant de lui lancer une remarque de son cru. Un peu de doute, d'incertitude, un air taquin, des mots qui s'envolent. Et bizarrement, sans comprendre, le corps de la jeune femme se mut un peu.
C'était à n'y rien comprendre. Quelques secondes auparavant, elle était tétanisée, pétrifiée. Et à présent, elle s'était tournée, observant du coin de l'oeil ce garçon qui l'accompagnait. Tout ça parce que... parce que...
Parce qu'il avait parlé...
Etsu ne répondit pas à ses mots, toujours extrêmement chamboulée. Ses iris fixaient le morceau de tissu blanc qu'il lui tendait, l'air absent et anxieux à se demander si elle réussirait à le prendre. Elle n'était pas en état, pas encore. Elle était trop bousculée, trop malmenée. Elle ne pouvait pas le prendre. Pourtant... il y avait quelque chose qui lui disait de le faire. Qui lui disait qu'elle en était capable. Que si elle le voulait vraiment, elle pourrait l'attraper et nettoyer cette tâche qui maculait son pantalon. La jeune femme ne savait pas d'où cette impression lui venait, pourquoi cette partie d'elle lui disait que c'était possible mais malgré tout, sa main droite abandonna la gauche qui resta sur sa cuisse avant de s'approcher lentement du morceau de tissu. Elle hésita un moment, reculant et avançant, la nécromancienne se concentrant quand enfin, les doigts de la japonaise se saisirent du mouchoir. Sa concentration était à son maximum, la tension et la crainte également mais elles n'avaient rien à voir avec la détermination dont pouvait faire preuve Etsu à cet instant.
Ne disparais pas.
Une seconde. Deux secondes. Le mouchoir était toujours là. Trois secondes. Six secondes. Il n'avait pas disparu. Les prunelles de la jeune femme s'agrandirent d'étonnement face à cette constatation, son cœur battant soudain plus fort contre ses côtes alors que de ses yeux claires perlaient de chaudes larmes. Le mouchoir était toujours là. Son pouvoir n'en avait pas fait qu'à sa tête. Elle l'avait contrôlée.
Un long soupir passa la barrière de ses lèvres alors que son corps se relâchait d'un coup, ses fesses atterrissant sur la moquette dans un bruit mat. Sa main libre vint passer sur son visage rougie, un petit rire lui échappant avant qu'elle ne porte le mouchoir à ses joues pour les essuyer – et non pas son jean comme initialement prévu. Le plus gros était passé, Etsu le sentait. Et alors que la pression glissait sur ses épaules, elle put enfin souffler. C'était fini.
- C'était sensé être un secret.
Une réponse fugace. Un murmure à moitié moqueur qui était sorti d'entre ses lèvres sans qu'elle ne le veuille vraiment tandis que ses prunelles repartaient fixer le châtain. Cela devait rester secret. Ou tout du moins jusqu'au moment où elle contrôlerait son pouvoir. Mais les choses en avaient décidé autrement. Et étrangement, le destin avait fait en sorte que ce soit à cet instant que l'emprise d'Etsu sur sa magie soit plus forte. À cet instant précis. Sous la coupole du planétarium.
Alors qu'elle était avec Jupiter...
Un sourire s'afficha sur les traits de la japonaise, le mouchoir passant sur sa peau rosie. Tout ça à cause de lui. Ou grâce à lui. Elle avait presque envie de rire tellement cela en était cocasse. Et bien ma vieille, si tu t'étais attendue à ça...