- Dis-moi, t'as toute l'après-midi ?
Une question. Encore. Une question, qui fait écho à une autre posée ce soir-là, dans la pénombre de la nuit, sous les milliards d'étoile, résonnant au-dessus du clapotis de la rivière. Une question après quelques mots soufflés, l'apparition de cette teinte rosée sur la peau pale de cet astre qu'elle a retrouvé. Une question. Encore. Une question à laquelle elle répondra, comme toujours, comme à chaque fois. Puisqu'elle ne peut faire autrement. Pourtant, la réponse qu'elle était cessé lui donner ne le ferait certainement pas sourire.
Etsu ne pouvait pas rester à sa place, assise là sur le sol, toute l'après-midi. Même malgré la pluie battante et le silence morne qui emplissait le couloir. Il lui fallait aller à la décharge, faire ses heures de travail et entraîner son pouvoir. Il lui fallait rendre ces livres empilés sur le carrelage, qui attendaient sagement de retourner sur les étagères quelque peu poussiéreux de la grande bibliothèque. Il lui fallait passer chez le coiffeur et rentrer, s'assurer que les chats de l'appartement n'avaient pas mis le boxon et qu'il y avait de quoi faire le dîner. Elle ne pouvait pas rester là, assise sur le carrelage de la bibliothèque, à raconter une histoire à un garçon qu'elle ne connaissait à peine, qui en disait si peu sur lui, qui ne faisait que poser des questions, principalement. Et la faire sourire. Elle ne pouvait pas rester là...
Et pourtant, Saturne voulait juste danser avec Jupiter.
- Ne t'enfuis pas au beau milieu de l'histoire cette fois-ci.
Un sourire espiègle s'affiche sur les lèvres de la jeune femme, un air plus malicieux étirant ses traits fins tandis qu'elle remet une mèche désinvolte derrière son oreille. Elle va rester là, toute l'après-midi. Même plus longtemps si cela lui dit. Qu'est-ce qu'il ne lui ferait pas faire, vraiment. Et le pire, le pire, c'était qu'Etsu ne voyait rien à redire à tout cela. Rien du tout.
La pluie s'abattait avec force sur le toit du bâtiment. Le couloir désert n'était empli que par ce son qui rendait l'atmosphère bien étrange. C'était presque indescriptible, comme dans un film, ou un rêve. Peut-être un rêve. Ce n'était pas souvent que l'on pouvait voir deux planètes se rencontraient dans le cœur d'une bibliothèque. Peut-être était-ce un rêve, duquel Etsu ne désirait pas se réveiller.
- C'est l'histoire d'un coupeur de bambou qui vit dans les montagnes, au Japon, avec sa femme. Un jour, alors qu'il s'en va dans la bambouseraie y travaillait, il tombe sur un bambou illuminé. Intrigué, il s'en va le couper et y trouve à l'intérieur une petite jeune femme vêtue d'une riche kimono, pas plus grande que la paume de sa main.
La voix de la japonaise s'envolait dans tout l'espace, caressant les murs, remontant jusqu'au plafond. Ce n'était pas comme la douce mélodie qui s'était jouée sur le bord de la rivière, ni comme la cacophonie pourtant entraînante que créait l'averse contre les vitres de la bâtisse. Mais c'était doux, tellement doux. C'était la voix d'Etsu après tout. Pourtant, à cet instant elle était bien plus chaleureuse que d'ordinaire.
- Soudain, la petite femme se transforme en nourrisson, surprenant le paysan. Il se dit alors que c'est un cadeau des dieux et la ramène très vite chez lui pour la montrer à son épouse. Ensemble, ils commencent à l'élever et la chérir de tout leur cœur. Les jours passent, les mois et le bébé devient enfant, bien plus rapidement que la normale. Pendant sa croissance, le coupeur de bambou, en retournant travailler, trouve des soies délicates et précieuses et de l'or dans ses champs. Il se dit alors que les dieux veulent qu'il fasse de l'enfant une princesse.
Il n'y avait ni mélancolie ou tristesse dans la voie de la jeune spectre. Elle ne pensait plus à sa mère ou son passé, ne faisait que raconter cette histoire qui l'avait tant marqué. Comme avait pu le faire cette nourrice dont Susanoo avait parlé un peu plus tôt. Une femme qu'il avait certainement connu de son vivant, femme qui parlait japonais et italien visiblement. La brune se demanda si le jeune homme parlait lui aussi cette langue, s'il en avait appris d'autres, si cette nourrice lui manquait, quel était donc ce livre qu'il tenait près de lui. Des questions, toujours des questions. Qu'Etsu ne posait pas, car elle savait qu'elle n'aurait pas de réponses claires. Pas à cet instant, pas aujourd'hui. Peut-être plus tard, plus tard. S'ils se rencontraient encore. S'ils ne se rataient pas une nouvelle fois.
- Alors, le vieil homme se rendit à la capitale pour bâtir une somptueuse demeure pour sa princesse. Et c'est à partir de là que les problèmes commencent.
Un nouveau sourire se dessine sur les lèvres d'Etsu qui plongent son regard ambré dans les perles chocolat du jeune homme près d'elle en train de l'écouter. Elle scrute ses réactions, voit s'il est intéressé, remarque son attention et sourit de nouveau. La pluie au-dehors, tombe à verse.
Ils risquent de rester là toute l'après-midi...