On pouvait presque entendre de la musique en fond. Un mélange de classique et de pop plus actuel que l'on jouait dans les films romantiques tendance que l'on passait dans les grandes salles de cinéma. Le genre de films qui faisait frissonner les adolescentes devant les jeunes premiers qui souriaient à cette fille qu'il rencontrait par hasard, au détour d'un couloir. Cette fille qu'il n'avait pas vu depuis des lustres, qui lui avait semblait-il manqué, qui le faisait sourire et qu'il arrivait à faire rigoler. Oui, un petit film à l'eau de rose à la fin duquel, les spectateurs l'espéraient, les deux protagonistes finiraient par danser librement et joyeusement sous la lumière de la lune, sur le carrelage de cette bibliothèque. Mais comme dans tous les bons films, ce qu'on pense voir arriver n'arrive pas vraiment.
Etsu l'observa réfléchir, l'écouta docilement, afficha un sourire puis émit un rire quand elle entendit sa remarque. On aurait dit un enfant, espiègle et joueur, malicieux et imaginatif, prêt à vous sortir des dizaines de fins possibles, désireux de savoir le dénouement de l'histoire, des étoiles plein les yeux. Un enfant, dans le coin d'une cour, qui rit derrière ses mains avant de pointer le trésor qu'il a trouvé à son amie. Une autre enfant, toute aussi souriante, toute curieuse, toute sage qui rit en saisissant le petit trésor entre ses mains. Ils ne se rendaient pas compte, pas encore, que ce qui était là sous leurs yeux étaient bien moins anodins qu'ils pouvaient le penser. En tout cas pour la japonaise qui continuait de sourire en écoutant le discours du jeune homme près d'elle, assis sur la marche de l'escalier de la bibliothèque.
Etsu écoutait, riait, souriait, comme elle ne l'avait jamais fait avec n'importe quel autre inconnu. Elle s'était agacée avec Pom, énervée avec Urie, irrité avec Fubuki, quelque peu apaisé avec l'homme aux roses orangées. Mais jamais elle n'avait agi de cette façon. Ni même avec Takuma, ou Gin, ou Ekaitz. Pour Ellioth et Cassian c'était différent. Pour la brune, ils n'étaient rien d'autre que des enfants. Mais Susanoo lui, c'était complètement différent. Elle sentait pourtant qu'il était plus jeune, malgré son coté secret, qu'il y avait une différence entre eux, bien que minime. Pourtant, pourtant...
Tout était tellement... irréel...
On entendait le clapotis de l'eau sur les fenêtres, plus sourd que celui de la rivière pendant la nuit. On percevait les voix basses des autres visiteurs dans les autres pièces sans pour autant les voir, le souffle inconstant du vent qui faisait grincer les hauts murs de la bâtisse. Mais c'était comme s'il n'y avait qu'eux, comme si plus rien n'existait, comme s'ils étaient seuls au monde. Quand soudain, dans l'atmosphère calme et douce du couloir, une vibration change l'air ambiant. Les perles ambrées de la jeune femme s'agrandissent tandis que le jeune homme se lève d'un coup, son livre entre les mains. Etsu put enfin voir la couverture, deviner le titre, découvrir qu'il s'agissait d'une bande-dessinée dont elle avait vaguement entendu parlé quand le jeune homme se mit presque à gigoter, étant alors passablement agité.
- Ne bouge pas – silence. Angoisse. Surprise. - je reviens, je dois juste...
Jupiter s'en va. Il s'en va. Jupiter part et laisse Saturne. Ils ont à peine commencer à danser. Ils n'en sont même pas à la moitié. Jupiter s'en va et Saturne à un temps d'arrêt. Son cœur se serre, son regard se fixe dans celui chocolat, ses membres se figent. Jupiter s'en va.
Et mince...
Etsu ne comprit pas tout, voire même rien du tout quand le jeune homme attrapa sa manche de façon soudaine et la força carrément à se redresser. Sous la surprise, la japonaise se mit à bouger un peu précipitamment, balbutiant des paroles incompréhensibles alors que le garçon la traîne à sa suite. Laissant ses affaires derrière eux, délaissant les livres par terre, abandonnant le sac de la brune. Jupiter s'en va... mais cette fois-ci, il emmène Saturne avec lui, pour ne pas la perdre de vue. Pour ne pas la laisser derrière. Un battement de cils, un souffle et Etsu le suit sans trop comprendre, ses yeux restant plongés dans ceux du garçon tout près d'elle. C'était bizarre. Super bizarre.
Et merde...
Deux enfants, cachés dans le coin de la cour, qui rient et sourient en tenant dans leur main un petit trésor qu'ils gardent jalousement pour eux. Des poussières d'étoiles, le spectre de deux planètes, qui dansent sur la surface de l'eau d'une rivière, puis sur le carrelage d'une riche bibliothèque. Ils ne se rendent pas vraiment compte, pas complètement. Mais alors que ses pieds s'emmêlent, que ses jambes jouent les fourbes et que la gravité fait son travail, Etsu a un battement de cœur et la sensation étrange qu'au final, tout cela n'est pas si anodin que cela.
Voilà ce qui arrive quand deux planètes se retrouvent au fin fond de l'univers pour danser ensemble en secret. Ils y prennent rapidement goût et s'attachent à jamais.