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ors Maria. Et ne laisses personne me déranger.Un long et lourd soupir s'éleva dans la pièce alors que j'entendais la porte d'entrée de mon bureau claquer, indiquant bien que ma secrétaire avait quitté la pièce comme je le lui avais ordonné. Il fallait dire que toutes ces histoires m'avaient harassé et que je ne désirais qu'une chose : me couler un bon bain chaud et écouter un air de Debussy. Si en plus de cela je pouvais avoir un agréable et divin massage de la part de mon effroyable époux, cela aurait été la cerise sur le gâteau. Seulement, cet imbécile était en voyage à l'autre bout de la planète, me laissant une nouvelle fois avec ses projets inachevés. Pourquoi m'étais-je entichée de ce satané nécromancien ? Il avait réellement le don de me rendre chèvre.
La journée venait à peine de commencer et les mauvaises nouvelles s'accumulaient. Le nouveau groupe de casseuses avait bien failli se faire prendre la nuit précédente par des mangemorts « coriaces », comme l'avait souligné la meneuse du groupe. Allons bon, depuis quand les pions délaissés de cet abruti de Joshua étaient-ils devenus coriaces ? Il allait falloir que j'aille vérifier cela par moi-même. Puis Maria était arrivée avec une petite nouvelle, dénichée à la sortie de l'agence, qui ne cessait de chercher querelle à ses camarades de chambre. Une véritable furie indienne détestant toute personne qu'elle rencontrait. Il me fallut plus de vingt minutes pour la raisonner, la petite étant partagée entre crainte et fureur. Et enfin, moins de trente minutes de cela, la chimère scorpion qui me servait de secrétaire était revenue me voir en m'annonçant la casse de la moitié de nos caméras de surveillance dans les quartiers de . Dire que j'étais harassée par cette journée qui venait tout juste de commencer n'était pas assez représentatif de mon état.
Retirant mes escarpins en daim noir afin de poser mes pied sur mon bureau, avec toute la grâce qui me restait, je me tira une cigarette de mon tiroir avant de la ficher sur mon fume-cigarette et l'alluma. Quelques secondes plus tard, Maria vint m'apporter une grande tasse d'un café noir venant d'Ethiopie ainsi qu'une assiette de cookies à la cannelle. Lui offrant un sourire de remerciements, je la laissa prendre congé tandis que mon épuisement coulait doucement de mon corps pour disparaître. Lorsque les voyants de mon écran d'ordinateur s'allumèrent soudain. Mais qu'avait-je donc fait au ciel pour qu'il m'en veuille autant aujourd'hui ? C'était infernal ! Si cela continuait, je risquais fort de m'en prendre à quelqu'un. Un soupir m'échappa. Je ferai couler des imbéciles dans du béton renforcé ce soir, cela me calmerait.
Mes doigts s'emparèrent d'un biscuit alors qu'un appel venant des locaux de surveillances s'afficha. Je ne pris même pas la peine de répondre, bien trop lasse pour entendre jacasser les filles du sous-sol et ouvrit la fenêtre où apparaissaient toutes les images capturées par les caméras installées autour du bâtiment. Puis je la découvris, dans un coin de l'écran, avec sa longue chevelure rousse, son visage sublime et son sourire ravissant. Eresseä. La grande Eresseä. Ma plus grande amie et mon mentor. Celle qui, par ses conseils et ses paroles, avait fait de moi la femme que j'étais actuellement.
Il fallait dire que j'étais particulièrement surprise de la voir sur mes écrans. Lors de notre dernière rencontre, elle s'était faufilée dans la demeure où je résidais avec mes filles, dans une bourgade de Londres alors que nous nous apprêtions à faire disparaître un grand groupe d'import-export. Eresseä, quant à elle, travaillait pour le PDG de celui mais avait tout naturellement laissé court à notre entreprise. C'était il y a trente-quatre ans. Trente-quatre longues années sans la voir. Presque une éternité sans voir mon amie. Sûrement beaucoup moins pour la viking qu'elle était. Mais j'étais certaine d'une chose, la joie que je ressentais en cet instant, Eresseä devait également l'éprouver.
Engloutissant presque le cookie que j'avais encore entre les doigts, je me chaussa rapidement sans abandonner mon fume-cigarette et me diriger vers la porte de mon bureau afin de rejoindre l'ascenseur. Je passa devant Maria sans lui prononcer un mot et m’engouffrât dans la boite métallique pour rejoindre le rez-de-chaussé. Trente-quatre ans... cela faisait si longtemps. Il y avait tellement de choses dont je souhaitais lui parler, de questions que je voulais lui poser. J'espère secrètement qu'elle reste un certain temps sur Tokyo et m'aide dans mes affaires, comme elle avait pu le faire lors des débuts de l'organisation. J'avais tant d'attentes mais également tant de crainte. Crainte qu'elle parte trop tôt, qu'elle me trouve moins influente qu'auparavant, moins à la hauteur. Eresseä était comme une mère pour moi-même et la décevoir était bien la dernière chose que je désirai faire. Ô ciel, fasse que les choses se passent à merveille.
Les portes s'ouvrirent sur le couloir menant à l'entrée, une aura étrange vibrant entre les murs. Les femmes présentes se regardaient étrangement, se retournant alors d'un coup pour me saluer respectueusement. Quelque chose clochait. D'un pas rapide, je m'avança jusqu'à la porte donnant sur le hall pour découvrir une scène qui m'était rarement donnée de voir. Mes filles entourant la guerrière rousse qui tenait en joug la petite secrétaire de l'accueil. Une atmosphère emplie d'animosité et de rage enveloppait tout le hall, mes filles se tournant soudain vers moi quand elles remarquèrent ma présence. Et bien, elles allaient toujours trop vite en besogne. Un fin sourire se dessina sur mes lèvres. De bonnes filles.
- Je vois que tu sèmes toujours la tempête partout où tu passes mon amie.Les talons de mes escarpins claquèrent sur le carrelage alors que je m'avançai vers Eresseä. Pour beaucoup, ma réaction devait être extrêmement étonnante mais aucune des femmes présentes ne bougea d'un cil le temps que je rejoins mon mentor.
- Vous pouvez retourner à vos activités. Il n'y a aucun danger.
S'observant avec perplexité et curiosité, mes filles mirent quelques secondes avant de baisser leur garde, ranger leur crocs et griffes et reprendre le cours normal de leur journée. Mais il ne pouvait en être de même pour la jeune femme sous le pied d'Eresseä, toujours aussi extrême.
- Quant à toi, je pense que tu peux la laisser retourner à son poste, lui lançai-je en riant. Je crois qu'elle a compris la leçon.Acquiesçant énergiquement, la petite brune murmura un faible « Pardon » en tremblant, certainement peu à l'aise sous la chaussure de mon amie. Pauvre petite. Elle s'en était prise à la mauvaise chimère. Mais il fallait dire que les femmes du nouveau siècle étaient bien moins respectueuses que celles des précédents. Encore une chose à revoir dans l'éducation des filles.
Un soupir puis un sourire, complice et enjouée. Enfin cette journée allait être agréable.