La colère était descendue aussi vite qu’elle était montée. Après tout j’étais à présent dans sa chambre, autant dire un lieu que j’avais visité des centaines de fois dans ma vie. Pas dans le sens où la plupart l’entendrait, mais dans le sens où j’aimais cet endroit pour y avoir discuté avec Margaret pendant des heures. C’était sans doute la partie du manoir la plus calme, la plus confortable également, même si, je dois l’avouer, elle avait fait de cette bâtisse, un lieu à son image. Le calme revenait petit à petit et je prenais alors place sur l’un des nombreux fauteuil de sa chambre, attendant son retour.
Celui-ci fut rapide, et très vite je vis mon amie débarquer, un sourire aux lèvres. Ce n’était pas après elle que j’avais été en colère et elle le savait, il n’y avait pas de ça entre nous, bien au contraire, pour elle, je n’avais que de l’affection finalement et beaucoup de tendresse. Je n’avais jamais voulu lui faire de mal; mon but premier, avait toujours été de prendre soin d’elle, quelques soient les situations. C’était encore le cas aujourd’hui, bien plus encore après avoir assisté aux déboires de ses nombreuses chimères. Il fallait que je lui en parle, même si je ne doutais pas de ses compétences en renseignement, mais au moins que je lui raconte ce que je savais et dans le plus de détails possible; après tout, les révoltes arrivent vite dans ce genre de groupe où sont recrutés des jeunes en soif de vengeance ou de liberté.
Elle entra donc et me proposa un verre comme à son habitude.
- "Tu connais mon amour pour le vin, rien ne vaut un rouge sombre pour accompagner les discutions importantes. Mh, sauf un bon whisky évidemment, mais ce n’est pas l’heure."
Avec le temps j’avais appris à apprécier certains éléments à certains moments de la journée ou de les assimiler à certains évènements. J’aimais mon whisky, le soir, dans mon bureau, lors de mes longues nuits blanches à travailler, ou bien après une très longue journée épuisante. Le vin, lui, je le partageais avec mes amis; il accompagnait rarement ma solitude. Je pris donc le verre qu’elle me proposait et le portai à mon nez afin de le sentir. L’arôme était superbe. Suffisamment pour que je trempe mes lèvres dans ce précieux liquide sans me poser de grandes questions.
- "Je ne manquerai le faisan de Marie pour rien au monde ; Tu sais comment me faire rester très chère. Je n’ai, pour l’instant, rien de prévu ne t’en fais pas."
Je bus à nouveau une gorgée, le plaisir était bien grand et regardai mon amie venir en quête d’informations.
- "Pour en revenir à ce que nous abordions plus tôt, saches que ça ne m’amuse pas d’essayer de contenir tes filles au sein de la ville. Comme tu peux t’en douter j’ai bien d’autres choses à faire que ça. Mais j’en croise, dans des bars, faisant la fête, se donnant aux hommes comme je m’abandonnerai parfois à la cruauté. Certaines d’entres elles n’ont aucun respect, aucune intelligente particulière, si ce n’est fuir lorsque je montre un aspect de ma force. Je n’ai pas envie de ça Margaret, ni pour moi, ni pour toi. C’est bien beau de vouloir recueillir toutes les chiennes errantes de la ville et de ses alentours, mais tu sais toi même ce qu’elles recherchent. Une famille certes, mais parfois, simplement des moyens pour se venger, sans prendre en compte les conséquences. Elles sont jeunes et stupides. Fais le ménage dans tes troupes avant que tout cela n’empiète davantage sur mon travail. "
Je n’avais pas besoin de lui dire que je m’inquiétais pour elle, évidemment, elle le savait déjà. Mais je savais également que si il y avait bien un chose de sacrée entre nous c’était justement, le business. Si les filles de Margaret empiétaient sur mes affaires ou sur mon territoire, elle savait pertinemment que cela me mettrait dans une position compliquée, car en temps normal, je les aurais éliminé sans rechigner. Mais ici, on parlait d’elle, de son organisation et mes mains étaient parfois liées. Et je n’aimais pas ça, au point où j’étais capable de perdre parfois pied et d’entrer dans une folie meurtrière, et elle le savait. Le travail était le travail et m’empêcher de l’accomplir était une chose qu’il ne fallait surtout pas faire; en évoquant cela, j’espérais au moins la faire réagir sur ce point.
- "Je peux t’aider à.."
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase qu’on tapa à la porte de sa chambre. Sans attendre Maria apparut.
- "Je suis désolée de débarquer ainsi, mais Eressëa, c’est urgent !"
Elle tenait dans sa main un téléphone que je saisis alors. Évidemment j’avais mis mon propre appareil sur off ne voulant pas être dérangée, cela devait donc être important.
- "Eressëa Qorwyn. J’écoute."
Rapidement mes sourcils se froncèrent et mes yeux s’écarquillèrent un instant. J’acquiesçai de la tête de temps à autres, un air grave sur le visage, avant de raccrocher et de rendre le téléphone à sa secrétaire.
- "Mon appartement n’est pas caché aux yeux de tous, mais tu devras m’expliquer Margaret, pourquoi six chimères sont entrées dans mes bureaux. Je pense que ma patience vient d’atteindre ses limites. Je ne te promets pas de te les ramener vivante."
Je posai alors le verre sans attendre, tournai les talons et les fis claquer sur le sol du manoir jusqu’à sa sortie. Je ne me retournerai pas, et elle le savait, elle ne m’arrêterait pas et elle le savait également. Elle n’avait qu’à prier pour que ces petites garces restent en un seul morceau.