Daisy.
Dans un tournis, dansant sur lui-même, les bras écartés, touchant l'air et le filtrant par les doigts à mesure qu'il filait, il se fit une panoramique du monde dans lequel il vivait. Bien qu'il pouvait tournait et faire devenir ces couleurs verte, blanche, taupe, une confusion psychédélique, tout était trop ordonné pour pouvoir être bousculé. Trop juste.
Là, par exemple, les cyprès bien rangés dans leur plate bande, séparés des buis apprivoisés et trop bien taillés pour être non-artificiels, tentaient de faire passer cette loi stricte de la droiture pour quelque chose de, oui, naturel. Était ce vraiment le cas, cela dit ? La nature, pour lui, c'était la loi de la jungle et les lierres qui poussaient comme bon leur semblait. Or, on pouvait apercevoir que certaines fleurs sauvages étaient juste arrachées violemment pour du pacifisme, au niveau de fenêtres humaines, dans une harmonie de couleurs trop écœurante tant elle manquait de sobriété. Étrangement, ça lui donnait un avant-goût incompréhensible.
Tout était anthropomorphisé. Tout était séparé. Tout était calculé. Tout était catégorisé comme une hiérarchie de sorte à ce que personne ou quelque chose n'en dérange l'ordre.
D'ailleurs, une lignée de lampadaires éteints déroulait le tapis rouge sur un parking, fait de cailloux écrasés, émiettés et dominés par des roues mastodontes. Et pourtant, celles ci étaient rangées et garées dans une bataille trop calme. Quand elles avaient l'autorisation de bouger, leur bruit fut bien trop sourd pour être entendu.
Le silence des banlieues l'avait absorbé.
Des murs impossibles à atteindre et peints d'insonorisation, on se protégeait de l'extérieur qui, déjà trop reposant, pouvait encore être potentiellement dangereux. Le monde extérieur demeurait un festin de piège et cette vie paisible de banlieue, où chaque pavillon se clôturait et s'isolait.
On s'aimait dans les banlieues. Lui, moins. Beaucoup moins.
Chaque pavillon, chaque chemin et chaque avenue semblaient se réunir en une communauté soudée mais ce fut dans l'isolement et la méconnaissance qu'il fut élevé. Il avait beau tourné, il avait beau dansé, rien ne changeait. C'était un Broadway feutré où on était jeté et sans cesse exclu. Les feux ne s'allumaient pas en sa présence et aucune paire d'yeux ne lui prêtait attention.
Au final, tout le monde se fichait de lui.
La famille était le seul cocon chaleureux qui s'occupait des affaires de son sein. Mais sans étonnement, on prédisait que ce repli était absent pour Cassian. En soi, fut-il si distinct des autres banlieusards de Sterling Heights pour cette raison qu'était le manque de foyer, probablement : Aucune confidence ne pouvait être faite alors c'est dans le silence mortuaire de cette cité, sifflant des chants solennels dans l'air du vent, qu'il pouvait seulement les soufflait.
Mais encore une fois, des mots morts. Rien n'avait d'importance. Il ne se sentait exister dans aucun endroit.
Passivement, il attendait encore dans l'eau, se laissant emporter.
Lilac.
Il aimait ce moment. Cet endroit était si différent. On pouvait se sentir aisément affranchi. Le parfum de la liberté lui courrait et sonnait davantage aux narines. C'était un mélange d'essences nauséabondes, qu'on disait, mais Cassian y ressentait milles aventures qui purent être accomplies. L'eau putride qui flottait presque dans les airs, beaucoup de pétrole (plus qu'en échantillon) et l'odeur du rassemblement happaient les sens. C'était si différent de Sterling Heights. Il fut en mesure de vraiment bouger, ici.
En fait, il suffisait de s'éloigner de ces pâtés de maisons en dédale pour voir apparaître d'impressionnants gratte-ciels, semblant dévorer tout passant. Donc, parfois, il pénétrait dans ces lieux plus citadins comme Warren quand le temps lui permettait. Autrement dit, le parfois devint au fur et à mesure un toujours car son temps n'était dévoué qu'à du temps perdu, dans le cimetière vivant que devenait jour après jour Sterling Heights. Il préférait passer à un possible délinquant fugueur plutôt que devenir mort, n'ayant jamais pu profiter de la vie ou même pouvoir y croquer au niveau de la peau. Ainsi, par des fugues de délivrance, il s'échappait dans Warren, dans des temps plus nocturnes.
La nuit le faisait briller. Les villes démones de néons furent capables de l'éclairer. L'immense afflux de lumière des milliards d'éclairages restait, même si nombreux, timide mais tout de même là, sur lui. Les sons furent, ici, plus audibles. Le gazouillis des fontaines ne se mariait absolument pas aux klaxons tapageurs ; il y avait bien là une concurrence des sens et pas quelque chose d'épouvantablement catégorisé. Mais, à l'oreille de Cassian comme de tout le monde, chaque son était identifiable et visible.
Tout le monde était libre de ses mouvements. Tout le monde grouillait dans cette foule.
Chacun était libre d'y circuler. Chacun se grouillait à cette communauté.
Il se sentait appartenir à quelque chose même quand on le contournait, quand on le poussait. Il ne s'en plaignait aucunement, d'ailleurs. Et même pas cette fameuse nuit qui le bouscula.
Même dans cette affluence fourmillante, Cassian se sentait davantage plus notable et pas un fantôme de plus. Certes, à l'heure actuelle, peu d'importance lui était accordée mais ce qui l'enthousiasmait était le fait qu'à n'importe quel alarmant et éventuel incident, les flammes synthétiques de la ville et les orbes des citadins pouvaient se poser sur lui. Peut-être son heure de gloire interviendrait un jour.
Cornflower.
Il ne se rappelait plus de la date exacte mais qu'importe, ce cliché qui lui tomba dans les bras fut bien plus important que les nombres. À vrai dire, cet événement ne put être calculé car tellement fortuit.
D'un vecteur si rapide et puissant, quelqu'un ou quelque chose pourfendit, cette sombre nuit de pluie, l'essaim humain qui en eut les regards et bouches ébahis. Peut-être un éclair grondant aux sons claquant sur le macadam crépitant de son eau. En tout cas, chacun, à son passage, semblait se reculer d'effroi. À peine on eut le temps de distinguer la couleur de cette étoile filante.
Tandis que chacun dégageait le passage pour ce reconnaissable fuyard, le fugueur, quant à lui, fronça les sourcils sur cette silhouette, s'approchant dangereusement de lui.
Tandis que chacun semblait s'arrêter et poser des yeux ronds devant cet individu, l'inconnu, quant à lui, osa continuer à avancer normalement et à la même cadence, imperturbable, vers lui.
Les deux étaient prêt à se rentrer dedans et derechef, l'idée ne déplut pas à Cassian qui osa braver de sa curiosité le chemin de cette épée à priori humaine mais surtout intolérante.
Intolérante mais aussi sans cœur ; il n'eut fallut que de quelques secondes pour que le choc intervienne mais même pas une pour que l'autre lui échange un regard. Peut-être juste quelques injures à son égard quand la silhouette se renversa à terre avec lui et se releva automatiquement.
— Connard ! Regarde où tu vas. C'est pas possible ça…
La seule monnaie d'échange à cette offre de contact que Cassian reçut fut plutôt matérielle : Un paquet au contenu insondable pour le moment. Quelque chose que ce paquet d'impolitesse avait oublié, trop occupé, probablement. En revanche, le brun ne fut qu'assez perspicace pour en comprendre la nature de l'objet quand une armée d'uniformes bleu marine se dirigea sur lui.
Son regard se perdit dans la foule, le regardant comme le nouveau coupable déchu alors qu'ils avaient constaté l'échange. Dans une autre fraction de seconde, il évada son regard hagard sur la lumière, l'affichant, cette fois-ci, fièrement comme le coupable. Le dernier tiers de cette seconde de trop se reposa sur ces personnes menaçantes, se dirigeant tels des serpents enragés et venimeux, aux crocs acérés, vers lui.
Visiblement, aucun ne fut capable de remarquer ses vrais actes. Il aurait été donc incapable de s'expliquer. Remarqué pour une fois mais pas pour ce qu'il était. Tous hurlaient :
— Oui, c'est bien lui !
Sans avoir la place dans ses pensées pour y réfléchir car trop occupées à imaginer la fuite, il prit le paquet et le rôle de ce criminel en fuite. Ses jambes se relevèrent en un bond comme d'un tremplin et par mimétisme, et ensuite par automatisme, se mirent à chercher une accélération adéquate.
Premier faux rôle.
Plongé dans cette nuit pluvieuse, la ville parut être un labyrinthe et ce fut à ce moment qu'il se rendit compte qu'il la connaissait encore moins bien que le dédale qu'était son quartier malgré ses nombreuses venues. Où pouvait-il bien aller ?
Sa seule source d'appui fut les bruits auxquels il prêtait grande attention chaque soirée. Le son dominant de l'averse, des cadences rythmées avec elle, des roulements de voitures, des alarmes de feux, des carillons de stands, des jappements de chiens, des murmures de gens. Chaque son était identifiable, il s'en rappelait mais un parmi tous les autres n'était pas si familier que cela et pourtant, il devint son aide dans cette fuite.
Il y posa les yeux : Cette même silhouette qu'il réussit à rattraper car sa course était probablement essoufflée. Il semblait plus identifiable une fois affaibli et lent.
Malgré l'apparente trahison, Cassian arriva à sa hauteur, ne le rattrapant pas, courrant à son allure. Il lui jeta un regard concentré et appliqué mais l'autre ne semblait lui prêter d'attention comme il n'en donnait aucune à ce qu'il y avait derrière lui ou même devant. Son seul but était de fuir, quant à lui.
— Qu'est ce qui te prend, toi ? fut adressé sans une œillade ou un refus de plus.
Dans toutes les circonstances, Cassian se devait obligé de le rattraper. Au moins pour dénoncer ce coupable comme le vrai, il devait le suivre et le rattraper. Mais c'est pour une autre raison que Cassian empoigna l'avant-bras de cet inconnu : Il le traîna avec lui à sa suite afin de lui conférer un autre souffle dans sa fuite. Une fuite ensemble où il aurait peut-être obtenu la reconnaissance de quelqu'un au moins, se disait-il probablement.
Qu'importe qui il était. Ce potentiel voleur l'avait touché, l'avait choisi plutôt qu'un autre. C'était en quelque sorte un jeu d'élection où Cassian avait, pour une fois, parut le plus pertinent d'entre tous. Cet élan et cet accompagnement furent en quelque sorte des remerciements. Peut-être reconnu, il pourra quitter la paisible banlieue morte.
Soudain, l'autre détecta finalement, par inquiétude, avec une finale rotation de tête vers l'arrière, la présence rapprochée de ces potentiels punisseurs et, sans relâcher la main de son apparent acolyte, la resserrant même, prit le relais pour mener la danse qu'ils eurent ensemble.
Le nouveau garçon paraissait être en mesure de mieux se repérer car, plusieurs fois passa-t-il dans des ruelles sombres et inconnues, qui s'illuminèrent chaque fois que sa culpabilité les traversait. Quelque part, sa part d'ombre avait un côté glamour que celui derrière s'imaginait. Et donc, le faux fugitif se laissait, désormais à son tour, entraîner par ce jeune homme. Peu à peu, Cassian perdait de l'endurance. Sa respiration se saccadait à son tour. Ses paupières papillonnaient à s'en fermer. Sa prise dans cette main, quant à elle, omettait la même fermeté, prête à relâcher. L'autre, sans doute par crédibilité, la gardait maintenue dans la sienne ; entre l'échappatoire et le rapprochement, il était coincé.
Cassian pouvait le ressentir dans sa poigne hésitante, par les tremblements rythmé, par le froid ambiant et ses pulsations cardiaques. Pour sa part, ses dents claquèrent autant que les pas.
Mais, là, d'un coup, une issue se glissa. Le garçon en fuite choisit à s'y retrouver bloqué avec un « imbécile » pareil. Entre l'échappatoire et le rapprochement, entre se rendre ou se présenter, entre l'aveu et la crédibilité, l'inconnu y choisit une seconde fois Cassian.
Ils attendirent un instant dans cette cachette, immobiles. Ils se firent calmes. Ils semblaient ne pas les avoir trouvés et être partis dans une autre direction. Ils étaient seuls et pouvaient se rencontrer, vraiment.
Mais pour se présenter, en effet, ce personnage n'y trouva pas la manière la plus chaleureuse de le faire. Les dents du brun ne furent plus celles qui provoquèrent le plus de bruit quand sa colonne vertébrale heurta un mur délabré fait de briques. Par contre, il n'eut le temps de prononcer un son puisque le pseudo-criminel lui vola, à son tour, les plaintes depuis sa bouche geignarde.
— Tais toi. Ils vont nous entendre !
Tais toi, Cassian. C'est bon quand on ne te croit pas là.
Il ne fallait pas qu'il soit là, à vrai dire, qu'il fasse semblant d'être mort.
Ce son distinct, particulier et propre à lui, parmi les bruits de la ville était mauvais.
La main du jeune homme devint un seul doigt qui se posa sur les fines lèvres blêmes du muet. Seule l'ouïe leur fut requise en cet instant. Encore une fois, dans Warren, on identifiait les sons un par un. Il pensait que c'était juste pour apprécier mais Cassian avait tort : Juste pour survivre, d'après cet homme.
Il porta un regard près du muret qui les dissimuler, de ces enragés. Le plus brutal des deux semblait prêter vigilance à ses alentours, pour sa part ; être confiant mais ne pas avoir confiance, là était le mot d'ordre qui semblait déjà ressortir de cette mystérieuse personne.
— Qui t'es comme imbécile pour te foutre dans une merde pareille ?
Peut-être on ne l'écoutait pas mais déjà le voir, c'était suffisant, pensait-il. Après tout, il était un imbécile en plus d'être tû. Sa parole n'était pas obligatoire. On lui demandait, en l'occurrence, de juste suivre attentivement les vibrations que les cités provoquaient. On lui demandait juste d'écouter pour… Non, absolument pas pour choisir : Son cerveau lui imposait d'acquiescer pour être un minimum crédible.
Il hochait la tête et répondait poliment à cette nouvelle rencontre. Il faisait preuve de décence et de formalité avec une personne qui, pour une fois, lui assignait un peu d'attention et d'étude.
— Personne suit un type qui leur fait un sale coup.
C'est vrai qu'il le regardait d'un sale œil. L'inconnu haussait un sourcil d'incompréhension aux mots du brun ; encore plus quand il s'agissait de ses explications. Il était incapable de deviner pourquoi on suivait son propre bourreau.
C'était anormal. Cassian était anormal.
Cassian avait quelque chose de différent et c'était sans doute pour ça qu'il l'avait détecté avant les autres.
— T'es bizarre. Mais je dois avouer que c'est intriguant. Tu serais prêt à recommencer en plus d'après ce que je comprends ?
Cassian était bizarre.
Cassian était presque incompréhensible d'après les regards aveugles qui s'étaient intéressés à lui. Mais peut-être ne s'étaient-ils pas assez intéressés.
En revanche, ce personnage, s'immisçant de sa vicieuse mais vive clarté, semblait devenir une sorte de tunnel. Un dialogue maigre mais concluant puisque Cassian ne faisait qu'être d'accord. À tout ce qu'on pouvait lui dire, il applaudissait ; tant qu'on lui donnait à son tour la scène.
— Le truc que t'as dans tes mains, tu sais ce que c'est ? Regarde dedans.
En analysant la phrase de son voisin, l'interpellé mit quelques minutes avant de comprendre que le sachet qu'il détenait dans sa main gauche était le nouveau sujet de discussion. On pouvait lui parler de tout, il semblait impressionné, même les sujets tabous.
Cassian ne voyait pas en quoi il devait avoir peur de ce paquet. Même quand la poudre blanche qui en fut le contenu taquina ses yeux mais surtout ses narines. Comme seule réponse, il éternua sur côte droit.
— Ça t'effraie pas ? Ça te plaît ?
Après tout, la drogue, c'était commun, en ces temps, et il aurait même dû s'en douter. Certes, les échos qu'il avait pu entendre n'étaient pas des plus glorieux mais le jeune homme ne voyait pas quoi en retirer de la guerre contre les drogues menée aux États-Unis. Qu'y avait-il de si dangereux ?
Le curieux analysa de plus près la marchandise mais sa nouvelle œillade sur le réel possesseur demanda la permission.
— T'as le droit d'y toucher, tu sais.
En soit, rien qu'y prendre quelques grumeaux des doigts était excitant. Peut-être trop excitant pour lui car ses yeux de jais furent pris d'un sursaut quand il sortit ses phalanges pêcheuses du film plastique. Ces dernières étaient parées de paillettes et Sanders y découvrit là une faste finesse.
Il n'eut qu'une envie. Braver ce qu'on lui avait toujours dit.
— Te prive pas.
Pris d'une énième convulsion au cœur qui se traduisit dans tout le corps jusqu'en un soubresaut, le brun le questionna de nouveau d'un sourcil innocemment quémandeur. Il se privait. Il n'osait pas. Mais le détenteur prouva son agacement et son impatience quand il saisit le poignet ; un poignet qu'il inspecta quelques secondes, jugé comme trop peu décoré à son goût.
— Ça va pas te tuer, regarde.
Ce jeune homme ne connaissait aucune permission. Tout le contraire de Cassian. Il se faisait beaucoup plus visible, plus bruyant que lui. Il franchit une certaine barrière par le passage de sa langue aux susurres taquins et humides sur les doigts d'un autre ; les doigts de Cassian. Sa langue fut si téméraire qu'elle longea la paume jusqu'à aller au poignet précédemment toisé.
Le garçon lui jeta encore les regards qui firent son monologue entier. Bloqué entre le choc et le plaisir, le garçon ne sut davantage réagir. C'était dangereux, lui avait on dit et il avait tendance à se montrer compréhensif, mais à la fois, cet homme savait se montrer tentateur par un moyen de séduction auquel le banlieusard n'aurait pas pensé.
Il ne fit aucun geste de refus, ni de dégoût. Au rythme de ces pulsations nouvelles et encore plus incontrôlables que l'accoutumée, ses lèvres se firent désireuses. Mais pas pour aujourd'hui.
Ne tombe pas déjà parmi les roses.
— Si tu en veux plus, rejoins moi à Detroit.
L'usage de ses phrases n'était pas aléatoire mais imprévisible et lunatique.
L'usage de ses mots était particulier mais absolument bien choisi.
De la sorte, le brun ne pouvait que succomber. L'évidence se distinguait par ses joues pimpantes de rougeur.
« En vouloir plus » ? De quoi parler-t-il ? Du paquet ou de ça ?
— Au pire, donne moi ta main.
Avec audace, il reprit cette main précédemment léchée. Il y tatoua encore des marques par un stylo sorti de sa poche. Furent griffonnés des immanquables chiffres ainsi que son surnom, probablement.
« Est ».
Primrose.
Une fois qu'on a essayé, on ne s'arrête plus.
Il suffisait d'une simple fois et ne le voilà déjà plus.
Ce qui fut autrefois une simple résidence dans une banlieue devint une cellule dans une prison. On avait beau argumenter sur le manque de couleurs des villes et leur nocivité, les banlieues étaient pires. L'humanité, les relations et l'identité n'étaient pas leur hymne. « Identité », serait-il en mesure de toujours porter ce jugement ?
C'est ainsi que ce que furent autrefois des fugues devinrent des voyages quasi-permanents. Que papa et maman ne s'inquiétaient pas, leur fils était simplement en voyage ; tout comme eux.
Le vide et le manque le rendaient affreusement dépressif outre le vide dans lequel il l'avait élevé. Aucune émotion cultivée au fond de lui. Ils voulaient accomplir des ambitions et ces éléments allaient contre. Alors Cassian avait besoin de combler tous les soucis que Sterling Heights, ville de prétendue sécurité, lui posait.
Ce numéro, avec le temps, s'était effacé de sa paume. Mais désormais, son nom était même gravé dans sa mémoire. Ses doigts tapotaient machinalement le numéro d'Est car il ne l'avait pas enregistré dans le répertoire. Le simple fait d'inscrire les chiffres et de les voir apparaître était vivifiant à chaque fois.
Un chiffre et c'était le délit qu'il avait osé commettre.
Dans ce monde auquel il s'inscrivait en composant à chaque fois ce code fétiche sur son cellulaire, il franchissait des portes de cellule. Comme une évasion par la perpétuation de la voie du crime.
Après tout, tout était bon pour le faire sortir. Qu'il s'agisse de produits illicites ou de sentiments manipulés, il avait l'impression vivante de faire partir du spectacle, même si, sans conscience réelle, il était cloué par des ficelles.
Peut-être tiré un jour de la scène.
À dire vrai, Cassian faisait ce chemin de Sterling Heights à Chicago de son propre chef, motivé par la curiosité et la gloire. Peu à peu, le simple entourage que représentait Est devint quelques amis de lui puis beaucoup puis à la folie car le premier semblait apprécier la compagnie du dénommé Cassian. Le garçon devint populaire puis admiré, sans s'en rendre compte. Quel paradoxe.
Sa manière de se taire et acquiescer lui allait bien. Chaque fois qu'ils devaient tenter quelque chose de nouveau, c'était dans le sens positif que ça allait car Cassian craignait une dispute, qui aurait fermé les portes de ce dépravé mais beau monde.
La curiosité du brun se mariait bien à son nouveau compagnon car ce dernier fut heureux d'en trouver un cobaye. Chaque fois, une lubie lui parvenait et Cassian se sentait particulier. Particulier et aimé qu'on pensait ainsi spontanément à lui.
Il aimait jouer les désintéressés, ça attirait davantage. Les amis d'Est semblait se poser des questions à son sujet. Qui était il ? Un entretien avec lui n'aurait pas été de refus. En revanche, l'autre avait bien compris ce second rôle.
N'y voyant que des intérêts communs, il en bâtit une relation ambiguë avec accord mutuel mais toujours aussi peu conventionnel, sans que Cassian ne se rende compte des enjeux.
Chaque jour venait-il à sa porte pour y recevoir une dose d'amour payante pour une dose de drogue gratuite. Ainsi formait-il son, ce qu'il appelait ainsi, premier véritable amour. Mais l'amour est aveugle et ne voit par-dessus les apparences. L'aimait-il vraiment ?
Chaque fois qu'Est lui tendait la main, il y voyait une invitation à entrer dans son intimité. Chaque fois qu'il l'embrassait, il y voyait la concrétisation d'un amour. Chaque fois qu'il le caressait, il y voyait une manière curieuse d'apprendre à connaître le corps de l'autre. Chaque fois qu'il enlevait les boutons de sa chemise, il y voyait la pudeur que seul lui était autorisé à voir. Est était une expérience.
Mais la manipulation, le désir, la luxure et la primitivité étaient bien plus fortes chez son partenaire.
Sans vraiment le vouloir, Cassian avait encore fini par accepter ; juste par désir de se faire aimer encore plus. Juste par désir d'évoluer encore plus, trop ambitieux. C'était probablement égoïste mais c'était encore plus égoïste de la part de son compagnon d'en jouer.
Son mutisme lui valait le droit de se faire accepter et séduire par son corps fragile.
Les doigts qui chatouillaient sans cesse ses côtes lui créer de subtils soubresauts qu'Est lui demandaient de faire taire par des baisers sans passion ; plutôt inquisiteurs et forcés, en fait. C'était comme cette main qui avait bandé ses mots la première fois. Comme une main qui voulait parler pour lui et traduire, au rythme qu'elle avançait, elle-même, les courbes de son corps.
— Profite.
La première personne était souvent omise dans sa phrase mais, de son troisième rôle qui ne dit rien, Cassian ne pouvait le blâmer. Qu'il s'évanouissait dans le désir d'un autre, donner c'était se conférer aussi du plaisir.
En revanche, comme utilisés, des soupirs furent sans cesse réclamés de la part du jeune homme. Voire de la passion mêlée à un parfum de douleur dans le timbre. Les pincements et la voix amèrement grave de ce manipulateur en profitait pour réclamer leur dû mais furent inutiles. Jamais, Cassian ne bronchait, voyant dans les yeux de son présent amant la folie et toujours cette même lumière d'espoir éternelle et incassable.
Sa main était réchauffée à l'approche de ce camarade mais aussi à son substitut neigeux, quand il n'était pas là. Quand Detroit n'était pas là.
Comme un pull imprégné d'une odeur familière, Cassian y garda la précieuse poudre qu'on lui donnait gratuitement en échange de luxure. La drogue n'était pas une dépendance s'il n'y avait pas Est derrière.La drogue n'était pas une dépendance s'il n'y avait pas ses rêves devant.
Ça lui bousillait les narines. Encore une fois ça le faisait souffrir.
On lui avait dit qu'il fallait souffrir pour être beau mais il en retira que pour être aimé aussi. Son désir était baigné de souffrances mais c'était dans ce délire masochiste qu'il s'y plaisait en croyant que son amour compliqué et ingrat était réciproque, comme le dealer le prétendait.
— Je sais que je compte pour toi.
Il avait ce don de ne pas employer cette tournure trop osé, qui aurait fait taire les espoirs d'une étoile filante et les aurait concrétisés. Les ambitions de l'orphelin -il se disait ainsi pour se donner un quatrième rôle- restèrent de simples ambitions et non pas de l'objectivation.
Si un jour, la dévotion serait sortie des lèvres de son potentiel compagnon, le portail épineux se serait fermé, le protégeant des dangers, et peut-être aurait-il eu l'occasion de parler. D'être lui-même. Hélas, Est semblait aimer chevaucher sur un fil stable, sans pente, ni montée. De la peur d'aller plus loin, sans doute ? De chuter ?
— Mais tu sais, c'est pas si éternel. Un jour, l'autre sera plus là.
Tristement, Cassian baissa la tête en se lovant dans les bras mystérieusement protecteurs du jeune homme. Il était possible qu'il l'aimait mais plus comme une propriété qu'un être humain. Cassian aurait pu changer de patronyme mais ce qui passionner le plus Est dans cette histoire, c'était la page blanche et vierge qu'était l'influencé.
Comme un origami travaillé, on pouvait le montrer fièrement.
Comme une feuille dans un classeur, on pouvait le collectionner, comme les autres.
Comme un papier buvard, on pouvait faire des rayures et le jeter par la suite.
— Je sais ! s'exclama Est.
Aujourd'hui, il était ce rôle: Une belle grue de papier.
Avec de l'encre, il imprégnait sa belle feuille de papier en y saisissant, sans autorisation, la main.
Son poignet manquait, en effet, de décoration, comme il l'avait remarqué lors de leur première recontre. De vraies décorations et pas des babioles qu'il mettait juste pour impressionner ; ses foutus faux bracelets. Franchement, qui écoutait ce groupe ? Même pas lui.
L'amour qu'il encra, salement et avec les moyens du bord, en un cœur symbolique sur sa peau fut considéré comme plus représentatif pour Est. Un apparent amour de manipulateur fut tatoué sur son épiderme fragile. Ça traversait son cœur.
Dans cet autre cœur vide d'artiste, il souffla pour y apporter une métaphore de chaleur, le remplir. Il insuffla ceci comme un poème dédié au brun mais aucun mot n'était réel. C'était juste comme l'étiqueter.
D'un baiser qu'il dépose une fois l'encre séchée, il reposa la main volée ailleurs (qu'importe), comme s'il n'en voulait plus.
Hibiscus.
Imprévisible se fit elle, la neige, qui trouva nid dans chaque recoin du paysage. Traçant des reliefs pour chaque toit, elle recouvrait tout le sol. Aucune alerte n'avait été déclenchée et ceci désigna un jour particulier. Depuis le poste radio qu'il laissait allumer pour un peu de présence, on entendait hurler le présentateur de prendre garde aux risques.
Cassian en pouffa légèrement. Or, son rire devint vite un rire jaune quand il constata à nouveau ce vide. Il lui manquait et eux manquait juste. Ses parents laissaient toujours le silence et leurs meubles, spectateurs trop ennuyés.
Ce mobilier était d'ailleurs statique face au seul résident ; rien ne bougeait. Ce n'était pas un décor théâtral mais bien trop net, comme une nature morte : Les fauteuils étaient disposés de telle sorte qu'on puisse faire croire à de possibles discussions, alimentées par les livres rangés et alignés sur l'étagère en sombre ébène, quand une visite se présentait. Or, les tasses disposées sur la petite table de marbre n'étaient pas utilisées, juste polies sans cesse, pour renouveler le besoin de visiteurs.
Il avait besoin d'une présence et malheureusement, seul cette texture blanche fut un peu de changement dans sa vie si la ville n'était pas présente.
Une énième fois, il se dirigea dans la bibliothèque, reniflant les feuilles à la recherche d'une information tellement connue qu'il savait la reconnaître à l'odeur. Une fois trouvée, il en ouvrit le sachet pour déjà ressentir les effets de cette poudre magique. C'était le fumet du Diable et pourtant il ne pouvait s'en passer car ça lui évoquait une très récente nostalgie.
Dans un de ses récipients à thé trop lustré, il en versa comme un trait de lait dans une rasade invisible. La neige est pure. Il n'en toucha qu'à peine l'anse.
La neige ne doit pas être tâchée, même pas d'une seule goutte imprévisible.
Et pourtant, une seule trace de doigt pouvait ombrager une neige dite éternelle pour lui faire perdre son espérance de vie, jusqu'à la rendre éphémère. Alors on isola l'éclat par le rythme des saisons. Ici venait l'été.
Jusque là, Est lui manquait. Peut-être terriblement puisque il déposa ses lèvres sur le rebord de sa tasse, en y plantant fermement les incisives en quête de compléter ce manque le rongeant derechef.
Mais tous deux avaient décidé de prendre assez de distance pour éviter les risques déjà encourus. Or aujourd'hui était le jour où la violente neige prédisait une certaine fumée dans le feu de leur pseudo-couple.
Imprévisible se fit ce message qu'il n'attendait de lui. Surtout qu'il ne lui semblait absolument pas destiné. Emploi de tendresse et romantisme mais pas le même manière dont il abusait avec lui ; peut-être n'était ce pas un problème de destinataire mais juste d'auteur car Est avait promis de ne pas écrire. Prendre du recul sur lui-même, même. Pour une raison des plus obscures, comme à l'accoutumée.
Cassian resserra sa prise sur l'anse. Quelle drôle de façon de prendre de la drogue mais ainsi il pouvait jouer ce rôle à son tour, se donner l'impression d'un peu de discussion autour d'une tasse, moins reculé de Detroit et de sa neige sans doute polluée de monde. Ce fut une discussion prenante avec la drogue qu'il incinéra au fond de son cœur, en plaquant la porcelaine au niveau de sa poitrine, assez proche de l'organe pour fortifier le lien et n'y créer aucune distance.
La distance était peut-être destructive en fin de compte.
Imprévisible se fit son envie irrépressible d'appeler cette personne. Cassian était censé resté de l'autre côté, seulement lié à la poudre enneigée, appliquée sur ses lèvres comme un baume au sucre glace. La folie et le non-respect de ses engagements se faisaient contaminer par le caractère éphémère que la neige lui conférait. Il composa dont tout de même ce numéro mémorisé et appliqua furtivement l'écran d'appel contre son oreille, impatient.
Imprévisible se fit le ton de cette voix. À dire vrai, elle était encore moins distincte qu'à l'accoutumée, ne lui étant quasiment pas propre. Cassian hésita même à raccrocher, croyant se tromper de personne depuis le départ mais le choix des mots et la formation des phrases convenaient à Est. Rudes et impolies furent ses impétuosités caressées par du travail méticuleux sur leur emploi.
Mais, effectivement, sa voix s'imprégnait d'une mélancolie d'anciens et mauvais sentiments. Entremêlé entre le chagrin et l'agacement, eux-mêmes entrelacés dans la déception et le manque, son ton se fit réservé et encore plus secret, ne voulant rien révéler même si Cassian insistait. Le seul trait commun et habituel fut, dans le vulgaire entonnée, cette prompte impatience qui voulait casser davantage les attentes de Cassian.
Peut-être que la promesse tenue était inhumée et les aspirations en naquirent ? Peut-être que l'autre trouvait ça effrayant ? Peut-être fallait-il impérativement une solution de secours pour cette situation ?
— Ignore ça. T'as raison, c'était pas pour toi.
Dans son impatience surgissait forcément une pointe de culpabilité qui lui était propre. Un soupir marqua la fin de cette phrase, comme un point. C'était mentir de dire que Cassian la connaissait alors son pincement au cœur s'illustra et se compléta par le repos de sa tasse suivi d'une main tremblante attrapant le dessus de son T-shirt, qu'il tira comme pour s'extraire l'organe vital et sentimental un temps.
Imprévisible se fit cette pointe de jalousie qui créa un relent de nausée. Préférant ravaler sa salive, il enterra ce dégoût au fond de lui. Le garçon pria pour une erreur ou juste une mauvaise passe, dans le pire des cas, mais cette pause fut plus amère qu'autre chose à digérer. Il sentit ses larmes fondre sur le tas neigeux ravageant à présent sa gorge, qui, quand à elle, se noua.
De sa main, il entrelaça ses deux paumes au niveau de sa glotte comme pour couvrir des sanglots par une écharpe ; geste qu'il effaça vite en se secouant la tête. Mais le principal but était de les étouffer avant qu'ils n'arrivent. Comme il l'avait promis, aucune remarque directe ne vint se présenter. Pas même un son.
Son compagnon conditionnel en serait possiblement reconnaissant puisqu'il détruisit sa culpabilité par un cadeau ; une offre d'expectance mortelle pour la distance et peut-être le couple, mort prématurément, avant d'avoir vu le jour.
— Écoute, je comptais pas t'inviter vis à vis de tu sais quoi mais j'organise un truc ce soir... Des fois que ça te brancherait, t'es le bienvenue.
Il n'eut le temps de répondre mais il n'avait besoin de parler. L'affirmation d'Est avait parlé pour lui.
Forget-me-not.
Les couloirs étaient aussi vides que son âme. Comme dans un film d'horreur, il patrouillait inconsciemment dans ce labyrinthe dans lequel il ne savait se repérer plus que Warren. Même épisode que la dernière fois. En revanche, dans un état plus net et plus clair, il en aurait été capable mais désormais, chaque mur se confondait avec celui diamétralement opposé pour former une sorte de miroir. Ce fut comme un piège dont on ne sortit jamais. Comment savoir quelle porte était la bonne quand il y en avait une centaine qui se ressemblaient ? Comment décrypter les chiffres sur les numéros d'adresse quand il n'y avait plus que l'existence du chiffre deux zébrée au chiffre neuf dans ce nouveau monde ?
Une dernière fois, il aurait pu lancer un appel pour retrouver la route mais s'en rongeait déjà les ongles, à peine à chercher une porte. L'environnement de cette ville l'avait, auparavant, bien couvert. De grands immeubles qui sécurisaient les êtres du ciel mais il en avait fini par être englouti dans les bâtiments, dans la ville, dans la foule. Aucune lumière n'éclairait le couloir de la peur ni ne l'illuminait. Le manque qu'il avait ressentie pour elle s'effaçait peu à peu. Un désir accompli mais d'une mauvaise manière.
Il y avait juste un vacarme qui couvrait le silence mais au final, n'était ce pas plus alarmant, pas plus effrayant ? Les murmures citadins devenaient des bavardages dérangeants pour l'oreille. Écouter ne lui convenait plus ; ça lui créait presque comme une migraine, une distorsion dans son cerveau.
Tout ce monde contre lui savait qu'il était présent et le huaient même s'il était à l'extérieur, eux, à l'intérieur des appartements, en sécurité.
De ses deux mains valides, il plaqua ses paumes contre ses oreilles pour en devenir sourd mais son ouïe était devenue trop attentive. Voilà que le sort s'acharnait paradoxalement sur lui.
Probablement, il aurait pu récolter un peu de lumière auprès d'une dernière personne.
À cette porte, il toqua une fois, doucement, mais le tohu-bohu créait un obstacle alors, dans son état second, il brava le mur et les interdits. Fini, après tout, cette politesse quand la forme pour jouer un rôle n'y était pas. Seul courir vers un peu de gloire lui importait. Auparavant, quand tous semblaient ne porter aucune attention sur lui, sa venue n'avait aucune importance.
Mais à ce moment, ils furent milles paires à le fixer. Enfin ils le remarquèrent. Enfin il les remarqua.
Inconnus je-m'en-foutistes, pseudo-amis à priori admiratifs, ennemis méprisants.
Cette sensation n'était pas atroce si les œillades n'étaient pas si acerbes. Dans cette atmosphère de plus en plus suffocante, les murs coloriés au vert pastel devinrent dégoulinant d'un vert plus glauque. La gentille candeur se métamorphosa en une ire qui ne pardonnerait pas son état et son exode intermittente entre banlieue et ville.
Son mauvaise voyage ne pouvait que l'emmener dans une ambiance déformée de la réalité. Tout ce qu'il s'imaginait d'habitude sur sa personne était déjà très dégradant pour lui-même mais, là, c'était pire. La drogue le rendait intéressant mais pas aujourd'hui parce qu'elle avait été servie autrement que dans sa précieuse tasse en porcelaine de Chine. La drogue manquait de qualité et de goût, aujourd'hui. Elle n'avait aucun but, aujourd'hui. Juste le démoraliser plus qu'à l'accoutumée. Elle l'isolait davantage. Ce qui était complémentaire d'un manque auparavant devenait une addiction. Un trou béant dans son cœur se formait. Il devait le voir.
De ses yeux hagards et cernés, il les plissa avec exagération, comme pour chercher l'eau dans un désert. Comme aucune lueur ne se vit braquée sur lui pour lui faire prestige, il fut plutôt ébloui. Voilà pourquoi il fit de sa main plane un abat-jour, plaqué au niveau de ses sourcils. Il agissait bizarrement et pourtant, dans ce monde d'incompris, c'était logique pour lui.
Ainsi, les autres eurent de la pitié. Ce qui était, pour lui, voilé par un rideau de grande méchanceté, se révéla être une compassion humaine vis à vis de lui. Quand on l'observait, on remarquait bien qu'il n'était pas sain, qu'il n'était même pas bien ici. Plusieurs auraient put s'empresser mais seul le plus rapide, une personne étrangère, juste invitée, en eut la possibilité :
— Salut. T'as l'air de chercher quelqu'un. Tu t'es perdu ?
Bien sûr que oui, il s'était perdu et à priori, c'était si évident que ça que le monde se fichait de lui, s'en moquait. Il était à part, au sens propre comme au figuré, de ce monde réel et, telle sa destinée, il ne pouvait fuir ces nombreux malentendus qui assenaient sans cesse son cerveau, les rendant sans cesse plus graves. C'était comme une maladie qui dévorait tout son système immunitaire : Chaque microbe qui était pourtant inoffensif ou peu se retrouvait être une embûche désormais.
Il voulait fuir et retrouvait un peu de protection dans cette ville l'engloutissant. Alors, de ses deux sales bras, il écarta la masse d'invités, gentiment, pour se frayer un chemin en appelant désespérément à l'aide. Chacun s'écarta à son passage, ne voulant être contaminé par la rage qui ravageait ses lèvres encore mais surtout son cerveau.
Auparavant homogène à la population, il était aujourd'hui si différent. Et pas en bien.
Il n'aurait jamais du quitter le calme pour le brouhaha.
Il avait hurlé pour que les portes s'ouvrent enfin à lui et maintenant, il le regrettait car les portes se fermèrent derrière lui.
Une centaine de regrets envahirent les dernières traces de chaleur que Décembre pouvait avoir. Les mois estivaux passés dans les rues avec ce sauveur étaient si chauds mais avec les saisons, avaient fini par se décolorer, pour se ternir à ce point, dans les feuilles brunies de l'automne, jusqu'au premier jour de l'hiver.
Aujourd'hui, la journée avait été courte, la nuit longue. Le phare, principal soleil de ses nuits, ne se tournait même plus vers ce bateau qu'il promettait de toujours accueillir dans ses deux bras terrestres formant une crique reposante.
S'il n'y eut aucun contrat entre Cassian et la personne surnommée Est, ce que l'actuel drogué put constater en l'état présent des choses confirmait son absence. Si sa lumière s'était soudainement tamisée lors de ces derniers jours, puis avait connu son dernier soupir durant ce nycthémère, c'était probablement lié à ce qu'il apercevait de son dernier rapport avec Est.
Finalement, Cassian avait été plutôt un avion de papier plutôt qu'une grue immobile. Sitôt, il vint à s'écraser pour sa dépendance à la drogue, dépassant le statut de cobaye, ainsi que pour sa dépendance à Est. Il avait subit les ultérieurs aléas. En ce moment, il devint ce papier abîmé sur sa pointe, le rendant incapable de voler davantage sans le monde des populaires. Finalement, l'avion était incapable de rendre la pareille à Est, même en se taisant ; il n'était pas si bon jouet. Il n'était pas si bonne poupée. Il n'était pas si bon muet.
La grandeur d'Est s'était éteinte sur lui.
Il s'était dirigé ailleurs.
Sans que ce dernier puisse apercevoir, encore une fois, la silhouette ni la présence de Cassian une dernière fois, il ne put réaliser à quel point il lui faisait mal, à l'en rendre jaloux ainsi. Ainsi fut le dernier sentiment qu'éprouva le jeune homme pour Est : La jalousie. Elle se pimenta quand cet amant interdit, coupable de la destruction du possible futur couple, se rapprocha de lui jusqu'à épouser ses lèvres coupables du sang coulant dans une gorge jusqu'à un cœur meurtri par une flèche perdue.
Cet autre individu, avait il, lui, au moins la sensation de faire mal ou alors n'avait-il, lui non plus, aucun contrat avec ce destructeur qu'était Est ?
Milles sentiments se fondirent en son corps partant des tremblements pour des tressaillements liés à la drogue. La rage envers le monde causée par le bad trip entachait son caractère plutôt patient si bien qu'il aurait voulu crier coupable en le pointant du doigt. En lui pointant davantage sa lumière, celle d'accusé.
Hélas, il ne pouvait pas l'accuser. Il lui avait volé les mots dans le passé mais encore aujourd'hui. L'horreur et l'effroi sur son échine, en plus de le parcourir, traversait ses cordes vocales jusqu'à les rompre ou tout au mois les saturer par l'inverse d'une saveur, se révélant trouver pire substantif que l'acidité.
Sa douleur morale vint se compléter à son sentiment d'oppression. Il ne put retenir les perles de sel qui roulèrent sur ses joues, seules paroles à ses mots qu'il avait donné à un tricheur. Cette émotion amère qu'est le chagrin créa des flots nasaux s'écoulant jusque dans ses sinus puisqu'il ne cessait de les aspirer, pour ne les laisser couler. Masqués dans son larynx, une petite partie de cette cavité fut dégagée pour au moins prononcer quelques gémissements affligés.
Il était capable de montrer tout sentiment en toute situation et pourtant, il voulait impérativement dissimuler celui-ci car il était trop vrai. Il voulait se mentir à lui-même et pensait que ce sentiment était de la comédie. Quitte à se faire du mal, il allait se donner un dernier rôle.
Ses pleurs accompagnés de leurs nauséeuses plaintes étaient ses seuls mots qu'il fit fuir hors de cette pièce. On n'eut pas le temps de se rendre compte de qui il s'agissait puisqu'il déguerpissait, de toute allure, fuyant le criminel plutôt que les agents de justice, cette dernière fois.
Son regard dit de perdu se dégagea sur la porte, comme seule but et amie à atteindre, désormais. Hélas, ses pas plus que maladroits s’égarèrent plusieurs fois, faisant une cacophonie alarmante, réveillant peut-être la curiosité ou l'intérêt de certains. Mais il arrivait à son but. Ne plus être victime de ce monde et claquer la porte derrière ce dernier.
Et pourtant, le second monde des teintes illusoires qui le hantait dans cet état ne se montra pas plus clément.
Chrysanthemum.
Tué par l'ignorance.
Tué par le jugement.
Tué par l'asymétrie.
Tué par l'addiction.
Encerclé dans un carré de vices, touché, le voilà hors de la partie, définitivement.
Dans cette mer sans accalmie possible, les pans des murs invitaient les couleurs à se retirer de leurs motifs, puis ensuite revenir en se mélangeant dans une fusion bariolée et écœurante. Tantôt les symboles furent au seuil de saturation maximal, tantôt ils étaient grisonnants parce qu'ils fanaient à la décrépitude des saisons. Tantôt ces couleurs se mettaient en garde, tantôt elle frappait cette pauvre victime fuyarde de plein fouet dans les rétines. Dans ce rythme infernal, ces dernières ne savaient plus suivre le tempo de cette dernière danse macabre. Entre s'offrir la clarté ou s'octroyer l'obscurité, entre se dilater ou se contracter, ce jonglage de noir et de blanc refilait son propre tournis au garçon déjà trop gauche. Il vint à en trébucher moult fois sur le damier que représentait le sol. Les chutes étaient nombreuses, s'étendant presque sur chaque seconde. Après tout, qu'était une seconde dans ce couloir sempiternellement long où l'espace et le temps n'avaient jamais été aussi inséparables ?
Aucune forme ne semblait se reposer. Elles prenaient des vies plus amusantes que celle de Cassian en elle-même. La seule chose qui demeurait statique restait cette cage d'escalier, menant à une montée, l'espérait-il, finie voire concluante. Encore un but, final, l'espérait-il aussi, pour enfin reprendre son souffle à défaut de rire ou au moins sourire. Elle dessinait un voyage plus tracé et moins flou sur sa destinée. C'était seul choix que la drogue lui offrait dans ce bad trip de toute façon.
Sur chaque dalle à l'allure d'un piano, (car chaque pas joué sur une d'elles entonné un requiem) ses pieds traînèrent comme le ramassis qu'il était devenu. Sa carcasse, prête à joncher sur le sol en compagnie des poussières, lutta pour quelque chose de plus noble. C'était vain de réclamer un peu de dignité pour son amour propre quand il ressassait toutes les mésaventures qu'il avait subites ou récoltées pour avoir été trop docile, trop passif. Il avait voulu s'amuser et finalement, dans ses murmures à peine vivants, plutôt effondrés, qui appelaient à la faim de joie, il regrettait encore plus d'être devenu ainsi.
Une haine propre, franchement.
Chaque marche qui le guidait à présent vers l'exode du monde était la représentation d'une mauvaise décision qu'il avait prise antérieurement, formant un chemin qu'il se devait impérativement de suivre, parce qu'il n'avait plus la possibilité de le rebrousser.
Les escaliers esquissaient cette ascension d'un destin de tragédie grecque inéluctable.
Les héros remarquent leurs erreurs et ne peuvent les annuler.
La mort a ce côté glamour de temps à autre mais Cassian n'avait jamais mérité assez de prestige, en revanche, pour pouvoir en payer une ainsi.
L'arrivée au toit fut la réalisation de ce manque de récompense. Le toit était haut perché, Cassian aussi mais la lueur qu'il cherchait depuis tout ce temps le surplomber davantage en un astre lunaire plein. Elle brillait de milles feux et lançait quelques étincelles sur la peau trop pâle du brun, la rendant plus brillante, la narguant.
Ainsi se rendait-il compte qu'il ne pourrait même pas toucher les étoiles un jour car, ce dernier jour se résumait en leur absence. Est était sa seule ambition tenant encore debout et maintenant jetée, elle se transposait dans cette lune, intouchable. Il devait se résigner et offrir sa vie au monde. Le monde et sa vie n'avaient plus aucun goût.
Il eut un dernier sourire en pensant que sa mort pourrait être une belle métaphore. Comme la grande Detroit, au sommet ; ses bâtiments s'écrouleraient sur la faillite pour finir en ruines, dans la neige. Dans cette épaisseur duveteuse, ses cendres seraient consumés mais peut-être un jour pourrait-il renaître… Comme Detroit.
Une mort douce… Peut-être aurait-il pu l'obtenir. Mais la drogue, première meilleure amie, qui l'accompagnait jusque là dans ses manques extrêmes se révéla être la plus hypocrite de tous.
Ses jambes s'étaient plus agitées et gigotés qu'elles ne l'avaient fait avancer, au total et soudainement, elles se changèrent en un plomb trop lourd pour être supporté. Cette dernière ambition qu'était la prodigieuse mort qu'il avait planifiée fut trop illusoire. C'était celle de trop.
Ce soyeux linceul qu'était cet épais manteau de neige était destiné à l'intercepter et le border dans un paisible décès mais la drogue vint contrecarrer ces funérailles de secours. Le sol de béton dont le toit était constitué se retrouva être son lit de mort. Plus que ferme, il était sévère et, durant sa chute contre le minéral, Cassian s'en claqua le dos, touchant probablement ses omoplates. Un bruit de fissure se fit entendre puisqu'il était si perceptible.
Sa colonne vertébrale , à cette chute, s'était probablement brisée, elle aussi, et pourtant, il ne ressentait pas la douleur.
Le coma qui voulait le noyer n'était pas assez puissant pour lui provoquer un sommeil. Ses paupières restaient aussi immobiles que la paralysie qui parcourait l'intégralité de son corps.
Il était ankylosé dans une transe inconfortable où on ne l'autorisait ni à dormir, ni à s'éveille ; puni qu'importe ce qu'il tentait.
Buste devenant une statue, ses organes vitaux se changèrent en pierre, incapables de fonctionner plus pour un tel cadavre. À quoi ça lui servait, de marcher, de voir, de sentir, de goûter, de toucher, d'écouter ? Mais surtout, à quoi respirer lui servait-il ? . Il pouvait ressentir sa respiration coupée au niveau sa glotte. Il tint ses deux mains à cette position pour étrangler ce blocage et enfin pouvoir inspirer. Mais plus rien du monde extérieur ne passait à travers ou chez lui. Même son corps avait honte.
Tout le dégoût qu'il avait pour lui remonta en des vomissements des plus atroces et pour cause, ils ne voulaient s'expulser car tout s'interrompait au même moment. Dans tous ses conduits sanguins, il eut l'impression que l'acidité prenait la-dessus dans son hémoglobine pour devenir un des liquides plus répugnants. Le haut-le-cœur restait ancré dans le fond de son gosier, incapable d'être éructé car l'accès lui fut refusé ; le vomi se mêla à ses poumons déjà momifiés. C'était donc le seul sang véhiculait à son appareil respiratoire. L'air ne lui été accordé, il ne devait plus qu'à s'en tenir à lui-même et son indépendance nulle.
Le vomi devenait plus toxique qu'acide. La drogue devenait plus paralysante que tranquillisante. La sensation fut comme s'il avait avalé un vase d'encre pour se donner quelques mots et s'exprimer enfin. Malheureusement, tout restait coincé, incapable d'être évacué. Le monde ne méritait pas qu'on crache de la bille dessus. Le monde n'était pas si corrompu. Seul Cassian l'était en plus d'être pourri.
Sa vie était restée un pot-pourri de paradoxes ; perdue entre le silence et les bruitages, entourloupée par les sentiments et leur inhibition, piégée entre l'élégante décence et l'aventure libre : Un être humain confronté à la société qui tantôt l'ignore, tantôt lui ment, tantôt le séduit, tantôt le manipule, tantôt le jette, tantôt le tue.
Finalement, il n'a jamais eu d'identité et n'a jamais pu se démarquer de la manière dont il le voulait.
Juste une carcasse qu'on ne prit la peine de découvrir que deux jours plus tard. Personne ne donna un nom à ce corps, ne sachant reconnaître un être aussi défiguré. Juste les termes « 19-year-old addict choked on vomit » trouvèrent qualificatifs pour cette entité, vierge autrefois, fanée et massacrée aujourd'hui par des monstres.
Wilted.
— Je souhaite juste avoir un nouveau rôle, furent ses premiers mots
Ce fut la première fois qu'il osa parler pour décider de quelque chose le concernant.
Ces premiers mots concernaient ses vrais désirs et pas du paraître pour la société. Pour la première fois, il s'adressait en parlant de lui franchement. Lui, se présentant vraiment comme quelqu'un qui se détestait.
Il n'essayait pas de chercher une nouvelle réputation car les souvenirs qu'il avait de sa vie était bien trop noirs et pouvaient revenir à chaque instant. Il ne cherchait pas non plus de réputation parce qu'elle était à jamais terni dans son amour propre.
Il n'était pas déçu de sa mort même s'il avait était aussi morbide que ridicule. Il regrettait juste que la mort ne fusse qu'un miroir sur la vie. C'était juste un voyage où on emportait tous les souvenirs comme seule valise. Or, Cassian avait surtout voulu, quémandé et crié après, dans la mort, l'oubli. Mais l'oubli s'était perdu dans lui-même.
Et maintenant, bras ballants, Cassian s'en retrouvait à être emprisonné dans un monde des morts, à garder la mélancolie de ses mésaventures à jamais.
Il voulait retourner dans le passé, redevenir une petite marguerite poussant dans un champ vide, être si vierge. Mais l'amour et le dégoût l'avaient tâchés à jamais.
Une gomme pour effacer ces incartades d'une vie passée existait-elle ?
La mort n'était hélas pas un phénomène de réincarnation. On restait tel qu'on était.
Un cadavre ambulant figé dans son apparence terrestre.
Il ne demanda ainsi, par cette phrase mais surtout un sac rempli d'ossements, un moyen d'échapper enfin à la vie, définitivement.
Ce fut bien le but contraire aux zombies que son passé lui avait inculqué au fil des années. Et pourtant, il finissait par se faire avoir, comme tout le monde ou plutôt comme toujours.
C'était une fleur si facile à cueillir et tellement influençable. Il ne restait plus que trois pétales flétris et pourtant ce vil et cruel nécromancien n'hésita pas à les arracher pour son propre intérêt financier. À lui mentir en prétendant pouvoir exaucer ses souhaits.
Cassian aurait du retenir la leçon une bonne fois pour toutes et pourtant, il se montra encore une fois trop confiant dans les gens. C'était un schéma qui était voué à se perpétuer.
Même à un inconnu, désormais.
Le pire fut que la potion n'avait aucun effet concernant la destruction mentale de son histoire. Elle n'était que là pour la lui rappeler. En effet, à la suite de cette prétendue potion « trou noir », il retrouva une peau encore plus délabrée qu'elle ne l'était déjà durant sa mort. Le gris s'intensifia sur le reste de sa peau pour ne créer que cet aspect de tristesse dans lequel il resterait ainsi éternellement figé à l'intérieur. Une gargouille destinée à n'être que purement décorative.
Il avait voulu qu'on le regarde. Or, Cassian n'avait jamais fait le vœu qu'on le regarde au plus profond de lui et pas simplement de manière superficielle, comme un simple corps.
Encore une leçon qu'il ne retenait qu'il ne retiendrait probablement pas. Il acquiesçait et regrettait mais ne corrigeait pas les erreurs qu'il pouvait commettre. Alors encore aujourd'hui il continuait à donner à son corps un peu d'honneur et à l'exposer aux autres (mais pas à lui), dans le but d'intéresser et non pas dans le but d'être intéressé et vraiment partager.
Peut-être que son actuelle apparence serait la clé de voûte à ce qu'il cherchait ? Ou alors, avec le temps, il comprendrait qu'il n'avait pas besoin d'une présence pour faire bonne figure mais d'un soi pour aimer ?