entretien cocasse
En ce début d’après-midi ensoleillé, Junko était en plein milieu de l’une de ses activités favorites :
Dormir.
Malgré le manque de distractions à sa portée depuis son trépas, majoritairement dû à sa nouvelle technophobie et à son budget plus que serré, il lui semblait toujours impossible de trouver le sommeil avant les coups d’une heure du matin. Et encore, ça, c’était le minimum.
Elle avait commencé depuis peu à emprunter des livres à la bibliothèque, seuls médias abordables et qui ne nécessitaient aucune source électrique pour fonctionner.
Hélas, le corbeau n’avait pas l’âme d’une lectrice assidue, et ses quelques romans piochés au hasard finissaient bien souvent éparpillés dans un coin de sa chambre de fortune, à peine entamés par leur détentrice jusqu’à ce que la fin de leur délai d’emprunt finisse par sonner leur délivrance.
Soit, au pire, il lui restait son téléphone.
Trop obsolète pour pouvoir naviguer sur internet, trop vide pour proposer quelqu’un avec qui discuter, trop simpliste pour supporter un quelconque jeu qui lui permettrait de passer le temps.
Sa seule utilité se résumait à la réhabituer doucement à la technologie... Et à lui permettre de composer ses propres sonneries. La brune s’attardait sur cette fonctionnalité quand l’ennui se faisait trop ressentir, même en sachant pertinemment que le résultat final ne lui serait d’aucune utilité.
Jusqu’à aujourd’hui.
♪ Bip- bip- bip-, pilililili… ♫
La reprise musicale plus ou moins fidèle de son générique d’anime favori avait réveillé la bête, étonnée d’en entendre les notes jaillir des haut-parleurs fatigués de son portable.
Pas encore assez éveillée pour que son anxiété fasse des siennes, elle avait rapidement décroché sans dénier prendre la parole.
“Bonjour, Basil Hirsch à l'appareil.”
Oula.C’est qui, ça… ?
Mollement, Junko s’était redressée en utilisant sa main libre pour se frotter les yeux. La personne à l’autre bout du fil continuait sa tirade tandis que la brune réunissait toutes ses forces pour tenter de mettre un sens sur ses mots.
Candidature ? Entretien ?
Ah, oui. Zut.
Pas encore tout à fait accommodée à sa nouvelle non-vie, l’ermite s’était pourtant enfin décidée à trouver une source de revenus viable.
Elle s’était habituée durant son vivant à pouvoir dépenser son salaire plus que correct dans tout ce qu’elle désirait. Certes, au fond, ce n’était pas grand-chose : une nouvelle cafetière plus silencieuse que l’ancienne, des plaids confortables à enrouler autour de ses épaules, de la nourriture réconfortante livrée directement à son domicile…
C’était des petits plaisirs simples, qu’elle avait naturellement fini par prendre pour acquis alors qu’elle s’asseyait nonchalamment sur le reste des économies.
Le problème, c’est qu’ici, il ne lui restait plus un sou. Ce n’était pas juste, et encore moins agréable.
Se relancer dans sa carrière informatique n’était évidemment plus une option viable, ce qui l’avait encouragé à postuler pour… Et bien, à peu près n’importe quoi.
En une journée à l’Agence, elle avait monté un CV peu captivant, une lettre de motivation qui ne portait franchement pas bien son nom, et avait envoyé ces documents minables à tous ceux qui voudraient bien les recevoir.
Elle qui avait tendance à aimer le travail bien fait, il était impossible de ne pas remarquer son manque d’investissement à l’idée de trouver un emploi.
Alors, de toute évidence, personne ne l’avait recontacté jusqu’ici.
Ce Basil devait être bien désespéré.
“... J'aimerais connaître vos disponibilités dans l'optique de passer un entretien.”
Junko était restée de marbre pendant une poignée de secondes, le temps que l’information lui monte au cerveau, avant de s’éclaircir la gorge pour répliquer d’une voix éraillée par la fatigue :
“... Maintenant ?”
Elle avait répondu sans réfléchir, et regrettait déjà amèrement l’implication qu’elle était prête à sortir dans cet état.
Trop tard : cet entretien était probablement son unique chance.
“Je veux dire, je suis disponible dès aujourd’hui, si ça vous convient.”
Ça rattrapait un peu le ton qu’elle avait employé, certes, mais ça n’arrangeait en rien ses soucis.
Pourvu qu’iel refuse…