La comédie des aubergines - [Célestin & Esperanza]

"Pfft!"

Célestin qui prétend s'y connaître, ça lui arrache un pouffement amusé. Non pas que ça soit contre lui, elle sait d'où il vient et ce qu'il a connu, mais l'idée de calculer ça en expérience et connaissance l'amuse. Malgré lui, il ressemble à ces adolescents qui prétendent tout avoir essayé pour se donner un aspect "cool". Elle préfère ne pas surenchérir, ne pas rouvrir les cicatrices. Surtout que c'est diablement inintéressant, elle avait vu de ses propres yeux ce qu'avait pu être Célestin, autrefois.

Elle est modérément convaincue par l'idée que des élève pourraient la surprendre, se demande si c'était seulement possible d'avoir un niveau satisfaisant à ses yeux sans expérience. Elle était -d'après les autres, bien entendu- excessivement exigeante avec des professionnels, ne savaient se contenter de rien. Nul doute que de jeunes fantômes ne tiendraient pas ses remarques ni ses remontrances.

Mais le sujet plus croustillant vient tout de suite, un nom sur l'affiche. Esperanza ne l'a jamais entendu nulle part, et pourtant trempe les deux pieds dans le monde du spectacle, un sourire immense lui fend le visage.

"Oh! Petit cachottier!"

On pourrait nommer ça un brin de paranoïa, mais déjà un cheminement logique se faisait dans sa tête. Elle n'est certainement pas outrée et offusquée de ce qu'elle comprend, mais joue quand même l'outrance.

"Se servir de moi, de notre histoire, de ma dévotion infinie pour l'art, pour propulser tes petits chéris sur le devant de la scène! Profiter de mon influence, de mon damné nom! Tu es machiavélien!"

Ses fines jambes poussent contre le sol pour faire basculer son siège en arrière, elle s'écrase en arrière en mimant l'agonie, poussant une sorte de rire dérangeant. D'ailleurs, elle aurait vraiment pu se faire mal à frapper le sol avec son crâne, mais ça n'a pas tant l'air de l'inquiéter. Toujours au sol, elle se calme soudainement, réfléchit.

Naturellement, Esperanza est de ces gens qui ne rendent service que pour le reprendre, à qui l'idée de faire une faveur est très étrange. Mais, elle est capable d'un minimum de projection, pense pour Célestin un instant. Pour peu que sa théorie soit juste, elle pourrait bien aider le cantateur. Sans contrepartie.

"Blague à part, si tu veux vraiment aider sa carrière... On peut la faire apparaître, sur l'affiche aussi. Son visage. Les gens retiennent mieux."

Sois fier, nécromancien, tu as peut-être une bonne influence sur la plus sombre des âmes.

“Oh ! Petit cachottier !”
“Voyons darling, je ne te dis pas tout.”

Au-delà du raisonnable, il est vrai. Vous ne vous êtes retrouvés qu’il n’y a que peu de temps après tout, par un hasard propre dans sa petite maison, de bouche à oreille des quelques nécromancien.nes avec qui il a affaire.

“Se servir de moi, de notre histoire, de ma dévotion infinie pour l'art, pour propulser tes petits chéris sur le devant de la scène ! Profiter de mon influence, de mon damné nom ! Tu es machiavélien !”
“Oh ! De suite les grands mots !”

Il mentirait tout de même s’il avouait le contraire.
Évidemment, qu’elle soit avec lui à l’affiche, il n’avait vu venir que lors des auditions - pas avant. Et il n’a pas joué quelconque influence pour qu’elle en soit, ni de son côté, ni du tien. Par contre, il sait dors et déjà qu’il s’agit là d’un grand rôle, assez pour propulser une inconnue, la faire entrer dans les petits papiers des producteurs.

Pourquoi ne pas en profiter dans ce cas-là ?
Célestin n’en a plus besoin de son côté.

Il croise les bras sur son torse, un sourire amusé aux lèvres. Il te laisse jouer sans rancune ta comédie, il te faut bien ça pour t’exprimer dans tout ton excentrisme.

“Blague à part, si tu veux vraiment aider sa carrière... On peut la faire apparaître, sur l'affiche aussi. Son visage. Les gens retiennent mieux.”
“Pourquoi pas ? Après tout, elle tient le second rôle principal.”

Ça ne serait que de bonne guerre, Célestin n’aime pas tenir l’affiche seul. Il se dit qu’il prend trop de place, et que les spectacles, il n’est jamais vraiment seul sur scène. Il ne sent parfois pas parfaitement légitime à faire tout ça.

Lui, gamin des champs.

“Je devrais pouvoir la contacter sans grand mal, après tout on se croise à chaque répétition. Si ça te chante de venir assister à la prochaine ?”

Esperanza découvre le nécromancien sous un nouveau jour, d'où elle est. Parce qu'elle n'a pas l'habitude de voir tout en hauteur depuis le sol, déjà. Ensuite parce qu'il semble avoir appris un peu les arcanes de l'influence, de profiter des talents des gens pour servir ses propres interêts. Enfin, il est encore trop bon pour vraiment profiter lui-même, il aide les autres à la place.

Elle se relève, replace le siège sur ses quatres pieds, hésite un instant puis décide de ne pas s'y rasseoir. Il l'a eue, mine de rien, il a réussi à titiller sa curiosité. Mais, l'araignée a ses propres mécanismes, inspire et sourit.

"Il faudra que tu me rappelles la date de ta répétition, je tâcherai d'y venir."

Une petite promesse, qu'il ne coûtait rien de lancer en l'air. Oh, mais Célestin mieux que quiconque devait savoir que ce genre d'engagements est trop souvent bafoué par l'artiste. Elle avance ses pions avant de le voir protester, siffle:

"Mais file-moi son numéro, déjà. Au pire je l'appellerai si j'ai un empêchement."

Dans le fond de ses yeux, une lueur de conspiration. Pour elle, rencontrer l'élève n'était plus une question, seulement le contexte. Et si possible, écarter le nécromancien de leur premier contact. Pourquoi sa non-présence lui tenait tant à coeur, là est le secret. Esperanza travaille en manières mystérieuses.

“Il faudra que tu me rappelles la date de ta répétition, je tâcherai d'y venir.”
“C’est demain, à 15h. Dans l'une des salles de répétition du Grand Théâtre.”

C’est qu’ils répètent tous les jours ou presque, d’autant que la date de la première approche, comme il s’en est rappelé voilà quelques minutes désormais. Quant à savoir si réellement tu allais venir, Célestin n’est pas dupe, il faut même avouer qu’il commence à avoir une certaine expérience avec ta personne.

Non pas qu’il doute de ta promesse.
Disons plutôt qu’il doute de ta capacité à la tenir.

C’est qu’il a l’habitude, à force de travailler à tes côtés. Ce n’est pas toujours une tâche des plus plaisante, comme travailler avec lui peut l’être tout autant. Disons qu’il a pris le pli de ne pas trop t’attendre.

“Mais file-moi son numéro, déjà. Au pire je l'appellerai si j'ai un empêchement.”
“Bien sûr, je te le note sur…”

Il trouve un bout de papier qui traîne, le déchire et fouine dans son propre téléphone un peu trop vieux désormais - il marche encore, se justifiera-t-il. Il trouve son nom : Barbaras Gomèz, qu’il t’indique en plus de son numéro de portable.

“Voici. Hm, elle devrait te plaire, elle a son petit caractère”

Il se demande soudainement si c’était bien une bonne idée, qu’il a eue là. De te l’envoyer dans les jambes. Barbaras a certes son caractère, mais ce n’est probablement rien par rapport au tien. Il ne faudrait pas que tu la brises en mille morceaux, ce ne serait pas la première fois que tu fais pleurer des jeunes artistes.

En tout cas, c’est bien cette image qu’il a de toi.

"Hm, évite de la dévorer toute crue. Je m'en voudrais.

Ah, demain. Très bien joué, pense-t-elle un instant, Célestin avait réussi à la coincer. Il serait franchement plus que difficile pour elle de prétexter avoir oublié du jour au lendemain, surtout auprès de quelqu'un qui connaissait ses habitudes vagabondes. Et puis, de toute manière, elle ne perdait vraiment rien à assister à la répétition, ça ne représentait franchement pas une corvée.

"Oh, je pourrais être là. Quoique tu vas en penser."

Elle préfère couper court à toute réflexion qu'elle parviendrait à se faire porter absente. Sauf cas de force majeure, pour une fois -qu'il ne s'y habitue pas-, elle irait peut-être à un rendez-vous posé. Ou alors elle croisera un papillon sur le chemin, et se perdra à une dizaine de kilomètres dans les bois. L'aventure est l'épice de la vie.

Elle suit des yeux Célestin alors qu'il gribouille une suite de chiffre, lui tend avec un soudain doute. La vipère le sent et le sait, il vient de se demander s'il n'a pas fauté. Évidemment que si, évidemment qu'il ne faut jamais donner à Esperanza ce qu'elle réclame, c'est bien la règle de base pour se prémunir de la ruine qu'elle impose aux autres. La gentillesse est une malédiction.

Mais bon, tout ça tient de l'hyperbole, la cantatrice ne risquait quand même pas grand chose de concret. Pour le moment, au moins.

"Allons, Célestin, pour qui tu me prends?" Le français la prend exactement ce qu'elle est, au millimètre près, elle en est certaine. Mais elle s'amuse, siffle: "Tu sais, les araignées ne dévorent que les mâles..."

Et elle plante un regard figé, métallique et pénétrant dans le sien. À lui de déchiffrer le sens profond de l'acte, elle ne l'avait au fond commis que pour observer sa réaction. Elle est farceuse, saviez-vous?

“Oh, je pourrais être là. Quoique tu vas en penser.”
“Je n’en pensais rien.”

Un beau mensonge, il est vrai. Voyant, peut-être - probablement, sans nulle doute. En effet, Célestin te connaît, il ne pensait pas que tu allais venir Une habitude désormais, face à laquelle il n’avait jamais rien pu faire, même s’il en aurait eu l’envie.

Envie qu’il n’a jamais eu.
Célestin était bien assez masochiste.

Alors il te donne son numéro sans réfléchir peut-être, sans crainte de ta personne parce que Célestin, il te connaît bien assez, il n’y fait plus attention peut-être. Il ignore bien pour quelle raison tu ne l’as jamais dévoré tout cru, il ne s’est jamais vraiment demandé. Alors que pourtant, il a tout le caractère de ceux qui se font manger, dévorer par la scène et le spectacle et c’est bien ce qui était arrivé, à ne pas mentir.

Célestin a-t-il envie que ça recommence ?
Sur autrui peut-être ?
Tu n’étais pas des plus tendre avec lui.

“Allons, Célestin, pour qui tu me prends ? Tu sais, les araignées ne dévorent que les mâles…”
“Voilà qui est rassurant, dis-moi.”

Il sourit, amusé.
Jaune aussi, peut-être.

Dans le fond, Célestin t’en a toujours un peu voulu, même s’il sait tout autant fautif. Un petit ressentiment duquel il passe outre, pour continuer à travailler à tes côtés. Car il faut bien cela encore pour profiter de la qualité de ton travail et de ton expertise.

“Hm, il y avait d’autres points à gérer j’imagine ?”

Peut-être. Probablement.
L’affiche, certes. Est-ce que Célestin va devoir faire le tour des plateaux de télévision et autres radio spécialisées pour faire de la promotion ? Voilà longtemps qu’il ne s’est pas prêté à pareil exercice.

Haha, il a peur. Peur d'avoir sacrifié un agneau à une divinité capricieuse, d'avoir peut-être lancé une machine infernale qui dépasserait sa propre capacité. Une entreprise de ruine, de destruction d'une vie. Le pire, le plus grave, c'est qu'aucune crainte n'est infondée.

Esperanza est sous tous aspects une horrible chose. À arracher au monde autour d'elle un peu de substance pour se nourrir, un trou noir de bonheur qui ne cesse de dévorer chez les autres leur force. Célestin lui-même faisait partie des rares gens épargnés par sa faim insatiable, pour des raisons aussi illogiques que le permet l'univers. La lémure le dévore du regard, note que son sourire cache autant de tension que d'amusette. Extase pure.

Il dérive sur d'autres sujets, s'inquiète de la suite. Elle repose les yeux sur son carnet, tente de lire ses propres gribouillis. Elle déplorait ne pas être de ces gens à la calligraphie somptueuse.

"Mmh, tu avais une idée pour ta tenue sur scène? Je t'aurais bien prêté une des miennes, mais..."

ELle y tenait peut-être trop. Quoique ç'aurait été comique de le le voir les essayer.

"Puis, non, du reste, c'est à moi de m'occuper de tout, je crois. La salle, le matériel, les petits incapables derrière la scène. J'ai hâte."

Comme quoi, il n'est pas le seul à pouvoir rire jaune. Quel malheur que d'être douée dans une profession ennuyante.

“Mmh, tu avais une idée pour ta tenue sur scène ?”

Évidemment, à trois semaines de la première, il valait mieux que le nécessaire soit déjà en cours de fabrication. Il le pense, ne le dit pas. Ça sonne terriblement comme une évidence, dans ses yeux qui se plissent derrière son masque souriant.

“Je t'aurais bien prêté une des miennes, mais…”
“Mais soyons franc, je doute qu’elle me sied à ravire. Pour te répondre : oui, le costume est en cours de confection par les costumier.ères. Ce sera un costume rouge, queue de pie, très vif, très voyant, et assorti à ce que portera ma coéquipière pour cette soirée.”

Impossible de le louper sur scène.
Là, il attirera tous les regards.

Il y aurait probablement un côté intimidant, si Célestin n’était pas habitué à la scène, au public, au reste. Il finit par les oublier, ne plus les voir et les éviter. Il a toujours mal supporté cette petite célébrité, toute relative tout monde fermé des opéras. Par chance, il ne la subit pas, dans la vie de tous les jours. Célestin est personne parfaitement invisible aux yeux du monde. Si ce n’est la couleur de ses cheveux, mais au milieu d’un monde où certaines personnes portent des cornes sur la tête, c’est encore le moins remarquable.

“Puis, non, du reste, c'est à moi de m'occuper de tout, je crois. La salle, le matériel, les petits incapables derrière la scène. J'ai hâte.”
“Hm, ça a l’air de te réjouir.”

Parfois, il se demande bien pourquoi tu fais ce travail.
L’ennui ? Tu sembles terriblement t’ennuyer même sans ça.

“Ne leur fais pas trop peur non plus, s’il te plaît. Je n’aimerais pas avoir à les ramasser à la petite cuillère, je n’ai plus l’espace émotionnel pour.”

Il te le demande avec un sourire amusé en apparence, peut-être un peu moqueur. Mais dans le fond, il ne plaisante pas tant. Et si plus rien n’est à discuter, alors il se saisit de ses pages de répétition.

“Eh bien si tu considères que tout est bon… Je m’en vais me faire une petite répétition en soliste, sait-on jamais. … Hm, c’est un plaisir de travailler de nouveau avec toi. Ça faisait longtemps.”

Bien, il a pensé à son propre costume. C'est toujours un poids de moins sur les épaules de la lémure. Sur ses frêles épaules, qui lui hurlent de tout laisser en vrac et de s'occuper de son propre art. Mais bon, elle s'est résolué à l'aider jusqu'au bout, et peut-être pour une fois tiendra ses promesses. Elle souffle, amusée.

"Comme quoi, je déteins sur toi. Tu prends le goût de l'extravagance."

Tant mieux, tant mieux. Esperanza trouve toujours que le monde manque cruellement de couleurs vives et fantasques. Qu'il serait plus bon d'y vivre pour peu qu'on y éparpille des teintes vives et des criardes. M'enfin, chacun a son idée de la beauté, paraît-il.

Une remarque de Célestin attire son attention, lui fait lever un oeil pénétrant. Son rictus est faux, les notes discordent. Il voulait faire passer pour de l'humour une inquiétude, pour une farce une supplication. Elle n'aime pas vraiment ce que ça veut dire entre les lignes, il lui vole ses outills. Elle soupire, déjà lassée du travail à venir.

"À t'entendre parler, trésor, je brise quiconque file entre mes doigts."

Elle lève la main, prétend faire fuir du sable entre ses doigts. Il a juste raison, il n'y a pas lieu de le nier. Elle le sait, mieux que quiconque, ne peut pas s'empêcher néanmoins.

Puis l'ancien la remercie. C'est inattendu, fait passer son humeur morose en un instant. Qui l'a déjà remerciée de quoi que ce soit? Elle a toujours été inondée de désir, d'admiration, de présents... Mais la gratitude? Voilà qui est nouveau. Elle reste impassible, enfoncée dans son trône.

"Hm. Ce sera un plaisir de te voir sur scène. Qu'est-ce que je ferais pas pour l'Art..."

Est-ce qu'elle peut seulement avouer en retour qu'elle apprécie le revoir? Est-ce qu'elle saurait se faire vulnérable pour lui avouer qu'il est l'une des dernières âmes à tolérer ses milles tares? Oh, elle devrait, ça lui rendrait tellement service de lui rendre ses mots doux.

"Ça faisait longtemps, oui."

Elle se lève, serpente et disparaît. Là est sa manière. Débarquer en grandes pompes, se dissiper en silence.