✯ Parcourant les photos qu’il a prises, la nostalgie le frappe un peu. Assez récents, les souvenirs sont encore nets par rapport aux plus anciens. Cela peut paraître arrogant venant de lui, mais… ce sont de belles photos. Il les aime. Tout comme il a aimé les prendre à l’époque.
Ce n’est pas cathartique.
Pas du tout, non. Cela ne le sera jamais. La photographie, seule, ne pourra pas le guérir.
On dit que voyager est parfois source de guérison.
La photographie est une partie du voyage. Elle raconte l’histoire pour qu’il n’oublie pas, et ne pense pas qu’il a rêvé. Une adaptation plus pratique et visuelle de ses journaux. Une adaptation compréhensible par tous. Une adaptation qui en fait rêver plus d’un.
Et Angel fait partie de ces rêveurs. Cela se voit dans ses yeux brillants. Cela s’entend dans ses mots. Cela se sent dans son excitation.
« Tu ne me dérangeras pas. » Il avait l’habitude de voyager autour du monde avec son frère.
« De nous deux, tu risques d’être le plus dérangé. Je ne m’arrête pas à un hôtel ou un camping chaque nuit. S’adapter pour vivre dans un camping-car plutôt que dans cet appartement où tout est fourni, c’est difficile parfois. »Et aussi de supporter le fait qu’il soit insomniaque et qu’il oublie de manger. Doit-il ajouter sur la liste des crises de panique aléatoires à cause de sa vue, ou encore le fait qu’il prend occasionnellement des risques parce qu’il attend sa tombée en poussière ?
… Hm. Pauvre Angel, en effet.
Cela ne sera certainement plus aussi magique de voyager en découvrant les divers problèmes existentiels qu’il traîne depuis des siècles.
Quoi qu’il en soit… Il fait défiler les photos, racontant les anecdotes qui vont avec, et répondant aux questions de son colocataire qui se glissent dans la conversation. Quelques-unes un peu gênantes. Mais c’est son ami. Il connaît Angel, il ne veut rien dire de mal par là. Il lui fait confiance.
« Je viens… » Il fronce les sourcils, se remémorant instinctivement les deux dates importantes de sa vie.
« … des années 1750, approximativement. » C’est assez généralisé, parce que préciser de 1743 à 1767 semble un peu bête et inutile.
Un maigre sourire tire sur ses lèvres au rire du plus jeune à ses côtés. C’est doux et un peu enfantin. Cela ne le surprend pas que les enfants du refuge l’aiment beaucoup.
Il secoue la tête négativement.
« Moi non plus. Je ne regarde pas beaucoup de films. Cela m’intéresse peu. » Peut-être est-ce parce qu’il est trop ’vieux’ ? Parce que ça n’existait pas à son époque, et que lorsque les premiers ont vu le jour, il n’a pas pris la peine de passer le pas et d’aller en voir ? Les seuls qu’il ait vus, ce sont ceux avec ses colocataires, ici, à Gagarine, parfois tard le soir. Il n’a pas non plus de lecteur vidéo dans son camping-car, ni d’ordinateur, donc…
Lorsqu’il passe sur les photos des lucioles, il se dit qu’il aurait peut-être dû faire une courte vidéo. Eh bien… une prochaine fois. Angel a l’air de les aimer. Il pourrait repasser dans le coin pour lui montrer.
« Hm… un peu. Mais c’est aussi très grand. Alors au final, nous sommes assez dispersés. »Il montre le château de Matsumoto, divers autres trucs, Obuse… avant d’arriver sur l’unique photo de Suka. Il se tait, retenant une grimace au commentaire de son ami.
Mince, il n’a pas réfléchi avant de parler.
Il essaye un rire, qui sonne sûrement un peu forcé et nerveux, avec un sourire un peu trop large pour lui.
« Eh bien… ! Les journalistes prennent bien des risques pour leurs interviews, n’est-ce pas ? De ce fait, les photographes aussi ! » … Ouais, même si cela reste vrai, sa réponse est définitivement trop enjouée pour être une pensée crédible.
Il n’a pas peur de tomber en poussière. Même s’il n’est pas sûr lui-même qu’un train puisse le tuer dans ce monde.
Pensant à voix haute tout seul ensuite, il est surpris par l’enthousiasme que cela provoque chez le plus jeune. Il quitte son appareil photo des yeux pour le regarder. Une joie non filtrée. Il peut presque la voir colorer les bords ternes de sa non-vie. Beaucoup de fantômes ici-bas auraient besoin de quelqu’un comme Angel dans leur entourage.
Il acquiesce doucement.
« Bien sûr, cela me convient. Et cela te permettra de te préparer et d’avertir tes collègues de ton absence de durée indéterminée, puisque nous ne partirons qu’en février ou mars prochain. »Sauf si Angel souhaite partir plus tôt, et dans ce cas, ils devront aller dans une autre région avant ce voyage prévu à Suwa.