Plaisir d'offrir, joie de se revoir - [Wynn & Zdenka]

Sous bien des aspects, Zdenka est une personne assez farceuse et légère. Navrante d'espièglerie, frôlant le sadisme par moment, toujours assez détachée des conséquences possibles de ses actions. Mais pas quand on parle d'argent, encore moins de son argent, et surtout pas quand il faut le dépenser.

Croyez bien que dans la salle d'attente, dans les locaux de la Camarilla, pas un sourire en coin ni un rictus amusé ne déchire son visage. Au fond, rien ne s'y lit vraiment, sauf dans ses yeux. On y voit une seule chose, simple et impossible à mal comprendre: elle n'a pas envie d'être là. Hélas, elle surveille quand même de près ses dons par habitude, et doit annuellement faire le point avec le comptable des vampires.

Par faire le point, on entend évidemment se plaindre de toutes les minuscules zones d'ombres dans les dépenses de l'association. Que ce soit des typos évidentes sur tableur, ou des documents manquants parfois, elle est imperturbable et implacable. Peut-être trop, mais s'il y a une chose avec laquelle on ne plaisante pas, c'est la finance.

Naturellement, c'est la source d'une puissante répulsion entre elle-même et Wynn, et quand vient son tour de pénétrer dans le bureau, elle s'asseoit sans politesse ni présentation, tapotant des doigts sur la pile de dossiers qu'elle avait traîné.

"Bonjour."

Il n'aura pas plus, elle sait très bien qu'il n'a pas plus envie de la voir qu'elle ne souhaite lui parler de la pluie et du beau temps.

"Je pense que nous aurons tous les deux besoin d'un café."

Manière de dire que la rencontre serait longue, et particulièrement pénible. Mais aussi, manière de demander un café sans dire "s'il vous plaît", et encore moins s'engager à dire "merci" au final.

Wynn était tranquillement en train de travailler. Une journée calme, des collègues qui se mêlent de ce qui les regarde : un cadre parfait pour lui. Absorbé dans ses tâches, il avait même préféré manger son petit déjeuner au bureau pour ne pas perdre de temps. Efficace et légèrement inconsidéré envers sa propre santé, Wynn est le cliché de l’employé que tout le monde aimerait avoir. Sauf peut-être pour son côté … Peu social. Et son penchant pour la colère et son habilité à chercher assez facilement le conflit surtout quand il considère avoir raison. C’est dans ce cadre calme et reposé que Wynn, très occupé, n’a pas tout de suite remarqué qu’une personne s’était glissée dans son bureau. Il tape à l’ordinateur, vérifie une feuille, puis retourne sur son clavier. Les lunettes sur le nez, il semble totalement happé et dans un autre monde. Mais il se fait rappeler à la réalité très vite ; et de la pire des manières. Un léger « toc toc », un mouvement repéré du coin de l’œil et le voilà en train de dévisager la personne qui lui fait face.

« Bonjour. »

Il se sent subitement submerger par une envie très forte de pousser un soupir croisé d’un hurlement. De toutes les personnes qui pouvaient se présenter à lui, c’est bien évidemment Zdenka qui a été choisie par le destin. Ce dernier a vraiment un drôle de sens de l’humour ; le genre qui ne fait pas rire Wynn. Qui lui donne même des envies de meurtres par moment. Il se passe la main dans les cheveux, pousse un léger soupir avant de se tourner de nouveau face à son ordinateur. L’écran de ce dernier reflète dans le verre des lunettes de Wynn ce qu’il observe : un grand tableur rempli de chiffres plus ou moins surprenants.

« Qu’est-ce que vous voulez ? »

Le « bonjour » semble optionnel chez lui, surtout lorsqu’il est irrité. Il n’a vraiment pas de temps à perdre avec Zdenka et son pointillisme dépassant tout ce qu’on peut s’attendre de quelqu’un de perfectionniste. Cela fait des années qu’ils se connaissent et ce n’est pas de gaité de cœur. De par sa « généreuse » participation financière auprès de la Camarilla, Wynn a eu l’habitude de la voir venir de temps à autre pour éclaircir quelques points ici et là, préciser certains chiffres … Sauf que ce n’est jamais une partie de plaisir. Wynn se considère comme assez pointilleux et rigoureux, mais Zdenka a le don d’être encore plus insupportable, au moins de son point de vue à lui.

« Je pense que nous aurons tous les deux besoin d'un café. »

Soupir long et profond de la part de Wynn, qui fini par tourner la tête vers elle. Il retire lentement ses lunettes, signe d’un profond agacement, avant de les plier et les poser devant son clavier. Il se tourne sur sa chaise puis pointe par-dessus l’épaule gauche de Zdenka

« Pour le café ça sera là-bas. Et donc, qu’est-ce que vous voulez ? »

C’est à ce moment-là que Wynn remarque la pile de dossiers. C’était ça, le fameux « toc toc » qu’il avait entendu. Il se frotte le haut du nez, les yeux fermés et les sourcils froncés. Evidemment, c’est cette période de l’année.

« … Bon. J’imagine que je commence avec le premier dossier. Est-ce que vous avez quelque chose à me préciser dès le début ? Je peux aussi vous montrer le relevé simplifié des paiements de cette année. »

Si la franche dépréciation mutuelle est de mise, même acceptée par les deux partis, le manque de respect et de politesse déplaît à la polonaise. Chacun aura sa vision des choses, mais à son sens, on se doit d'être courtois. Enfin, ce genre de morale s'étouffe bien vite dans de nombreux cas, et il n'est pas forcément rare de la voir lever un doigt bien précis vers des malappris, mais jamais sans raison. Elle n'est pas assez outrée pour le relever dans l'instant, mais décide de se taire jusqu'à ce qu'il comprenne par lui-même ce qu'elle attend.

Bon, elle aurait pu attendre des heures, le vampire n'est manifestement pas décidé à la saluer. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, elle le fusille du regard sans un mot -et vous pouvez déjà comprendre qu'elle le fera tout le long de leur rencontre-, puis se lève pour servir deux tasses.

"Je veux faire le point sur vos besoins. Comme chaque année. Depuis plusieurs décennies."

Elle revient s'asseoir, lourdement, déjà fatiguée bien qu'en pleine forme. Si elle avait été vraiment malveillante, elle aurait pu laisser Wynn se perdre dans ses fiches, mais elle le tirait de là.

"Pas la peine de lire le tout, ça me sert surtout d'archive."

Par contre, il avait fait l'erreur de lui demander si elle voulait soulever quelque chose d'emblée, elle ne se ferait pas prier.

"J'avais envie de vous rappeler que la politesse est toujours appréciée en société, mais je suppose pouvoir m'asseoir dessus."

C'était assez facile à dire, mais le ton insupportable de reproche dont elle se parait la rendait au moins aussi antipathique. Au moins, c'était sorti, et elle ne comptait de toute manière pas épiloguer des heures sur un "bonjour" perdu. Elle tirait une chemise verte de la pile, l'ouvrait sur une page plutôt qu'une autre pour des raisons que seule elle connaissait, et baissait légèrement la tête. Elle fixait alors Wynn dans les yeux un temps, relevant le regard pour le reposer sur ses feuilles un peu plus tard.

"J'ai cru comprendre que vous aviez quatre nouveaux protégés, depuis ma dernière visite? Je suppose que pour l'heure, l'on doit les compter comme se nourissant de poches de sang?"

C'était vraiment chipoter pour des piècettes, mais la polonaise adorait le faire. Presque une habitude retenue de sa pauvreté forcée, à son arrivée chez les morts. Une chute douloureuse de sa vie noble qui aura forgé son caractère à jamais.  Elle commençait à siroter son café, et se retenait violemment de montrer qu'elle venait de se brûler le bout de la langue.

« Je veux faire le point sur vos besoins. Comme chaque année. Depuis plusieurs décennies. »

Wynn se retient de répondre qu’il sait et qu’il préférerait que ça ne soit pas le cas. Mais il a déjà été sermonné pour être, comment on dit déjà ? « Trop coincé » ? Il se contente donc d’hausser les épaules sans plus de commentaire. Et puis au fond de lui il sait bien que s’il venait à fâcher définitivement l’une des plus grosses donatrices de la Camarilla, ça ne se passerait pas très bien. Il se remet à taper sur son clavier, jetant un œil aux dossiers. Il en prend un, l’ouvre et commence à le lire silencieusement, créant cette situation gênante où le silence s’installe et que personne ne dit plus un mot. Sauf que lui, ça lui passe totalement au-dessus ; tellement qu’il a un léger sursaut quand il entend de nouveau la voix de Zdenka

« Pas la peine de lire le tout, ça me sert surtout d'archive.

Il va bien falloir si je veux vérifier que vos archives collent avec les nôtres. »

Heureusement qu’il a eu cette idée brillante de dématérialiser la plupart des gros dossiers financiers une décennie auparavant. Il en avait perdu le sommeil -ou en tout cas plus que d’habitude, mais cela lui facilite grandement la vie. Il regarde le dossier, en essayant de prendre en compte les éléments qui l’importent le plus et laissant le reste de côté pour ne pas y passer deux jours. Mais la voix de Zdenka le sort de nouveau de sa lecture ce qui lui fait pousser un soupir d’agacement

« J'avais envie de vous rappeler que la politesse est toujours appréciée en société, mais je suppose pouvoir m'asseoir dessus. »

Il regarde les dossiers puis Zdenka du coin de l’œil, avant de regarder devant lui, comme en pleine réflexion. Il est vrai qu’il avait fait l’impasse sur les salutations de rigueur, trop agacé de la voir débarquer dans son bureau. Mais il n’est pas tout à fait sûr que de la saluer maintenant soit approprié ou non ; et au fond de lui ça ne l’intéresse pas vraiment. Il ne s’offusque jamais lorsqu’on ne le salue pas et il en attend de même de la part des autres. Le concept de « politesse » et de « respect » semble bien différent chez lui. Mais encore une fois, il entend la voix de son chef qui lui râle dessus alors, après un énième soupir, il se replonge dans son dossier

« Je tâcherai de m’en souvenir. »

Il tourne une page

« Et donc, bonjour. »

Est-ce mieux ou est-ce pire ? Il n’a aucun moyen de le savoir. Il regarde Zdenka servir le café et s’installer de nouveau. Il laisse échapper un « merci » avant de voir que Zdenka l’observait de près, soutenant son regard. Il lâche son dossier des yeux quelques instants avant de le refermer. Ça lui fait mal de l’admettre, mais Zdenka a raison. C’est bien trop laborieux d’éplucher chaque dossier ; peut-être qu’il se contentera de relire ceux où il y a quelques anomalies. S’il y en a. Et il espère vivement que ça ne soit pas le cas.

« J'ai cru comprendre que vous aviez quatre nouveaux protégés, depuis ma dernière visite? Je suppose que pour l'heure, l'on doit les compter comme se nourrissant de poches de sang? »

Il se tourne vers elle, puis prend le café d’une main.

« Nous avons eu effectivement quelques nouveaux vampires qui sont pris en charge par la Camarilla. Pour le moment, nous essayons de faire une rotation entre poches de sang et les sorties. C’est le meilleur moyen de pouvoir leur expliquer comme se débrouiller tout en garantissant leur sécurité. »

Il souffle doucement sur son café un moment. Il sait que cette cafetière a tendance à faire du café bouillant et il a autre chose à faire que de se brûler les lèvres.

« Votre question me semble bien spécifique, je peux vous demander pourquoi ? Oh, et … »

Il se retourne et sort une feuille de l’imprimante. Dessus, on peut y lire un résumé des dépenses de la Camarilla pour l’année, répartie en catégories diverses et variées. Il la tend à Zdenka, l’air toujours aussi calme malgré son agacement

« Ça nous aidera à faire le point. »

Le vampire insiste pour comparer les tableurs, qu'il en soit ainsi. Zdenka n'allait certainement pas s'imposer entre sa rigueur au travail et son application pratique. Ç'aurait été hypocrite. Elle se retient même de remarquer qu'en cas de conflit, elle accorderait infiniment plus de foi dans ses archives papier que dans des données numérisées. Elle sait déjà que Wynn fera l'inverse, alors à quoi bon? Pour l'heure, elle préférait espérer que tout soit conforme et identique.

Reste qu'elle est très agréablement surprise du fait qu'il se plie à ses caprices en lui souhaitant bonjour. Que ce soit pour se débarasser rapidement du sujet, ou pour apaiser la situation un peu tendue, c'est apprécié tout autant. Non pas qu'elle l'apprécie pour autant, bien sûr. Il en faudrait des milliers, des "bonjour", pour en arriver là. Attendant la suite, elle se brûle en tentant d'entamer son café. Comme chaque année. Elle attrape aussi la feuille que lui tend le comptable, commençant tout juste à la décortiquer avidement des yeux.

Vient cependant son tour de parler, malgré sa langue meurtrie, elle s'y force.

"Je me demande simplement si votre organisation peut assurer en autonomie son approvisionnement en poches de sang, ou devra avoir recours à des contractuels."

Avec un peu de mauvaise foi, on pourrait se forcer à lire entre les lignes qu'elle les soupçonne d'être franchement incapables. La polonaise est simplement très pragmatique, elle sait de son expérience que toute initiative en pleine croissance a recours tôt ou tard à un apport extérieur.

Avant de s'aventurer plus encore dans les détails, elle dévalise ses dossiers pour enfin comparer le résumé de cette année avec celui des précédentes. Rien ne semble vraiment hors norme, tout est cohérent, suivi et logique. Elle ne pourra pas râler. Une tendance se dégage encore et toujours, cependant.

"Année après année, les dépenses augmentent inexorablement, hm?"

Naturellement, sa contribution suivra, mais encore fallait-il l'estimer avec justesse. Tout un manège d'hypothèses et de conjectures qu'elle aurait bien délegué à quelqu'un, mais elle ne fait confiance à personne.

"Il faudra se résoudre à faire des économies quelque part, un jour. Tôt ou tard."

C'est son avis, libre à chacun de le condamner ou de le partager, mais elle pense deviner la réaction qu'aura Wynn face à cet excès d'audace. Ah, qu'importe, les deux n'ont pas le temps de prétendre être les meilleurs amis du monde.

« Je me demande simplement si votre organisation peut assurer en autonomie son approvisionnement en poches de sang, ou devra avoir recours à des contractuels.

Se nourrir revient à créer de la main d’œuvre, c’est l’un des rares aspects pratique du vampirisme. »

La voix de Wynn est plus tranchante qu’une épée bien affutée. Elle coupe légèrement la fin de phrase de Zdenka car il est pressé, pressé de lui faire comprendre que la Camarilla n’est pas du genre à engager des « contractuels » pour faire le sale boulot. Il le sait que trop bien, même cacher derrière son bureau, il voit ses collègues s’affairer. Et même si ce n’est pas son boulot principal, il a déjà assisté et aidé. Il ne cherche pas forcément à défendre la Camarilla car au fond : il s’en fout. Vraiment. Bien qu’il soit un très bon mouton et tout à fait capable d’écouter et d’exécuter un ordre, ses quelques années en tant que syndicaliste et « rebelle » lui a suffit de comprendre que vouer un culte à son boulot est une impasse. Mais que courber l’échine et fait ce qu’on nous demande rend la vie bien plus simple. Il continue d’éplucher les dossiers en parallèle de Zdenka, levant rarement les yeux des bouts de papiers qu’il tient entre ses mains.

« Année après année, les dépenses augmentent inexorablement, hm? »

Léger soupir à peine audible de la part de Wynn.

« Le désavantage du vampirisme, c’est que se nourrir ça a tendance à remplir les rangs. »

Le ton toujours aussi agréable, il lève un œil par-dessus sa feuille pour observer Zdenka. Pour lui, il ne parle qu’en faits ; pour elle, c’est probablement un énième tracas de devoir rajouter des zéros dans ses dons. Il faut croire que leurs difficultés ne sont pas au même niveau. Il poursuit, replongeant ses yeux dans la mare de chiffres

« La Camarilla s’étend aussi. Avoir des nouveaux c’est un casse-tête qui n’est pas que financier. C’est aussi un casse-tête logistique. Trouver de la place, prendre en charge, organiser les passages de Portail ou bien même fournir les poches de sang … Rien n’est laissé au hasard. »

Il s’interrompt quelques secondes avant de reprendre

« De fait, les coûts augmentent.

Il faudra se résoudre à faire des économies quelque part, un jour. Tôt ou tard.

Si cela doit se faire au détriment de la qualité de vie des vampires ou même, pire, mettre en péril la sécurité de la ville ça ne se fera pas. »

Il se racle la gorge, sa voix se brisant légèrement à la fin de sa phrase. Il sait ce que c’est un monde sans avoir personne pour vous prendre par la main, un monde froid et vide qui vous laisse un sentiment d’injustice. Injustice qui se meut en une bête féroce sans autre pensée que celle de survivre, à tout prix. Y repenser le met mal à l’aise et bien que son visage soit un livre ouvert, il se refuse à en parler davantage. Zdenka n’a qu’à faire avec ce qu’il lui a dit : c’est largement suffisant.

« On peut envisager que la Camarilla trouve d’autre moyen de financement, mais ça ne se fera pas dans l’immédiat et il faudra une période de transition et d’adaptation. La question est : est-ce que vous arriverez à suivre financièrement pour l’instant ? »

Est-ce une vraie question ou simplement une légère pique en réponse à celles de Zdenka ? Wynn ne le sait pas lui-même et ça ne l’intéresse pas.

Évidemment, la poltergeist n'aime pas tellement qu'on lui hache ses phrases violemment, qu'on lui vole ses mots. Elle a l'habitude de se faire écouter, et plus qu'attentivement, Wynn ne sait probablement même pas à quel point ça l'insupporte. Par conséquent, il faudrait évidemment lui pardonner l'affront involontaire, mais puisque l'esprit humain est pas essence illogique, elle le retient contre lui. Être pragmatique et raisonnable tient un temps, mais les émotions prennent toujours le dessus des individus. Fidèle à elle-même, cependant, elle encaisse en silence et prend sur elle, ç'aurait été dommage d'exploser si tôt.

Pour calmer sa rage, le vampire parvient presque à l'user par la fatigue. Plus que lui-même, ses paroles. Il paraissait presque idéaliste, à espérer que tous les vampires de sa belle organisation puissent toujours profiter du même support et confort dans un monde qui change. Elle soupire à son tour, lâche à mi-voix pour ne pas trop attiser la flamme.

"Espérons, alors, puisque l'un de nous deux y tient."

Par contre, il chargeait sur un tout nouveau sujet qui lui hérissait instinctivement le poil, une réaction épidermique irrepressible. Son argent, et il venait le titiller de manière assez agaçante qui plus est. Elle lève les yeux une bonne fois pour toutes de la mélasse de chiffre, cherche à le fixer directement au plus profond des pupilles.

"Je m'inquièterai de ma trésorerie, inquiétez-vous de la vôtre."

Elle avait peut-être mal interprété son intention, ou ses airs. À force d'entendre les mêmes questions trop souvent, de revivre les mêmes scènes, sûrement. Elle avait été piquée au vif, répondait assez sèchement aussi.

"Je vais être tout à fait franche. J'espère seulement ne pas nourrir de charbon une locomotive dirigée vers un mur." Elle et ses métaphores, elle sait déjà à peine les mots sortis de sa bouche qu'elle doit rephraser. "Je veux savoir pour sûr que tout ces fonds servent à aider une organisation durable, votre respectabilité n'étant plus à questionner."

Voilà, conclure avec un peu de compliments, ça permet toujours de mieux faire passer la pilule. Ou pas, parce que franchement, les deux paraissaient franchement tendus.

« Espérons, alors, puisque l'un de nous deux y tient. »

Wynn soupire de nouveau. Il n’éprouve aucun plaisir à échanger avec Zdenka et encore moins de cette manière ; cette sensation d’être sur un fil, suspendu au-dessus du vide. Mais c’est d’autant plus difficile car lui, il sait. Il sait ce que ça fait que d’être perdu et sans avoir un système sur lequel se reposer. Il ne connaît rien de la vie de Zdenka et au fond, ça ne l’intéresse pas vraiment. Mais ce qu’il sait, c’est qu’il n’a pas passé des années à apprendre à contrôler ses pulsions et à voir les vampires comme autre chose que des monstres pour faire un bon en arrière juste pour quelque chose d’aussi trivial que l’argent. Oui, il est comptable et il aime que son travail soit propre, mais cela ne l’empêche pas de voir l’absurdité derrière ce genre de situation.

« Effectivement, j’y tiens. »

Il reprend sa lecture mais bien vite, il sent que la tension monte d’un cran. Lorsqu’il relève les yeux, c’est des pupilles brillantes d’une colère froide qu’il croise.

« Je m'inquièterai de ma trésorerie, inquiétez-vous de la vôtre.

Ça me va parfaitement. »

Wynn hausse presque les épaules. La trésorerie de Zdenka ne le regarde pas et, en toute sincérité, il s’en fout totalement. Il a déjà bien assez à faire avec celle de la Camarilla pour se préoccuper de celles de leurs mécènes. Il n’essaye même pas d’éclaircir un potentiel malentendu -si malentendu il y a ; tout ce qui l’intéresse c’est de s’assurer que la lémure puisse réussir à les aider encore un moment. Comme beaucoup, il préférerait que la Camarilla n’ait pas à dépendre du financement de particuliers car c’est bien trop facile de le perdre. Mais pour le moment, c’est leur meilleure solution.

« Je vais être tout à fait franche. J'espère seulement ne pas nourrir de charbon une locomotive dirigée vers un mur. Je veux savoir pour sûr que tous ces fonds servent à aider une organisation durable, votre respectabilité n'étant plus à questionner. »

La tension montre un peu plus. Il repose le plus calmement possible les documents sur son bureau avant de se redresser dans son siège. Il prend une profonde inspiration ; il sait que la colère ne résoudra rien. Ou en tout cas, il sait que c’est ce que son psy lui dirait.

« Écoutez. Je ne peux parler que de mon point de vue de vampire et de comptable pour la Camarilla. Si la Camarilla devait finir dans le mur, ça serait arrivé. Depuis longtemps. Le moindre fond que l’on reçoit sert à garder la « locomotive » sur les rails. Que ce soit vis-à-vis des vampires, des locaux, des matières premières … Vu les heures -non, les jours entiers que moi et certains collègues passons à tout calculer c’est pas pour finir dans le mur. Ou définitivement dans la tombe. »

Il sent que sa voix se durcit de plus en plus au fur et à mesure de ses paroles. Le Wynn habituellement calme et réservé semble laisser place au Wynn qui a des difficultés à gérer sa colère. Il se frotte les yeux avec les doigts, soupirant longuement et profondément. Reprendre le contrôle, respirer.

« Zdenka. Je me doute que vos finances ne regardent que vous et vous préoccupe, mais comme celle de la Camarilla me préoccupe aussi. Je pense que depuis les années 50, sa « durabilité » n’est plus à montrer. Et oui, les coûts augmentent, parce que les morts augmentent. Quelque chose contre lequel … on peut difficilement lutter. »

Ses épaules semblent se détendre légèrement ; il se pose de nouveau dos contre son siège. Décidément, les échanges avec d’autres personnes ça le fatigue vraiment beaucoup.

Elle l'avait cherché du regard, avait voulu lui transmettre sa rage en le foudroyant, et sous ses yeux assassins, le vampire se redresse. Avec un calme anormal, étrange, qui lui lance un frisson dans le dos, elle recule sur sa chaise un peu. Zdenka ne sait rien de son passé, il n'aurait certainement jamais voulu lui partager, mais elle peut commencer à en discerner le pire. Wynn s'enrage lentement devant elle, chaque mot devenant progressivement un grondement de tonnerre, la partie animale du cerveau de la polonaise lui fait ressentir la peur la plus primale qui est. Elle se sent en danger, concret mais imperceptible, certain mais flou et imprécis.

Elle se tait, en défiance maladroite, incapable de répondre, jusqu'à ce qu'il semble se calmer. De mémoire, elle ne pensait pas l'avoir déjà vu en arriver à de tels états, et préférait très franchement ne pas tenter le diable. Elle se calmait, baissait enfin le regard sur son enchevêtrement de papiers et de poches plastiques, faisant mine d'y chercher quelque information pour ne pas avoir à le regarder lui.

"Vous avez peut-être raison, votre organisation a survécu... non, tenu, plus longtemps que d'autres."

Une concession un peu mal formulée, elle cherchait avant tout à l'apaiser. À retrouver une contenance, aussi, c'était indigne de sa part de laisser croire qu'elle s'était perdue dans ses émotions un instant, surtout devant quelqu'un de si jeune.

"Vous aurez ma bénédiction cette année encore, les autres qui suivent aussi certainement. Dites-moi juste à combien vous estimez la hausse de vos frais, et je la suivrai."

Presque lassée par la conversation, usée par la tension, elle soufflait, désabusée.

"Et pas la peine de me montrer toutes les projections ou les calculs. Je vous croirai sur parole, qu'on en finisse."

Elle se passait mécaniquement la main sur le front, comme ayant sué au retour d'un marathon, sans raison apparente. Un tic, un geste inconscient qui trahissait son envie de sortir de ce damné bureau pour reprendre une journée normale, loin de toute cette négativité.

Les épaules détendues mais les mains qui finissent par agripper les accoudoirs de son fauteuil, Wynn ferme les yeux. Pendant quelques secondes il se concentre sur sa propre respiration qui s’est accéléré sans qu’il s’en rende compte. La colère monte et ce n’est définitivement pas la direction qu’il voulait prendre ; surtout par pour de la compta. Lorsqu’il les ouvre, il regarde Zdenka dans les yeux, chose qu’il fait rarement car ça le met plutôt mal à l’aise. Il n’est pas très doué avec les conversations et les gens en règle générale, mais il sait repérer ce genre de regard. Le mouvement de recul dans son siège. Et presque instantanément, il relâche les accoudoirs puis se prend la tête dans les mains comme pour se rafraîchir le visage. C’est l’avantage d’avoir une température corporelle relativement basse.

« Vous avez peut-être raison, votre organisation a survécu... non, tenu, plus longtemps que d'autres. »

Wynn soupire, avant de retirer les mains de son visage et de regarder son bureau. Il se sent aussi fatigué qu’après une longue et lente journée, presque las. A chaque coup de colère, la culpabilité et la fatigue prennent le dessus ne lui laissant aucun répit.

« … Vos inquiétudes sont valides. J’ai juste essayé d’exprimer mes propres inquiétudes aussi. »

Il marque une pause, tout en détournant ses yeux du bureau pour regarder Zdenka. De nouveau, il évite soigneusement de regarder directement dans ses yeux.

« J’ai peut-être été un peu … Un peu trop vif. Veuillez m’en excuser. »

Il essaye tant bien que mal de mettre à profit tous les conseils de son psy. Respirer, redescendre puis s’excuser. Au fond de lui, le conflit est immense ; il ne comprend pas toujours pourquoi il doit se sentir aussi coupable et s’excuser alors que sa condition n’est même pas de son fait. Et de l’autre côté, il sait reconnaître que même s’il n’a jamais voulu être un vampire, il est responsable de ses propres actions depuis sa mort. Difficile de ne pas perdre l’esprit avec de tels contradictions.

« Vous aurez ma bénédiction cette année encore, les autres qui suivent aussi certainement. Dites-moi juste à combien vous estimez la hausse de vos frais, et je la suivrai.

Merci. »

Elle dit qu’elle lui fera confiance, même sans avoir à montrer encore plus de paperasse. Ça le prend de court ; après tout ça ne ressemble pas à Zdenka et sa minutie habituelle. Il sent la sueur dans son dos qui coule ; le malaise est palpable. Il soupire doucement avant de se racler la gorge et de se réinstaller dans son siège dans une position faussement plus détendue.

« Je vous épargne les détails dans ce cas. J’avais préparé justement un document, au cas où. Globalement la hausse n’est pas très élevée car malgré l’augmentation de vampires, nous avons aussi beaucoup de personnes qui décident de repartir dans leur pays d’origine. Sans oublier que l’organisation a réussi à se moderniser et améliorer sa gestion depuis quelques années. Tenez. »

Il tend un papier à Zdenka, le posant devant elle. Sur celui-ci, on peut y voir quelques chiffres clés et quelques calculs simplifiés. Tout tient sur une page ; bien que Wynn puisse paraître -et est instable, il reste tout de même très consciencieux dans son travail.

« Qu’est-ce que vous en penser ? »

Une phrase toute simple mais qui tente d’enterrer définitivement le malaise et la tension qui règne dans le bureau.