Plaisir d'offrir, joie de se revoir - [Wynn & Zdenka]

Qu'il s'excuse restait assez convenu en société, mais parvenait à surprendre Zdenka. Elle qui folâtrait dans des milieux mondains, hautains, qui ne s'excusent ni ne se pardonnent, ça lui fait bizarre. De voir un peu d'humilité, un peu de responsabiltié dans ce monde, dans un bureau fermé entre quatre yeux. Non pas qu'elle se mette à apprécier la compagnie de Wynn non plus, croyez bien qu'on en est loin, mais elle peut au moins se contenter de le respecter. Un minimum.

"Vous êtes pardonné, je dois reconnaître que ce genre de dérive devait inévitablement arriver. À se retrouver tous les ans de mauvaise humeur mutuelle, ça ne peut pas être une surprise. Et le café était corsé."

Et pourtant elle ne s'y était pas attendue, mais rien ne servait de le lui reprocher ou de retourner le couteau dans la plaie. Elle est trop mature pour ça, trop juste. Le vampire a fait un pas vers elle, elle fait un pas vers lui, reconnaît sa part de responsabilité.

En silence, elle prend le papier qu'on lui tend à pleines mains, le déchiffre rapidement. Le perfectionnisme n'étant pas un défaut dont on se défait aisément, elle lui chaque caractère, chaque moindre petit fragment d'information, lentement mais sûrement. Le silence est toujours un peu malaisant, malgré les excuses et les pardons, mais au moins la tension est retombée. Et bien qu'elle lise, elle a du mal à assimiler, ne cherche pas à comprendre.

"Je n'ai rien à redire. Pour une fois."

Ou peut-être qu'elle se retenait, gardait pour elle un de ses millions de reproches ou pointillages, par peur que la pièce ne s'embrase à nouveau. Elle seule le saura pour certain, emportera le secret dans la poussière. Elle tire un stylo un peu trop doré pour qu'il soit vraiment pratique d'une poche, le fait tourner sur son pouce par réflexe.

"Il vous faudra ma signature, je présume?"

En réalité, tout pouvait se faire par l'informatique maintenant, elle en était consciente. Mais elle tenait tant au papier et au tangible qu'elle n'allait vraiment pas être satisfaite de partir sans avoir signé quoi que ce soit, n'importe quel papier. C'est juste dans ses habitudes, faites avec.

Si la tension pouvait avoir une matière, elle serait probablement aussi lourde qu’une chape de plomb. Impossible de la couper car elle prend toute la place. Mais l’échange entre Zdenka et Wynn, bien que purement cordial et teinté d’une certaine froideur, allège cette tension qui prend plus la forme d’une brume très opaque. Moins lourde certes, mais qui prend encore beaucoup de place. Même Wynn et son côté dense arrive à le sentir ; et ça lui provoque un inconfort visible. Aussi visible que celui de Zdenka. Subitement, la situation semble se renverser : ni le vampire ni la bienfaitrice n’a envie de rester là à échanger sur ce qui semble être des banalités de comptabilité. Le rush d’adrénaline provoqué par la colère semble s’être calmé aussi vite qu’elle est arrivé ce qui laisse à Wynn un goût d’amertume et de culpabilité dans la bouche … Et il déteste ça.

« Vous êtes pardonné, je dois reconnaître que ce genre de dérive devait inévitablement arriver. À se retrouver tous les ans de mauvaise humeur mutuelle, ça ne peut pas être une surprise. Et le café était corsé. »

Il hoche la tête lentement.

« Je suis bien d’accord. »

Une pause s’installe, qui semble durée une éternité alors qu’elle dépasse difficilement les quelques secondes. Il se racle la gorge, avant de se gratter le bras nerveusement.

« … Encore désolé pour le café. Il faut … que je pense à la réparer. Ou la changer. Pour … la prochaine fois. »

« La prochaine fois ». Il espère que ça ne sera pas avant une bonne année, peut-être le temps nécessaire pour qu’elle comme lui oublie cette situation gênante et tendue. La sueur qui perle dans son dos continue sa descente et il se dit que terminer sa journée plus tôt après ce rendez-vous ne serait pas de refus. Il soupire légèrement, ni d’agacement ni d’impatience mais plutôt … De fatigue ? De lassitude. Il l’observe prendre le papier, reprenant ses lunettes pour les installer sur le bout de son nez d’un geste lent et las. Il se prépare à potentiellement voir Zdenka reprendre du poil de la bête et chipoter pour un centime mal placé, ou une virgule mal positionnée … Mais rien. Elle reste silencieuse et cela provoque une petite montée de stress pour Wynn. Ça ne lui ressemble pas, et tout ce qui sort de l’ordinaire ça ne le rassure pas.

« Je n'ai rien à redire. Pour une fois. »

Silence.

« Vous êtes sûre ? »

Décontenancé est le mot qui le décrirait le mieux actuellement. Il ne comprend pas pourquoi, ni comment. Mais étrangement il n’a pas envie d’insister plus que ça. Un regard vers son visage alors qu’elle fixait encore la feuille suffit à Wynn pour comprendre malgré ses difficultés sociales : elle n’est pas comme d’habitude. Et il n’est clairement ni assez intéressé ni assez proche pour chercher à en savoir plus.

« Oui, je vous donne la facture définitive, elle est … »

Il cherche dans ses dossiers toujours aussi bien classé et en ressort une feuille remplie avec soin, très similaire à la feuille que tenait Zdenka entre ses doigts.

« Juste là. »

Il lui donne, ne croisant toujours pas son regard et focalisant ses yeux sur le stylo. Un peu clinquant, mais pas dénué de goût pour autant. Il se retient cependant de faire tout commentaire. Alors qu’il hésite, il fini par lever la tête et regarder enfin Zdenka dans les yeux. Il n’aime pas ça, mais il sait que pour certaines personnes c’est assez important ; son dernier effort pour apaiser définitivement les tensions. Il pousse un léger soupir, de nouveau un grattement de son bras, avant de dire d’une voix étrangement mal habile

« Je … Hm, merci encore pour ce que vous faites. Pour la Camarilla, je veux dire. »

Ça tombe comme un cheveux dans la soupe ; cela n’en reste pas moins sincère.

Zdenka fixa le fond de sa tasse, pensive. Elle ne se rappelait pas vraiment de l'avoir vidée, mais devait manifestement l'avoir fait inconsciemment. Le goût de brûlure qui persistait au bout de sa langue prouvait au moins que ça a été un travail de longue haleine. Mais encore une fois, c'était difficilement la faute du vampire. La polonaise avait de manière générale une aversion pour ces cafetières modernes, malfonctionnelles ou non, ça changeait bien peu de choses en vérité.

"Ne la changez pas pour moi, faites-le au moins pour vous, vous devez en abuser tous les jours."

Elle avait peu de manières de le prouver, mais sentait très franchement que Wynn devait être du genre à accumuler les dosettes dans la poubelle. Quand il doute de sa parole, la poltergeist soupire lourdement, le visage fermé et interdit. Pas un mot. Et par chance, il a l'air de saisir ce que ça signifie, ce qu'elle attend de lui. Qu'on avance.

Elle prend une nouvelle feuille, gribouille à la hâte son propre nom, lu et approuvé, aurait voulu signer de son sceau, mais elle n'avait pas de cire sous la main. Et puis c'était passé de mode depuis quelques deux-cents ans ou plus, tant pis.

Étonnament, il reprend la parole, prononce quelques mots convenus, mais Zdenka croise son regard et y voit quelque chose. Pas une émotion très claire, ou un signal facile à interpréter, seulement que son esprit est manifestement troublé par un inconfort. Elle le croit sincère, il ne serait pas du genre à présenter des politesses sans les penser.

"C'est peu de choses, vous en faites bien plus que moi."

Indéniablement vrai, la Camarilla lui sortirait de l'esprit d'ici quelques jours, pour seulement réapparaître dans ses pensées par épisodes. L'image de Wynn tiendrait plus longtemps, par contre. Elle se lève, réajuste son manteau, range son stylo.

"Vous m'excuserez de ne pas prétendre que c'était un plaisir."

Mais elle lui tend la main quand même, par respect au moins, et se perd enfin dans les couloirs. Pour ne réapparaître que dans un an, dans le même contexte, pour les mêmes raisons. Un manège morbide.

« Ne la changez pas pour moi, faites-le au moins pour vous, vous devez en abuser tous les jours. »

Il se dit que, justement, peut-être que ça lui permettra d’enfin pouvoir boire du café après avoir évité soigneusement cette machine depuis si longtemps. La tension reste et le silence n’est qu’entre-coupé par les bruits de feuilles, de mains et de stylo sur le papier. Il commence à jouer avec ses doigts, tapotant le bout de ses genoux alors que sa jambe s’agite. La nervosité ne lui réussi pas et il se surprend à souhaiter que ça se termine ; et vite. Pourtant si on lui demande s’il déteste Zdenka il ne répondrait pas « oui ». Mais il ne dirait pas pour autant qu’il l’apprécie. C’est pour ça qu’il n’est pas à l’aise dans les situations sociales ; il a du mal à comprendre ce genre de choses. Une signature, un bruit de stylo rangé et la voilà qui le regarde. Il soutient ce regard et ça lui fait presque mal.

« C'est peu de choses, vous en faites bien plus que moi. »

Peut-être. Il ne sait pas, au fond. Il ne fait pas preuve d’une grande confiance en lui ; il connaît ses capacités et il déteste que quelqu’un les remette en cause. Peut-être parce qu’il n’a pas besoin de jugements ou de critiques ; il est bien assez doué pour s’en occuper lui-même. Il se racle la gorge, cherche quoi dire, se gratte le bras mais rien. Alors il se tait. C’est finalement plus son terrain le silence. Il la regarde se lever et, comme un miroir avec latence, il se lève peu après elle, les lunettes surtout sur son nez comme une protection.

« Vous m'excuserez de ne pas prétendre que c'était un plaisir.

Pas de problème, je pense que le sentiment est mutuel. »

Difficile de trouver du « plaisir » dans toute cette tension. Il la regarde tendre la main et, après une très légère hésitation il la serre en y mettant beaucoup de délicatesse. Il ne la raccompagne pas évidemment puisque son bureau est sa forteresse. Il n’aime pas arpenter les couloirs et risquer de croiser des collègues bavards, surtout après son accès de colère. Le moindre désagrément le ferait exploser et il le sait ; il l’a déjà vécu. Une fois Zdenka hors de son champ de vision il se laisse légèrement tomber dans son siège, poussant un soupir long, profond et sombre. Les minutes passent et il finit par se relever, ranger son bureau et prendre ses affaires direction … Partout sauf ici. Respirer. Bouger.

Pour une fois il comprend pourquoi certaines personnes règlent leurs problèmes en sautant à pieds joint dans l’alcool.