Devant mon ordi, j'attends le chaos

La fidélité au poste le perdra.
C'est plus si bien rémunéré. L'Agence s'investit dans d'autres activités. Complètement à la ramasse, elle-même le sait et ne fait pas l'effort de changer de version d'OS, coincée sur Wintomb Vista. Franchement concurrencée par même d'autres cybercafés en ville, moins chers qu'elle. Et avec tout cet argent réclamé aux usagers, on est même pas capables d'au moins changer tous les ordis. Alors ouais, peut-être que Phineas est justement embauché pour leur donner un coup de jeune mais il a trop la flemme de travailler avec de la camelote de dix ans...

À force d'être utilisé, les ordinateurs ne sont plus si nombreux, bon nombre foutus par des internautes inexpérimentés, capable de cliquer sur tout et n'importe quoi. Quand on ne sait pas se servir d'un PC, autant ne pas venir. Ce n'est pas un lieu de crash test, ici. Il n'y a pas grand monde à quatorze heures, ça fait au moins ses affaires pour tirer au flanc alors qu'il est censé réparer trois des dinosaures qui ont planté hier. À se demander si les gens ne jettent pas directement du soda sur l'unité centrale, vraiment.

Non, à la place, l'informaticien préfère justement siroter du coca acheté sur Tumeurs et faire un maximum de bruit d'aspiration avec sa paille, volontairement pour déranger. Allongé, les pieds sur le bureau, il n'aime pas attirer l'attention mais là, c'est pour le bien numérique. Il n'ose pas l'interpeller directement mais il sent que le vieux, là-bas, il est en train d'accepter dix annonces sur son moteur de recherche dès qu'il appuie sur la touche entrée. Sa vitesse de navigation inversement proportionnel à le taux d'infestation de l'ordinateur par les malwares, il faut bien faire quelque chose.

« Besoin d'aide, m'sieur ? »

Pas forcément de bonne volonté, ce n'est pas guilleret qu'on se présente à cet usager. C'est pas pour être poli, juste pour qu'on respecte un peu le matériel. C'est ce genre de phrase agaçante qui se donne des airs de « je peux vous rendre service » mais, pire que les vendeuses de prêt-à-porter, sonne déjà comme un début de remontrance suite à un mauvais comportement. Non parce que condamner un des seuls ordis les plus récents et en état de marche, Phineas trouve ça vraiment irrespectueux. Alors le respect aux personnes âgées, on repassera.
Il va pousser pépé dans les orties, si ça continue.

Avant de faire preuve de respect aux séniors, elleux-mêmes devraient se montrer un tantinet plus poli.e.s. Sincèrement, ce n'est pas la pire approche de Phineas, il aurait pu être beaucoup plus insultant. Alors que le vieux-là, d'entrée il accuse l'ordinateur de ne pas fonctionner. Oui, les ordinateurs de l'agence ne sont pas de dernier cri et pathétiques mais l'informaticien ne peut s'empêcher de douter des détractions de l'usager. Parce que de toute façon, c'est toujours lui qui est en tort. Les délateurs sont souvent les premiers coupables.

Après une longue inspiration, l'adolescent se dit que de toute manière, il était déjà prêt à passer un sale moment en daignant se lever de son poste de contrôle. Une chaise voisine inoccupée et le voilà à côté du râleur, à essayer de comprendre ce qu'il a bien pu se passer pour entendre que ça ne marche pas. Et d'entrée de jeu, muni de la souris, il se demande bien ce qu'il se passe, les yeux plissés, puis un regard douteux vers le grand-père.

« C'est pas l'ordi qui fonctionne pas, vous avez été sur Internet. Enfin. Gougueule. »

Même pas sur d'être compris en parlant pourtant son jargon, il continue.
Pourquoi ce type a ouvert une vingtaine de fenêtres ? Même s'il trouve vite sa réponse en s'imaginant que les publicités obscènes ne peuvent pas venir de sa recherche.

Et quelle est sa recherche ? Il voudrait bien revenir vers la page de résultat mais il n'y arrive parce que d'autres fenêtres n'arrêtent pas d'apparaître. Ça n'en finit pas. Sa patience n'est pas légendaire et quand la machine annonce qu'elle est contaminée par deux virus, ébaubi, ses yeux grands ouverts.

« Non mais vous venez de me flinguer l'ordi. Je venais de le nettoyer, c'est pas possible ! Vous cherchiez quoi pour foutre un tel merdier ? »

Non, il ne prend pas le temps ou la peine d'avoir des mots corrects. C'est lui qui a commencé à insulter sa machine, à lui faire du mal. De fait, Phineas a enfin le droit de se montrer grossier à son tour. Seulement, il sait qu'il va devoir continuer de faire avec ; faire avec cet incapable à qui il doit rendre service. Donc balance, qu'est-ce que tu voulais faire avant de tout niquer ?

La pop-up obscène arrive même à le gêner lui. Le vieux n'a pas besoin de clarifier, il sait quand même qu'il ne cherchait pas ça. Mais la simple précision lui fait imaginer des trucs qu'il n'aurait vraiment pas voulu supposer. Un frisson de dégoût mais il ne peut pas passer à côté. S'ils sont arrivés sur cette publicité, c'est bien pour une raison et Phineas ne peut pas laisser échapper cet indice.

« En quoi ça me regarde ? Vous voulez vraiment que je vous le dise ? J'suis un des informaticiens de l'agence donc mon aide, vous l'acceptez si vous voulez ou non mais moi je dois bien comprendre ce que vous faisiez pour tomber sur ce genre de pub. Et pour tomber là-dessus, je pense pas que c'était très légal, ce que vous fabriquiez. »

Remballe ton air dédaigneux, papy. Parce qu'en termes d'orgueil, il y a méprise, t'es hors compétition si Phineas a décidé d'être rival. Surtout quand t'essayes de décrier son job et les machines.
Boulot qu'il met bien en avant parce qu'il en a justement marre de se faire appeler jeune homme pour quelqu'un qui a passé plus d'un siècle ici. Alors c'est pas le premier venu qui va se permettre de lui faire la morale quand il ne sait pas faire la distinction entre Internet et un ordinateur.

Visiblement, il n'a pas envie d'être aidé. Grand bien lui fasse, Phineas s'en portera mieux. Pendant une bonne minute, il le laisse là, à regarder l'écran chargé de fenêtres pour déblayer tout. C'est une obligation. Si l'usager oserait se lever de son siège, Phineas le retient pourtant en otage contre la vie du PC. Le travail est fastidieux mais il arrive enfin à regagner le bureau pour retomber sur une image plus que suggestive d'une autre femme ; ça le fait mourir de honte alors qu'il n'est même pas coupable. Ce nul, il a dû mettre une image en arrière-plan !

« Vous savez que c'est un lieu public ici ? Il y a des enfants qui passent par là ! Vos trucs sales, ça se fait ailleurs. »

Pourtant toujours convaincu que ce monsieur ne cherchait certainement à consommer du porno en pleine salle informatique, il joue le complet naïf pour emmerder ce type comme il l'enquiquine et le mettre dans une fâcheuse posture à son tour. Peut-être qu'il obtiendra une réponse par ce biais, surtout.

Gêner les gens, faut dire qu'il en connaît un rayon. Pas pro des discussions civiles, récolter la colère ou l'ennui des autres, c'est ce qu'il arrive le mieux à faire. Donc pour une fois, il obtient bien ce qu'il désirait. Voilà enfin des réponses mais toujours incomplètes à son goût. Bon au moins, ça lui permet de comprendre l'origine des pubs lubriques et il ne portera pas davantage de calomnies sur le compte du vieux.

Mais oui, forcément, c'était pas compliqué à deviner que ce qu'il foutait était pas très légal et il n'a pas du tout l'air d'en avoir conscience vu la tronche qu'il tire mais surtout si on s'en tient à sa version des faits. Toujours est-il que c'est pas une raison pour que Phineas se montre plus tendre.

« Ça passe pas à la télé votre truc ? Pourquoi vous voulez utiliser un ordinateur seul si vous savez pas vous en servir ? »

Dans sa tâche ingrate qui consiste à juste faire tourner l'antivirus, il grince dans ses dents que les vieux mériteraient des aidant.e.s comme les jeunes morts au vu de leur sénilité. C'est audible et c'est volontaire. Une volonté de confronter mais ça reste peu audacieux bafouillé comme ça. L'âge a pas dû être clément avec l'ouïe du monsieur, de toute manière.

Mais bon, le plus chiant et long à faire, c'est pas pour lui mais pour le logiciel. Il doit le laisser tourner pour localiser les virus et les éradiquer. Parce que la mise en quarantaine a pas été faite automatiquement. Phineas pense que c'est ce genre d'utilisateurs qu'on devrait mettre en quarantaine avant que ça n'arrive. Tourné vers lui, il a entamé à demi-mot une confrontation et ne peut, de toute évidence, plus y échapper. Même si ça passe par toujours un peu plus de morale.

« Faut payer pour voir une série, m'sieur. C'est généralement pas gratuit comme ça. Elle est sur Deathflix votre série ? »

Il tente cette question mais quatre-vingt-dix-huit pourcents de chances qu'on lui réponde qu'on n'en a pas la moindre idée alors il poursuit.

« Bon. Me faut le nom de votre série. Et votre carte bancaire aussi. »

Faut apporter une précision sur tout pour qu'iels comprennent parce qu'il aurait pas été si étonné qu'on lui tende quelques ossements ou un chèque signé comme iels ont l'habitude de faire à la caisse des magasins pour énerver le monde. C'est à se demander si c'est Phineas ou cet homme qui pourrait être le plus agaçant.

Mais à le voir, il est peut-être plus tendre qu'il ne veut le faire croire. Il répondrait qu'il aide cet homme uniquement pour éviter toute récidive dans la salle informatique. Ou encore que les vieux ont besoin d'un.e aidant.e, comme il l'a précédemment pensé mais que ce sera bien la dernière fois qu'il s'y colle.
Mais non, ça ne sera pas la dernière fois. Qu'importe si ce monsieur puisse se montrer ingrat au possible.

Et bien son petit-fils n'est qu'un lèche-bottes qui souhaite gratter son argent de poche toutes les semaines pour dire des conneries pareilles. Non seulement son grand-père est un incapable face aux ordinateurs mais en plus, salement aigri et vulgaire. Les vieux se permettent tout et n'importe quoi, donc le pire. Franchement, il aurait préféré pas entendre ce genre de commentaire qu'il prend pour du racisme pas très assumé. Et bien sûr qu'il le prend très personnellement. Alors si jusque-là, Phineas a réussi à serrer les dents pour garder son calme, c'est la goutte de trop.

« Non mais attendez, vous insinuez quoi, là ? Vous osez me traiter de voyou alors que vous êtes dans ma salle informatique, que j'pourrais vous virer n'importe quand si ça me chantait. Je suis pas juste un jeune qui squatte comme vous êtes en train de le croire. Je suis en train de bosser pour vous, gratuitement, alors que vous voulez vous la couler douce avec votre maudit feuilleton. Et par-dessus le marché, vous êtes en train de nuire au matériel ! »

Complètement remonté, il en a fini par bondir de sa chaise, rouge de colère qu'il n'arrive toujours pas à maîtriser. Bloqué dans l'adolescence, sans doute. À tel point qu'il a peut-être un poil exagéré sur certains détails ; ce n'est pas sa salle. Le type serait susceptible de croire qu'il lui fait une crise d'ado et avant même qu'il ne lui colle ça au front, Phineas le pointe du doigt comme étant le plus immature et capricieux des deux.

« Le petit voyou, c'est pas moi. J'ai plus de 200 piges, ok ? Donc un peu de respect. Celui que je vois comme la petite frappe, là maintenant, c'est vous parce que vous étiez sur un site illégal. J'pourrais vous interdire la salle juste pour ça ou pire, appelez le chef de la boolice que ça vous ferait tout drôle. Alors maintenant, soit vous vous calmez, vous acceptez et vous pouvez regarder votre série tranquille ou alors vous prenez vos clics et vos clacs et vous sortez. »

Insultant au possible, Phineas ne mâche plus ses mots. S'il a quitté le refuge et ne répond plus à sa créatrice, c'est bien pour une raison : il en a assez d'aider les autres, préférant s'occuper de ses oignons. Aucunement besoin d'être poli ou charitable, il a juste besoin que le perturbateur parte, après tout. Il le regarde, furieux, les bras croisés. S'il reste, ça sera avec des excuses parce que le commentaire n'est pas digéré.