[FB 1994] Echec et mat || PV : Nao

“Pourrais-je me permettre de vous demander ce qui vous aurez conduit ici ou est-ce trop tôt pour échanger sur nos vies ?”
“Oh, je suis Noir, américain et du siècle dernier. Croyez-bien que c’est amplement suffisant.”

Il n’évoque pourtant pas la Guerre, puis la crise, et la fausse accusation de meurtre. Le racisme suffit à lui-même, puisqu’il a guidé une bonne partie de son existence. Il a appris à vivre avec, et avec ses conséquences surtout. C’est triste, que de devoir s’y habituer - mais il n’a pas eu le choix. Il luttait contre, bien évidemment, et pas seul, mais face au système, les progrès sont lents et fastidieux.

“Je ne fais pas grand-chose non plus, du moins à l’extérieur… Le Queen’s me prend beaucoup de temps et je n’ai jamais été coutumier des contacts sociaux.”
“J’imagine qu’il faut du temps pour gérer un établissement comme celui-ci. Vous êtes seul à la barre ?”
“Concernant la Camarilla, cela me dit effectivement quelque chose.”
“Hm, l’Agence aime déléguer ces obligations à d’autres.”

C’est le propos de la Camarilla. Sans eux, Louis ne serait probablement pas le vampire qu’il est aujourd’hui, force est de le constater. Alors leur rendre la pareille, avec ses expériences dans le monde des Vivants et les groupes de luttes pour les droits civiques.

Pourquoi pas ?

“Vous songez à aider les nouveaux venus donc ? Belle initiative, j’imagine que de passer de vie à trépas tout en passant buveur de sang ne doit pas être très facile à appréhender pour tout le monde ! Je me vois mal avoir ce genre de position vu mon … tempérament. Peut-être dans quelques années, qui sait…”
“Ah qui sait ? Chacun fait comme bon lui semble après tout.”

Il sort sa tour issue de son roque précédant. C’est elle qui va partir à l’attaque. En attendant, son roi est bien à l’abri, dans le coin bas gauche du plateau.

“C’était déjà un petit quelque chose que je faisais de mon vivant - les droits civiques, et tout ça. Ici, ce n’est plus d’actualité, fort heureusement, mais je dois avouer que mon engagement associatif commence à me manquer.”

Louis regarde le jeu, une moue sur le visage. Il commence à s’y perdre, à se faire flouer. Quelques pièces importantes tombent, et sa stratégie s'écroule doucement. Il ne peut déjà plus faire face à la suite.

Tant pis.
Il s’y attendait.

“Je n’ai jamais œuvré pour mon prochain. Je ne me considère pas foncièrement quelqu’un de bien. Ni comme quelqu’un de mauvais d’ailleurs. Je dois cependant être égoïste selon les critères communs. L’habitude de la survie…”
“Allez donc savoir. Je ne prétendrai jamais savoir mieux que le concerné sur le but de son existence.”

Il te regarde tapoter la table du bout de ton doigt. L’habitude de la survie, dis-tu ? Ce dont il est sûr, c’est que quiconque arrivant dans ce monde n’a pas eu une vie des plus faciles. Peut-être dure, ou pas à la hauteur, passablement ennuyeuse. Mais loin d’être idéale. Alors vous devez être nombreux à venir, dans le fond. Lous pense que personne n’a eu une vie idéale.

“Vous, à votre arrivée, comment cela s’est-il passé ? Vous avez pu trouver de l'aide pour vous habituer à ce nouveau monde ?”
“Oh très peu !”

Il pouffe devant son plateau.

“La Camarilla a été créée quelques temps après mon arrivée, je saurai plus dire combien exactement. Je me suis alors tourné vers l’association, mais ce ne fut pas immédiat. Loin de là.”

Quelques temps de débrouille, difficile certes mais vivable tout de même. Louis en a eu l’habitude, il est vrai. Il a bien dû exercer des métiers pour lesquels il a été surqualifié après tout - pour survivre durant la crise.

Et puis il y a eu la Guerre.
C’est une autre histoire.

“Par chance, une fois pris en charge, ils ont pu m’apprendre ce que je sais aujourd’hui. J’espère pouvoir le transmettre à d’autres désormais.”

“J’imagine que cela évite des déconvenues quand on débarque ici avec ses crocs trop grands et qu’on a l’air hagard.”
“Ahah pas d’inquiétude, ça nous arrive à toutes et tous !”

La faim, celle qui tiraille et qui tord le ventre. Celle qui fait sortir les crocs et rend le monde exécrable. Presque une addiction à ce stade, mais peut-on vraiment être addict à ce qui nous maintient en vie ? La question est ouverte. Mais il comprend. Depuis quelques années, les vampires attisent les fantasmes chez les plus jeunes, notamment les jeunes filles. Se faire mettre face à l’évidence est loin d’être aisé pour certains et certaines.

“Moi qui aimait lire de la fiction de mon vivant … J’ai dû revoir ma vision du vampire de l’imaginaire.”
“Ah c’est possible…”
“Seriez-vous enclin à me parler de vous, de votre vie ici. De ce que doit faire un vampire, de ce qu’il ne doit pas faire…”

Une moue. C’est un vaste sujet, il faut avouer. Pas sûr qu’il parvienne, comme ça de but en blanc, à tout aborder. Il inspire - il faut bien commencer quelque part après tout.

Il joue son fou, et te vole un pion.

“Je suis mort depuis vingt ans et pourtant je suis sûr de ne pas tout savoir, hors je suis avide de connaissances. Je considère que la connaissance est le pouvoir en un sens, tout au moins le pouvoir sur sa propre existence !”
“Ah eh bien, j’espère pouvoir m’en sortir… Avez-vous une idée de par où vous voudriez commencer, le sujet est vaste il faut avouer.”

“Comment viser juste dans l’océan de votre vie ?”
“C’est une question plus vaste encore.”

Il est vrai qu’il y a de quoi se perdre, nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui l’ont expérimenté - à leur dépend, à celui des autres. Louis par chance a pu être accompagné correctement. Par la Camarilla. Par Camille.

Il sourit à cette pensée.
La douleur est encore vive.

“J’oserais demander comment était l’au-delà quand vous y avez atterri. Était-ce similaire au monde des vivants ? J’ai eu vent de l’évolution des technologies dans une logique de parallèle entre les deux univers, mais vous qui êtes arrivé ici il y a longtemps, comment avez vous vécu tout ça ? Voir le monde changer, les sciences faire des bonds en avant…”
“Hm oh… Il faut dire que… Disons que parfois ce monde me dépasse, encore et maintenant. Même si nos corps cessent de vieillir, ce n’est pas le cas de nos esprits. Certains s’y adaptent, d’autres moins, d’autres encore pas du tout. Tout dépend des gens, si j’ose dire.”

Pour sa part ?

“Pour ma part, il faut avouer que j’ai parfois du mal, mais que j’essaye, du mieux que je le peux. Si je ne m’attendais pas le moins du monde à cette seconde vie, il faut avouer que je m’étais préparé à mourir. Mordu ? Probablement pas, de nouveau.”

Il s’attendait à passer sur la chaise électrique. Dans un cas comme dans l’autre, Louis aurait fini par atterrir ici, vampire ou non. Quelle condition est la meilleure, il ne saurait pas répondre, pas plus qu’il n’oserait.

“Comme quoi, la mort - comme la vie - nous réserve bien des surprises.”

Il déplace un pion, mouvement catastrophique s’il en est de son point de vue, pas peu fier de cette phrase à petit effet. Il faut dire qu’il a de l’égo, tout de même.

“Je vous ressers ? Votre addition sera pour moi, je vous mitraille déjà de questions en oubliant les convenances de ma position d’hôte. Si vous souhaitez quelque chose d’autre sur la carte, vous n’avez qu’à demander.”
“Oh, je n’oserais pas abuser de votre hospitalité. Je paierai mes consommations, avec ou sans questions de ma part. Mais je reprendrais bien un café-noisette.”

Ah un nouveau café qui atterrit devant ses yeux, dévoilant chez-lui un sourire tranquille. Y a-t-il une boisson meilleure que le café ? Il en doute sincèrement. Véritable manque, durant la Grande Guerre, que celui d’un café correct. Et lui qui n’avait entendu que du bien des vins français, il fût fort déçu également.

Du vinaigre.

“Vampires peut-être, mais il semblerait que nous buvions plus de café que de sang - les midinettes en pâmoison seraient bien déçues de voir que nous n’avons pas grand chose de ce qu’elles rêvent !”
“Ah ça… Je doute que quiconque s’amuserait à imaginer un vampire qui se rapproche dangereusement de la soixantaine, si vous voulez mon avis.”

Il sourit, s’en amuse.
Son âge physique ne le gêne pas le moins du monde.

“Je me permets un petit rire. Enfin, au moins nous avons nos crocs de temps en temps. D’ailleurs, comment se passent vos… repas ?”
“Eh bien, le plus parfaitement du monde. Quelle drôle de question.”

Louis ne verse pas dans le sentimentalisme à outrance. Il en a besoin - c’est eux ou lui, voilà tout. Cas de conscience tout de même, il ne s’attaquent qu’aux personnes qui souhaitent en finir. Par bonté d’âme, il pourrait dire - mais surtout parce qu’au moins, il n’a pas à leur courir après. Praticité donc. Comprenez, avec sa jambe…

“Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, j’imagine. On peut le concevoir : certaines personnes ne sont pas faites pour tuer. Je n’irai pas les juger sans connaître, néanmoins.”

Il déplace un pion sur le plateau, mettant à mal la défense de sa reine.