Les milles pas, une, deux, trois fois.
Et encore, encore, sans s’arrêter.
Il se ronge les ongles. S’immobilise avant d’inspirer profondément car il a oublié de respirer. Et ça recommence. Un cycle sans fin, une boucle dans laquelle il ne parvient à sortir. Il est incapable de réfléchir, incapable de travailler, incapable tout simplement. Il ne se sent
pas bien.
Sa dernière sortie lui a laissé un goût amer dans la bouche. Lorsqu’il est rentré chez lui il n’a pas réussi à caresser Rhys comme à son habitude. De peur de le contaminer, de le souiller avec quelque chose d’invisible ou pire : de le corrompre. L’odeur de sang qui flottait dans l’air l’a rendu malade plusieurs jours ; à moins que ce soit autre chose. Des années à apprendre à se contrôler, se maîtriser, tout ça pour tout gâcher de manière si stupide. Roulé en boule au fond de son lit, il n’en a pas dormi pendant deux jours entiers avant de s’effondrer comme une pierre et se réveiller le lendemain. Il avait toujours faim, pas autant qu’au moment de sa sortie mais avec son esprit confus c’était du pareil au même pour lui. Il craignait de faire face à ses collègues, aux gens, aux autres. Et il craignait aussi de recroiser Avalon, sans réellement comprendre pourquoi.
Il se sent mal et mal à l’aise, depuis.
Sur les nerfs, il explose pour des choses sans importance. En moins de deux semaines il cumule déjà trois rappels à l’ordre à cause de son comportement. Les poings serrés en permanence, il n’a pas su quoi répondre hormis des banalités.
Désolé, je ferais attention, ça ne se reproduira plus. Il ressort ce qu’il a appris, sans le penser. Car il ne sait pas quoi penser, en réalité. Il est en colère, épuisé. Facilement irritable. Il fuit les autres tout en cherchant le conflit, il s’isole et se mélange à la foule, espérant que quelque chose
change. Que quelque chose l’aide à redevenir comme avant. Retrouver le contrôle, retrouver le calme. Mais est-ce que c’était le cas même avant les évènements de l’hôpital ? Wynn est persuadé que oui, après tout il a réussi à s’améliorer depuis sa mort. Rentrer dans le rang, hocher de la tête, se faire petit, discret et silencieux.
Mais tout est différent, depuis.
Il en a même menti à son psy. Lui dire que tout va bien, qu’il est juste stressé -d’où les rappels à l’ordre. C’est passé, il ne sait trop comment et ça lui suffit. Et depuis, il tourne. Ça le ronge, en dedans. Encore plus que ce soir là et il se demande comment faire car rien,
rien ne marche. C’est sûrement ce qui explique pourquoi il regarde aussi intensément son téléphone, plus précisément son répertoire. Avant de le fermer, de le rouvrir et ce plusieurs fois sans un mot. Finalement il se résout à envoyer un message, cryptique, si différent de son ton habituel comme s’il tentait de cacher quelque chose et qu’il échouait en même temps.
« On doit se voir pour un truc. C’est urgent. »
Un jour, une heure, un lieu de rendez-vous.
C’est comme ça qu’il se retrouve à quelques rues de l’Agence, dos au mur, à attendre. Plusieurs fois il hésite à partir et laisser tomber, mais ses pieds refusent de l’écouter. Il est tendu et ça se sent, ça se voit. Il doit vérifier quelque chose et de la même manière, cela l’effraie. Un peu. Si c’est bien de la peur qu’il ressent, finalement, il n’en est plus si sûr. Un bruit de pas lui fait relever la tête, l’expression neutre, la voix basse.
« Toujours aussi ponctuel. »