C'est qu'un jeu [Mino & Esperanza]

Mino est une sorte d'attraction, au final. Un spectacle vivant, malgré lui. C'est presque aussi attendrissant qu'inquiétant, au final. Mais la lémure s'inquiète rarement de quoi que ce soit. Surtout quand on la complimente.

"Mh, n'es-tu pas la plus douce?"

Hélas, la séance de compliments est coupée courte. Au plus grand désespoir d'Esperanza, qui aurait pu en demander plus. D'autres sujets la préoccupent, cependant. L'audace de la petite, déjà. Et sa proposition absolument dérangeante sur tous les plans.

"On peut faire connaissance, trésor. Seulement, pas au sens biblique, ça me gênerait."

L'espagnole n'était même pas certaine que la jeune comprenne, mais de toute manière ne se répéterait pas. La garder dans la brume ne la dérangerait pas une seconde. Remarquez, ce serait un peu drôle. Mais plus amusant encore: la garder sous la main, la laisser en attente.

"Redemande-moi dans quelques années, quand tu auras un peu mûri... Tu verras que j'en vaux l'attente."

C'est une des plus insidieuses manières qu'elle a, la plus détestable. Ne jamais dire "non", toujours "peut-être plus tard".

Mino atteint des teintes de rouges impensables, le genre si criard qu'Esperanza adorerait pouvoir en faire une robe. Mais hélas, ce genre de pigment ne saurait être reproduit. Une tristesse, vraiment.

Puis elle pleure. Non, il ne manquait plus que ça, l'ancienne en pouffe de rire. C'est difficile à retenir, dans de telles circonstances. Pire, elle s'indigne, se révolte, cherche n'importe quelle manière d'atteindre enfin la divine artiste. Ça flatte son égo, ces efforts, ça glisse sur sa peau comme une caresse. Démène-toi, petite chose, admire l'inatteignable.

"Je ne sais pas, cariño... Je ne sais pas..." Si, elle sait: quelques décennies de plus. Un peu d'expérience de vie, et peu importait combien elle pensait en avoir. Mais bon, dire la vérité n'est pas une habitude de notre très chère. "Je suis une femme difficile, et je ne sais même pas pourquoi tu me veux autant."

Elle fait mine réflechir, se vautrant dans son siège en agitant les mains pensivement. Que faire de cette petite boule d'énergie, maintenant? Elle s'était donnée plus fidèlement qu'une machine à l'usine.

"Saurais-tu au moins prouver ton amour? Ta dévotion? Comme les chevaliers des contes d'antan?"

Lui faire enfiler une armure devenait de plus en plus tentant

Ah, plus de compliments. Esperanza fait rouler son poignet, se flatte de l'entendre. Garder Mino dans les environs semble toujours aussi pertinent, la petite est une usine à flatteries. Du reste, personne n'a jamais pensé la lémure une bonne influence, ça l'amuse doucement. Il faut vraiment être aveugle, ou charmée. Mino doit être les deux à la fois.

"Ça n'existe plus les dragons, trésor, on les a poussés à l'exinction en 1740"

Qui sait? Avec un peu de chance, la petite serait assez crédule pour la croire. Sinon ça serait une simple blague innocente, dans tous les cas ça ne coûte rien à l'artiste. Mais pour peu qu'elle y croie, ça risque d'être risible.

"Puis franchement, tu devrais commencer par connaître ton corps avant de me l'offrir, enfin."

C'est du bon sens, en théorie, mais Mino a l'air d'en manquer grandement. La metteuse en scène préfère ne pas commenter le reste, se demande si c'est une locution du monde des vivants qui lui est restée. Ou si elle veut juste aller dans l'hyberbolique. Reste qu'elle la sent capable.

"Écoute Mino, tu es un ange, je viendrais à toi quand je sentirai que c'est le moment."

Dans une trente ans, ou plus. Elle est certaine que la petite ne l'aura pas oubliée, d'ici là. On ne l'oublie jamais.

De l'expérience, elle? À vingt ans? La vipère ne se retient même pas de ricaner avec un ton moqueur, c'est incroyable comme affirmation. Se targuer d'avoir de l'expérience face à quelqu'un qui a vingt fois son âge, c'est vraiment inégalable en comédie. Esperanza commence à fomenter un plan pour faire porter à Mino un bonnet à clochettes, éventuellement.

"J'en doute pas, trésor, pardon."

Qu'elle parvient à peine à souffler, entre deux éclats discrets de rire. C'est bas et cruel, mais personne n'a jamais prétendu que l'artiste est une bonne personne. Reste qu'elle n'est pas toujours mauvaise non plus, elle se fait plus douce face aux inquiétudes de la petite, calme son hilarité pour la rassurer.

"Mais non, tu es magnifique ma belle." Puisqu'elle en a besoin, elle aura ses compliments. Une des manières les plus sûres de garder les gens utiles près de soi, c'est de les flatter. "S'il n'y avait que ça qui comptait, on serait déjà dans le placard à costumes, toi et moi."

Elle le pointe du menton. Ce ne serait ni confortable ni agréable, mais ça ne l'a pas empêché d'y entraîner quelqu'un, une fois. Derrière chaque blague se cache une histoire vraie.

"Ça ne dépend pas de toi, je suis mes passions. Je laisse le vent me porter, ce sera ton heure quand ce sera ton heure, et tu ne peux rien faire pour l'accélérer."

Les mots ont un sens. On ne peut pas presser le temps, ni le ralentir, c'est même l'un des démons de beaucoup d'esprits tourmentés.

Comme tant d'autres, Mino est de ces gens qui veulent grapiller le moindre détail prendre quoi que ce soit qu'on leur donne. Esperanza pourrait lui souffler à l'oreille quelques uns de ses vices, pour la terrifier ou la fasciner. Mais toute bonne enchanteresse est insaisissable, elle répond:

"Je laisse mes goûts à ton imagination, chaton. Pour l'instant."

Un clin d'oeil. Maintenant, la petite pouvait bien se figurer toutes les fantaisies que promettait l'anciennne, nul doute qu'elle imaginerait le meilleur. Ç'aurait été si facile de dire la vérité, mais si ennuyeux. La vie n'est rien sans un peu d'épice.

Il aura suffit d'un grain de réalisation, et la jeune commence à paniquer et s'inquiéter de leur relation. C'est l'apanache des gens qui agissent avant de réfléchir, ça au moins l'espagnole peut le louer. La pauvre petite chose a du potentiel, sûrement.

"Tu sais, trésor, rien ne change entre moi et les gens qui me désirent. Il y en a tant, aussi, je serais bien seule si je les tenais à l'écart." Une petite idée glissée comme ça, qu'elle a de la compétition. Nul doute que ça fera effet tôt ou tard, à voir quel impact ça aura. "Je me suis engagée à faire une artiste de toi, après tout."

Il y aurait du travail, certes. Mais la compagnie de cette souris-là n'était pas des plus désagréables.