[Flashback] Avoir les crocs ft. Célestin

Cela fait quelques jours depuis la mort de Liam. L'acclimatation se fait plus ou moins de manière naturelle, le monde des morts n’a rien de bien différent. La plus grosse difficulté de l’Américain, c’est la langue après tout, il n’existait pas d’option japonais à son école. La deuxième plus grosse différence, et pas des moindres, ce sont les races. Un fantôme se nomme un lémure, et parmi le reste de la population, il y a des vampires, des zombies et des chimères. Au fond, Liam se moque un peu de toutes ses différences ou disons plutôt qu'il n’a pas encore compris tous les enjeux liés à cette différence. Le plus comique dans cette histoire, c’est qu’il n’a même pas compris sa propre race. Le Roi et la Faucheuse s’occupent d'accueillir les nouveaux morts, sauf qu’ils omettent tout deux les détails sur les races. Et c’est ainsi que Liam White, jeune vampire, se retrouve dans une situation extrêmement gênante.
Depuis tôt le matin, l’albinos ne sent pas comme à son habitude. Étrangement, des crocs lui ont poussé, créant une anomalie dans sa bouche et le gênant au point de se mordre la lèvre. Assoiffé, il consomme plusieurs litres d’eau sans parvenir à s’hydrater. Mais rien à faire, sa gorge le démange, sa langue passe en permanence sur ses lèvres desséchées, et une étrange envie lui passe par la tête. Ses yeux bicolores passent d’un colocataire à l’autre, Barthélémy, Astard, Esther et ça recommence. Il trouve qu’il y a quelque chose en eux … D’appétissant ? D’un mouvement de tête flagrant, le vampire chasse ses idées noires de sa tête et décide de sortir de cette prison clownesse pour prendre l’air. Est-ce réellement la meilleure des solutions ?

Quelques regards étrangers se baladaient sur le jeune vampire dont les crocs apparents semblaient faire trembler quelques morts. A bout de nerf, Liam leur renvoie un regard de tueur, ce qui est loin de coller à sa personnalité. Les chuchotements, la foule, cette étrange envie de boire; tout se mêlait dans une explosion de luxure insaisissable. Loin d’être conscient de sa condition, il continue de se frayer un chemin au milieu de la foule, perdu dans une ville inconnue. Au bord de la folie, ses pas se dirigent inconsciemment en direction d’une personne. Aveuglé, ses mains se posent lourdement sur les épaules d’un mort dont la taille lui arrive à peine au torse. L’attente ne fut pas longue, les crocs du vampire se plantent dans la chair tendre et tentent de se repaître de leur dû.

Au fond de lui, Liam ne sait plus ce qu’il était en train de faire, il ne comprend pas pourquoi son corps en arrive à cet extrême. Le jour de son arrivée dans le monde des morts, on lui a rapidement dit qu’il était devenu un vampire, pour le reste, rien. Est-ce qu’il est devenu comme dans Twilight ? Un suceur de sang qui brille au soleil ? En tant qu’être vivant atteint d’albinisme, il lui est déconseillé de courir nu à la lueur du jour mais si c’était vraiment le cas … Pour le moment, il savait juste que le sang de cette personne n’était en rien bénéfique à la soif qu’il ressentait. Le liquide rougeâtre s’accumulait dans sa bouche pour descendre le long de son oesophage, continuant ainsi pendant quelques longues secondes où sa victime n’eut aucune réaction. Le vampire n’entendait plus rien tellement il était concentré sur sa tâche. Il ne revient à l’esprit qu’au moment où on le pousse violemment. Interloqué, ses yeux bicolores dévisagent le rouquin dont les mots semblent dépassés sa pensée.
Jusqu’ici, tous les mots entendus ressemblaient à un charabia étrange mais cette personne venait de prononcer des mots dont l’albinos connaissait la sonorité. Ce fantôme est français, ou du moins, il sait parler français. Dubitatif, Liam continue à le fixer alors que du sang s’écoule lentement de la commissure de ses lèvres. Ce même sang dont il pensait pouvoir se repaître pour étancher cette sécheresse dont sa gorge est victime. Rien à faire, il est toujours aussi assoiffé et la seule chose qui lui passe par l’esprit, c’est de recommencer … Recommencer quoi ? Dans un moment de lucidité, l’albinos se rend compte de ce qu’il venait de faire. Son teint devient livide et sa main se pousse sur sa bouche alors qu’un étrange goût de fer occupe ses papilles.

“Pardonnez-moi.”

Ce sont les seuls mots en français qui lui viennent à l’esprit. Liam ne se sent pas bien. Et c’est à la vue du sang sur sa main que tout vrille. Incapable de se retenir, le jeune vampire commence à vomir le sang accumulé dans son estomac. Cet horrible liquide rougeâtre dont il ne pensait pas en ingurgiter une aussi grande quantité. Pourquoi ? Que lui arrivait-il ? Après avoir régurgité la quantité avalée plus tôt, Liam relève son regard embrumé vers son interlocuteur. La bouche pâteuse, il tente un mélange de franglais étrange dans l’espoir qu’on le comprenne.

“Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive … Aidez-moi …”

Lui dont la personnalité forte était ressorti dans cette nouvelle vie, il était comme redevenu l’enfant rejeté de tous à cause de sa maladie.

Dans tous les contes pour enfant, un vampire est un être humain capable de vivre des années, voire des siècles mais en échange de cette immortalité, il ne peut pas marcher au soleil et il doit se nourrir du sang d’humain. L’ennemi juré de ses créatures mythiques, ce sont les loup-garous et les objets liés de près à la religion. Pourtant, Liam sait très bien qu’il n’est pas dans un conte. Il est mort quelques jours auparavant, mordu par un inconnu, trompé par une pseudo-copine et maintenant, il se retrouve dans un monde où on lui dit de s’amuser. Alors, pourquoi doit-il souffrir encore ? Tous ses regards, ses murmures, ses non-dit, tout cela lui pèse sur les épaules. Il n’est pas un monstre, il n’a jamais été un monstre même si dès sa naissance, le vampire n’était pas capable de se balader au soleil. Ironie du sort ou coup du destin ? Liam s’en foutait comme de sa première couche culotte, tout ce qu’il voulait, c’était vivre sa nouvelle vie comme il le voulait.
Incompréhension, peur, frustration; tout se mélange dans ce petit corps d’un mètre quatre-vingt. La seule personne capable de l’aider, il le pense, se trouve en face de lui mais à la croisée de leurs regards, l’albinos comprend une chose : cet homme n’est pas comme lui. Pour couronner le tout, le début de ses propos semble confirmer sa crainte. C’est dans le désespoir que ton regard se tourne, fixant comme une âme sans vie l’immense flaque de sang sous toi. C’est à se demander pourquoi le destin s’acharne autant. Dans un infime espoir, la voix de cet homme s’élève une nouvelle fois et, décidant de s’y accrocher, la tête de Liam se redresse d’un seul coup. Mais, rien. Juste une question aussi bête que la réponse dont l’évidence semblait accablante.

“Plus que faim … J’ai soif. Ma gorge se noue sans que je puisse étancher cette envie.”

C’était peut-être ton ultime parole, un discours en français dont ton professeur serait fier si celui-ci pouvait encore l'entendre; Liam applique toi quand tu parles, c’est ce qu’il disait. La foule était nombreuse, les morts restaient aussi curieux que les vivants et petit à petit, il s’accumulait autour des deux interlocuteurs, créant un petit espace étouffant, suffocant. L’albinos n’en pouvait plus, ses crocs toujours visibles semblaient en redemander. Un frisson remonte sa colonne vertébrale et ses mains tremblent. Il gronde.

“DEGAGEZ OU JE VOUS MORD AUSSI !”

Loin de la belle langue de Molière, le vampire s’exprime dans un bel américain digne des plus beaux blocs buster. Liam se sent minable.

L’ignorance n’est pas un mal. Pendant des années, il valait mieux ignorer tout ce qui nous entoure; l’angoisse était moins grande. Pourtant, il y a bien des choses qu’il est nécessaire de connaître. La médecin progresse pour nous permettre de vivre plus longtemps et de combattre des maladies jusqu’ici incurable; le savoir est une puissance. Liam est un ignorant. Son interlocuteur inconnu est un ignorant. Certains spectateurs le sont tout autant. Ceux qui savent ne disent rien. Cette cruauté n’a pas de fin. Le nouveau vampire n’a pas besoin qu’on lui rappelle que tous ceux présents sont morts. Lui, ce qu’il veut, c’est qu’on lui indique comment étancher cette envie. Il désire seulement qu’on lui apprenne. Cet homme ne lui sert à rien. Une simple tâche, même ça, il n’y arrive pas. Quelques fantômes acceptent de reculer, peut-être par compassion ou parce qu’ils n’ont pas envie de se faire mordre aussi mais les autres, ils restent. Curiosité malsaine, c’est la nouvelle génération. Liam les voit avec leur portable en train de ricaner, de taper et de filmer, tout le monde veut faire le buzz que ce soit dans le monde des vivants ou dans le monde des morts. L’être humain est dégoûtant.
D’un revers de la manche, Liam essuie les traces de sang qui commencent à sécher au bord de ses lèvres. Ses yeux bicolores dévisagent les quelques curieux, et d’un geste peu recommandable, il leur adresse un beau doigt. Il voulait faire le buzz qu’il essaie. Un vampire qui mord un mort, cela ne doit pas être une première. Tout comme un gars random qui vomit du sang. Puis, la voix de l’ignare le reprend. Celui-ci évoque enfin une information importante, intéressante. Sourcil relevé, Liam se redresse difficilement, ses jambes continuent de trembler; on dirait un drogué en manque. Sa main s’impose sur l’épaule de son interlocuteur, d’une prise ferme, il le regarde droit dans les yeux.

“Tu ne pouvais pas en parler avant ? Il valait que tu poses ta question stupide avant ? Tu voulais vérifier que j’étais bien un vampire en manque ?”

Oui, Liam n’est pas un gentil petit garçon. Alors qu’il parlait, sa prise se faisait plus ferme et son visage se rapprochait de cette petite personne, mettant en évidence ses crocs.

“Ils ne t’ont pas fait assez mal ?”

Lentement, son visage descendait. Il se rapprochait à nouveau de cette zone déjà abîmée. Puis, il s’arrête.

“Emmène moi là-bas.”

Il le murmure à son oreille avant de le relâcher. Le vampire tourne les talons et passe à nouveau sa manche sur le recoin de sa bouche; il doit se contrôler.

Dans sa vie, l’Américain s’est rarement pris la tête. Fils de riche, enfants de parents idiots, amis avec des rapaces; Liam s’est contenté de vivre. A sa mort, il s’est repris et s’est décidé à vivre le tout pour le tout, conquérir le trône. Mais, au fond, il n’a pas demandé sa mort. Du peu qu’il a vu sur la rediffusion de sa mort, rien ne disait qu’il allait mourir, ce n’est pas souvent que des gens meurent d’un excès d’alcool. Ce jour-là, Liam le regrette. Sa vie n’a pas été rose, il n’aimait pas les faux semblants et ses lèches-bottes mais une fois devenu médecin, il aurait été riche par lui-même et ça aurait été fini de se coltiner les idiots. Aujourd’hui, en plus d’être pauvre, il se tape entre les idiots, il ne comprend pas sa condition et il se doit de subir les remontrances d’un inconnu. Le fantôme l’interpelle, son ton ne lui plaît pas mais Liam tourne les talons pour lui faire face. De sa hauteur, le bicolore le fixe droit dans les yeux et écoute sa tirade sans un mot. Celui-ci lui reproche de ne pas avoir de considération pour la seule personne qui daigne l'aider, et même s’il n’a pas tort, le vampire se sait assez débrouillard pour trouver une solution par lui-même. La phrase de trop résonne.
Peu importe la suite de ses propos, de toute sa grandeur, l’Américain avance de nouveau dans sa direction. Sa langue claque contre son palais et ses lèvres se relèvent pour faire paraître ses crocs. Il ne sait pas encore ce qu’il va lui faire subir, mais Liam, il est à bout. D’un geste précis, le vampire attrape le col de son interlocuteur et le sert dans sa main tandis qu’il plie son corps pour planter son regard bicolore dans le sien; il voulait lui faire comprendre que c’était lui le dominant.

“Je dois m'estimer heureux ? Heureux d’avoir mordu un inconnu qui n’est même pas capable de me dire où je dois aller pour soulager cette envie ? J’espère pour toi que tu n’es pas mort depuis longtemps sinon c’est un peu la honte, surtout quand on décide de faire la morale. Tu aurais pu m’abandonner ? Tu aurais pu me frapper ? Fais toi plaisir. Je pourrais te dire la même chose, tu as de la chance d’être déjà mort sinon ses crocs auraient pu t'ôté la vie comme ils m’ont ôté la mienne.”

Au fond, Liam sait que ce n’est pas le moment de se battre. Son envie ne cesse de grandir, sa gorge se noue et ses mots se perdent. Encore une fois, il le relâche et y met un peu plus de conviction pour le repousser. En se tournant, il cherche du regard un fantôme dont le portable continuait de filmer la scène. Trouvé. D’un pas assuré, le vampire s’avance et attrape l’appareil électronique.

“Je te l’emprunte.”

Et si la personne essaya de le récupérer, il lui fit vite comprendre que ce n’était pas la peine de le chercher davantage. Avec l'habileté de la jeunesse, ses doigts s'écrasent contre l’écran pour lancer la recherche. Un restaurant pour vampire … Il espère que ce n’est pas loin.