La turbine de son cerveau fonctionnait à plein régime. Il en était venu, naturellement, à se dire que l’homme qui lui faisait face était véritablement un vampire. C’était le plus logique, même s’il n’y ressemblait pas en apparence. Enfin… A quoi ressemble un vampire, d’abord ? De ce qu’il savait dans les bouquins… Pas grand-chose. Il n’y avait que cette histoire de canines longues et il lui semblait que celles de William avait une taille tout à fait normal. Lorsque ce dernier leva son verre, Kyo était encore perdue bêtement dans ses réflexions et il dût faire un effort pour revenir à l’instant présent. Il trinqua à son tour, appréciant le goût et la puissance qui s’écoula dans sa gorge. Ce saké était succulent. Il regrettait presque de l’avoir bu d’une traite, sans en avoir pu savourer toute la saveur. Néanmoins, il était nécessaire qu’il se requinque un peu, après cette évadée mentale des plus étranges.
Apparemment, son interlocuteur ne comprenait pas réellement la raison de son état. Lui-même était encore confus, face à tout ça. Il devait se douter qu’il y avait plusieurs espèces, ici. Il avait déjà rencontré un nécromancien par exemple, en la personne de Rizzen. Il n’avait pas été surpris d’apprendre son pouvoir végétal d’ailleurs –sans doute parce qu’il y avait tout de suite vu un moyen pour lui de retourner sur Terre… Il s’en mordait encore les doigts-. Bref, il était troublé. Pourtant, les premières paroles qu’il prononça étaient tournées vers la bouteille proposée, bien au-dessus de son budget. Lui qui voulait rendre la pareille à l’anglais pour la glace, il se retrouvait bien embêter. De toute évidence, ce n’était pas du tout un problème pour l’autre et il lui répondit avec un petit sourire gêné. Il appréciait le geste, mais il était important pour lui d’être franc sur le coup. Et puis s’il buvait de ce saké et se retrouvait ensuite à devoir payer la moitié… Il se retrouverait comme Rion, obligé de travailler dans un Host Club avec un vampire. Ah ! C’était nul, comme pensée.
Pas sûr que ta référence soit parlante, de prime abord. Tout le monde n’est pas aussi fan que toi des œuvres de Kaori Yuki.Et finalement, il osa poser directement la question qui lui brûlait les lèvres. Après tout, il était préférable de passer pour un idiot durant cinq secondes qu’une heure. En vue du sourire qui lui fut retourné, il comprit rapidement qu’il ne s’était pas trompé. En termes de réaction… Il était assez proche d’un magicarpe sorti de l’eau –charmante image-. S’en rendant compte néanmoins assez rapidement, il ne tarda pas à se ressaisir pour passer une main dans ses cheveux. Il bugua complètement à la révélation qui suivit. Outre le fait que la mort par exsanguination était particulièrement brutale et inhumaine aux yeux du zombie –il croyait sur paroles William quand il lui apprenait que ce n’était pas une agréable-, il bloquait surtout sur le fait qu’il puisse aller dans le monde des vivants. C’était… Merde.
Pourquoi il n’était pas mort par morsure, lui, hein ?Il se faisait sans doute des films. Il devait y avoir une contrepartie, dans tout ça. De toute manière, il était encore perdu dans ses réflexions alors que l’anglais complétait sa description. Pour se nourrir, hein. Donc tuer des gens. S’il était arrivé à cette conclusion rapidement, son interlocuteur ne manqua pas d’y venir, conscient qu’il s’agissait sans doute de la question la plus logique, découlant de toute ça. Il se mordit la lèvre inférieure. Il n’était pas vraiment dégouté. Il constatait bien cependant que William prenait grand soin à ne pas le regarder en parlant, comme s’il… Comme s’il n’appréciait pas devoir le faire. Et puis, il tenait à ce que le zombie sache qu’il ne s’attaquait qu’à de mauvaises personnes. Ça jouait, dans la balance de Kyo. Il était stupéfait, naturellement, par ce qu’il apprenait. Mais il comprenait aussi que William n’avait pas le choix. Il supposait que si un vampire ne répondait pas à sa faim, il devait être torturé par cette dernière. Ce n’était pas franchement mieux. Et puis… Ces types l’avaient un peu cherché, quand même.
« Justicier des temps modernes… » La réplique lui avait échappée, alors qu’il continuait dans ses réflexions. Ça faisait vraiment beaucoup d’informations à enregistrer, tout ça. Il était peut-être temps aussi qu’il arrête d’être aussi naïf, à croire que le monde des morts était un petit paradis. Certes, ils étaient là pour s’amuser, s’il se souvenait bien du peu de ce qu’il avait écouté, quand le roi l’avait accueilli. Pour autant, il semblait y avoir toujours autant d’âmes torturées que chez les vivants. C’était un peu… Ironique, quand même.
Et tu es une de ses âmes perdues.
« Hum… Je ne dirais pas que je suis effrayé. Juste un peu… Choqué, toujours. Je vis dans un monde de Bisounours dans ma tête. » Il laissa échapper un petit rire, se moquant de lui pour la énième fois.
« Mais… T’as pas le choix, j’imagine, que de boire du sang, si ? ‘Fin… Ça me paraisse logique que tu te nourrisses de sang, surtout si la nourriture normale ne te rassasie pas. Et puis… S’ils l’ont cherché, aussi. » Alors là, on arrivait sur une pensée qu’il avait déjà eu dans le monde des vivants qu’il taisait la majeure partie du temps. En ce qui le concernait, il faisait partie de ses gens qui était clairement pour la peine de mort – sujet assez tendu puisque Seiya et Mira y était fermement opposés, il avait donc appris à ne pas en parler s’il ne voulait pas se lancer dans une longue dispute inutile et stérile-. Bien sûr, la peine devait être équivalente au crime commis. Mais un viol par exemple, cela rendrait complètement dans cette idée. Avec un peu de torture en prime, ce n’était pas de refus.
Tu devrais éviter de laisser parler tes pensées sombres. Même si William les partagerait… Tu n’es pas vraiment fier de les avoirs, ses idées.Il enchaina sur la deuxième question qui lui brûlait les lèvres, ne démontrant aucune peur envers William. Il était sceptique, un peu choqué aussi comme dit, mais étant donné que l’anglais lui avait assuré qu’il ne le mordrait pas, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter pour sa sécurité, après tout. De plus, il n’était pas persuadé que son sang pourri de zombie soit très bon. Au contraire. Il se retenait de demander si l’ail le faisait fuir, tout comme le soleil mais il se retenait tant bien que mal. Il y avait beaucoup d’histoires sur les vampires, il ignorait néanmoins ce qui était juste, ce qui ne l’était pas. Le sang, ok. Et la transformation en chauve-souris ?
Bref. Le nom du restaurant le fit sourire, mais ce dernier s’éclipsa légèrement à l’entente du plat principal. Du sang, évidemment. Alors même s’il n’avait pas de problème réel avec le fait que William en boive… Il devait dire qu’il n’était pas personnellement tenté – bizarrement-. « Hum… Je crois que j’éviterai le sang, si jamais je viens manger dans ton restau’. » Il avait toujours un petit sourire, se détendant un peu. Déjà, parce qu’il était rassuré de l’avoir entendu dire que son établissement était aussi ouvert aux zombies, sa propre « race ». Il avait du mal à se définir ainsi, mais il était temps d’affronter un peu la réalité, pour une fois. Et puis, de toute façon, comme dit plus tôt, il n’avait pas vraiment les moyens de se payer un restau non plus, il fallait l’avouer. Peut-être… Peut-être qu’à un moment, il faudrait qu’il se bouge un peu. Déprimé dans sa chambre était une chose, mais il serait peut-être temps d’occuper un peu plus passionnément ses journées. Surtout que face à la passion évidente de William pour son travail, il ne pouvait qu’afficher un sourire, face à tant de fierté.
Une légère moue pensive se dessina sur son visage. Il n’avait pas pensé une seconde à s’enfuir, puisqu’il continuait de se sentir en sécurité. Alors certes, il n’était pas totalement à l’aise avec tout ce qu’il avait appris mais… Difficile de reprocher une nature à quelqu’un qui n’avait rien demandé, à la base.
« C’est peut-être toi qui va fuir alors… » Il eut un nouveau rire, celui du type qui n’assumait pas. Il prit une nouvelle gorgée de saké, réfléchissant à ce qu’il pouvait dire. Il n’avait jamais vraiment aimé parler de lui-même. Mais étant donné que Will lui avait fait sa confession, il était normal qu'il lui rende la pareille.
« J’ai… 23 ans. Détail totalement inutile ici, j’imagine. Je suis mort dans un accident de moto, tout ça parce qu’un connard de chauffard a pas été fichu de s’arrêter à un putain de feu rouge. Il y a… » Il calcula mentalement, surpris de ne pas s’en souvenir. Pourtant, dans sa chambre lorsqu’il broyait du noir, il avait toujours tendance à faire attention à ce détail.
« …Neuf mois. Et comme je n’ai pas été fichu d’accepter ma situation et que j’avais des proches qui m’étaient chers j’ai… Essayé de revenir à la vie. » Il baissa les yeux, contorsionnant ses doigts qui étaient devenus tout à coup captivants. Son regard était fuyant et il se mordit une nouvelle fois la lèvre inférieure. L’inconfort était grand. C’était la première fois qu’il parlait de ça à voix haute et il s’attendait presque que son interlocuteur se moque de lui ouvertement. Quand il y pensait… Ça aurait été logique.
« Donc évidemment, ça a foiré et je me suis transformé en zombie. C’est pas la top joie mais je peux avoir assez facilement des potions pour l’apparence et du parfum. Alors j’imagine que ça aurait pu être pire. »
Ou pas, en fait. Il faut dire aussi que tu n’as pas franchement laissé le choix à Rizzen non plus, alors qu’à la base, c’était ton idée.Il poussa un long soupir. Son propre comportement l’énervait et s’il pouvait, il se bafferait. Et ça encore, c’était que les galères depuis qu’il était mort. S’il venait à parler de sa vie en tant que vivant… Ça serait encore plus déprimant. Au lieu de ça, il préféra reconcentrer son attention sur son verre, appréciant le liquide qui s’y trouvait. Au moins, l’alcool lui permettait de diminuer sa gêne d’en parler. Il ne tarderait pas néanmoins à avoir la tête qui tourne rapidement, n’ayant pas une grande résistance à la boisson.