Sang

Cet après-midi là j’avais attrapé ma basse avec un peu de retard, parce que j’avais pioncé trop longtemps. Pas à cause d’une gueule de bois où d’une nuit blanche, non, juste par pure fainéantise. En vrai glandeur, j’avais pas prévenu mes potes avec qui j’étais censé jouer un peu ce jour là. Et au final, j’étais parti une heure après le moment que l’on avait convenu comme rendez vous.

Arrivé au point de rendez-vous avec près de deux heures de retard, c’était sans surprise que je retrouvais mes potes avec des tronches d’enterrement. Après quelques excuses nonchalantes et des coups amicales mais amères dans les épaules, on avait joué quelques temps dans une pièce qu’ils réservaient souvent.

On jouait de tout et un peu au feeling, c’était ce que j’aimais avec ces gars là. Mais mon chemin avec eux n'était que loisir, puisqu’il y avait des personnes avec qui j’aimais bien plus jouer. Avec qui les notes et les paroles avaient plus de sens.

Au bout d’un moment un gars rate la note et grogne, on s’arrête tous, coupés dans nos délires silencieux. C’est à l’unanimité que la décision de prendre une pause est prise. J’accroche comme à mon habitude ma basse customisée dans mon dos et je sors, main dans les poches, avec un des gars. On est tous les deux de gros fumeurs, alors c’est sans surprise que l’on sort de quoi se détruire superficiellement les poumons.

Une fois la clope au bec, on cherchait tous les deux notre briquet. A croire qu’on était des boulets jusqu’à la moelle, on avait tous les deux oublier le plus important. Je jurais, lui aussi, et je regardais autour de moi pour trouver un fumeur à taxer.

Je remarquais alors un petit blond ( en vrai pas si petit que ça ) qui fumait avec son bébé musical à ses pieds. Sans perdre confiance je m’approchais de lui et le saluer de la tête, la cigarette entre les lèvres.

“Hey mec, t’aurais pas un briquet s’t’plais ?”

Le blond en face de moi ne tarde pas à acquiescer, en fouillant dans les poches de son bas. J’esquisse un petit sourire satisfait et sors mes mains des miennes. Il n’a pas l’air méchant, même si il ne semble pas être en grande forme. M’enfin, ça ce n’est pas mon soucis, alors je n’en dis rien. Quand il allume le feu, je me penche et mon tube de nicotine s’embrase. Après cela, je me redresse, aspirant un peu de toxine avant de libérer ma cigarette de ma bouche et recracher les restes du feu en moi.

“Merci !”

Mon bienfaiteur a les mêmes actions que moi, consumant lui aussi la petite braise tout près de sa bouche. Je garde un léger sourire, celui-ci ne me quitte que rarement quand je suis hors de ma chambre.

“J'suis tombé sur un frère bassiste ?”, il sourit un peu en observant mon bébé qui s’accrochait à mon dos.

Je l’observe quelques instants avec un air surpris puis pose mes yeux sur son instrument à lui. Je souris un peu plus et fais passer ma belle basse aux couleurs de sang devant moi. Je tapote doucement dessus, fier de ma passion première. Celle qui avait toute ma vie durant guider mes pas...après...après elle.

“Ouep, je fais que ça d’ma vie...fin’ d’ma mort. Ca, et la fête. Tu en joues depuis longtemps toi ?”

Je lâche ma basse et me préoccupe à nouveau de ce pourquoi je l’ai interpellé. Après une ou deux taffes, je pose de nouveau mes yeux sur lui, je lui tend sympathiquement la main. Si c’est un collègue, autant en faire un pote plutôt qu’un adversaire.

“Lynel, ‘ricain, 29 piges. Et toi ?”

Il m’explique qu’il a commencé depuis l’adolescence, je souris un peu. Ca va, il ne doit pas avoir un niveau de pro mais il doit tout de même bien s’en sortir. Il rit, mais ça ressemble à l’un de mes rires, ça se voit qu’il n’y a pas tant de sincérité dans ce sourire que ce que l’on aimerait. Je souris doucement, sans vraiment répondre. J’étais curieux malgré tout à son propos.

“ Lynel ? C'est spé. D'où ça vient ?”

Ah, oui, j’avais oublié que mon pseudo était pas commun. Je me maudit toujours un peu d’avoir choisi ce pseudo quand je suis arrivé ici. Il y avait tellement mieux pour l’oublier, mais j’avais sans me rendre compte que ce pseudo lui ressemblait beaucoup trop. je ris doucement et secoua la tête. J’étais vraiment stupide parfois.

“C’est un pseudo.”, je me grattais l'arrière de la tête. “Les gens ne m’appellent pas par mon prénom dans ce monde.”

Le gars me sert la main avec force et je me prend au jeu sans rien dire.

“J'm'appelle Sacha, j'ai vingt ans. Plus un, si tu comptes l'année qui suit la mort.”

Wow, il est plus jeune que ce que j’imaginais. J’affiche un air surpris à sa remarque puis secoue la tête. Il ne faut plus voir ce sujet comme tabou maintenant que l’on est tous morts. Même si certains, beaucoup, ne sont pas morts dans de très bonnes conditions. Il faut apprendre à ‘vivre’, se reconstruire et passer à autre chose. Ah, si seulement je pouvais tout oublier de ma vie. J’écrase, en pensant à cela, ma cigarette contre le mur. Mes doigts et mon nez sont rouges et contrastent avec ma peau de malade, rah, j’aime pas le froid.

“Tu joues avec qui ? J'viens d'arriver. J'me suis greffé à un groupe encore dans l’œuf, mais j't'avoue qu'leur son m'fait pas kiffer de ouf.”

Je relève la tête, toujours un air surpris sur le visage, visage qui se penche sur le côté. Je trouve ça grave dommage de jouer sans vraiment kiffer le son que produisent ceux avec qui on joue. Moi ce n’est pas le cas, avec mes partenaires, on trouve toujours une harmonies grave jouissive. Je lui lance un léger sourire et passe mes bras derrière ma tête.

“Mes potes sont un peu plus loin. On est pas un ‘groupe’ à proprement parler, on fait quelques jam’ de temps en temps. On est plus des gars sans groupe qui jouent quand ils s’emmerdent.”, je rit un peu. “On joue un peu de tout, mais c’est un peu plus branché rock, tout c’que j’kiff quoi.”

Une brise et je me presse de cacher mes mains dans mes poches, je pose mes yeux sur sa guitare quand j’entend le gars de tout à l’heure me dire qu’ils vont reprendre. J’ai une idée d’un coup.

“Tu veux v’nir ? J’suis l’seul bassiste.”

Il rigole à mes paroles, je souris à mon tour. Il a l’air sympa. C’est aussi pour ça que j’aime aller dans ce genre d’endroit. Rares ont été les fois où je me suis embrouillé avec quelqu’un. Qui plus était, je me faisais souvent des potes là bas au final. Au final, je m’étais éventuellement fait un nouveau pote, et c’était pas pour me déplaire.

“Du rock ? L'mien fait dans la pop, c'est pas trop mon genre. J'préfère quand ça arrache, que c'est énergique, tu vois. C'est cool.”

Ok, le gars est parfaitement dans le délire du groupe. Il s’entendra surement avec eux, au moins sur le plan musical. J’écrase le reste de ma cigarette sur le mur et sourit doucement. Je replace ma basse comme il faut dans mon dos. Il m’explique qu’il veut pas déranger, je pouffe de rire. Moi je me suis totalement tapé l’incruste sans leur demander leur avis et au finale ce sont mes potes maintenant. Puis, il observe mon instrument, et prononce mon pseudo. C’était tellement..Improbable ? Je déglutit et cligne plusieurs fois des yeux, c’est souvent quand on le prononce de cette façon que je me rend compte que ma façon d’être dans ce monde n’est qu’un tissus de mensonges… Je secoue la tête et fourre mes mains dans mes poches.

“Tu dérangeras pas !”

Je lui souris encore, puis je vois mon groupe de pote rentrer dans le bâtiment en me faisant un signe. Je me gratte l’arrière de la tête. Il caille de fou dehors, et j’ai clairement pas envie d’attendre dehors.

“T’viens ?”, je me remet en route. “Porte 412 !”

Les gars de la 412 accueillent tous plus ou moins chaleureusement le blond. Je lui sourit aussi. Chacun d’entre eux se présente, y’a Hiro le batteur, Louis le guitariste et Mike qui lui s’en sort aussi bien à la guitare, qu’au piano ou au chant. C’est un peu lui qui gère le truc en général, il a toujours pleins d’idées. Mais ce qui est bien ici, c’est qu’en général, dès qu’il y en a un qui se fait un tripe, les autres suivent avec joie.

En soit, on se parle pas tant, ici. On joue, sans arrêt pendant les heures, mais on parle peu. Si on parle, c’est de musique, ou des derniers fêtes auxquelles on a assisté. Je pourrais même pas vous dire depuis quand chacun d’entre eux est ici. Tout ce que je sais, c’est qu’ils sont cool, et souvent fourrés tout les trois.

“Il est bassiste, comme moi. J’propose d’improviser un truc, on verra ce que ça donne tous ensemble.”, je sors ma basse de sa cachette.

Chacun renoue le contact avec son instrument et je souris au blond. Moi, je reste debout, alors que les autres en général, vont s’asseoir. Sauf Mike, lui il s’assoit jamais. Je passe une main dans mes cheveux gras, et pendant ce temps, le guitariste commence à démarrer un air qui me fait un peu penser à Enter Sandman de Metallica. Je secoue un peu la tête, et commence à le suivre dans son délire, grattant mon instrument de mes mains sales. C’est pas le même air, mais ça y fait grave penser, c’est bien le délire de Hiro, qui est tout de suite dans le délire et tape sa batterie en bougeant son corps. Mike s’met à balancer des notes violentes avec sa guitare électrique. Moi, je souris et ferme à moitié les yeux en jouant. Le nouveau venu nous rejoint aussi, et j’en souris que plus.

Ca dure une bonne dizaine de minutes avant que l’on termine sur des notes enragées de batterie. Moi, je transpire pas mal, Hiro c’est pire, on voit clairement qu’il s’est donnée. Il ouvre une glacière, et nous passe des bières. J’en prend une volontiers et l’ouvre avec mon briquet. Ouah. C’était énergique.