Bien sûr durant des années, il n'avait eu aucun doute là-dessus. Bien sûr durant des décennies tout était normal, mis à part quelques détails de peu d'importance -comme la disparition du manoir familiale, de la famille, des Amis, des oeufs- et quasiment insignifiants -sauf pour les oeufs. Bien sûr durant plus d'un siècle tout était pour le mieux sur la propriété.
Mais depuis peu, la solitude devenait pesante, et le doute le prenait. S'il était seul, serait-il possible que quelque chose fut arrivée ? Que lui avait-on dit, déjà ? Ce prétendu Roi des
porcs, Orchi-mytho (sans doute un Grec) ou quelque chose dans le genre, n'était donc pas un fou ? N'avait-on pas envoyé Tinek pour soigner ce pauvre bougre ? Le doute le rongeait comme son gourmand de frère avec la brioche de sa très aimée amante.
Il n'avait pas de nouvelle de la Reine Victoria depuis 169 années ; était-il permis à une impératrice de se taire durant autant de temps ? Pour s'enquérir de sa santé, il s'en alla à la capitale. Mais il ne reconnut jamais ni Londres, ni Peterborough, ni aucune ville de la glorieuse Albion. Ayant questionné un jour, une femme, qui parcourait la route dans une étrange berline sans cheval, elle ne lui avait ni parlé de Victoria, ni d'
Orchi-Mytho mais d'un tiers souverain : Joe Chuha ou un nom de ce genre.
Intrigué il avait voulu prendre le plus vif cheval de l'écurie du coin, mais on y louait que des chars sans cheval qui possédaient des coeurs métalliques, nommés moteurs, lui dit-on, où l'on y compressait 100 chevaux, lui dit ce baratineur de vendeur. D'autant que ce fieffé coquin ne voulait pas de pounds mais des restes humains que seul un archéologue fétichiste aurait pu avoir en un tel moment ! (et encore, peu s'en aurait fallut que ça ne fût passer pour une déformation professionnelle !)
Décidé tout de même, Tinek était parti à pied en direction de la plus grande ville qu'il pourrait trouver dans ce fichu pays qui était devenu autre chose que le Royaume-Uni en l'espace de quelques jours. Quel fichu progrès ! Il y a cinq jours encore, on était anglais à mil lieues à la ronde, on payait en pounds et en cents et on montait les chevaux au lieu de les réduire en poudre et de les mettre dans des réceptacles en métal. Qui peut donc se complaire de ce progrès détestable ?
Sans plus de questionnement, il avait trouvé une grande ville qu'on lui indiqua comme Tokyo, sans doute une bourgade méconnue de l'Empire Indochinois Britannique qui avait dû s'étendre par la grâce de Victoria. Peut-être était-ce une ancienne capitale, d'une feue civilisation tout à fait barbare à qui il avait échappé les grands principes de la civilisation moderne, dont la pince à sucre.
Mais il apprit assez vite que son nouvel anglais était du japonais et que par voie de conséquence, il était en terre inconnue. On lui apprit aussi que le Japon n'avait jamais été l'Angleterre. Comme la science et l'histoire progressaient vite ! En quelques jours l'Angleterre n'a jamais été et a toujours été le Japon !
On l'amena alors jusqu'à un lieu qu'il avait déjà vu, il en était sûr. C'était un lieu qu'on nommait l'Agence, où il avait passé une semaine, il y a 169 ans. Il n'en avait bien entendu pas le moindre souvenir, seul le bâtiment lui revenait en mémoire, seule la construction
lui sonnait une cloche, ce qu'il avait fait durant une semaine naguère avait pris le large il y a bien longtemps de cela.
Quand il dit au premier inconnu sur lequel il avait pu tombé qu'il ne savait guère que faire, qu'il ne comprenait pas bien ce qui lui arrivait, et qu'il ne connaissait rien ni personne, ce gentil homme lui répondit le plus simplement du monde que ce n'était pas son problème et que chacun devait s'occuper de ses immondices excrémentielles avec une parrhésie qui feignit le vulgaire. Il lui répondit quelque chose d'on-ne-peut-plus-raffiné mais -et c'est bien dommage- sujet à méprise (et c'est ce qu'il advint)
Cénobite abscons ! Nycthémère nyctalope ! Repartant avec un oeil qui ainsi qu'une sauce était au beurre noir, il repartit et posa sa question à un second quidam qui lui conseilla, magnanime, d'aller passer de nouveau un temps à l'Agence en colocation afin de ne plus ne pas savoir quoi faire, afin de comprendre, afin surtout de connaître quelqu'un et quelqu'autre. En partant il lui dit qu'il fallait bien s'y faire, que ça n'arrivait généralement qu'une fois et qu'il fallait faire avec mais que s'il en était autrement plus difficile pour lui de supporter ce changement, qu'il avait pour trois jours seulement, une dizaines de potions en solde à -30% dans une ruelle toute proche et qu'il avait plusieurs élixirs pour revenir parmi ceux qui n'ont jamais mis les pieds ici.
Payer un breuvage pour voyager jusqu'à chez des gens ? Balivernes ! Chansons ! Et puis il y a tant de gens qui n'ont mis pied sur rue, là où je le mets céans hui que je m'en verrais fractionné en tant de petites divisions que je ne saurais plus où donner du morceau. Avait-il pensé un peu fort avant de se diriger vers l'Agence.