Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
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Aujourd’hui, pourtant, ces souvenirs te laissaient un désagréable arrière-goût, écœurant mélange de désabusement et de regrets. Bordel, ce que tu pouvais regretter d’être monté sur ce toit cette nuit-là, d’avoir grimpé sur la mince bordure qui séparait la vie de la mort, et d’être tombé. Tout ça remontait il y a plus de dix ans, t’aurais dû passer à autre chose depuis le temps, oublier, tourner la page. Mais non, pas moyen. Ça te restait encore coincé en travers de la gorge comme un os impossible à avaler, et parfois, comme ça, ça te revenait dans la gueule. Surtout à l’approche de cette foutue date. Parce que oui, t’avais eu la drôle d’idée de te suicider un premier janvier, alors que le reste du monde fêtait la nouvelle année et les joies qu’elle apporterait avec elle.
Mais alors, si ça te faisait tellement souffrir de repenser à tout ça, tu peux me dire ce que tu fichais dans cette patinoire, Angel ?
Pour être honnête, tu ne le savais pas trop toi-même. Tout ce que tu savais, c’était que pour une raison obscure, faire des ronds sur la glace avait sur toi un effet apaisant. Ça t’aidait à te détendre, à évacuer un peu de la rancœur qui te serrait la poitrine. Je n’irais pas jusqu’à dire que tu étais doué – t’avais pas assez de force dans les jambes, pas assez d’aisance dans les mouvements, et tu faisais rien d’extraordinaire – mais avec l’habitude, au moins, tu ne tombais plus si souvent que ça. Et t’aimais cette sensation de glisser, sans accroc, sur la surface gelée de ce qui était la moitié de l’année une piscine.
T’avais l’impression d’être libre.
Jusqu’à ce qu’un truc vienne s’accrocher à toi, stoppant ton avancée et perturbant ton équilibre, si bien que pendant une fraction de seconde, tu crus que tu allais finir par terre, écrasé sous cette masse sombre… et de justesse, tu parvins à rétablir une certaine stabilité, assez pour constater que la chose qui t’était rentré dedans, manquant de t’entraîner dans sa chute, était évidemment une personne. Explosion dans 3, 2, 1 –
— Putain mais t’es débile ou quoi ? J’ai failli me casser la gueule à cause de toi !
Oh, Angel, si seulement ta maman avait été là pour t’apprendre la politesse et l’amabilité… mais non, elle était trop occupée à courir à droite à gauche avec ses amis pour se soucier de toi, et voilà le résultat. Tu dévisages l’inconnu, son air apeuré, ses cheveux aussi bruns que les tiens sont blonds. Tu le classes aussitôt dans la catégorie "aucun intérêt", avec glissement possible vers "toi j’t’aime pas". Surtout s’il continue de s’agripper à toi comme une moule à son rocher.
— T'as l'intention de me lâcher un jour ou faut que je t'en colles une pour te réveiller ?
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Fais chier.
Évidemment, il avait fallu que tu tombes sur un imbécile pleurnichard incapable de se débrouiller tout seul. Évidemment, il avait fallu que ça tombe le jour où tu en avais marre de tout, où tu n'avais qu'une envie, qu'on te fiche la paix. Évidemment. Ç’aurait pas été marrant sinon.
— Et puis quoi encore ? C'est pas mon problème si t'es pas capable de tenir sur tes pieds tout seul, puppy.
C'est mignon, un chiot. On a envie de le prendre dans ses bras, de le câliner, de jouer avec lui. Mais là, dans ta bouche, ce mot sonnait comme une insulte. Méprisant. Agressif. Comme tes gestes lorsque tu repoussas violemment le garçon des deux mains, comptant sur son équilibre précaire plus que sur ta force physique pour le forcer à te lâcher. Tu t'en fichais bien qu'il se casse la figure et finisse sur la surface gelée de la patinoire. Une seule chose t'importait : mettre fin à ce contact physique indésirable et indésiré, qui te mettait affreusement mal à l'aise. Comment ne pas l'être, lorsqu'un parfait inconnu s'accrochait à toi comme si sa vie en dépendait, te suppliant presque de l'aider ?
Mais le sort était contre toi, ou bien tu avais mal calculé ton coup ; toujours est-il que ton action n'eut pas l'effet escompté. Au lieu de détacher de toi l'importun trop collant, elle fit déraper ton pied droit sur la glace, et avant d'avoir réalisé ce qui t'arrivais, tu basculas en avant, entraînant inévitablement le brun dans ta chute.
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Pas si chanceux que ça, tout compte fait.
Tu poussas un gémissement plaintif, mais il se perdit dans les plis de l'épaisse écharpe du brun. Toi qui voulais échapper à sa proximité, tu n'avais fait que vous rapprocher dans un contact plus intime encore puisque vous étiez littéralement collés l'un contre l'autre. En un sens, c'était presque comique. D'ailleurs, tu pouvais entendre des rires moqueurs s'élever dans l'air non loin de là, et c'est peut-être cela, plus que la souffrance physique et l'inconfort de la position dans laquelle tu te trouvais, qui te donna l'impulsion nécessaire pour te relever.
Que dis-je ? Tenter de te relever. Car ton bras était toujours prisonnier sous le poids de l'autre individu, comme en témoignait le tiraillement cuisant de tes muscles pourtant quasi-inexistants. Ton ressentiment envers l'inconnu s'accrut, et sa remarque plaintive, au lieu de l'adoucir, ne fit que l'accentuer encore plus.
— Ouais, putain de fichue journée, comme tu dis. Et c'est ta faute si la mienne est aussi pourrie. Alors tu vas arrêter de te lamenter sur ton sort et te bouger le cul, que je puisse récupérer mon bras. Maintenant.
Il y avait de la menace dans ta voix, et pourtant, dans cette position, tu ne pouvais pas faire grand-chose. Juste attendre le bon vouloir de cette personne, alors que les ricanements autour de vous continuaient de résonner dans tes oreilles, accélérant les pulsations de ton cœur dans ta poitrine et faisant rougir de honte tes joues déjà colorées par le froid. Tu haïssais cela. Tu haïssais cette situation ridicule, et tu haïssais celui qui en était responsable. A cet instant, tu le haïssais plus que tout au monde, et cette haine se lisait dans ton regard aussi clairement que dans de l'eau pure.
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Car oui, cela faisait mal. Bien plus que tes genoux écorchés, ton bras meurtri, ta langue mordue jusqu'au sang. Cela blessait ce que tu avais de plus intime, de plus précieux, de plus fragile : ton ego.
Et malgré tes paroles chargées d'animosité, l'autre imbécile ne daignait toujours pas esquisser un mouvement pour se redresser. Non, il préférait promener sur ce qui l'entourait un regard blasé, comme si tout cela ne l'affectait pas le moins du monde. Tu en tremblais de rage et d'impuissance, et tu résistais à grand peine à l'envie de le frapper pour le faire réagir lorsque, finalement, il s'agita. Bientôt, tu sentis la pression sur ton bras droit diminuer, puis disparaître. Soulagement intense. Tu étais à nouveau libre de tes mouvements. Mais avant que tu n'aies pu bouger le moindre cil, la voix de l'autre garçon s'éleva dans l'air hivernal, aussi claire que tranchante.
L'étonnement te figea sur place. Était-ce vraiment lui qui venait de parler ? La même personne qui avait imploré ton aide d'un air larmoyant quelques minutes auparavant ? Tu avais du mal à le croire, et pourtant tu ne rêvais pas. Le chiot avait des crocs, finalement. Tu n'étais pas le seul à trouver cela surprenant. Les patineurs qui s'étaient arrêté pour vous regarder avaient été réduits au silence par cette simple remarque, et les rires s'étaient évanouis, évaporés, comme le souvenir d'un mauvais rêve au petit matin. Sans laisser de trace. Et toi, tu laissas le brun s'emparer de ton bras. Tu étais toujours sous le coup de la surprise, mais ses mots te ramenèrent brusquement à la réalité.
“J'espère que ça va,” qu'il disait. Comme si tu pouvais aller bien après ce qui venait de se passer. Et il avait le culot de se montrer prévenant, alors que rien ne te serait arrivé s'il ne t'était pas rentré dedans en premier lieu (tu n'étais pas innocent toi non plus, mais tu préférais faire abstraction de ce détail). Ta colère, momentanément éclipsée par la stupéfaction qui t'avais envahi, refit surface sans crier gare, et brutalement, tu t'arrachas à l'emprise du jeune homme.
— Je peux me relever tout seul, puppy. Et hors de question que tu me payes quoi que ce soit, OK ? Je veux pas de tes excuses.
Tu en étais revenu à l’agression, une fois de plus. À croire que tu ne savais pas communiquer autrement... Pourtant, tu en étais capable; à la condition que la personne en face de toi te paraisse digne de ton intérêt.
Pour donner plus de crédibilité à ton affirmation, tu entrepris de te remettre debout, prenant appui sur ta main gauche qui n'avait pas trop souffert de la chute. Mais tes membres ankylosés, engourdis par le froid et la position inconfortable dans laquelle tu étais resté quelques minutes, refusaient de t'obéir. Tes jambes tremblaient, tu avais mal partout, et ton état émotionnel ne t'aidait pas vraiment. Tu finis par te mettre sur tes pieds tant bien que mal et esquissa un rictus à mi-chemin entre le sourire victorieux et la grimace de douleur.
— Tu vois ? J'ai pas besoin de t–
Ton corps te trahit. Perdant l'équilibre, tu cédas à tes réflexes et te raccrochas au garçon. Le destin devait aimer vous jouer des farces, puisqu'il venait de répéter la situation antérieure... en inversant les rôles. Cette fois, c'était toi qui faisait preuve de faiblesse, à ton plus grand désespoir.
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Ou du moins, cela avait été le cas jusqu'ici. À l'instant présent, tu ne savais plus. Tu ne savais plus quoi faire, plus quoi dire. Tu étais perdu, fixant d'un air d'incompréhension total le visage du brun, comme si tu pouvais y trouver une explication à son comportement. Cela te faisait souvent cet effet-là, lorsque la personne en face de toi agissait d'une façon inattendue. Et rien ne t'étonnait plus que voir un être humain apporter son aide à autrui de façon totalement désintéressée, comme ce jeune homme venait de le faire pour toi. Car toi-même, tu en étais incapable. Il te fallait toujours une raison pour te montrer aimable, attentionné ou tout simplement poli. Le garçon qui se tenait en face de toi n'en avait aucune, et cela dépassait ton entendement.
Aucun mot bienveillant, aucun remerciement ne daigna franchir la porte de tes lèvres. Mais aucune insulte ne vint s'élever contre lui non plus. Tu te contentas d'affermir ta prise sur ces bras secourables, jusqu'à ce que tes jambes aient cessé de trembler comme des brindilles. Il leur fallut un certain temps, et la neige se mit à tomber un peu plus fort, recouvrant de flocons minuscules les cheveux de jais de l'inconnu. Tu y avais le droit aussi, et bien que la blancheur de la neige ne contraste pas autant avec tes mèches blondes, elle attrapait facilement les rayons de soleil filtrant à travers les nuages. Au bout de quelques minutes, vous scintilliez tels des décorations de Noël, apportant à la scène une douce féerie qui n'avait pas lieu d'être.
Tu finis par retrouver ton équilibre, ainsi qu'un semblant d'assurance. Avec précaution, tu lâchas celui qui te servais de pilier et te redressas lentement, sans brusquerie. Rien ne semblant risquer de te perturber à nouveau, tu laissa échapper un souffle soulagé qui se transforma en nuage de vapeur. Tu frissonnas. Rester immobile pendant si longtemps n'était sans doute pas une bonne idée par un froid pareil. Tu étais gelé, tu avais mal partout, et tu avais assez vu le monde pour la journée – voire pour la semaine. Tout ce que tu souhaitais à présent, c'était rentrer chez toi et te blottir sous tes couettes avec Cléopâtre dans les bras.
Pourtant, quelque chose te retenait encore de t'en aller, ou plutôt, quelqu'un. Ton regard glissa vers le chiot perdu au regard de martyr, qui était toujours assis sur le sol gelé. Tu ne l'aimais pas. Son attitude tantôt pleurnicharde, tantôt passive t'agaçait au plus haut point, et il avait gâché ta journée. Mais c'était grâce à lui si tu tenais debout à cet instant. Cela ne coûtait rien de lui rendre la pareille, n'est-ce pas ?
Avec réticence, tu lui tendis en silence une main gantée. Rien ne l'obligeait à la prendre. S'il préférait se débrouiller, grand bien lui fasse ; tu n'en serais pas contrarié pour autant. Mais tu n'étais pas assez égoïste et sans cœur pour t'en aller sans un regard.
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