Les lumières colorées du pont se reflétaient encore en ses yeux bleutés qui gagnaient toujours plus d’éclat au travers de chaque larme et ses cheveux d’ordinaire incolores en prenaient les tons. Il récupérait encore du souffle qu’il avait perdu en s’écriant de la sorte. Toutes ces couleurs, aussi enluminées soient-elles, n’avaient d’augure que déchirement et répulsion entre les deux morts aux cœurs endoloris. Miles venait de foudroyer Shirley de ses mots. D’une bouffée d’air, il s’était allégé l’esprit de quelques grammes et, sans qu’il puisse continuer à abattre les foudres de la vérité sur la Canadienne tel un oracle, celle-ci perdit la face. D’un changement de ton, de posture et d’expression faciale aussi brusque que terrifiant, Shirley s’était fermée à la discussion qu’elle avait pourtant engagée. Au grand désespoir du zombie, la situation ne se prêtait plus aux confidences.
Les derniers mots qu’elle avait employés et le dédain à la pointe sarcastique qu’elle semblait exercer blessaient et irritaient le garçon au point où ses ongles avaient pénétrés la paume de sa main droite aux tissus déjà mortifiés.
Me laisser tranquille, vraiment ? Une fois de plus, elle avait préféré fuir le feu par peur de se brûler. Une fois de plus, elle l’abandonnait là aux tourments et à la frustration dont elle était la cause : elle partait sans éteindre le feu qu’elle avait allumé. Par cet acte, elle se voulait
forte. Elle semblait vouloir lui montrer qu’elle ne craquerait pas, pas devant lui. Mais en réalité, ce n’est une nouvelle fois que sa lâcheté qu’elle lui prouvait. Dans son état, c’est tout ce dont il pouvait la considérer :
lâche.
«
Lâche, lâche... t’es qu’une lâche ! Et puis tu pars où comme ça ? On va au même endroit... espèce d’idiote... » se retenait-il de lui crier en la regardant s’éloigner vers l’Agence.
Il pensait fort, le p’tit zombie, il pensait lourd. Ses pensées lui pesaient fort sur la conscience. Comme lui avait fait comprendre la blonde, ça fait du bien de tout sortir; et après en avoir fait l’expérience, Miles ne pouvait qu’approuver ses dires. Mais maintenant, qu’advenait-il de tout ce qu’il restait, tout ce qu’elle laissait derrière elle avec lui ? Tous ces non-dits, il ne pourrait les garder plus longtemps. Ça le démangeait, ça le brûlait. Plus que l’horreur qu’elle cachait sous ses bandelettes, il savait ce qui attirait le regard sur Shirley et ne pas pouvoir lui révéler – bien qu’elle soit sûrement déjà au courant – le tiraillait. Alex, Pom, ou plus secrètement Maxence ou Eden ; tant de (sur)noms aux réputations douteuses qui semblaient ternir la sienne. À force d’intérêt, il avait eu vent de certaines de ces relations, et maintenant, il allait encore devoir attendre ses réponses. Tant de questions qu’elle avait fuit par peur d’y répondre éveillaient en lui une colère impotente qu’il n’allait pour autant pas pouvoir s’empêcher d’exprimer.
Dans un effort de bonne conduite, il prit la peine de laisser passer un couple de morts qui se promenaient sur le pont en séchant rapidement ses larmes d’un revers de la manche. Il saisit ensuite son skateboard de sa main meurtrie, tâchant sa planche de quelques gouttes de sang. D’une impulsion aidée par son autre main, il lança nerveusement l’objet de l’autre côté de la chaussée en criant sa rage sans se préoccuper du trafic ; il visait une voiture, à vrai dire. Oups.