Peu diurne, la circonlocution pour le définir serait l'hibou nocturne. Mais même à ce titre, Cassian reste frêle. Physiquement, dira-t-on. Mentalement, il l'est beaucoup plus, en réalité.
Quand bien même ce garçon cherche à lutter contre sa nature et à vêtir une couche indénombrable, dans les tréfonds, il reste le même. Il reste cet affreux zombie qui se dégoûte de plus en plus quitte à ne pas dégoûter les autres. Mais en contrepartie, ses sourcils se froncent sous le poids de tous ses maux. Maux d'esprit. Maux de tête. Il passe sa main contre son front plutôt fiévreux qui rend son corps plus cadavérique que d'ordinaire. Plus maladif encore et tremblant dans son lit.
C'est dans cet état à la fois zombiesque que le jeune homme qui n'est en fait qu'un petit garçon se couche et se borde d'une multitude de couvertures chaudes. Sa forme légère épouse tout de même le matelas de qualité préparé par les soins de son hôtesse il y a deux mois de ça, quand elle l'a invité à se loger ici. Mais jusqu'ici, Cassian lui parle peu.
Il lui parle mais pas de ses soucis à lui ou à Ael. Il ne s'agit que de bruit et de mauvais temps dans leur discussion. Pavoisant sur cette fameuse Shirley ou cet énigmatique Charlie, autour d'une coupe de champagne que lui achète pour pouvoir la remercier, pas assez encore, de ce loyer inestimable. Les remerciements, le budget et la personnalité de Cassian sont pauvres et n'aident pas la propriétaire.
Sans baume au coeur, le jeune homme se recroqueville en spirale dans ces draps trop soyeux pour être de moindre coup. Il les souille de son caleçon minable et de son T-shirt autant évasé que délavé. Il se saisit le crâne et l'enferme pour que la malédiction arrête son air démoniaque. Mais rien n'y fait ; ses sourcils se froncent sous la douleur venue droit des enfers. Des visions squelettiques prennent possession pour qu'il se mette à geindre. Encore, il ne finit pas par hurler puisque la déprime l'empêche probablement. Paradoxalement, c'est dans la plénitude que ces maux aiment le ronger le plus. Il doit être malheureux pour être malheureux.
Chaque nuit le garçon semble vivre une espèce de mort revécue. Pas besoin de souvenirs, les soirs sont fait pour entraver des vacances paisibles, face aux cauchemars. Le noir le concentre sur les visions et ne l'aide pas. Le blanc l'aveugle, le disperse mais le berce par le bien qu'il représente. Il n'y a aucun milieu, enfin de compte. Toujours du mal. Dans le noir réside Cassian. Dans le blanc réside Ael.
Depuis la porte de la chambre qui s'est ouverte, elle est là comme une sorte d'ange gardien. Elle semble toujours détenir ce rôle car elle est forte et protectrice. De toute sa hauteur, son ombre empêche les aléas de la lumière d'atteindre les yeux bridés de l'américain. Il est retourné et scrute tout le noir avant d'entendre ses pas différents de l'habitude le joindre. Est ce qu'elle titube alors que d'origine, elle marche fièrement ?
Ainsi la sauveuse s'évanouit. À ses côtés, elle se fond dans les draps que Cassian lui a volé et ne lui offre pas assez. Elle a retiré quelques pans pour se réconforter mais ce n'est pas assez. Cinq minutes ne sont pas assez.
— Reste autant de temps que tu veux, Ael. Ca ne me dérange pas.
Sa mine n'est pas encore zombiesque mais à défaut d'être encrée, elle est assez sombre lorsqu'elle se retourne sur la jeune femme et ce n'est pas la cause d'un chiaroscuro ou autre jeu de lumière. Ses billes noires étonnées par sa présence d'origine si puissante se plissent subitement pour du réconfort. Il ne sait pas vraiment comment rendre Ael comme elle est d'habitude mais, comme lui, elle peut avoir son temps de répit.
— On en a tous besoin, hein, de repos ? Je suppose que même l'héroïne doit aussi chercher un peu de sommeil.
Ses mèches devant son visage, il écarte ce rideau pour en mettre un autre. Les mèches brunes de l'américaine atterrissent maintenant sur les siennes tandis qu'il essaye de la loger au creux de son torse, docilement. À son tour de prendre le rôle du sauveur bien qu'il ne soit pas si parfait qu'elle. Il n'est qu'un plagieur.
Cassian ne lui offrira jamais assez, comparé à elle, mais il essaye. Il ravale sa salive, hésitant. Sa curiosité peut-elle aider sa colocataire.
— Si tu veux, tu peux me raconter.
Il peut être utile. Il peut écouter comme encaisser. Après tout, son mal de crâne continue mais la douleur d'Ael peut s'échapper dans celle de Cassian. C'est utile. gagner la sortie. Il lui parlerait plus tard, tant pis.
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