Les liens sont comme des fils d'araignées

es choses prennent parfois beaucoup de temps pour se mettre en place et arriver au point que l'on aimerait qu'elles atteignent. Pour ma part, j'en étais à un point où les événements n'allaient que lentement dans mon sens, et cela avait le don de me fatiguer plus qu'autre chose. Il fallait rapidement que chaque pion et chaque tour retournent à sa place sans broncher pour qu'enfin nous puissions mettre en route la création de la toile que nous devions tisser. Je commençais à me dire que cela prendrait plus de temps que prévu mais l'arrivée d'Eresseä avait été une heureuse aubaine. L'avoir à mes côtés me donnait plus de force et de confiance pour venir à bout de ceux qui nous oppressaient et nous regardaient de haut. Quand aux imbéciles, ils allaient bientôt tomber de leur pied d'estal.

Les premières heures de l'après-midi étaient en train de s'écouler, le soleil brillant de mille feux dans le ciel de mai et illuminait mon bureau de ses rayons. Bureau couvert de dossiers en tout genre. Entre les nouvelles créations de mon époux et les derniers établissements que j'avais obtenu, je ne savais plus où donner de la tête. Comme si je n'avais que cela à faire que ranger mon bureau. Leonardo était un sacré enquiquineur juste bon à me masser les pieds. Et réaliser de fabuleuses machines. Rangeant tout de même ce merveilleux foutoir qu'il avait laissé derrière lui, je disposa mes différents dossiers dans un ordre précis : ceux que je devais traiter rapidement à gauche et les autres à droite. Et dans ceux qui ne pouvaient attendre plus de temps pour être aborder, deux pochettes en carton souple et bleu. Deux dossiers concernant la même petite chimère.

La porte s'ouvrit, dévoilant Maria qui entra dans mon bureau avec une tasse de café. Tout en me souriant, elle vint la déposer face à moi avant de retourner de l'autre côté de la paroi.

- Elle arrive.

Un son doux se fit entendre quand elle sortit de mon bureau, l'odeur du café noir emplissant mes narines tandis que je m'installais plus confortablement dans mon siège. La petite Efia était toujours à l'heure et extrêmement méticuleuse. C'était une qualité que j'aimais beaucoup chez elle. En plus de sa douceur contrastant à ses capacités de chimère. Une fille simple et un peu réservée qui avait le don de se fondre assez bien dans la foule malgré sa grande taille. Une petite chimère qui me suivait depuis longtemps et qui avait beaucoup souffert de son vivant, comme bon nombre de mes filles. Seulement, ce que comportait ce dossier bleu allait certainement entacher la bonne humeur qu'elle avait retrouvé. Ou la mienne.

De faibles coups se firent entendre sur la paroi de bois séparant mon bureau du couloir. Cela devait être elle. 14H15. Parfaitement à l'heure. Un sourire naquit sur mes lèvres, ma voix s'élevant pour l'inviter à entrer.

- Entres donc Efia.

roite et pure comme une poupée. Dangereuse et mortelle telle le prédateur qu'elle était. Efia resta postée droite comme un i, non loin du bureau, m'observant d'un air neutre. Mais son regard était emplie de respect et de douceur. Une adorable petite, travailleuse et à l'écoute. Une parfaite petite araignée.

- Assieds toi donc. Je dois te parler de plusieurs choses.

Lui montrant le fauteuil face à mon bureau en souriant, attrapant de ma main gauche le premier dossier la concernant. À l'intérieur de la pochette se trouvait plusieurs photos d'un bâtiment en brique rouge que j'avais acquis quelques semaines plutôt dans le quartier des bars branchés. L'objectif était de créer un petit café/bar seulement ouvert aux chimères étant encore mal à l'aise dans ce nouveau monde et également les femmes craintives. Pour, en apparence, leur permettre de mieux s'intégrer dans le monde des morts. Je dis bien en apparence. Jamais je n'aurais l'idée de laisser ces filles pleines de ressentiment retourner s'accoquiner avec des êtres perfides et stupides.

- Je voudrais que tu travailles dans ce petit bar. Il se situe non loin de l'agence mais reste dans une petite rue peu fréquentée. Je sais que tu travailles déjà pour Cordélia mais ton expérience sera utile. Tu pourras choisir le poste qui te convient le mieux.

Lentement, j'exposai les photos unes à une sur le bois sombre de mon bureau, laissant la jeune fille les regarder avec minutie tandis que je continuais mon discours tout en reprenant mon café.

- Rassures toi, ajoutai-je, aucun homme ne sera accepté dans ce lieu. Ce café sera exclusivement réservée aux chimères afin de mieux les intégrer à ce nouveau monde. Mais également pour repérer celles qui rejoindront nos rangs.

Un nouveau sourire se dessina sur mes traits alors que je l'observais avec bienveillance. Je savais qu'Efia avait les hommes en horreur, comme beaucoup de chimères du nid. Mais elle faisait partie de celles qui ne pouvaient pas les voir ou les entendre. La petite africaine m'avait cependant parlé de ces hommes appartenant à sa famille qu'elle pensait pouvoir voir et chérir. Seulement, j'avais un sérieux doute sur une telle chose puisse réellement arriver.

- Si tu ne tiens pas à y travailler, je comprendrais parfaitement. Je ne tiens pas à ce que ton travail actuel ne coïncide pas avec celui-ci. Et si par hasard tu changes d'avis, il y aura toujours de la place pour toi dans ce café.

Je sentais qu'elle n'allait pas refuser ma proposition. Efia refusait rarement une mission ou travail que je lui donnais. Cependant, l'autre pochette me faisait douter sur une acceptation rapide de sa part.

e n'ai jamais su dire si la recherche des siens me touchait ou m'ennuyait. La famille était pour moi une chose bien suggestive, mon ancienne vie et condition n'ayant pas été propice à créer des liens forts avec ceux qui m'avaient conçu et celles qui étaient mes sœurs. Même à l'heure actuelle, j'avais bien du mal à penser à eux ou même me faire un quelconque souci à leur égard. Il fallait dire que ma pauvre mère était dans sa petite maison en Espagne, quelque part dans un quartier contrôlé par mes filles. Quant à mes sœurs, elles se sont éloignées de moi quand nous nous sommes rencontrées dans le monde des morts. Aucune n'a cherché à me détourner de mes objectifs et cela était bien mieux pour elle. Ce n'était pas le cas de mon soit-disant père et de mon ancien époux. Je ne me demandais même plus ce qu'on avait pu faire de la poussière qu'ils avaient laissé après que l'on les ait enterré dans le cimetière.

Il fallait tout de même dire que son acharnement et sa patience étaient admirables. Cela devait faire plus de deux siècles qu'elle était à leur recherche. Mais je devais avouer que je ne comprenais pas comment elle s'y prenait. À moins qu'une force invisible planait au-dessus de sa famille pour qu'ils ne se retrouvent jamais. Quelle triste histoire.

Je la regarda fixer l'autre dossier, ses yeux rubis s'emplissant de curiosité. Elle était pressée de savoir ce qui pouvait bien l'attendre, comme toujours. Efia aimait se confronter à des missions difficiles et pleines d'action. Comme celle que je voulais lui confier. Mais cela n'allait sûrement pas lui plaire.

- Ne sois pas aussi pressée, déclarai-je en riant. Tu vas bientôt savoir. Je suis bien contente en tout cas que tu acceptes. Je suis certaine que tu gagneras en expérience en dirigeant ces petites. Tu es là depuis longtemps après tout.

Affichant un sourire, je m’emparai du second dossier et l'ouvrit. Plusieurs photos d'hommes y figuraient, prises dans les environs des usines et des quartiers mal famés de la ville. Des hommes qui avaient causé plusieurs fois des problèmes à mes filles, que ce soit volontairement ou non. Avoir de tels faiseurs de trouble dans les parages ne me plaisaient pas du tout et je ne pouvais pas me permettre de faire disparaître tous ses pleutres d'un coup. Les mangemorts se poseraient bien trop de question. Seulement...

Mes traits reprirent une expression sérieuse et sévère alors que j'exposai sous les yeux de la petite chimère les clichés des six hommes en question. Deux asiatiques à l'air fourbe. Un européen trop vieux. Un rouquin farceur. Et deux noirs. Un petit. Et un grand...

- Je voudrais que tu t'occupes de ces hommes pour moi. Il faudrait que les ramène ici afin que nous puissions les calmer. Ils causent beaucoup de dégâts dans les environs et comme les forces de police ne sont bonnes à rien, autant s'en charger nous même.

Je tapota ensuite du doigt les trois dernières fautes, celles des deux africains et du rouquin qui me laissait grandement perplexe.

- Mais pour ces trois-là, accompagnes toi d'autres chimères. Ils sont assez sauvages et imprévisibles. À plusieurs, vous aurez plus de chance de vous en charger. Je ne doute pas de tes capacités mais je préfère m'assurer que vous mènerez à bien votre mission.

Je reporta mon regard clair sur ma petite araignée, attendant de voir le changement de réaction transformer ses traits. Car je savais par avance que cette mission ne lui plairait qu'à moitié. Surtout que l'homme sur la photo portait des ressemblances avec Efia. Cette histoire ne me plaisait qu'à moitié. La famille finissait toujours par nous mettre des bâtons dans les roues.

fia n'avait jamais été contraignante ou révoltée. Pas comme Ekatarina pouvait parfois me sortir par les oreilles. Mais elle était également trop docile et facile. Ce n'était pas une chose qui me dérangeait particulièrement, son caractère simple me donnait la possibilité de lui donner n'importe quel travail. Seulement, mon but n'était pas d'avoir des femmes dociles bonnes à juste répondre à mes demandes mais des femmes en pleine possession de leur moyen, sûres de leurs capacités et confiantes. Et la petite Efia n'était pas encore à ce stade. J'espère que son nouveau poste au bar/café lui donnerait plus d'aplomb et la libérerait d'une partie de son passé. Comme j'espère que ce roublard aux cheveux bleus ne fasse pas tout tomber à l'eau.

Moi qui m'était attendu à un refus, je fus bien étonnée de voir un sourire se dessiner sur son visage. La petite chimère semblait avoir une idée en tête et allait prendre l'initiative quand à sa future rencontre avec cet homme. Cela me fit sourire bien que j'appréhendais les événements à venir.

- Tu m'en vois ravie ma chère Efia, lui dis-je dans un sourire. Si tu as besoin d'aide, demandes donc à Ekatarina ou aux petites nouvelles qui sont arrivées d'Australie. Ça leur donnera une expérience du terrain. Je te laisse ces photos et ce dossier. Tu trouveras toutes les informations sur tes proies.

Reprenant les photos, je les plaça dans la pochette que je lui tendis dans un sourire bienveillant. Je savais que la petite africaine remplirait sa mission avec brio mais j'osai croire que tout se passer bien pour elle lors de sa rencontre avec le grand black. Ça risquait d'être bien plus compliqué que prévu, me disait une petite voix.

- Il y a également une chose que je souhaitais te dire.

Un air sérieux s'afficha à nouveau sur mon visage, sans pour autant être trop sévère ou réprobateur. Mon but n'était pas de la sermonner, bien au contraire. Mais de la mener sur une route qui devait la diriger vers une totale libération.

- J'ai décidé de te donner ces missions car je crois en tes capacités. Mais je crois surtout que tu peux faire bien plus que ce que tu ne fais déjà. Le poste au café te permettra de prendre plus confiance en toi et de prendre des responsabilités. Ainsi que la capture de ces hommes. Je veux que tu comprennes que tu peux en faire bien plus. J'en suis persuadée.

Je lui lança un sourire plus doux, voulant la rassurer alors que je lui tendais toujours la pochette d'un air avenant.

- Si tu as des questions, je suis prête à y répondre. Sinon, tu peux y aller.

oujours aussi polie et discrète. Un peu réservée et douce. Efia était vraiment une fille adorable, que j'appréciais beaucoup et qui ne manquait pas de répondant quand il s'agissait de s'occuper des hommes se mettant en travers de notre route. Mais cette nouvelle mission, ou plutôt ce nouveau point noir dans mes plans, me laissait quelque peu perplexe. La famille a la mauvaise tendance à nous faire changer d'avis sur bien des choses et il fallait dire que la sienne risquait fort de me mettre des bâtons dans les roues. Ce n'était pas vraiment cet homme qui m'inquiétait, je pouvais le faire disparaître lorsque je le désirerai. C'était plutôt les autres...

Me redressant légèrement dans mon siège, je ne cessai de lui lancer ce regard sérieux qui se voulait convaincant. J'espérais qu'Efia finirait par prendre les choses en main et arrête de se voir comme une simple exécutante bonne à recevoir des ordres. Mais qu'elle reste comme elle était n'était pas non plus un véritable problème. Dans les deux cas, mes projets étaient déjà pleinement établis.

- Je ne te demande pas de te mettre à diriger quoi que se soit. Je sais parfaitement que tu n'es pas ainsi mais ce n'est pas non plus dans ta nature. Tu es une chimère et qui plus est une araignée. Ne te laisse marcher sur les pieds par personne.

Mon voix était sèche, peut-être un peu trop mais cette petite devait comprendre où elle devait se placer et ce qu'elle devait penser. Rares sont les personnes qui changent avec le temps mais elles sont nombreuses à ouvrir les yeux. Et ce parfois bien trop tard.

Mes traits se radoucirent alors, mes lèvres arborant un sourire satisfait tandis que j'agitai la main mollement, lui indiquant qu'elle pouvait y aller.

- Mais cela ne veut pas dire que tu dois te retourner contre moi. Je sais que cela n'arrivera pas mais n'oublie pas ce que nous sommes. Maintenant vas, je sais que tu mèneras parfaitement à bien ta mission.

Ne m'occupant déjà plus d'elle, je repris ma tasse de café pour la porter à mes lèvres et m'attelais aux autres dossiers qui m'attendaient. La fabrique de productions des machines de Leonardo avait encore des problèmes et nos rapports avec le groupe de chimères de Chine commençaient à se dégrader. La journée promettait d'être longue.