Perdu. C'est ce que j'étais aujourd'hui. Aujourd'hui, demain ou hier ? Je ne sais plus. Le temps n'a plus vraiment de valeur ici, il n'est là que pour nous donner un semblant de quotidien, ce quotidien que nous connaissions dans le monde des vivants. Il n'est qu'une pâle illusion faite pour nous cadrer, mais en vérité il ne sert à rien. Le jour, la nuit, le soleil, la lune, les étoiles, les heures, les minutes, les secondes... Tout est faux à mon sens. Qu'est-ce que cela peut nous faire, à nous défunts et mort-vivants, qu'il soit le jour ou la nuit ? Qu'il neige, vente, pleuve ou fasse un beau soleil ? Qu'il soit sept heure ou vingt-deux heure ? Enfin... Ces pensées me hantent. Je n'arrête pas d'y réfléchir, de retourner ce fait dans ma tête dans tous les sens possibles et imaginables. Mais j'en reviens toujours à cette même conclusion : ce monde n'est qu'un mensonge. La vie, l'éternité n'est qu'un mensonge depuis que tu n'es plus là... Que vais-je faire sans toi ? Je ne suis plus rien... Rien qu'un résidu de ta présence sur Terre, de ce que tu as accompli...
Je n'ai pas dormi de la "nuit". Désorienté, désœuvré, je ne fais qu'errer depuis qu'on m'a admis dans ce monde. J'ai fait bonne figure avec mon sourire auprès de mes colocataires, personne ne se doute de quoi que ce soit. Je me suis installé dans ma chambre, j'ai fait en sorte de ne pas prendre trop de place, je me suis fait petit, jusque là tout va bien. Ils ont essayé de m'expliquer comment fonctionne le monde des morts, ce qu'on y trouve à part des vampires, en quoi j'ai un statut particulier, etc... Mais c'était comme de parler face à un mur. Je souriais, acquiesçais, mais ça rentrer par une oreille pour ressortir par l'autre. C'est comme si j'étais hermétique, comme si je ne voulais pas y croire. Et c'est un peu ça, d'un côté je sais que c'est réel, qu'il s'agit là d'une "deuxième vie", mais une part de moi se refuse à croire à ma mort... Et à la tienne. Je suis donc un fantôme dans tous les sens du terme, à l'intérieur derrière ma façade souriante et polie, avenante et attentive. Je suis bel et bien mort même si le destin m'offre une seconde chance. Beaucoup doivent voir cette chance comme un cadeau alors que moi je m'en désole...
Peu de "temps" après mon arrivée, un homme est venu se présenter à moi à l'appartement. Il se disait être agent pour mannequin et que mon profil l'intéressait pour un shooting, qu'il connaissait mon parcours "d'en haut". J'ai accepté, que pouvais-je faire d'autre ? Il m'a donc expliqué plus en détail de quoi il s'agissait. Un shooting pour un magazine, un article qui parle de l'androgynie. Apparemment j'aurais le profil qu'il recherchait, il lui fallait un homme qui puisse passer pour une femme avec un peu de maquillage et des vêtements adéquats. Ce n'est pas la première fois que l'on me propose quelque chose du genre alors ça ne me dérange pas. Malgré tout, avec cette nuit blanche je risque de donner du fil à retordre aux maquilleurs... Au petit matin je fais donc un masque discrètement, sans bruit pour ne réveiller personne. Chose faite, j'ai déjà meilleure mine et j'ai l'avantage d'avoir une peau bien douce. Prendre soin de moi me fait un peu de bien...
Un passage à l'épilation et me voilà sur les lieux du shooting. Je suis tout de suite pris en charge par la styliste qui m'habille d'un long pull noir à manches longues qui s'arrête tout juste au dessus de mes genoux et qui dénude mes épaules. Elle préfère que je reste pieds nus, me soufflant que mes jambes étaient bien assez fines pour être féminines. Elle termine quelques ajustements avant qu'un coiffeur ne me prenne en charge. Il démêle mes longs cheveux, très surpris par la facilité avec laquelle la bosse les délie, ajuste quelques mèches puis attrape des ciseaux. Je le stoppe doucement dans un sourire, lui demandant gentiment de ne pas toucher mes cheveux de cette manière et heureusement, il accepte... Puis le manager ne tarde pas à venir me cherche pour m'amener au maquillage en me soufflant que j'allais rencontrer la personne avec qui j'allais poser. Il me présente et je m'assoie à côté, souriant, prêt à faire connaissance. Mais à peine ai-je entrouvert les lèvres qu'un maquilleur me prend d'assaut. Ainsi il unifie mon teint, maquille mes yeux sans vulgarité, épile rapidement mes sourcils puis termine par redessiner légèrement mes lèvres avec du crayon, du rouge à lèvre rose perle puis du gloss transparent. Je ne peux ainsi pas prononcer le moindre mot, lançant des regards désolés à mon voisin de chaise par le biais des miroirs.
May du point de vue de Raven :