Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
En se dirigeant calmement vers chez elle, Shirley avait aperçu Issui s’avancer vers elle d'un pas décidé. Plutôt contente de le croiser, la jeune femme l’avait salué en lui adressant un petit sourire affectueux en faisant mine d’ignorer cette puissante aura de colère qui s’émanait de lui. Ça arrivait. Elle le savait, il était colérique. Ce n’était pas grave, elle l’acceptait comme ça. Tout le monde avait ses défauts...
Celui qu’elle s’obstinait à appeler « ami » se rapprocha et s’empressa de l’empoigner. Malgré sa confusion, elle continuait de sourire. Il n’avait encore jamais agi de la sorte avec elle. Bien évidemment, elle le sentait parfois irrité en sa présence, mais elle comprenait. Il était torturé. Il avait dû avoir une vie difficile, le pauvre. Toutefois, Shirley le trouvait… différent ce jour-là.
—Salut I…
—Shirley, faut qu'on discute, viens avec moi deux minutes, la coupa-t-il sur un ton neutre sans même prendre la peine de la saluer.
Il l’entraîna vers la cage d’escalier, elle le suivit sans broncher en se demandant ce qu’il pouvait bien vouloir lui dire. Shirley avait remarqué son air sérieux. Celle-ci s’inquiétait, mais tout de suite, des pensées s’empressèrent de débouler dans son esprit pour la calmer un peu. Bah, ça ne doit pas être si grave! C’est rien. Bien sûr que c’est rien. Tout va bien. Si ça se trouve, il veut juste me remercier d’être là pour lui. Ah oui! Voilà. C’est ça. Ils étaient désormais seuls. Rares étaient les spectres qui avaient le courage de gravir toutes ces marches, ils préféraient emprunter cet ascenseur de malheur… Un silence un peu embarrassant flottait et rendait l’atmosphère oppressante. Bien sûr, Issui était venu pour la remercier! Mais d’un côté, elle arrivait presque à prédire les reproches acérés et dangereux qui pleuvraient d'une minute à l'autre. Un fort et désagréable sentiment de déjà-vu au creux de son ventre la gênait, mais un sourire étirait tout de même ses lèvres. Un sourire de moins en moins assuré, mais tout de même. L’homme releva doucement un regard lourd de haine et de rancune vers elle. Son cœur se serra. On l’avait rarement regardée de cette façon.
—On va se mettre d'accord tous les deux : tu n'as aucun droit sur moi. Je ne sais pas ce que tu cherches à faire, mais ça s'arrête là.
C’était dit avec un calme forcé, un calme qui semblait contenir beaucoup de colère. Shirley ne comprenait pas. Elle s’apprêtait à demander des précisions, mais Issui enchaîna, de moins en moins impassible.
—T'as jamais entendu parler de l'espace vital des gens ?! Tu crois pouvoir aller jusqu'où comme ça ?! Je vais te dire les choses franchement, ne me sort pas que tu m'envahis pour m'aider, personne ne t'a demandé de l'aide dans cette pièce, c'est clair ?! Ton passif ce n'est pas mon problème, je ne sais pas ce qui t'es arrivé, pourquoi t'es morte ou quel genre de regret tu portes, mais ne viens pas me bouffer la vie pour te donner raison !! Si t'as besoin de quelqu'un pour continuer de te voiler la face, va voir ailleurs ! Ne t'avises plus jamais de t'insinuer dans ma vie !
—Crie pas! s’exclama-t-elle en s’assurant qu’on ne les avait pas entendus.
Elle déglutit avec difficulté en reportant son regard ailleurs. La jeune femme s’efforçait de rester stoïque et de ne pas perdre son sourire qui était presque entièrement disparu. Ouch. Les mots l’avaient griffée sans pitié. Elle ne comprenait pas ce qu’elle avait fait de mal. Tout ce qu’elle avait voulu, c’était de l’aider. Le pauvre petit Issui pouvait aller mieux. Et elle s’était donnée pour mission sans même le concerter de lui donner un coup de main pour qu’il puisse enfin être heureux. Peut-être que ce n’est pas assez… Peut-être que je ne suis pas assez… Elle devait avoir entendu ce discours une ou deux fois seulement dans sa vie et dans sa mort, mais jamais il n’avait été aussi direct et blessant.
—Ça va attirer l’attention pour rien… chuchota-t-elle.
Comme pour trouver le courage de lui répondre et de s’expliquer, Shirley inspira profondément. Ses yeux étaient fuyant, mais elle ne perdait pas le semblant de sourire derrière lequel elle se cachait. Après cette longue hésitation, la brune répondit :
—Je ne vois pas pourquoi on parle de mon passé. Tu insinues que j’ai eu une vie triste peut-être? Que j’ai des regrets? Détrompe-toi. J’étais heureuse. Je le suis encore, d'ailleurs.
Elle repensa à son copain. Son sourire s’estompa finalement.
—Je ne sais pas de quoi tu parles. Je suis envahissante? Comment ça? J’ai juste voulu t’aider, Issui. dit-elle avec sincérité. Je veux juste que tu sois heureux. Qu’est-ce qui te gênes dans mon attitude? Je ferai attention. Promis.
Des promesses en l’air, sans doute. S’il lui répondait franchement, elle le contredirait. Il était simplement torturé par son passé. Il ne savait pas ce qu’il disait, le pauvre…hrp :On voyait mal ta couleur sur le fond du forum... J'ai dû la changer!
Shirley tremblait de rage. Il ne savait pas ce qu’il disait, mais ses paroles térébrantes et impitoyables suffisaient à l’ébranler et à la mettre de mauvais poil. Le regard fuyant, elle essayait de contenir toute cette colère et croisait les bras fermement contre elle-même comme si cela suffirait à la protéger des reproches d’Issui. La Lémure savait qu’elle ne supporterait pas non plus son regard empli de haine plus longtemps, alors elle contemplait le sol. Il avait touché une corde sensible, elle avait du mal à préserver son indifférence. Elle s’était dévouée pour lui en espérant qu’il aille un peu mieux et trouve la vie un peu plus agréable. Enfin, la mort plutôt… Shirley avait fait tant d’efforts pour lui faire plaisir, mais ça ne suffisait pas. Même si ce n’était pas réciproque, Shirley s’était beaucoup attachée au nécromancien, attendrie par la cicatrice qui le défigurait et son mauvais caractère. S’il avait été heureux, elle se serait sentie un peu mieux dans ce monde où elle ne croyait pas avoir sa place.
—J’ai arrêté de sourire parce que tu me cries dessus, Issui. Je ne sais pas pourquoi moi je suis ici, mais il y a dû avoir une erreur. C’est tout. Arrête de me parler de ça, tu veux bien?
C’était un mensonge, mais que pouvait-elle lui répondre d’autre? Qu’elle avait passé les dernières années de sa vie entre les griffes d’un despote narcissique qu’elle devait constamment caresser dans le sens du poil? Que la négligence et les critiques constantes de ses parents avaient profondément marquée ses plus jeunes frères et sœurs et elle? Qu’elle avait toujours été une minable petite victime, faute d’avoir la confiance en elle pour s’affirmer? Non, parce qu’elle l’avait très bien vécu! Elle allait bien aujourd’hui. Très bien, même. Tout ça n’avait laissé aucune séquelle, Shirley était en parfaite santé.
Elle poussa un soupir. Shirley n’en pouvait plus de tous ces cris et de toute cette hargne cruellement déversée sur elle. Il n’y avait rien de pire que les querelles, si bien qu’elle préférait les éviter à tout prix en temps normal. C’était plus agréable ainsi, même si certaines tensions subsistaient par la suite. C’était mieux comme ça, elle détestait plus que tout les altercations… Tant pis si ce mutisme et ces non-dits qu’elle préférait avaient empoisonnés un bon nombre de ses relations auparavant.
—Et arrête de crier… demanda-t-elle presque sur le ton de l’injonction. Je sais que tu es énervé, mais ça sert à rien de hausser le ton.
Il ne manquerait plus que quelqu’un se pointe, intrigué par leurs différends. La spectre était irritable et elle avait l’impression de pouvoir exploser d’une seconde à l’autre. La venue incongrue d’un curieux ou le mot de trop suffirait à relâcher cette colère qu’elle s’efforçait à retenir.
Shirley eut besoin de quelques instants pour se ressaisir et se détendre un peu, car elle avait peur de s’emporter en lui répondant. Elle devait rester calme…
—Je ne pensais pas que tu me trouvais insupportable à ce point. Je suis persuadée de pouvoir aider les autres malgré ce que tu dis. Je l’ai déjà fait dans le passé. Je ne sais pas quoi te dire d’autre.
C’était dit d’une froideur de surface, d’un détachement qu’elle aurait voulu réel. Sa carapace s’effriterait à la moindre remarque…
—C'est pathétique, répondit simplement Issui.
Shirley serrait les dents. Pathétique? Comment ça? Blessée, elle se garda de répondre, ne pensant pas être capable de maîtriser sa voix et ses émotions si elle osait s’exprimer cette fois-ci. Elle crierait ou fondrait en larmes. Ou peut-être les deux. La remarque était cinglante, mais le mur du fond, complètement blanc et ennuyeux, qu’elle contemplait depuis le début de cette conversation enflammée l’aidait à tenir le coup. Il fallait éviter à tout prix ce regard dur et haineux qu’Issui lui jetait… Pouvait-on réellement avoir autant de dégoût vis-à-vis une personne? La jeune femme persistait à croire qu’il ne s’agissait que de son passé torturé qui faisait de lui une personne aussi… dédaigneuse en cet instant précis. Non, parce que ça ne pouvait pas être de la faute de Shirley! Elle n’avait rien fait de mal… Elle avait juste voulu l’aider. Elle était quelqu’un de bien. Pas vrai..? pensait-elle alors qu’elle sentait doucement ses convictions pourtant profondément ancrées vaciller légèrement face aux discours hargneux d’Issui.
—Il n'y a pas d'erreur, c'est toi qui refuse de voir les choses en face. C'en est la preuve même, mais si tu ne veux pas la voir, la regarder droit dans les yeux, ce n'est plus mon problème à présent !
Elle s’apprêtait à répondre et tenter de le convaincre qu’elle n’avait jamais voulu être son problème à lui. Au contraire! Mais il ne lui laissa pas le temps, il enchaîna, toujours avec autant de véhémence.
—T'aurai mieux fait de t'aider toi-même. A quoi ça sert de te laisser de côté pour ne voir que les autres ? Tu comptes aller où en continuant comme ça ? Tu crois que tes regrets finiront par disparaître si tu te détruits ? Et quand tout cela sera terminé, quand tu ne pourras plus rien faire, tu comptes aider qui ? Si t'aimes autant te mêler des affaires des autres, alors fais en sorte de pouvoir t'y tenir jusqu'à la fin, mais là... ça ne durera pas, Shirley. Quand tu seras au fond de ton trou, bien enterrée, ne t'attends pas à ce que tous ces gens viennent te tendre la main à leur tour. T'es naïve à ce point ? C'est pathétique !
Pathétique? Le mot était revenu une seconde fois, toujours aussi tranchant et douloureux que la première. Shirley ne trompait plus personne. Elle était visiblement énervée. Les bras croisés fermement et le regard dur, elle tapait légèrement du pied, agacée. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’elle restait sans rien faire face à une pluie de reproches, elle aurait dû avoir eu l’habitude. Du moins, dans son ancienne vie. Maintenant, elle était tranquille ici. Mais Issui, il avait touché des points sensibles. Il l’avait secouée, il avait perturbé ce petit monde qu’elle s’était construite à force de se voiler la face dès que quelque chose ne lui plaisait pas. Elle avait perdu ses points de repères et ne retrouvait plus l’équilibre qu’elle s’était fabriquée elle-même. La jeune femme se serait braquée et aurait mis un terme à la discussion avant même que tout cela se produise, mais elle n’avait pas pu le faire : Issui était entêté à la faire redescendre sur Terre et elle n’arrivait pas à le contredire.
Des doigts se posèrent sur le menton de la jeune femme pour le relever, geste qu’elle n’apprécia guère. La brune regarda son interlocuteur quelques instants à peine. Les yeux posés sur elle étaient impitoyables, enfiellés, noirs de haine…
—Regarde-moi quand je te parle ! Arrête de fuir putain ! Si tu veux dire quelque chose, si tu veux t'énerver, si tu veux crier, si tu veux pleurer alors fais le bordel, mais ne détourne pas les yeux ! Si t'as envie d'imposer ta façon de vivre, ta façon de penser, alors regarde-moi en face et dis-le moi fièrement, alors j'arrêterai peut-être de crier, alors je pourrai peut-être te prendre au sérieux ! Qui sait, je pourrai peut-être même arrêter de te juger, mais oublie le fait que je puisse cautionner tout ça, mais au moins... Au moins je pourrai peut-être avoir un peu de respect pour toi !
—Je fuis pas! Arrête! répondit-elle un peu plus fort, n’arrivant plus à contenir sa colère. Ç-ça suffit...
Elle recula, son dos heurta la rampe comme pour lui empêcher toute fuite.
—J’ai rien à te dire, Issui! Je sais pas quoi te dire d’autre, je vais parfaitement bien! Tu répètes que c’est moi qui a un problème, mais moi je suis persuadée que c’est TOI qui en a un! À être froid comme ça avec tout le monde! À être aussi impulsif et colérique! Un jour, tu vas te retrouver seul. Plus personne voudra être avec toi! C’est ce que tu veux, hein? Ou c’est juste avec moi que t’es comme ça? Oui, c’est ça, je m’en doute. Tu me détestes, tu me hais donc tu fais tout pour me repousser… Y compris être aussi.. désagréable…
La colère s’estompait doucement pour laisser place à la culpabilité. Elle avait trop parlé. Shirley glissa son visage dans ses mains. Maintenant, il fallait assumer ces mots qu’elle avait enfin pu énoncer grâce à la colère.
—Tu me détestes pour de vrai, maintenant. Tu ne veux plus me voir. C’est ça? déduisit-elle sans même avoir le courage de le regarder. C’est de ma faute, pas de la tienne, oublie ce que j’ai dit.
Elle n’y croyait pas vraiment. Ça ne pouvait pas être que de sa faute à elle. C’était le genre de paroles qu’on lâchait en cas de désespoir en espérant que son interlocuteur accepte de ne pas s’éloigner. Parce que Shirley tenait beaucoup à Issui, même si ce n’était pas réciproque.
—Tu ne veux plus qu'on se voit. Je sais que c'est ça. Je suis désolée.
Shirley gardait le visage enfoui dans ses mains, incapable de relever le regard. La jeune femme avait été cruelle. Insensible. L’homme en face d’elle était impulsif et imprévisible, elle le savait. Elle craignait sa réaction… Il va s’énerver un peu plus. C’est certain. Il va s’énerver et me hurler dessus deux fois plus fort. Je vais le perdre pour de bon.
—Qui a dis que je n'avais pas de problème au juste ? Je ne nie pas en avoir, mais ça ne te donne aucun droit sur moi. Je n'ai pas peur d'être seul contrairement à certains.
Sa voix était toujours aussi haineuse, mais bizarrement, il ne criait pas. Il ne criait plus. Issui n’était pas aussi agressif que ce à quoi elle se serait attendue. Ça la rassurait, même si elle était persuadée qu’il ne voudrait plus jamais la revoir après ce qu’elle avait fait et dit.
Contrairement à certains? Il insinue que j’ai peur d’être seule, peut-être? Shirley ne s’était jamais penchée sur la question. Depuis son arrivée dans l’au-delà, la brune menait un style de vie plutôt solitaire. Elle ne sortait pas beaucoup, elle ne s’était pas fait beaucoup d’amis et évitait à tout prix les foules qui la mettaient inévitablement mal à l’aise. Pourtant, de son vivant, elle avait été une femme beaucoup moins timide, voire presque extravertie. La compagnie lui faisait plaisir et lui était très rassurante, même. À un point où, bien trop souvent, elle s’était jetée dans les bras d’hommes impitoyables et manipulateurs en se disant qu’ils étaient simplement brisés et blessés par la vie. Et qu’elle les soignerait. Oui, parce que son amour était inconditionnel, infini et surtout réparateur, évidemment! Peut-être même qu’ils finiraient par avoir besoin d’elle, mais le plus souvent le contraire arrivait et ces hommes lui devenaient indispensables. Et comme la vie n’est pas un roman à l’eau de rose, ça finissait toujours de la même façon : elle devenait une pauvre victime de plus à être tombée entre leurs griffes et n’avait jamais pu les réparer. Mais maintenant, c’était différent. Désormais, elle fuyait la plupart des spectres comme la peste. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid de rester seule. J’ai changé! Je ne m’encombre plus de n’importe qui… Je veux juste aider Issui, c’est différent. Je cherche rien de plus. Je le vois presque comme un petit frère, c’est tout. Un petit frère qui a quelques siècles de plus que moi, oui…
Shirley osa relever le regard doucement vers son interlocuteur furieux. Elle le vit glisser une fois de plus sa main dans ses cheveux, puis soupirer. Il était exaspéré. Elle l’exaspérait sans doute. La spectre attendait patiemment la suite, s’attendant à de nouveaux reproches acérés. La jeune femme restait silencieuse, préférant le laisser parler. Cette dernière avait dit suffisamment de bêtises, il valait mieux qu’elle se taise.
—C'est de ta faute, pas la mienne ? Putain mais explique-moi comment tu fais pour être aussi stupide bordel ! Suffit de te regarder vraiment deux secondes pour voir que tu penses ça qu'à moitié. Quoi ? Tu veux à ce point que je te dise que demain on pourra encore se voir ? Pourquoi t'es tellement attachée à moi au juste ? C'est pas comme si tu savais quoique ce soit sur moi. Tu te complais dans ton idée absurde que j'ai absolument besoin de ton aide pour t'accrocher !
—J-je suis pas stupide, gémit faiblement Shirley avant de regretter immédiatement ses protestations.
—Si tu veux tant que ça que je te regarde encore demain, alors arrête de fuir. Quand j'aurai du respect pour toi, j'aurai peut-être envie de t'avoir à mes côtés, rétorqua-t-il froidement.
Un hochement de la tête misérable de la part de la jeune femme en guise de réponse. Qu’est-ce qu’elle était pathétique, avec cet air affecté au visage, ses mains qui tremblaient et son regard qui ne savait plus où se poser!
—Alors, tu comptes faire quoi maintenant ? Après avoir bafoué ce que tu penses vraiment pour avoir une chance que je reste avec toi, que je te parle encore demain, tu vas faire quoi hein ? J'te préviens, c'est pas tes excuses qui vont changer quoique ce soit. Je n'ai jamais dis que je ne voulais plus du tout te voir... mais je ne veux plus te voir te mêler de mes affaires.
Ses dernières paroles étaient dites calmement, presque sans cette méchanceté avec laquelle il lui parlait depuis le début. Cela avait suffit à lui redonner l'espoir qu'ils puissent se revoir après cette discussion, mais il avait un bon point. Que ferait-elle pour se faire pardonner? Elle tenait sincèrement à Issui. Shirley voulait qu’il la pardonne et qu’ils s’entendent bien. Issui lui demandait déjà beaucoup. Il désirait qu’elle s’affirme et trouve le courage de dire ce qu’elle pense réellement? Mais aussi qu’elle cesse de fouiner dans sa vie et de lui dire toujours ce qu’il devrait faire… Que pouvait-elle bien faire de plus pour qu’il veuille bien la revoir?
—Je ferai attention… soupira-t-elle. À tout ce que tu m’as reproché. Tu as raison, c’est vrai que je ne m’assume pas beaucoup et que… je me mêle de choses qui ne me regardent pas, fit-elle d’un ton crédible.
À nouveau, des paroles en lesquelles elle ne croyait qu’à moitié, mais dites avec un peu plus de convictions. Shirley n’était pas encore tout à fait convaincue qu’Issui avait raison, mais bon, si ça lui faisait plaisir de croire que c’était elle qui était dans le tort… Pourquoi pas. Shirley gardait toujours cet air docile et restait toujours un peu sur la défensive, mais poursuivit en hésitant légèrement :
—C’est vrai que je ne te connais pas beaucoup. La preuve, je ne sais même pas quoi faire pour que tu me pardonnes. Je n’ai pas été très gentille, je t’ai dit des choses blessantes… Mais tu es attachant, c’est pour ça que je me suis entêtée à rester avec toi. Je l’ai pensé dès qu’on s’est rencontrés pour la première fois, tu sais. Même si tu étais froid. Je me doute bien que tu ne penses pas du tout la même chose de moi, j’ai une personnalité… assez plate et ennuyeuse, disons. Enfin, surtout désagréable selon les critiques que tu m’as faites, mais qu’est-ce que ça te coûte de me laisser une chance? Si je change, on pourrait bien s’entendre, j’en suis sûre!
Même si tu es un peu taciturne, quand même… Mais je sais supporter les mauvais caractères! Ça ne veut pas dire que tu es une mauvaise personne. La lémure inspira profondément pour se donner la force de paraître un peu moins incertaine d’elle-même. Celle-ci posa une main hésitante mais chaleureuse et bienveillante sur son épaule. Un petit sourire, quoiqu’un peu réservé, naquit sur ses lèvres.
—Est-ce que tu attends quelque chose de moi en particulier? Si je change, je le ferai pour moi-même, fit-elle en espérant avoir compris ce qu’il voulait entendre. J’imagine que ça ne compte pas dans les choses que je pourrais faire pour que tu me pardonnes.
Elle souriait doucement, mais n’oubliait certainement pas le ton sur lequel Issui lui avait parlé…
Shirley s’attendait à être repoussée. Cette réaction aurait été normale. Issui était si froid, si glacial avec elle. Le contraire l’aurait étonnée. Pourtant, elle gardait sa main posée gentiment sur son épaule et continuait de lui adresser son sourire chaleureux de bienfaitrice — maladroite — presque maternel en espérant l’impossible. Elle attendait un signe qui lui indiquerait qu’il ne la détestait pas totalement en espérant avoir réussi à le convaincre avec ses belles promesses. Puis, le nécromancien releva finalement le regard vers elle. Cette fois-ci, il paraissait plus détendu. Shirley espérait que cette colère s’était dissipée, elle ne pouvait s’empêcher de craindre qu’il se remette à crier.
—Tu as le droit de me dire des choses méchantes, Shirley. Peu importe que tu vois les gens blessés, ne leur donnent jamais le droit de te parler comme ils le souhaitent, ne leur pardonne jamais. Je sais que c'est sûrement une idée insurmontable pour toi, mais penses-y. Comme tout le monde, tu as le droit au respect, être blessé ne donne aucun droit sur cela.
Cette réponse la surprit. Elle avait réussi à la secouer un peu. Avoir le droit au respect…? Ne laisser personne me parler comme il le souhaite…? Ces phrases trottaient dans son esprit presque comme une révélation. Shirley était troublée, si bien qu’elle avait perdu le sourire qui étirait ses lèvres un peu plus tôt. C’était la première fois qu’on lui livrait un discours pareil. Et il avait de l’impact sur elle. Beaucoup. Si bien qu’elle restait silencieuse, incapable de trouver quoique ce soit à répliquer. Issui a peut-être raison. Elle attendait la suite avec une pointe d’anxiété. Mais s’il a raison… Ça voudrait dire qu’il faudrait que je ne le pardonne pas? Si Shirley était presque convaincue de devoir faire un effort pour suivre les conseils de son ami et vivre selon cette philosophie, elle savait bien qu’elle n’était pas suffisamment rancunière pour ne pas lui accorder le pardon — ni à qui que ce soit d’autre qui lui aurait mal parlé d’ailleurs. Troublée, la jeune lémure fuit à nouveau le regard de son ami comme pour éviter de lui révéler sa soudaine fragilité.
—Je n'attends rien en particulier de toi, Shirley, juste que tu ne t'immisces plus ainsi dans ma vie privée et tant que tu essayes de le faire, tu n'as pas besoin de t'excuser. On fait tous des erreurs, expliqua Issui d’une voix inhabituellement douce et agréable. J'ai aussi pensé, la première fois que l'on s'est vu, que tu avais quelque chose d'attachant, Shirley. Peut-être parce que quelque part nous avons en commun, nous nous ressemblons un peu qui sait, mais je ne suis pas comme toi. Sûrement que je devrais l'être un peu plus, être capable de voir que l'on peut s'attacher aux autres, mais je ne peux pas encore faire ça, je le sais. Alors pardonne-moi parce que je serai encore froid avec toi, probablement distant aussi. Mais Shirley... je veux bien que tu restes quelque part dans mon champ de vision. Parce qu'un jour si je suis capable de m'attacher réellement, j'aimerai bien essayer d'être quelqu'un sur qui tu puisses compter.
Un soupir s’échappa des lèvres d’Issui, accordant une petite pause à son interlocutrice. Shirley, pour sa part, s’était mise à trembler, incapable de deviner les réactions à adopter face à de telles paroles. Elle était à la fois émue, à la fois troublée. Sa main s’était retirée de l’épaule du vieux fantôme et était retombé mollement le long de son corps. Le ton qu’il avait employé était si différent de l’habituel. Il avait été teinté d’une douceur qu’elle ne lui connaissait pas et ne l’avait pas laissé indifférente. Il n’est plus aussi froid… Même si son expression reste fermée et distante. Les paroles, elles aussi, avaient touché la jeune femme. Il me pardonne si facilement. Vu la façon dont Issui lui avait parlé plus tôt, elle avait été persuadée qu’il ne l’aurait plus jamais laissée l’approcher et qu’elle aurait dû faire une croix sur lui. Pourtant, non. Elle n’avait pas besoin de s’excuser, on faisait tous des erreurs, avait-il simplement déclaré. Shirley l’avait toujours cru très rancunier, que le moindre écart de conduite de sa part aurait suffi à être exclue de sa vie. Il me veut encore dans son champ de vision… Et.. Il veut que je puisse compter sur lui? Son regard devint un peu plus inquiet. Elle, compter sur quelqu’un? Le pouvait-elle réellement? Depuis toujours, on comptait sur elle et pas l’inverse. Et ça lui avait toujours convenu.
—Même si tu m'énerves un peu, j'ai quand même envie de t'aider je dois dire. Cependant qu'on soit d'accord, ne me colle pas trop. Tu peux venir me voir de temps en temps si l'envie t'en prend ou bien si tu as besoin de quelque chose, mais n'abuse pas.
La brune se contenta de hocher la tête pour démontrer son accord, même si elle était un peu perplexe qu’Issui veule l’aider. Ça ne lui ressemblait pas de désirer une telle chose… Je dois le connaître très mal.
—Tu es très gentil. Merci, rétorqua-t-elle d’une voix un peu fragilisée par l’émotion.
La jeune femme eut besoin d’un moment pour chercher ses mots. Elle ne savait pas s’il fallait le remercier, lui sourire ou simplement lui dire que plus jamais elle ne s’immiscerait dans sa vie pour tenter le commander.
—Tu as raison aussi, Issui, lâcha Shirley dans un soupir. Je n’ai rien de méchant à te dire, je ne pense que du bien de toi, tu sais. Bien sûr que tu as des défauts, j’en ai moi aussi, mais tu es une personne fabuleuse quand même, expliqua-t-elle avec une sincérité indéniable.
Elle soupira à nouveau, cette fois-ci un peu plus détendue. La querelle était finalement terminée. Issui était calme, il ne l’avait pas entièrement rejetée, tout allait bien. Je vais le garder dans ma vie. C'est génial! Tellement touchée par le discours qu’il avait tenu à son égard, elle avait envie de l’enlacer mais s’en abstint par peur d’en faire trop. Shirley se contentait de lui sourire pour une énième fois.
—S’il y a quoi que ce soit d’autre qui t’énerve chez moi, tu dois me le dire. Et... commença-t-elle avec une pointe d’hésitation dans la voix. Merci de me proposer de compter sur toi si un jour tu arrives à t’attacher.
Même si elle n’était pas certaine d’en être capable si ce jour arrivait, faute d’être capable d’accorder si facilement sa confiance, elle appréciait de tout son cœur cette proposition. Les gens sur qui elle avait pu compté réellement et à qui elle n'avait pas peur de se confier dans sa vie se comptaient sur les doigts d'une seule main. Et Issui, un homme pourtant si froid et distant, lui avait dit qu'il voudrait être là pour elle...
—Et aussi de m’avoir ouvert les yeux…
La lémure était honnête. Le nécromancien avait eu un réel impact sur sa façon de voir les choses, si bien que Shirley se promit de ne plus baisser lamentablement les yeux lorsqu'on lui parlait rudement. Du moins, elle essaierait.
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