La mort, ça va - [Ava & Olympe]

Ça lui est un peu tombé sur les épaules sans qu'elle s'y attende vraiment, mais aujourd'hui, Olympe doit assister les bénévoles du refuge. Elle connaît bien la dirigeante de l'établissement, donc naturellement, elle n'a pas pu dire non quand on est venu lui demander un service. Ça lui apprendra à être gentille, le reste de ses occupations prennent du retard pendant qu'elle nage au milieu des enfants, mais au moins, ça ne lui déplait pas tellement.

D'ailleurs, elle croit les reconnaître tous, déjà. Une marée immense de petits morts en quête de gardiens pour pouvoir prendre leur liberté qu'elle bravait parfois, avec chacun leurs histoires et traumatismes. La grecque fait au mieux pour les accompagner dans cette nouvelle vie, du haut de son expérience séculaire, mais la psychée des plus jeunes lui reste assez indéchiffrable. Sa propre enfance est trop loin pour qu'elle s'en souvienne vraiment, elle ne peut toujours pas comprendre comment ces petits êtres pensent et raisonnent.

Reste qu'aujourd'hui, un visage capte son attention parce qu'il ne lui évoque rien. Une petite paraissant anormalement agitée, détail que la chimère retient déjà. Le plus simple restait de se présenter, évidemment.

"Bonjour! Moi c'est Olympe, et je crois ne t'avoir jamais croisée ici. Tu es morte récemment?"

Si d'autres bénévoles l'avaient entendu, ils auraient certainement maudit son manque absolument flagrant de tact. C'est pas son métier, hein, de gérer des bambins, elle dépanne.

En retrospective, Olympe se disait qu'elle aurait pu s'y prendre différemment. Déjà, en ne posant pas ce genre de question exceptionnellement indélicate et déplacée, sinon en choisissant d'autre mots. Des métaphores, pour les enfants, ou des images moins crues. Quitte à avoir mis les deux pieds dans le plat, elle y restait, mais regrettait un peu son approche très brute de décoffrage.

Elle se baisse à sa taille, quand même, avant d'expliquer calmement.

"Je sais que c'est pas facile à avaler, moi aussi ça m'avait fait un choc"

"Un choc avec le bitume", qu'elle se retenait de dire, de peur d'être la seule à comprendre sa blague. Puis bon, c'était un humour assez morbide et graphique, épargnons aux enfants ces horreurs. Bon y'avait plus important à débattre que l'esprit taquin de notre chimère.

"Et puis, tu sais, c'est déjà un nouveau monde qui s'offre à toi. Pourquoi vouloir revenir en arrière?"

Voilà, attaquer le problème à la racine, c'est déjà plus sage. Pour l'heure, elle se retient quand même d'évoquer que le retour à la vie se conclut souvent par la zombification, la pauvrette a déjà assez de soucis à se faire.

La vérité soit dite, la grecque a un peu de mal à comprendre les fantômes cherchant à revenir dans le monde des vivants. Elle n'avait pas regretté un instant de le quitter, et malgré son empathie naturelle, l'entreprise lui paraissait insensée. Tant pis, elle ferait au mieux.

Elle n'y avait pas vraiment pensé, mais effectivement, il lui paraissait maintenant évident que les jeunes morts devaient se trouver perdus sans le repère de la famille. Une épiphanie qui lui permettra de mieux comprendre le monde, certainement. Il aura fallu du temps pour qu'elle le comprenne, mais ce sera retenu à vie. Ou à mort.

Par contre, la petite ne démord décidément pas. Le plus délicat, au final, c'est bien que la chimère ne peut pas vraiment se reposer sur le pragmatisme froid pour lui expliquer clairement que rien ne sert de vouloir revenir. C'est simplement un language que les jeunes âmes ne comprennent pas, ou mal, un language d'adulte en somme. Il lui manque des outils pour se faire comprendre, au final.

Alors, comme toujours, elle fait au mieux avec ce qu'elle a.

"Je crois que le cas de Jésus, c'est assez différent du nôtre..." Olympe n'a pas pris le temps de s'intéresser à la théologie, mais est assez confiante sur ce point. Elle ne se sent pas particulièrement d'essence divine. Elle n'ose pas se lancer sur le sujet des parents, par contre, c'est encore plus glissant à son sens.

"Et tout le monde passe par Tokyo, c'est comme ça. Il y a des lois, dans le monde, qui existent sans raison."

Peut-être qu'il y a une raison, mais elle n'en a pas connaissance alors. Au moins, ça lui permet d'enchaîner.

"Une des lois d'ici, c'est qu'on ne revient pas. Tu sais, tous les morts ont milles raisons de vouloir revenir, même moi j'ai tenté." Un énorme mensonge, mais taisez-vous, c'est pour la bonne cause. "Mais on ne peut juste pas, c'est comme ça. On s'y fait."

Dans une sorte d'éclair de génie, elle se permet même d'avance un argument certainement puissant pour un esprit en formation.

"Regarde, une preuve. S'il était possible de revenir à la vie d'ici, ç'aurait fait la une des journaux partout dans le monde."

Ou ça se serait propagé sur internet, mais la grecque était encore trop vieux jeu pour s'en rendre compte. Elle raisonnait avec les outils de son époque, quoi.

Quelque part, on pourrait croire qu'elle est habituée. À gérer des enfants en pleurs, j'entend, c'était facilement la troisième fois ce mois-ci qu'une jeuneâme éclatait en pleurs sous ses yeux. Mais rien n'y fait, elle n'apprend pas de ses erreurs, Olympe panique toujours autant.

"Si, si je comprends, mais..."

Mais il faut accepter que la mort, c'est un état plutôt permanent. Enfin, sauf pour certains animaux très particuliers, mais la grecque ne doit probablement même pas connaître leur existence. Passons. De toute manière, elle n'a pas le temps de développer, la furie explose et s'échappe sous son regard impuissant.

Évidemment, dans sa bravoure immense, la chimère fait la seule et unique chose sensée à faire dans cette situation: elle cherche de l'aide en balayant la pièce du regard. Elle est la seule adulte. Tant pis.

À pas légers, sa silhouette gênée s'inflitre à son tour dans les jardins, précautionneuse. Si lui vient l'instinct de prendre la petite dans ses bras pour la rassurer, elle se rappelle vivement d'une expérience difficile avec une autre petite, préfère ne pas retenter sa chance avec la tactilité. Calmement, elle souffle, pour apaiser la lémure.

"Écoute, au pire des cas, on pourra payer un vampire pour passer le message, mais pour nous deux le chemin est fermé."

Par "on", elle entendait évidemment que ça soit à ses frais, la pauvre gamine n'ayant selon toute vraisemblance pas les moyens de s'acheter un messager. Olympe non plus, en fait, mais elle serrerait la ceinture un temps pour réunir les fonds. Comme depuis quelques années, tous les jours. Le prix de l'altruisme, hein?

Elle préférait aussi taire pour le moment que c'est purement illégal et particulièrement dangereux. Ce sera sa responsabilité, s'il faut en arriver là.

"C'est surtout important de pas tenter d'y aller toi-même, tu vas tomber en poussière..."

Enfin, c'est ce qu'on lui avait dit, et elle préférait ne pas tenter le diable.

Croyez-le ou non, Olympe commence à voir une lueur d'espoir au bout du tunnel. Oui, voir le roi, le rencontrer, c'est au final une requête modérément raisonnable, la chimère l'avait elle-même croisée plusieurs fois au hasard. Non pas qu'il puisse la ramener à la vie, elle ne serait certainement pas la première à demander, mais au moins il pourrait tenter de la raisonner à son tour.

Mais voilà, tout se passe trop vite avant qu'elle n'aie vraiment le temps de répondre, un nouveau sujet plus délicat encore que la religion est soulevé, elle tente de bredouiller quelque chose:

"Mais non, ça n'a..."

La petite la coupe, se braque à nouveau, s'enrage de sa situation. Là au moins, la grecque peut répondre avec certitude.

"Non, vraiment tu ne veux pas vivre avec des chimères, je..."

"Je parle par expérience", mais la phrase est interrompue (encore) par l'intervention d'une tierce personne. Et quelle intervention mes aïeux, une rixe s'enclenche sous les yeux las de la chimère. C'est qu'elle avait oublié que les enfants peuvent être vicieux, dans ces tranches d'âges-là, un peu vils. C'en est beaucoup, pour elle, en une seule journée. Elle n'a pas signé pour ça, préfère poser du papier peint, c'est plus calme. Au fond, elle ne sait pas vraiment ce qu'elle peut ou non faire dans ce genre de situation, mais l'instinct lui suffit.

Elle se hâte comme elle peut vers les deux bélligérants, et d'une poigne ferme les saisit, au bras et au col, pour les écarter. C'est qu'à force de frapper du carrelage et tirer des vis, on peut développer une force qui dépasse un peu nos attentes. Pour sûr des éducateurs l'auraient reprise sur sa méthode un poil brutale, mais l'efficacité est indéniable.

"Vous arrêtez vos conneries maintenant!"

Le mot lui a échappé, mais sa patience avait une limite. Là encore, c'était pas nécessairement la meilleure manière de se conduire en présence d'enfants, mais qui pourrait la blâmer?

"Toi tu t'excuses. Tout de suite."

Un regard incandescent tombe sur le malvenu, le refus ne sera selon toute vraisemblance pas toléré.