La silhouette du roi titube dans la nuit jusqu’à la porte de son appartement. Entre les lueurs des réverbères, grandissant sur les façades, les rares paparazzi encore debout peuvent percevoir son ombre trébucher dans le vide.
Dans les yeux de Joshua le violet est clair, la pupille plus ronde, de plus en plus voilée ; elle cherche désespérément de la lumière, mais non seulement le soleil s’est déjà couché, mais en plus elle sera bientôt caduque : il a à peine le temps de tourner la clé dans la poignée que ça y est, c’est le flou.
D’abord calme, il referme la porte doucement, tâtonne pour rentrer à nouveau sa clé dans la serrure, et tourner. Safe. Soupir. Sourire. Un petit cocottement doux l’accueille et lui indique que Poule a réussi à monter les escaliers en son absence.
Il n’est pas tombé à court de potions de vision depuis l’inauguration de ce camping à Okinawa. Mais, puisqu’il a pu rentrer chez lui à temps cette fois, il ne s’inquiète pas. D’un pas guilleret – mais prudent – il descend au rez-de-chaussée, traverse son salon et fait glisser la porte de son bureau. Malgré le flou dans lequel il se trouve, le roi prend bien soin de refermer derrière lui, gratifiant Poule d’un « non » ferme et d’un geste du doigt lui interdisant de le suivre : cette pièce lui est interdite, car c’est là que se trouve le vivarium de Sasa, la chenille fétiche de Joshua.
HORREUR. La réserve est vide. Enfin, d’après le vide qu’il perçoit vaguement dans le placard, ses flacons ne sont pas là. Il tâte tout de même le fond du meuble, pour être sûr. Oui. Enfin, plutôt, « non », pas de potions. Soupir.
« Ça part vraiment à toute vitesse ces machins. » grogne-t-il tout haut – en s’adressant à la chenille qui grignote tranquillou dans son bocal.
Avec une petite moue dépitée, il saisit le petit insecte muet et repasse dans le salon attenant. Ses yeux commencent à pleurer, c’est le signe que ce sera bientôt terminé. La lumière décline encore alors que le roi se laisse tomber dans le canapé et observe distraitement la chenille grimper en ondulant patte par patte le long de sa paume.
« Que fait-on Sasa ? On réveille Catherine ? » Non, évidemment. Ça pourra bien attendre demain, il n’a pas besoin de voir pour dormir, et pas non plus besoin de se mettre sa nécromancienne à dos en la dérangeant à pas d’heure. Il n’a même pas le loisir de voir quelle heure il est, d’ailleurs, car le flou devient sombre, et le sombre devient noir.
Et le noir n’en est pas vraiment un. Son nerf optique ne fonctionne plus, ne perçoit plus les couleurs, et le noir est une couleur, n’en déplaise à Léonard de Vinci. Quand le Lémure était vivant, il ne se rendait pas vraiment compte de ce qu’il loupait, mais là, ce faux noir lui paraît fade, épais, sans aucune place pour l’imagination. Décevant, déprimant, tout comme le passé auquel il le renvoie immanquablement. Et soudain, le voilà qui déblatère et évoque sa vie, sa mère, des détails sans intérêt qui l’ont marqué et blessé. Tout ça en direction de la chenille, qui, comme tous les insectes, est dépourvue de tympans et s’en fiche royalement. Le roi, lui, a toujours aimé lui parler en revanche, qu’elle l’entende ou non n’a pas vraiment t’importance.
Toutefois, l’absence de réponse semble le déconcerter. Maintenant qu’il y pense, il la sentait au bout de son doigt il y a trente secondes, et maintenant plus.
« Sasa ? » interjecte-t-il.
Toujours sans réponse, il se lève, fait un petit tour sur lui-même, s’arrête. C’est soudain la panique. Ne bouge pas, Joshua, un mauvais geste et tu pourrais la réduire en purée.
« Sasa ! » crie-t-il plus fort. Ce serait tellement plus rapide si elle répondait, aussi.
Autant qu’il se rassoie avant de faire un dégât qu’il regretterait. Oui. C’est plus sage. Il repose son royal postérieur sur le canapé.
Et.
Sprlouish.
« SASA ! » hurle-t-il en se relevant tout de suite.
Pas de réponse, juste une volée de plumes derrière le canapé.
A tâtons, il entre enfin en contact avec le corps déformé de l’insecte. RESPIRE-T-ELLE ENCORE ?! Les pensées de Joshua sont aussi hystériques que lui, et battent contre ses tempes ; il ne connaît ni l’état de la bête, ni les premiers soins à apporter. Que faire, que faire. Voyant depuis des décennies, il a tout bonnement oublié comment vivre aveugle, et se retrouve complètement fébrile. Un seul nom lui vient à l’esprit, celui qu’il a lui-même prononcé quelques minutes auparavant. De sa main libre, il palpe sa poche à la recherche de son téléphone portable. Droite, un deux trois en bas, ça devrait être le nom de la nécromancienne ; ok.
Difficile, en revanche, d’envoyer ses habituels SMS sans la vue. Après quelques essais, qui consistent tous en quelques inintelligibles « odizqoghysoizf », « ofuqzoig zu », ou encore « fguusq gduqyqjd », auxquels il ne sait même pas si elle a répondu quoi que ce soit, il se décide à appuyer sur le bouton vert pour l’appeler, plutôt. Mais pas de réponse.
Il réessaie encore trois fois et laisse trois messages : « PUTAIN MAIS CATH ! » en japonais, « j’ai besoin de toi toud’souite ! » en français, et enfin juste quelques sanglots assez ridicules. Après quoi, il se résout enfin à lâcher l’appareil inutile.
Ce n’est qu’à vingt-deux heures passées que le roi, tremblant et pleurnichant dans son canapé, avec dans la main une petite boîte dans laquelle git le corps tout aplati de Sasa, entend sonner à sa porte. Relevant la tête à travers les larmes, l’espoir renaît : qui ça peut être, hormis la Nécromancienne qui a enfin eu ses messages, et qui sait exactement comment sauver son insecte ?
Les escaliers montés quatre à quatre (en ne se viandant que deux fois, dont la première lui ouvre l’arcade et la seconde lui causera un beau bleu sur les fesses demain), il se précipite à la porte, la déverrouille en tremblant, et l’ouvre à la volée.
« Cathy, c’est toi ? »
Il cligne de ses yeux rougis par les larmes, comme si ça allait l’aider à distinguer son interlocutrice sans qu’elle ait encore ouvert la bouche, et lui tend la boîte où, autant qu’il ait pu l’entendre à travers les pleurs, Sasa n’a pas encore rendu son dernier soupir.
J’ai un peu abusé parce que je voulais trop faire un p’tit pavé sur son retour à l’état aveugle vu que c’est la première fois que j’ai vraiment l’occaz
Obvi j’attends pas que tu me fasses 1000 mots pareil hein, on peut partir sur du beaucoup plus court sur la suite