Instant primaire et viscérale. Frissons d'effroi et de terreur. Là où le froid et la peur demeure, il ne reste rien d'autre qu'un néant profond comme le pire des gouffres sans fond. Rien d'autre à part les ténèbres et la peur. La solitude et l'amertume. Le doute et la noirceur. Rien. Juste rien.
Le néant.
Etsu n'entendait pas grand chose, son esprit vagabondant dans un endroit qui n'avait pas de nom. Il était là, voletant dans un espace vide de toute chose, à attendre que les choses se passent. Que le corps rappelle l'âme et rattache le tout avec lui, pour qu'à nouveau la vie reprenne, que les membres se meuvent, que la voix porte et que les prunelles ambrées découvrent le monde gris qui l'entouraient. Que tout revienne lentement à la normale, que les ténèbres se dissipent pour laisser place à la lueur jaunâtre de cette lampe qui éclairait malhabilement les murs roses de cette pièce bien trop connue. Instant de flottement. Battements de cils. Brouillard épais et sombre. Les iris de la japonaise redécouvraient à nouveau ce monde dans lequel elle vivait depuis bien des mois.
Mais rien n'était totalement à sa place.
Un bourdonnement sinistre emplissait les oreilles de la jeune spectre qui ne comprenait pas tout ce qui pouvait se passer. Elle sentait son corps étendu quelque part, sa tête reposant sur un tissu alors qu'une voix grave paraissait lui parler. Un chiffon froid passait sur son visage en sueur, sa respiration étant assez lourde et difficile tandis qu'elle peinait à remettre ses idées en place. Déjà, où était-elle ? À l'appartement... oui, l'appartement. Elle était rentrée tard, après la découverte de ses pouvoirs en présence de ce fameux agent secret. Mais après ? Après... après...
Une quinte de toux la prit soudain, une bouffée de chaleur montant de son cou à ses joues alors qu'elle se recroquevillait davantage sur elle-même. Malade. Elle était malade. La pluie était la cause de son état. Elle était restée si longtemps sous la pluie. Si longtemps. La fatigue la prenait violemment. Dormir. Elle avait tellement envie de dormir et de se laisser aller dans les bras de Morphée... mais elle ne pouvait pas... elle ne pouvait pas...
Elle ne devait pas.
La voix résonna dans sa tête. La voix d'un homme. Un homme. Etsu releva un peu les yeux, observant le visage de celui qui était près d'elle. Un homme brun, grand, fin, aux cheveux bruns et la peau pâle. Elle l'avait déjà vu. Mais où ? Où... et pourquoi était-il là ? Elle ne comprenait rien. Plus rien. Juste dormir. Elle voulait dormir. Et oublier. Tout oublier. Une larme roula sur sa joue, puis une autre. Et encore une autre. Etsu pleura, sans pouvoir rien contrôler. Sans pouvoir y faire quoi que se soit. Elle pleura des sanglots silencieux, son corps se recroquevillant encore pour prendre la position d'un fœtus. Pleurer. Et dormir. Pleurer. Et oublier.
Mais elle ne pouvait pas...
La valise avait disparu. Les vêtements étaient chiffonnés sur le sol. Ekaitz. Il venait d'arriver à l'appartement. Il lui parlait dans une langue qu'elle ne connaissait pas. Mais il semblait paniqué. Bien plus qu'elle était démunie. Elle ne devait pas se laisser aller. Pas maintenant. Il devait également craindre pour lui. Craindre qu'il ne disparaisse comme sa valise. Craindre que son état soit grave. Elle devait se reprendre.
Reprends toi Etsu.
- Ekaitz... je suis réveillée... je suis là...
Sa voix était douce et tremblante. Douce et rassurante. Douce et pourtant si faible. Elle pleurait toujours, sans pouvoir s'arrêter. Mais ses lèvres étaient étirées en un petit sourire désolé, un faible rire suivant. Ce n'était pas la meilleure façon d'accueillir un nouveau colocataire.
- Je suis désolée... pour ta valise... pardon...
Son souffle était court mais Etsu faisait l'effort de lui parler. Elle devait montrer qu'elle n'était pas complètement en train de sombrer, pour ne pas le paniquer davantage. Dans le cas contraire, ils ne pourraient pas s'en sortir avant l'arrivée d'un autre de ses colocataires. Et la jeune femme ne savait pas quand et qui pourrait bien arriver. Il ne fallait pas que ce soit Ellioth, il paniquerait bien plus qu'eux. Peut-être Takuma. Etsu soupira fortement, une nouvelle quinte de toux la prenant. Elle ne pouvait pas attendre que quelqu'un vienne à son secours. Il fallait faire quelque chose maintenant.
Son corps était trop faible pour se relever et Ekaitz ne semblait pas pouvoir la porter. Ce n'était pas réellement le plus grave mais cela aurait été mieux si elle avait pu être dans son lit ou sur le canapé. Enfin, elle pouvait parler et lui donner des indications sur la marche à suivre.
- Écoutes moi... tu as du te rendre compte... que j'étais malade... il y a des médicaments... quand le placard de la salle de bain. La boite... bleue... et une couverture dans... le tiroir du canapé... pas besoin de me changer... de place... juste... la serviette sur le front... ça va aller...
Un nouveau sourire. Une nouvelle larme. Des paroles entrecoupées de souffle court et saccadés. Ça irait. Ça irait. Les choses allaient s'arranger.