Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
Le brouillard s’atténuait. Les contours se précisaient mais n’étaient pas encore tout à fait distincts, encore recouverts par l’obscurité de la nuit. La température devait s’être réchauffée ou l’eau de l’onsen s’était refroidie un peu, sans doute. Ael gémissait de douleur. Shirley avait vu sa silhouette être projetée sur la pierre. La brune qui était habituellement si douce n’avait pas su contrôler sa force — quoique pas très impressionnante… — sous l’effet de la panique. Mais la jeune lémure ne s’en souciait pas vraiment. Elle restait sur ses gardes et se méfiait de chacun des gestes de son interlocutrice, prête à la repousser et à reculer de nouveau si elle tentait de se rapprocher.
La métisse se releva, puis demanda des explications à son agresseur. Avant même qu’elle puisse poursuivre, Shirley la coupa en s’exclamant de ne pas s’approcher.
Pour ne pas rassurer la jeune femme, Ael se mit à la contempler avec attention. Son regard glissait sur son corps qu’elle peinait à cacher sous ses mains et ses bras. Il s’attardait aux larges cicatrices peu esthétiques qui couvraient son corps ici et là. C’était sans issu : les vêtements de Shirley étaient restés aux vestiaires et sortir de l’eau ne ferait que dévoiler un peu plus les nombreuses marques qui enlaidissaient son corps. Lorsqu’elle s’apprêtait à lui demander de regarder ailleurs, Ael fit quelques pas vers l’arrière.
—Je suis désolée, je ne voulais pas vous mettre dans une telle position, vous mettre mal à l’aise de la sorte.
Ses excuses ne suffisaient pas. Son ton simple et doux qui n’était pas teinté de cette pitié exécrable dont faisait souvent preuve Shirley non plus. Quoi qu’il arrive, ses cicatrices ne devaient être vues par personne. Personne ne devait être témoin de sa laideur. Surtout pas cette beauté sans défauts. Cependant, le vouvoiement et le ton qu’elle employait laissait croire qu’Ael avait pu entrapercevoir ses cicatrices et son visage défiguré, mais qu’elle ne l’avait pas reconnue. Cette possibilité l’apaisait un peu.
—Vous êtes une très belle femme. Vous n’avez pas à vous cacher de moi vous savez.
Quoi? Une très belle femme? Ça suffit. La jeune femme commençait à se douter de quelque chose. Elle sait qui je suis pour dire des trucs pareils, c’est évident! Elle se moque de moi. Comme elle l’a sûrement fait à la bibliothèque… Elle se braqua et recula à nouveau. Cette fois-ci, la brune s’efforçait de garder son sang-froid. Il ne fallait pas fuir comme elle l’avait fait après ce baiser. Néanmoins, Shirley n’avait pas cette assurance qui lui permettrait de la confronter d’une voix assurée. Sa petite voix fragile n’inspirerait pas spécialement le respect et donc Ael en profiterait pour l’embarrasser et l’humilier une fois de plus. Elle ne peut pas être sincère… Étant très complexée par son physique depuis sa mort, Shirley le prenait très mal qu’on la tourne au ridicule… Pourtant, cette fois-ci elle ne baissa pas misérablement la tête. Les paroles d’Issui raisonnaient dans son esprit. Il ne faut pas se laisser faire. Sans même se douter qu’il s’agissait d’un vulgaire malentendu, persuadée qu’on lui voulait du mal, la brune décida pour la première fois de s’affirmer un peu. Elle extérioriserait cette douleur au creux de sa cage thoracique et peut-être que la belle Métisse cesserait de la tourner au ridicule. Ou elle ne comprendra pas… et en rigolera.
—A-Arrête de te foutre de moi, s’il te plait. T-tu m’embrasses à la bibliothèque et tu me dis ça même a-après avoir vu mon visage… Tu aimerais qu-qu’on se moque de toi comme tu le fais en ce moment? demanda-t-elle presque dans un murmure fragile, affecté. Je suis laide m-maintenant, tu en pro-profites pour me rabaisser encore plus en riant de moi. Je ne v-veux pas savoir pourquoi, je veux juste que tu arrêtes. J'ai été méchante, m-mais on arrête la guerre, l-là...
Sa petite voix fluette, ses légers tremblements provoqués par le froid et la panique et son regard fuyant révélaient toute sa vulnérabilité et sa fragilité. Sa piètre estime de soi aussi. Le manque d’assurance du petit être face à Ael avait quelque chose d’attendrissant. Dans ses paroles prononcées sur un ton ridiculement frêle, on percevait avec aisance qu’elle n’avait jamais été suffisamment rassurée. Par ses parents, ses amis, ses amants, n’importe qui. Parce qu’on lui avait bien souvent donné l’impression qu’elle n’était pas importante, à moins de servir à quelque chose et de tendre la main aux plus malheureux. Le doute d’être prise pour une conne ou d’être secrètement haïe persistait toujours dans son esprit, peu importe la situation. Shirley fit quelques pas vers l’arrière à nouveau, voulant se fondre dans les ténèbres et être dissimulée une bonne fois pour toute du regard d’Ael. Il ne fallait pas dévoiler ces failles honteuses.
—T’approche pas. Reste loin, fit-elle d’un ton à peine plus assuré.
Ael se rapprochait dangereusement de Shirley. Son dos était contre une pierre. Elle n’avait plus d’échappatoire. Finalement, le même scénario se reproduisait encore et encore. Une fois de plus, on la coinçait et on l’empêchait de se faufiler pour éviter les autres et leurs contacts. Ça l’agaçait, mais elle était bien trop préoccupée à cacher du mieux qu’elle le pouvait son corps et son visage des regards indiscrets de la Métisse. D’une voix inaudible, elle la supplia d’arrêter de la reluquer et de s’éloigner.
—Tu ne devrais pas dire des choses pareilles. Je t’ai vue d’assez près pour pouvoir dire que tu es une très belle femme.
—Vas-t-en, gémit-elle faiblement.
Le ton doux et tendre qu’elle avait employé ne l’avait pas rassurée comme prévu. Les paroles qui auraient dû être agréables n’avaient aucun effet sur elle. Tout ce que désirait Shirley, c’était que cette femme qui se permettait d’envahir un peu trop son espace personnel fasse quelques pas vers l’arrière. Mais elle continuait d’avancer vers elle. Elle voyait la distance entre elles réduire et elle paniquait. Plus Ael se rapprochait, mieux Shirley pouvait discerner son visage et son corps. Son regard la parcourut longuement — un peu trop peut-être. Sa peau pourtant si blanche et si délicate était couverte d’hématomes foncées. Un corps si parfait flétri par d’injustes violences. Que s’est-il passé? La jeune femme se surprit à éprouver beaucoup de pitié pour cette femme qu’elle détestait pourtant du plus profond de son cœur quelques jours plus tôt. Fascinée par les disgracieuses taches foncées et blessures qui la recouvraient cruellement, elle en oublia un peu ses propres cicatrices exposées à la vue de la Métisse. Ma pauvre Ael… Face à la souffrance d’autrui, Shirley ressentait immanquablement une tendresse infinie. Même s’il s’agissait de celle qu’elle enviait le plus… Je veux te soigner.
De ridicules petits centimètres à peine les séparaient. Les deux femmes se regardaient presque sans la moindre hésitation, captivées par leurs blessures. Toutes les deux se scrutaient silencieusement d’un œil doux, voire affectueux. Avec la même délicatesse, Ael attrapa la main de Shirley pour la dégager de son visage pour mieux l’observer. La Canadienne la laissa faire mollement en plantant son regard dans le sien. Voyant que la demoiselle ne lâchait pas sa main, Shirley serra doucement ses doigts. Les terribles ecchymoses qui gâchaient la beauté de son ennemie jurée l’attendrissaient. Cette fragilité la touchait. Ael était humaine. Fragile, comme elle. Les coups lui laissaient des marques à elle aussi. Et si je peux vraiment lui montrer mes cicatrices?
—Tu es si.. belle, fit la jeune femme, le plus sincère du monde.
Les joues de la brune s’empourprèrent, mais elle ne détourna pas le regard. Elle analysait son regard pour vérifier la véracité de ses paroles. Elle le pense vraiment? Shirley n’avait trouvé que de la sincérité pure au fond des iris gris rivés sur elle. Jamais un compliment ne l’avait aussi touchée.
Ael lâcha la main de son amie(?) avant d’effleurer de ses doigts fins le côté de son visage ravagé par son accident. Cette dernière ne la repoussa pas. Cette femme qu’elle avait tant détestée avait le droit de toucher à cette gigantesque cicatrice qu’elle s’évertuait à dissimuler jour après jour sous des bandelettes de tissu. Cette femme qu’elle avait tant haïe avait le droit de partager ce moment si doux avec elle alors qu’elle s’était promise de ne plus se laisser fourvoyer par les belles paroles et les gestes tendres après sa mort. La main sur sa large cicatrice glissa jusqu’à ses cheveux et alla se perdre dans ceux-ci. Shirley baissa les yeux avant de sourire légèrement, à la fois embarrassée et charmée. Elle restait silencieuse comme si elle attendait quelque chose.
La jeune femme se pencha vers elle, réduisant un peu plus la maigre distance qui les séparait. Elle vint déposer un baiser sur sa joue meurtrie.
—Tu es tellement… souffla-t-elle. Tu ne devrais pas te cacher, encore moins de moi..
Le bras qui cachait sa poitrine se décolla de son corps et elle attrapa avec délicatesse le bras d’Ael pour s’assurer qu’elle ne s’éloigne pas. Leurs visages étaient à nouveau si près. Le souvenir du baiser qu’elles avaient échangé à la bibliothèque surgit dans son esprit. Ces lèvres obsédantes qui se plaquaient contre les siennes avec désir et ce corps très différent de celui d’un homme contre le sien... Elle s'en souvenait parfaitement. À nouveau, un sourire réservé étira ses lèvres et son regard se fit fuyant. Mais Ael fit quelques pas vers l’arrière. La réminiscence du baiser s’estompa aussitôt. Mais cela ne découragea pas la brune. Elle serra un peu plus fort le bras de la lémure pour éviter qu’elle recule de nouveau et, sous l’impulsion du moment, posa ses lèvres contre les siennes. Doucement et tendrement, sans la brusquer. Presque chastement. Sa main libre se glissa sur sa délicate hanche avec précaution pour éviter que ses blessures la fassent souffrir au contact de ses doigts.
Leurs bouches se séparèrent après quelques trop courts. Ses pensées ne tardèrent pas à revenir à toute allure pour la réprimander pour son comportement déplacé.
Non mais quelle salope. Il suffit qu’on te susurre quelques compliments et tu te jettes au cou d’inconnus. Elle va te dire qu’elle t’aime bien et tu vas vouloir te retrouver sous la couette avec elle! C’est déjà arrivé quelques fois. Tu me dégoûtes. Fille facile. Et naïve surtout. Ta mère avait raison. Tu t’habillais en salope et encore aujourd’hui, 32 ans et supposément mature, tu te livrerait entièrement à tout ce qui a un peu de considération pour toi. Non mais quelle salope. De toute façon, quoi que cela ait voulu dire — si ça avait une quelconque signification d’ailleurs — tu ne t’attacheras pas à cette femme. Tu vas tomber amoureuse. Les femmes t’intéressaient un peu auparavant, hein? T’as jamais fait le pas, par manque de courage, mais ELLE, elle est dangereuse parce qu’elle est clairement aux femmes. Et tu risques de t’encombrer encore de quelqu’un. Tu te revois revivre l’enfer d’être en couple? Non. Ce n’est pas parce que les femmes aiment différemment des hommes que tu vas prendre le risque de retourner dans cette galère. Tu es indépendante maintenant. Tu n’as besoin de personne. Tu n’as jamais été aussi heureuse depuis que tu as laissé de côté l’amour. Pas vrai?
Oui, c’est vrai. Mais…
Tu vas la détester. Compris?
D’accord. Je la détesterai.
Ne lui fais pas trop mal, tout de même…
Shirley s’éloigna un peu et reposa son dos contre la pierre. Un léger soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’un air à moitié inquiet, à moitié attristé était suspendu à son visage. Elle n’osait plus regarder Ael en face. Elle ne voulait pas la rejeter. En avide d’amour et d’affection inavouée, elle n’avait jamais su dire non et ne savait toujours pas comment faire aujourd’hui. Ce besoin handicapant, presque pathologique, d’être aimée lui avait si souvent nui… Quand on ne sait pas s’aimer soi-même, on cherche à être aimée par les autres. Et on devient si vulnérables, si facilement bernables. La jeune Lémure ne pouvait pas laisser avoir une énième fois. C’était trop difficile. L’amour n’était pas fait pour elle, pourtant elle se faisait si facilement piéger dans celui-ci. Il n’y avait que dans les films et les romans à l’eau de rose où les beaux sentiments et le romantisme cicatrisaient pour de bon les vieilles blessures et comblaient une fois pour toute les manques qu’on avait toujours ressentis.
—J-je sais pas pourquoi j’ai fait ça, mentit-elle.
C’était dit sur une voix qui vacillait, peu convaincante. Ael avait peut-être déjà percé à jour son mensonge. Shirley avait croisé les bras et cachait de nouveau sa poitrine. Les cicatrices qui parcouraient disgracieusement son visage et son corps étaient toujours à découvert, mais elle ne se faisait plus beaucoup de souci pour ça. D’autres pensées la torturaient...
Son regard s’était perdu dans le vide. La jeune Lémure cherchait ses mots, des mots qui suffiraient à éloigner la jolie femme qui s’était visiblement éprise d’elle. Elle aurait pu lui crier toutes les insultes du monde, mais il ne fallait pas lui faire mal. Et son comportement l’aurait, en plus de la blesser, très certainement intriguée. Passer d’un baiser à des insultes… On la prendrait pour une folle. Shirley devait la repousser en douceur. On ne se connait presque pas, je ne vais pas lui faire très mal je pense… J’aurai peut-être la conscience tranquille, cette nuit. Pour se donner du courage, la brune inspira, puis lâcha sans même la regarder dans les yeux :
—J’ai dû faire ça parce que… parce que… Pour te faire plaisir. C’est ça. Ne t’imagine rien, d’accord? Je ne sais pas si tu voulais juste avoir une conquête ou si tu voulais plus, mais peu importe. Dans tous les cas, ça ne va pas être possible. J’aime les hommes. Je ne suis pas intéressée. Et même si j’aimais les femmes, je ne pense pas qu’il se passerait quoi que ce soit entre nous. Je ne t’apprécie pas beaucoup… Tu as dû le remarquer. Je ne suis pas célibataire non plus dans tous les cas. J’aime mon copain. Il me plaît beaucoup plus que toi. À partir de maintenant, si on se recroise, on ne s’embrasse surtout pas. Je n’aime pas ça. Je ne veux pas non plus qu’on s’adresse la parole. J’aimerais qu’on oublie tout ce qui s’est passé. L’incident de l’ascenseur, la fois où on s’est embrassées à la bibliothèque, ce qui vient de se passer et même toutes les fois où on s’est croisées à l’Agence sans forcément se parler. Je ne t’ai jamais voulue dans ma vie, ça n’a pas changé aujourd’hui. Excuses-moi. C’est gentil ce que tu m’as dit, mais je ne t’aime pas du tout.
J’ai été cruelle, constata Shirley. Mais ce qui était dit était dit. Son discours avait néanmoins le mérite d’être clair. Plus jamais elles ne se reparleraient, et c’était mieux ainsi. Ce discours à lui seul avait pu écarter tous les risques de tomber amoureuse de cette pure étrangère qui l’avait flattée avec ses belles paroles et ses douces caresses. Cela aurait dû la réjouir, pourtant, elle sentait sa peine s’agglutiner au creux de sa gorge en une boule désagréable et un poignard transpercer sa poitrine. En quelques instants à peine, elle s’était accrochée si facilement à Ael alors qu’elle l’avait haïe dès la première fois que leurs regards s’étaient croisés. La sincérité dans ses mots, sa beauté qu’elle appréciait non sans amertume, sa bienveillance et son aura de femme inatteignable l’avait séduite. Je suis ridicule.
—Je t’interdis de parler de mes cicatrices à qui que ce soit, lâcha Shirley avec difficulté.
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